Madame la présidente, madame la secrétaire d’État – dont je salue les collaborateurs que je connais pour certains –, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, si l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des biens publics sont des principes fondamentaux bien connus de notre droit public, les appliquer trop rigoureusement peut paradoxalement menacer la continuité du service public.
En tant qu’élu local, j’en fais souvent l’expérience. Ainsi, prenons un bien immobilier : même s’il ne répond plus aux besoins du service public, il faudra attendre, en vertu du principe d’inaliénabilité, qu’il soit matériellement désaffecté avant que ne puisse intervenir la décision de déclassement du domaine public vers le domaine privé, puis sa cession. Cette situation est problématique à la fois pour les usagers, qui voient un service public interrompu, mais également pour les collectivités qui se trouvent bloquées dans l’acquisition d’un nouveau bien tant que le précédent n’a pas été cédé.
C’est pour contourner ce double inconvénient que le législateur a créé un mécanisme de déclassement anticipé, prévu à l’article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques, qui permet de céder un bien public non encore désaffecté. Rétablissant un équilibre entre, d’un côté, la nécessité de protéger les biens appartenant au domaine public, et, de l’autre, la souplesse nécessaire à la cession d’un bien, ce mécanisme permet de valoriser au mieux le patrimoine public.
Il présente cependant une faille majeure : celle de n’être applicable qu’au patrimoine de l’État et de ses établissements publics ainsi que, depuis 2009, aux établissements publics de santé. Si le fait d’exclure les collectivités territoriales de ce mécanisme pouvait se comprendre dans un système étatique centralisé, cela n’a en revanche aucun sens dans le système de plus en plus décentralisé que nous connaissons aujourd’hui. En effet, depuis la première réforme de décentralisation amorcée au début des années 1980, nous n’avons cessé de légiférer dans le sens d’un renforcement des pouvoirs des collectivités territoriales, lesquelles bénéficient du transfert de prérogatives toujours plus nombreuses. Encore récemment, la loi NOTRe du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, même si elle est très floue et très compliquée, a fortement renforcé les prérogatives des régions, des communes et des communautés d’agglomération, ainsi que, dans une moindre mesure, celles des départements. Les collectivités territoriales étant des personnes publiques majeures au même titre que l’État, il n’y a aucune raison de les traiter comme des mineures d’un point de vue juridique et de ne pas leur accorder le même régime quant à l’administration de leurs biens. Au regard des prérogatives mais également des responsabilités qui sont les leurs, elles doivent pouvoir bénéficier d’une certaine latitude dans leurs décisions.
Certains ont pu craindre que les collectivités territoriales ne profitent de l’extension de ce mécanisme pour vendre des éléments de leur patrimoine dans l’unique but de repousser certaines échéances financières, ce qui pourrait d’ailleurs se comprendre dans la situation actuelle avec les baisses drastiques des dotations de l’État. Il est vrai que c’est un risque à ne pas négliger, et je salue l’amendement adopté en commission des lois qui évite cet écueil en prévoyant dans l’acte de vente les conditions de sa résolution.
Par ailleurs, je tiens à souligner le pragmatisme de la commission des lois qui a ouvert le dispositif aux groupements de collectivités territoriales.
En résumé, ce texte est utile, pragmatique, et surtout nécessaire puisqu’il répond à une demande formulée de longue date par les acteurs de terrain, reprise par l’AMF et l’ADF, ou encore plus récemment par le Congrès des notaires. Au-delà de l’avancée pratique qu’il représente pour les collectivités territoriales, ce texte affirme par ailleurs une égalité théorique entre l’État et lesdites collectivités sur le plan juridique. Je me réjouis du consensus transpartisan qui s’est exprimé en commission des lois et de la position défendue aujourd’hui par Mme la secrétaire d’État.