La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Thierry Mariani et plusieurs de ses collègues invitant le Gouvernement à ne pas renouveler les mesures restrictives et les sanctions économiques imposées par l’Union européenne à la Fédération de Russie (no 3585).
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, mes chers collègues, au nom du groupe Les Républicains, je voudrais ce matin vous proposer une résolution invitant le Gouvernement à ne pas renouveler les mesures restrictives et les sanctions économiques imposées par l’Union européenne à la Fédération de Russie.
Je le fais au nom du groupe Les Républicains, mais aussi au nom de tous ceux qui, de droite comme de gauche, sont attachés à la paix en Europe, aux relations que nous entretenons avec la Russie et aux intérêts de la France.
Qui se souvient encore comment tout cela a commencé ? Qui se souvient comment nous avons été entraînés dans ce que Jean-Pierre Chevènement a qualifié de « mécanique de la bêtise » ? La crise ukrainienne a débuté en novembre 2013 à la suite de la décision du Président ukrainien, Viktor lanoukovitch, notoirement corrompu, de ne pas signer dans la précipitation l’accord d’association avec l’Union européenne. Chacun connaît la suite : Maydan – coup d’État ou révolution, appelez cela comme vous voudrez – et un nouveau gouvernement.
Deux ans après, où en est-on ? Le conflit a fait entre 9 000 et 11 000 morts et chaque tombe supplémentaire rend sa résolution plus ardue. Et alors que ce conflit trouve son origine dans le refus de signer ce fameux accord, l’une des premières décisions du nouveau gouvernement ukrainien a été d’en suspendre l’application. Il n’est finalement entré en vigueur que le 1erjanvier 2016.
Deux ans après, une Ukraine notoirement corrompue est-elle devenue un paradis de transparence ? L’affaire Mossack Fonseca a révélé que, le 21 août 2014, pendant que l’armée ukrainienne perdait plusieurs centaines d’hommes, le président ukrainien, que nous sommes chargés aujourd’hui d’ « accompagner » et de défendre, créait une société au Panama.
Deux ans après, monsieur le secrétaire d’État, on peut donc constater qu’il n’y a pas eu de miracle en Ukraine ; la situation est même pire. On constate aussi que les sanctions qui pèsent sur la Russie, mais aussi sur notre économie, perdurent, sans que l’on puisse apercevoir le bout du tunnel. Alors qu’elles devaient expirer à la fin de juillet 2015, les sanctions économiques prises à l’encontre de la Russie ont été prolongées une première fois le 22 juin 2015. Une seconde reconduction est survenue en décembre 2015, reportant leur terme à juillet 2016.
Indépendamment des événements dramatiques survenus en Ukraine, ces sanctions, décidées par l’Union européenne et fortement encouragées par les États-Unis mais contraires aux intérêts franco-russes, n’ont eu pour effet que de détériorer les relations économiques qui lient l’Europe et la France à la Russie. Nous vous en demandons aujourd’hui la levée, d’abord parce qu’elles sont totalement inefficaces pour parvenir à la paix, mais aussi parce qu’elles sont dangereuses pour notre économie.
Monsieur le secrétaire d’État, je constate que certains de vos collègues, qui se bousculent pour aller à Moscou, appellent de leurs voeux la levée des sanctions. En novembre 2015, le Premier ministre déclarait qu’il souhaitait que les sanctions puissent être levées – un mois avant qu’elles ne soient reconduites. En janvier, Emmanuel Macron – « En marche » à Moscou ! – évoquait la possibilité de lever les sanctions à l’été si les accords de Minsk étaient respectés. Stéphane Le Foll a lui aussi pris position en faveur de la levée, à la même condition, d’un embargo russe qui pénalise gravement l’agriculture française, notamment la filière porcine,
Arrêtons-nous un instant sur ces accords de Minsk, puisque leur respect conditionne la levée des sanctions. Je tiens d’abord à dire, bien qu’étant dans l’opposition, que la conclusion de ces accords est un succès de ce gouvernement et de la diplomatie française, comme le fut la conclusion de l’accord de 2008 mettant fin au conflit géorgien, dont Nicolas Sarkozy fut l’artisan. Les accords de Minsk sont une étape vers la paix et c’est tout à l’honneur de la France que de les avoir rendus possibles.
