Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Sophie Rohfritsch qui est soumise aujourd’hui à notre examen vise à étendre aux collectivités territoriales le mécanisme de déclassement anticipé dont bénéficient aujourd’hui l’État, ses établissements publics et les établissements publics de santé. Il me semble, en tant que membre de la commission des lois et du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur le foncier, que ce texte répond à un critère d’utilité et va dans le bon sens, et cela pour trois raisons.
D’abord, parce que, sur le principe même, il ne paraît pas juste que les collectivités territoriales soient les seuls acteurs publics exclus du mécanisme de déclassement prévu à l’article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques. Elles ne sont pas moins responsables que l’État dans leur manière de gérer leur patrimoine, et il me paraît pour le moins inutile d’entretenir une méfiance a priori. Comme le soulignait notre collègue Giacobbi, elles sont majeures !
Ensuite, en raison du poids pris, ces dernières décennies et à chaque vague décentralisatrice, par le patrimoine des collectivités territoriales – plus de 1 300 milliards d’euros d’après une étude de la Banque postale parue en 2015 –, il est d’intérêt général que ce patrimoine public soit lui aussi soumis à un système de gestion plus dynamique qu’il ne l’est actuellement. Cette nécessité est encore plus prégnante avec la réforme territoriale engagée ces dernières années au travers de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », qui entraînent les collectivités vers d’importantes évolutions institutionnelles, des métropoles aux régions fusionnées en passant par les grandes intercommunalités de la grande couronne francilienne ou encore par les communes nouvelles.
Les réorganisations territoriales induites nécessitent une action publique à la fois réactive et efficace : le patrimoine ne doit pas être un facteur de blocage ou de ralentissement susceptible de pénaliser le bon déploiement et l’adaptation des services publics et des services au public. Les élus locaux connaissent actuellement des difficultés de cet ordre et il n’est pas surprenant que leurs associations représentatives soutiennent la démarche engagée par la proposition de loi.
Comment comprendre, en effet, que nos collectivités ne soient pas autorisées à céder des immeubles avant que les services publics présents n’en soient partis et ne puissent utiliser le produit de la vente pour financer la construction de nouveaux bâtiments ayant vocation à les accueillir ?
En outre, la rapporteure l’a souligné dans son rapport, la Cour des comptes appelait également de ses voeux une telle évolution dans son rapport annuel de 2013.
Je vois enfin une dernière raison pour appuyer cette proposition de loi : il s’agit de la méthode.
Notre collègue Hugues Fourage l’avait déjà souligné lors de l’examen du texte en commission, et il vient de le répéter : ce texte va dans le même sens que ce qui est proposé à l’article 15 du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, que nous aurons bientôt à examiner. Seule difficulté : cet article prévoit de mettre en oeuvre la mesure par l’intermédiaire d’une ordonnance ; or il paraît toujours préférable, quand c’est possible, de nous laisser assumer pleinement notre rôle de législateur.
Le projet de loi veut lancer une véritable modernisation du droit domanial ; il conviendra d’accompagner cette initiative bienvenue : je rappelle que notre code général de la propriété des personnes publiques a dix ans cette année.
J’en reviens à la proposition de loi. Si la mesure proposée va globalement dans le bon sens, il serait toutefois utile de l’encadrer de garanties, puisqu’il s’agit, rappelons-le, d’un mécanisme dérogatoire. S’agissant de patrimoine public, il convient qu’en matière de garanties, le cadre soit à la fois simple et exigeant : des exemples par le passé nous ont appris à ne pas légiférer trop légèrement sur ce type de sujets – l’évocation de la loi dite « littoral » devrait suffire à illustrer mon propos.
Aussi l’amendement proposé en commission des lois par la rapporteure allait-il, de ce point de vue, dans le bon sens. Je pense tout particulièrement à l’obligation d’une délibération motivée de l’assemblée territoriale.
Deux nouveaux amendements déposés par notre groupe, à l’initiative de notre collègue Hugues Fourage, se proposent de rehausser utilement le niveau de garanties. Ils permettront à la fois d’améliorer le niveau d’information des élus qui auront à se prononcer sur une délibération organisant un déclassement anticipé et de diminuer le risque induit par celui-ci en mettant en place un provisionnement pour risque.
En adoptant cette proposition de loi, et sous réserve de la suite de son cheminement parlementaire, nous enverrons un message de confiance aux collectivités territoriales : elles sont capables de gérer leur patrimoine immobilier.
Il existe bien sûr toujours le risque que cette procédure soit utilisée au profit de fins moins honorables que l’intérêt public. Les garde-fous existants – contrôle de légalité, contrôle citoyen, recours contentieux le cas échéant – auront à jouer pleinement leur rôle. Je ne suis pas partisane de l’alignement de la règle sur le plus petit dénominateur commun ; cette approche pénalise les bons élèves, qui trouveront dans ce que nous mettons en place un outil de gestion dans l’intérêt du public.
Vous l’aurez compris, je voterai, comme mes collègues, cette proposition de loi dans un esprit d’ouverture aux bonnes idées qui viennent de l’opposition.