Intervention de Damien Abad

Séance en hémicycle du 28 avril 2016 à 9h30
Définition de l'abus de dépendance économique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Abad, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son avis de 2015 relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution, l’Autorité de la concurrence explique que « l’appréciation de l’existence d’une éventuelle situation de dépendance économique […] doit tenir compte d’une multitude de critères. […] Ces critères ne sont cependant pas toujours adaptés, ou sont insuffisants. » Ils dissuadent aujourd’hui les acteurs de déposer des recours visant des abus de dépendance économique, alors que cette procédure pourrait constituer un outil important de rééquilibrage des relations commerciales si les entreprises concernées pouvaient réellement s’en saisir.

C’est pourquoi mon collègue Bernard Accoyer a déposé cette proposition de loi qui suit les préconisations de l’Autorité de la concurrence permettant de rendre ce dispositif efficace et de lutter contre les abus de dépendance économique. Son urgence se fait d’autant plus sentir que depuis 2013, les enseignes de la grande distribution se livrent une concurrence accrue sur la variable prix. Si cette donnée n’est pas nouvelle, elle a pris une intensité particulière à partir de 2013 en raison d’un contexte de croissance atone et d’une concurrence exacerbée pour la grande distribution. Cette concurrence est rapidement devenue âpre au point de justifier l’appellation de « guerre des prix ».

Cette guerre des prix a singulièrement durci les conditions de vente pour les fournisseurs. Ceux-ci sont amenés non seulement à comprimer leurs marges, au détriment de l’investissement, de l’innovation, voire de l’emploi, mais aussi à répercuter les baisses de prix consenties ou imposées par la grande distribution sur leurs propres fournisseurs, les exploitants agricoles. Il en résulte un appauvrissement de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, et un risque, à terme, d’une réduction de la qualité et de la diversité des produits de grande consommation, caractéristiques pourtant propres à notre pays.

En 2016, la guerre des prix est devenue encore plus dure. À la dégradation du climat des négociations entre fournisseurs et distributeurs déjà observée en 2013, 2014 et 2015 a fait suite, lors des négociations pour l’année 2016, une nouvelle exacerbation des tensions. Ces difficultés se sont doublées d’une crise agricole dans un grand nombre de filières, exposées à une chute dramatique de leurs prix à la vente, qui a conduit à des blocages de sites de la grande distribution, ainsi en février dernier en Bretagne et dans l’Ain. Notons que l’Observatoire des négociations commerciales a reçu en quelques semaines pas moins de 327 signalements adressés par des entreprises de toutes tailles, de tous statuts et de tous secteurs. Plus de 80 % des signalements ont été adressés par des PME-ETI. Certains fournisseurs se plaignent d’avoir été exposés à des menaces de déréférencement, parfois mises à exécution, et à des demandes de réduction de tarifs sans compensation.

Le souhait de nos collègues Annick Le Loch et Philippe Armand Martin, qui affirmaient en introduction de leur rapport d’information sur la mise en application de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation : « Notre impératif commun est que les prochaines négociations commerciales se déroulent dans un climat partenarial plus équilibré, juste et apaisé, profitable à tous », n’a donc malheureusement pas été suivi.

Les quatre plus grandes centrales d’achat, qui concentrent aujourd’hui à elles seules 90 % du marché de l’approvisionnement de la grande distribution, sont concernées. Les chiffres sont éloquents : janvier 2016 a constitué le trente et unième mois consécutif de déflation pour l’ensemble des produits de grande consommation. Une chute de cette ampleur n’avait pas été observée depuis huit ans. L’érosion des marges dans l’industrie agroalimentaire a atteint un niveau extrêmement préoccupant : le taux de marge a régressé de plus de onze points depuis 2000, et l’investissement a chuté de 7 % en 2015, alors même que le supposé grand gagnant de la guerre des prix, le consommateur, peine à en percevoir les bénéfices. En effet, si l’on estime que cette guerre a permis de reverser un milliard d’euros aux consommateurs, la somme devient dérisoire dès lors qu’on considère le gain par ménage : à peine trois euros par mois !

Il existe donc, de fait, une dépendance économique réelle des PME aux distributeurs. Le rôle de la distribution est déterminant tout au long de la chaîne économique, car elle fait le lien entre les activités menées par les fabricants et les consommateurs. C’est par les distributeurs que les fournisseurs accèdent au marché. Avant de pouvoir placer ses produits dans l’ensemble des magasins d’un distributeur, une PME commence par contracter avec quelques enseignes, dans une phase d’amorce. Dans la plupart de ces situations, PME et distributeurs parviennent à des accords équilibrés permettant de promouvoir une offre diversifiée et de qualité, et la situation de dépendance économique ne pose aucune difficulté. Le véritable problème se trouve dans les abus.

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