Signer un accord, c’est bien, le respecter, c’est mieux ! Vous connaissez la situation, monsieur le secrétaire d’État : estimez-vous qu’aujourd’hui ces accords soient respectés ?
Ces accords prévoyaient un statut d’autonomie pour les régions de l’est de l’Ukraine, une loi électorale et de nouvelles élections, une amnistie, enfin un cessez-le-feu. Aujourd’hui le cessez-le-feu est bafoué allégrement des deux côtés, même si les accords ont permis de réduire sensiblement les pertes humaines et l’intensité des affrontements. On a même assisté cet été, pendant deux mois, à un arrêt quasi total des combats.
Cela a-t-il permis à Kiev de mettre en oeuvre les réformes promises ? Certainement pas. Jean-Marc Ayrault, notre ministre des affaires étrangères, en visite dans l’est de l’Europe il y a quelques semaines, aurait d’ailleurs, si j’en crois la presse, tapé du poing sur la table et demandé au gouvernement ukrainien de respecter sa parole et de mettre en place ces réformes.
S’agissant en effet du statut d’autonomie promis pour les régions de l’est, quasiment rien n’a été fait, sinon le vote d’une loi accordant une autonomie relative pour une durée de trois ans. Laurent Fabius lui-même avait déclaré devant la commission des affaires étrangères que cette réforme était bien en deçà de ce que les accords de Minsk prévoyaient. S’agissant de la loi électorale ou de l’amnistie, nulle avancée : rien de ce qui aurait dû être voté par le Parlement ukrainien ne l’a été à ce jour.
Soyons honnêtes : qui peut penser une seule seconde que la Rada ukrainienne votera la moindre réforme dans les années à venir ? Le dernier remaniement ministériel, en février, a montré l’extrême faiblesse de la majorité. Un bon connaisseur de la région avouait il y a quelques semaines à notre commission des affaires étrangères qu’on ne savait plus qui gouvernait à Kiev ! Pensez-vous une seule seconde, monsieur le secrétaire d’État, que les accords de Minsk pourront être respectés dans ces conditions et que ces lois seront votées ? Vous savez très bien que non.
Alors que les accords de Minsk sont dans l’impasse, nos agriculteurs et les entreprises françaises souffrent de sanctions totalement aberrantes. Saviez-vous, monsieur le secrétaire d’État, qu’un camembert est plus dangereux qu’un hélicoptère, qu’une carcasse de porc plus dangereuse sur le plan militaire que le spatial ? En effet, alors que nos produits agricoles sont frappés d’embargo, l’entreprise américaine Bell a toute latitude pour construire une usine d’assemblage d’hélicoptères dans l’Oural ! On ne peut pas exporter de carcasses de porc, mais Américains, Russes et Européens continuent de collaborer dans le spatial, qui, c’est bien connu, n’a aucune implication militaire !
Personne ne sait vraiment comment cette liste de sanctions a été constituée. En tout cas, elle l’a été au détriment complet des intérêts de la France et en préservant soigneusement ceux de certains pays.
Ces sanctions frappent aussi nos entreprises. La France, vous le savez, est en Russie le troisième investisseur et le premier employeur étranger, avec 1 200 entreprises françaises présentes dans ce pays. Du fait de ses sanctions, la confiance se trouve sévèrement ébréchée, de grands projets sont arrêtés. Ainsi les entreprises françaises étaient notoirement bien placées pour assurer l’établissement d’une ligne à grande vitesse entre Moscou et Kazan : aujourd’hui ce marché nous échappe au profit des Chinois.
En France, des projets d’investissement sont au point mort. Monsieur Pauvros, ici présent, se souviendra que, secrétaire d’État chargé des transports, j’ai participé au sauvetage par un investisseur russe de l’usine Sambre-et-Meuse, située dans sa circonscription. Depuis cet investisseur a dû se retirer parce que l’une de ses usines est en difficulté à cause des sanctions.
Allez donc le dire aux syndicats parce qu’apparemment ce n’est pas leur avis. Je pense même que la CGT est plutôt sur ma ligne.
