Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, nous examinons aujourd’hui en première lecture la proposition de loi présentée à l’instant par vous-même, madame Rohfritsch, que je salue comme auteure et rapporteure du présent texte, qui vise à étendre aux collectivités territoriales le mécanisme de déclassement anticipé prévu à l’article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques, le fameux CG3P. Le fait que cette question soit notoire et revête une importance non négligeable est un constat certainement largement partagé sur tous les bancs de votre hémicycle. Elle a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs questions de parlementaires à l’Assemblée nationale comme au Sénat, vous l’avez rappelé, madame la rapporteure. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a souhaité travailler étroitement avec les parlementaires afin d’apporter la réponse la plus appropriée à cette problématique, au-delà des clivages partisans.
Il s’agit en effet de travailler collectivement dans le sens de l’intérêt général en permettant d’accorder plus de souplesse dans la gestion des collectivités territoriales quand c’est nécessaire tout en veillant à préserver leurs marges de manoeuvre budgétaires. Tel est le sens du message que je vous adresse aujourd’hui : celui d’un gouvernement à la fois ouvert aux améliorations nécessaires de la gestion publique locale et, car ce n’est pas incompatible, protecteur des intérêts de nos collectivités.
Les personnes publiques locales ont progressivement pris conscience de la valeur économique de leurs biens. Elles se sont tout d’abord appliquées à mieux connaître la consistance de leur patrimoine. Cette démarche, qui relève du bon sens mais longtemps négligée, est maintenant bien engagée. La nécessité de valoriser les propriétés de toutes les personnes publiques s’impose en effet parce que les biens concernés ont des besoins propres en termes de rénovation, de reconstruction ou de financement, ou encore parce qu’ils peuvent servir de support à des activités économiques. La recherche de la rentabilité est devenue pour les collectivités publiques un besoin autant qu’une contrainte, mais elle suscite plusieurs interrogations : quels biens valoriser, comment et jusqu’à quel point ? En effet, valoriser économiquement les biens publics ne doit pas conduire à sacrifier d’autres exigences d’intérêt général telles que la préservation de leur intégrité ou de leur valeur patrimoniale.
C’est donc dans ce contexte que cette proposition de loi soulève la question de la vente des biens du domaine public des collectivités publiques territoriales sans attendre que leur affectation à l’utilité publique ait pris fin. Comme vous le savez, l’État bénéficie déjà aujourd’hui d’une telle faculté. En effet, ainsi que je l’ai rappelé dans l’introduction de mon intervention, il existe dans le CG3P un dispositif dérogatoire permettant à l’État et à ses établissements publics, ainsi que, depuis 2009, aux établissements publics de santé, de déclasser des immeubles appartenant au domaine public et affectés à un service public avant même qu’ils ne soient matériellement désaffectés. Ce déclassement par anticipation permet aux personnes publiques concernées de financer, par la vente d’immeubles encore occupés, par exemple la construction des immeubles dans lesquels les services concernés pourraient être transférés. Les collectivités territoriales en revanche ne bénéficient pas d’une telle dérogation.
Vous le savez, mesdames, messieurs les députés : la procédure normale de sortie d’un bien du domaine public nécessite actuellement un acte formel de déclassement postérieur ou simultané à la désaffectation de fait du bien concerné. Les dispositions dérogatoires actuelles s’appliquent donc dans des conditions restrictives car on ne saurait de manière générale permettre la vente d’un bien appartenant au domaine public sans aucune perspective de désaffectation, au risque de remettre en cause les principes fondamentaux protecteurs du domaine public. La désaffectation est en effet, tout comme le déclassement, un attribut du droit de propriété des personnes publiques. Voilà sans doute pourquoi l’État a très peu utilisé ce dispositif dérogatoire.
Cela étant, les règles de droit commun en matière de domanialité publique n’interdisent pas une succession rapide dans le temps, voire une concomitance, entre la désaffectation d’un bien et son déclassement. Il est déjà possible pour l’organe délibérant d’une collectivité territoriale à la fois de constater la désaffectation d’un bien et de le déclasser, et ce dans une même délibération. Mais cet argument peut ne pas paraître suffisant car, il faut le reconnaître, et je le fais bien volontiers avec mon expérience d’élue locale, certains exemples illustrent la nécessité d’harmoniser les règles en vigueur entre l’État, ses établissements publics et les établissements publics de santé d’une part, et les collectivités locales d’autre part.
Comme l’avait noté le sénateur Henri Tandonnet dans l’une de ses questions adressées au Gouvernement, un terrain sportif, bien qu’appartenant à une collectivité territoriale, est affecté à une utilité publique puisque sportive, et si ladite collectivité veut le céder à un club, elle n’en a pas la possibilité, à moins de démontrer que le bien ne sera plus affecté à des activités sportives, ce qui supposera alors de les arrêter pour une période significative, c’est-à-dire assez longue. Il apparaît donc nécessaire d’appréhender la notion de désaffectation comme pour l’État en supprimant la période pendant laquelle le bien sera rendu inutilisable, bien souvent artificiellement de surcroît. Il y a actuellement beaucoup de difficulté à transférer des biens du domaine public au domaine privé pour poursuivre des activités qui pourraient être gérées par des acteurs privés, notamment associatifs.
Pour ces différentes raisons, il nous semble aujourd’hui que la solution proposée par Mme Rohfritsch est intéressante pour fluidifier la gestion patrimoniale des collectivités locales. Comme l’a souligné le député Dominique Bussereau en commission, il s’agit d’un texte de simplification et de cohérence.
Pour autant, on ne peut ignorer que l’extension du dispositif dérogatoire actuel pourrait mettre certaines collectivités territoriales en situation contractuellement difficile, notamment sur le plan financier, si, par la suite, elles ne parvenaient pas à libérer le bien qu’elles auraient vendu d’avance. En effet, elles pourraient être soumises, lors de certaines périodes particulières du mandat de leur organe délibérant, à la tentation d’encaisser immédiatement le produit de la vente d’un bien à céder plus tard – même si je partage entièrement l’avis exprimé en commission par le député Olivier Dussopt, à savoir qu’elles sont des personnes publiques majeures.