Je lisais hier une déclaration de Mme Élisabeth Guigou selon laquelle ces sanctions seraient un levier. Mais elles ne sont un levier pour rien ! Le paradoxe, aujourd’hui, c’est que, alors que c’est le gouvernement ukrainien qui ne les respecte pas, ces sanctions pèsent sur le gouvernement russe et par ricochet sur l’économie d’autres pays, notamment européens. Si nous ne prenons pas l’initiative de demander une levée de ces sanctions, nous pouvons être sûrs qu’elles seront maintenues pendant deux ans encore, le gouvernement ukrainien n’ayant aucun intérêt à ce qu’elles cessent.
Chers collègues, je vous appelle à voter cette proposition de résolution pour trois raisons.
Dans l’intérêt de la paix, il est temps d’oeuvrer à une désescalade du conflit dans cette région et de prouver qu’il est possible de discuter. Deuxièmement, comme Marc Le Fur et Nicolas Dhuicq le démontreront, notre économie est gravement pénalisée, et cela sans aucun bénéfice pour la paix.
Enfin, nous sommes le Parlement ! J’en ai assez d’entendre certains collègues dire que c’est Bruxelles, c’est la Commission européenne, qui décide ! Chers collègues de la majorité, cette résolution présentée par Les Républicains vous donne la possibilité, comme à nous, de donner votre avis. Vous avez la possibilité, comme nous, de dire à nos agriculteurs et aux autres acteurs de notre économie que vous n’êtes pas d’accord avec ces sanctions qui ne servent à rien.
Je vous appelle donc à prendre vos responsabilités et à adopter cette proposition de résolution. Ayez ce courage, car après ce vote vous ne pourrez plus rejeter la faute sur les autres.
Ce vote permettra à notre assemblée d’exprimer sa souveraineté, sa volonté de défendre les intérêts de notre pays, et au-delà son attachement à la paix en Europe.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, si l’immensité de sa terre l’enracine aux confins des deux mondes, la Russie ne pourra pourtant jamais être un simple trait d’union entre l’Europe et l’Asie. Parce qu’il existe dans l’histoire de son peuple une force irréductible, une aspiration à la grandeur, une foi mystérieuse et profonde en ce vieil empire qui, sous la plume de Fiodor Dostoïevski, fait de celui qui a renié sa patrie un homme qui a renié son Dieu. Parce que la Russie est aussi quelque part européenne, quand Victor Hugo l’invite à se fondre étroitement dans une unité supérieure et à constituer la fraternité européenne avec toutes les nations du continent.
Ce lien ancien et singulier entre l’Europe et la Russie s’est tissé au fil des siècles, entre deux civilisations que le christianisme a façonnées et dont les destins se sont progressivement entremêlés, jusqu’à ce qu’elles partagent une histoire, des valeurs et une culture commune.
Nous, Européens, devons, à cet égard, prendre pleinement conscience que l’Union européenne et la Russie sont liées par une communauté d’intérêts, qu’elles ont besoin l’une de l’autre et que leur entente est indispensable aux grands équilibres du monde.
L’élargissement du 1er mai 2004 n’a fait que consolider cette relation, puisque l’Union européenne et la Russie comptent désormais 2 200 kilomètres de frontières communes et que Kaliningrad, enclave russe, est entourée par la Lituanie et la Pologne.
Pourtant, cette relation, si privilégiée soit-elle, est également parsemée de désillusions, de malentendus et d’incompréhensions, voire de profonds désaccords : il en est ainsi des vives tensions en Ukraine, qui enveniment considérablement les relations entre la Russie et l’Europe depuis le 21 novembre 2013 et le refus de Viktor Ianoukovitch de signer l’accord d’association avec l’Union européenne. Ce revirement, opéré sous la pression russe, conjugué au choix de ne pas libérer l’opposante loulia Timochenko, a signifié la volonté des autorités ukrainiennes de se tourner vers la Russie. Il a surtout fait basculer un pays tiraillé entre son histoire avec la Russie et son désir d’Europe dans un déchaînement de violences et réveillé les divisions profondes entre deux Ukraine, celle de la place Maïdan et celle du bassin houiller du Donbass. La fuite, puis la destitution du Président et son remplacement par Oleksandr Tourtchynov, n’ont malheureusement pas permis de poser les bases d’une transition politique sereine et durable. Au contraire, la crise ukrainienne s’est terriblement envenimée pour devenir une crise diplomatique majeure débouchant sur l’annexion de la Crimée par la Russie.
En réaction, l’Union européenne a fermement condamné l’annexion illégale de la Crimée, refusé de la reconnaître et a imposé, le 17 mars 2014, de premiers gels d’avoirs ainsi que des interdictions de circulation aux personnes impliquées dans des actions contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Le 29 juillet 2014, après qu’un avion de la compagnie Malaysia Airlines a été abattu non loin de la ville de Chakhtarsk, l’armée ukrainienne et les séparatistes s’en sont mutuellement accusés. L’Union européenne a alors décidé d’imposer des sanctions économiques à la Russie, sanctions dont le champ n’a depuis cessé de s’élargir. Elles ont été prolongées une première fois le 22 juin 2015 puis une nouvelle fois, en marge du sommet du G20 d’Antalya, qui s’est tenu les 15 et 16 novembre 2015. Elles courent jusqu’au 31 juillet 2016.
Dans la perspective de cette échéance, l’Assemblée nationale examine aujourd’hui une proposition de résolution du groupe Les Républicains invitant le Gouvernement à demander la levée des mesures restrictives et des sanctions économiques imposées par l’Union européenne à la Russie.
Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants apportera son soutien à cette résolution, et ce pour quatre raisons principales.
Premièrement, notre groupe voit dans ces sanctions l’expression d’un revers diplomatique pour l’Europe et pour la France. Elles sont en effet en premier lieu la conséquence de l’absence de l’Europe aux côtés d’un peuple qui lui tendait la main, dont elle demeure l’horizon et dont l’aspiration à la liberté aurait dû faire écho à son propre projet. L’Europe a ici fait preuve d’une léthargie coupable en se montrant incapable d’endiguer l’escalade de violence et en marchant dans les pas des États-Unis, quitte à oublier ses propres intérêts.
En renonçant à s’affirmer, elle a laissé la situation se dégrader, rendant le choix des sanctions inéluctable.
Enfin ces sanctions mettent en lumière le caractère inadapté, voire totalement dépassé, du cadre du dialogue institutionnel et diplomatique entre l’Europe et la Russie, ce qui explique, à bien des égards, la rugosité de leurs relations.
La deuxième raison qui amène notre groupe à soutenir cette proposition de résolution est que la levée des sanctions était conditionnée à l’application des accords de Minsk du 11 février 2015 – Thierry Mariani l’a d’ailleurs rappelé. Or il nous apparaît inconcevable de justifier la poursuite des sanctions contre la Russie alors même que des entorses aux accords de Minsk sont le fait du pouvoir ukrainien.
La troisième raison pour laquelle nous appelons à la levée des sanctions est qu’elles ont des conséquences absolument désastreuses sur notre économie. En effet, elles ont provoqué une baisse massive de nos exportations vers la Russie et paralysé nos investissements dans ce pays. Ce sont des milliers d’emplois qui sont en jeu : je pense plus particulièrement à notre agriculture…
…,victime collatérale de ces errements diplomatiques, qui est aujourd’hui frappée de plein fouet par les mesures de rétorsion envers la Russie. En visite à Moscou le 24 janvier dernier, Emmanuel Macron lui-même a suggéré que les sanctions imposées à la Russie soient levées en juillet 2016. Il est temps de joindre la parole aux actes.
Enfin, notre groupe votera cette proposition de résolution parce que l’Europe et la Russie ont un ennemi commun : l’État islamique et ses atrocités. L’Europe, comme la France, doit infléchir une diplomatie qui la conduite dans l’impasse et renouer le dialogue avec la Russie, sans laquelle aucune issue ne pourra être trouvée au conflit syrien ni l’État islamique éradiqué.
Au-delà même de la levée des sanctions, en faveur de laquelle j’espère que l’Assemblée nationale se prononcera aujourd’hui, l’Europe et la Russie doivent donner un nouvel élan à leurs relations et la France en être le moteur.
Ces relations renouvelées devront se construire autour de trois exigences. Premièrement, il est impératif qu’une solution politique soit rapidement trouvée en Ukraine ; deuxièmement, l’Europe et la Russie doivent prendre à bras-le-corps la question de la lutte contre l’État islamique afin de permettre son anéantissement. Enfin, l’Europe et la Russie doivent approfondir leurs relations en posant les jalons d’un nouveau partenariat stratégique. Ce partenariat doit être pragmatique et permettre la reconnaissance de valeurs communes, autour desquelles pourrait s’engager un dialogue concret et constructif entre les deux puissances ; il doit également permettre d’approfondir les relations commerciales, la coopération dans le domaine de la sécurité extérieure et en matière de justice et d’affaires intérieures, et de développer les relations dans le domaine de l’énergie.
La France doit faire preuve de leadership pour que la relation si singulière entre l’Europe et la Russie trouve le second souffle dont le monde a tant besoin. Elle doit commencer dès aujourd’hui à montrer la voie à ses partenaires européens avec le vote, que j’appelle de mes voeux, de cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on disait autrefois à propos du ministère public – je ne sais si l’adage vaut encore – : la plume est serve, mais la parole est libre. C’est dans cet esprit que je vais m’exprimer librement devant vous, avant d’indiquer la position du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Le concept de sanctions internationales est très ancien. Il est né avec la création de la fameuse Société des nations, dont on connaît l’unique succès : avoir réglé le litige entre la Suède et la Finlande à propos des îles Aland ! Le fait, souligné par notre collègue Mariani, que la liste des sanctions semble indiquer que le camembert était plus dangereux le spatial, me rappelle que la SDN avait pensé stopper l’offensive italienne contre l’Éthiopie en prohibant la vente de mules à l’Italie, redoutant que lesdites mules – qui pourtant devaient déjà être présentes sur le territoire éthiopien à l’époque – ne lui permettent de progresser à travers les montagnes de l’empire abyssin. Nous en sommes toujours là, c’est-à-dire en plein ridicule.
Bien des raisons peuvent être mises en avant pour justifier le retrait des sanctions. La première d’entre elles n’a pas été découverte par les Éthiopiens mais par les aborigènes australiens : c’est l’effet boomerang. Quand on le lance, il faut savoir baisser la tête car il va revenir. Il est même fait pour ça.
Le problème, c’est que nous n’avons pas baissé la tête et que nous l’avons pris en pleine figure…
… au détriment d’un marché d’équipement militaire fort important, celui des Mistral. Et le fait d’avoir dû nous acquitter non seulement des frais de formation des marins russes, des indemnités et des frais annexes ne nous a pas empêché d’être victimes, pendant des mois, et pour des années peut-être, de la contre-propagande de la diplomatie russe, qu’on peut résumer à ces mots : « n’achetez pas français, vous voyez bien que ces gens-là ne tiennent pas parole. »
Je me rappelle avoir entendu en commission des affaires étrangères le ministère des affaires étrangères d’alors, Laurent Fabius, citer à ce propos l’adage latin pacta sunt servanda : les contrats doivent être respectés.
Nous avons pourtant cédé à la pression exercée par d’autres, c’est-à-dire surtout par les Américains, selon le principe « armons-nous et partez. »
L’effet boomerang est donc dévastateur pour l’économie, au-delà de cet exemple des Mistral. On me rétorquera que cela n’a pas empêché l’Australie de nous acheter des sous-marins, ce dont nous nous réjouissons tous, reconnaissant que c’est un grand succès de notre diplomatie, de notre industrie, du Président de la République et de l’ensemble du Gouvernement, en particulier du ministre de la défense. Il n’en demeure pas moins que, lecteur attentif de la presse indienne, j’y ai lu mille fois, y compris sous des plumes renommées, que la France n’était pas un pays fiable en matière de contrats d’armement.
Notre collègue Thierry Mariani a donné beaucoup d’exemples des dommages provoqués par ces sanctions. Il faut souligner en particulier leur impact considérable sur l’agriculture française. Il serait certes injuste de dire qu’elles sont à l’origine de la crise agricole française, mais il est incontestable qu’elles ont aggravé considérablement la crise dans un certain nombre de secteurs, notamment dans le secteur porcin.
Deuxième élément qui peut être mis en avant pour justifier le retrait des sanctions, leur objet est tout de même en contradiction avec notre diplomatie. En effet, tout en appliquant ces sanctions, nous contribuons, avec nos partenaires allemands, à la mise en oeuvre d’une feuille de route entre les Ukrainiens et les Russes – ce qu’on appelle les accords de Minsk. D’un côté, nous essayons d’organiser le retour à la paix, et, de l’autre, nous imposons des sanctions.
On me dit qu’il faut préserver l’effet de levier. C’est en général ce qu’on dit quand on n’a rien à dire, surtout quand cela ne pèse pas grand-chose. Je suis très perplexe sur ce point. La commission des affaires étrangères a longuement auditionné hier un diplomate français, en retraite mais qui n’en est pas moins remarquable, pour un point sur la mise en oeuvre complexe desdits accords de Minsk. Je n’ai pas tout compris ; je vous avouerai même que je me suis quelque peu assoupi. C’était sans doute trop compliqué pour un esprit simple comme le mien. Je sais qu’il existe deux sortes de diplomates : ceux capables de traduire en termes simples des situations complexes, et ceux qui exposent en termes extrêmement complexes des situations certes compliquées mais sans jamais dire comment on pourrait en sortir – cela explique mon léger assoupissement. Pour ce qui est de l’effet de levier, d’autres éclaireront sans doute ma lanterne à ce sujet.
Il y a d’autres contradictions. Entre le moment où nous avons décidé de traiter avec sévérité la Russie et aujourd’hui, nous nous sommes rendu compte que la Russie, avec tous ses défauts, était utile, voire indispensable.
…même si nous devons craindre que son recul incontestable en Syrie et en Irak n’ait entraîné un retournement de stratégie qui ne consiste plus à créer un califat, mais à porter le fer en Occident. Reste que ces succès militaires et la déconfiture de Daech peuvent être attribués à l’intervention des Russes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Il est idiot de sanctionner d’un côté ceux qui nous rendent un immense service de l’autre côté.
Je veux bien que l’annexion de la Crimée soit un crime diplomatique et politique. Rappelons cependant que c’est Potemkine, c’est-à-dire M. Catherine II puisqu’on raconte qu’ils étaient liés par un mariage morganatique, qui a décidé d’envahir la Crimée…
…à l’époque occupée par les Tatars.
Par la suite, la Crimée a été très largement russifiée, et qu’elle l’est toujours aujourd’hui.
En 1954, le regretté Nikita Khrouchtchev, qui, sans être ukrainien, était originaire d’une région voisine, a proposé à ses amis ukrainiens, un soir où il avait sans doute abusé d’une boisson transparente et néanmoins forte, d’inscrire l’Ukraine dans la carte administrative de l’Union soviétique.
Tout le monde était content alors, mais au moment de l’indépendance, c’était à l’évidence une incongruité. Néanmoins, un accord passé dans des circonstances troubles entre la nouvelle Ukraine et la Russie, non seulement a reconnu un statut d’autonomie particulier à la Crimée, mais l’a dotée d’ une base militaire et a reconnu un statut encore plus particulier à Sébastopol. Cette entité juridique sui generis faisait de la Crimée un objet très particulier.
Aujourd’hui, un référendum a eu lieu et je relève qu’on ne parle plus beaucoup de la Crimée.
Le crime de la Crimée est donc sinon prescrit, du moins sorti des mémoires. Reste la question du Donbass et celle des autres régions, moins fortement russifiées, dont de nombreux dirigeants historiques de l’Union soviétique étaient originaires, ou bien où ils avaient occupé des postes importants.
Nous nous trouvons donc aujourd’hui dans une situation politique délicate, puisqu’un député de l’opposition nous soumet une proposition à laquelle le Gouvernement finira bien par souscrire…
…dans trois jours, quinze jours, trois semaines. Par conséquent, il est un peu gênant d’y souscrire aujourd’hui. Mon mouvement naturel, vous le comprenez, messieurs les députés, était, dans l’enthousiasme, de voter cette proposition de résolution.
Voilà une conception très républicaine de la démocratie parlementaire !
En conséquence, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste s’abstiendra.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant de m’exprimer au nom du groupe écologiste sur cette proposition de résolution, je voudrais rappeler quelques faits.
Le 17 mars 2014, le Conseil européen a adopté les premières mesures diplomatiques en réponse aux actions des autorités russes en Ukraine, notamment en Crimée. Puis, face à l’absence de désescalade du conflit et au vu des profondes conséquences additionnelles sur les relations entre l’Union européenne et la Russie qu’engendrait le risque d’une nouvelle déstabilisation de la situation en Ukraine, un deuxième ensemble de mesures a été proposé. Compte tenu des actions russes qui déstabilisent l’est de l’Ukraine, l’Union européenne a mis en place des sanctions à l’encontre de la Russie en juillet 2014 et les a renforcées en septembre 2014, les prolongeant pour six mois.
Ces sanctions, qui avaient été décidées en 2014 n’étaient pas vaines : elles ont bel et bien un sens, un but. Premièrement, on ne prend pas des sanctions de ce type pour rien : ces sanctions sont la conséquence de plusieurs violations du droit international de la part des autorités russes, violations que l’Organisation des Nations unies et l’Union européenne ont condamnées. Lorsqu’ils violent aussi ouvertement le droit international, en rattachant de manière illégale un territoire étranger, les dirigeants d’un pays doivent être conscients des risques de sanctions auxquelles ils s’exposent. C’est le cas ici, avec la Russie et l’Ukraine.
Deuxièmement, ces sanctions sont ciblées. Les gels d’avoirs et les interdictions de visas ciblent 149 personnes et 37 entités sont soumises au seul gel de leurs avoirs. Ces mesures concernent donc essentiellement des responsables…
…qui ont porté atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, des personnes qui ont apporté leur soutien aux décideurs russes et treize entités, en Crimée et à Sébastopol, qui ont été confisquées ou ont bénéficié d’un transfert de propriété contraire à la loi ukrainienne. Ce sont donc bien les responsables du conflit et des violations du droit international qui sont ciblés, et non l’ensemble de la population russe. Il est important de le rappeler.
À ces mesures s’ajoutent d’autres sanctions portant sur l’accès au financement. Oui, ce sont des sanctions lourdes, qui touchent des domaines entiers de l’économie russe – banque, défense et bien sûr l’industrie pétrolière –, qui se retrouvent interdits de financement sur les marchés européens. Mais la lourdeur de ces sanctions est à la hauteur des faits reprochés aux autorités russes, qui n’ont pas hésité à soutenir les groupes paramilitaires dans l’Est de l’Ukraine sous forme matérielle et financière. Le fait que le renforcement de ces sanctions n’a pas permis d’infléchir l’attitude de la Russie pourrait nous alerter. Or si la sanction est intelligente, elle doit être suivie d’effets.
Répondre par l’intimidation ou des accusations de russophobie ne correspond pas à ce que l’on pourrait attendre.
En la matière, l’objectif de l’Union européenne est surtout de désamorcer la crise en Ukraine et d’aider ce pays à garantir un avenir stable, prospère et démocratique à l’ensemble de ses citoyens. La mise en oeuvre intégrale des accords de Minsk a jeté les bases d’une solution politique durable au conflit dans l’est du pays. Depuis le printemps 2014, l’Union européenne a d’ailleurs intensifié son soutien aux réformes économiques et politiques en Ukraine.
La proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui par Thierry Mariani et le groupe Les Républicains prétend que ces sanctions sont dangereuses sur le plan économique…
…durables dans le temps et personnelles. Nous pourrions rappeler que la levée de ces sanctions dépend d’abord et avant tout de l’attitude des autorités russes. Leur effet dissuasif est justement l’objectif recherché par les États membres de l’Union européenne.
Il aurait été incongru de décréter des sanctions dans tous les domaines, sur un temps donné et pour l’ensemble de la population, alors que nous sommes en mesure d’identifier des personnes et des entités coupables et impliquées dans des faits graves.
Sur ce point, l’Union européenne doit être prête à alléger les sanctions mais, comme je l’ai déjà indiqué, cela dépend en premier lieu de l’attitude de la Russie. Les sanctions ayant été mises en place après l’annexion illégale de la Crime et l’escalade du conflit dans l’Est de l’Ukraine, seule la résolution de ces deux questions pourrait donc rendre l’allégement des sanctions envisageable.
Cette proposition de résolution pointe aussi le fait que « à aucun moment, la représentation nationale, l’Assemblée nationale comme le Sénat, n’a eu à connaître ni à débattre du bien-fondé et de l’opportunité des sanctions prises à l’encontre de la Russie. »
Comme vous le savez, mon cher collègue, puisque vous revendiquez encore une filiation gaulliste, la politique étrangère de la France, trop souvent, ne fait pas l’objet de décisions du Parlement, mais du Président de la République et de son gouvernement, quels qu’aient été les présidents de la République et les gouvernements. Je le déplore pour ma part. Sur un autre sujet, certains députés s’étaient d’ailleurs élevés contre une proposition de résolution, non en raison de son contenu, mais par opposition avec le principe même que l’Assemblée nationale puisse adopter une résolution relative aux affaires diplomatiques de la France et, par voie de conséquence, de l’Union européenne.
S’agissant des relations entre l’Ukraine et la Russie, il semble important de rappeler quelques faits.
Plusieurs accords et traités, signés notamment par la Russie et l’Ukraine, reconnaissent les frontières des deux pays, en particulier l’appartenance de la Crimée à l’Ukraine : le mémorandum du 5 décembre 1994, signé après l’effondrement de l’Union des républiques socialistes soviétiques, concernant les garanties de sécurité liées à l’adhésion de l’Ukraine au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ou le traité d’amitié, de coopération et de partenariat signé par la Fédération de Russie et l’Ukraine le 31 mai 1997, enfin la déclaration d’Alma-Ata du 21 décembre 1991.
De fait, dans le droit international, la Russie a officiellement reconnu les frontières de l’Ukraine en tant qu’État indépendant. Si nous levons les sanctions alors que la position de la Russie sur le terrain n’a pas changé, nous entérinons la politique du fait accompli, l’annexion par la force d’un territoire par un État et des modifications de frontières.
Je ne suis pas un défenseur du principe de l’intangibilité des frontières,…
En Europe, ces dernières années, certaines frontières ont pu être modifiées, notamment dans l’ex-Yougoslavie, mais cela ne peut se faire, même lorsque des affrontements armés ont lieu, que par des accords négociés et sous l’égide de la communauté internationale.
On ne peut pas accepter sans réagir qu’un État annexe tout ou partie du territoire d’un autre État et il est bien normal qu’il y ait des sanctions.
De même, il n’est pas surprenant que la Russie ait à son tour pris des sanctions, dont nous mesurons l’impact, en particulier sur notre agriculture et sur d’autres secteurs de notre économie.
On peut considérer que les sanctions économiques sont définitivement inutiles et inefficaces. Or ce n’est pas le cas. Ainsi, les sanctions contre l’Iran l’ont amené à accepter une négociation sur son arsenal nucléaire. Des sanctions économiques peuvent donc avoir leur efficacité.
Dans le cas de l’Iran, comme dans celui de la Russie, l’économie française a eu à en payer le prix puisque de grandes entreprises, comme Peugeot ou Renault, ont dû mettre un terme à leurs activités dans ces pays.
Entretenant peu d’illusions sur la nature du régime russe, nous ne sommes pas étonnés qu’il réponde aux sanctions par d’autres sanctions.
Mais, plus que les conventions entre États, il nous faut aussi évoquer le volet humain. Selon l’Organisation des Nations unies, le conflit dans l’est de l’Ukraine a causé plus de 9 000 morts, plus de 20 000 blessés, plusieurs dizaines de milliers de déplacés et une situation humanitaire très difficile. Je dois rappeler, car cela n’est pas anodin depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, qu’un avion civil a été abattu alors qu’il survolait le territoire ukrainien. Tout n’est pas encore éclairci quant aux circonstances et aux responsables de ce tir de missile et une enquête internationale est en cours. Reste que ce seul fait est en soi extrêmement choquant et alarmant. Nous sommes donc directement concernés par ce conflit.
D’après le rapport du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, publié en décembre 2015, 2,9 millions de personnes vivent dans la zone de conflit et continuent de rencontrer des difficultés dans l’exercice de leurs droits économiques et sociaux, en particulier dans l’accès à des soins médicaux de qualité, au logement, aux prestations des services sociaux et aux mécanismes compensatoires pour les biens endommagés, saisis ou pillés.
Ces chiffres, monsieur Mariani, vous évitez soigneusement d’en parler dans votre proposition de résolution. Je rappelle d’ailleurs que vous avez vous-même effectué une visite en Crimée, afin de féliciter le président du Parlement de Crimée pour l’organisation du très contestable référendum – il n’a de référendum que le nom –, qui avait conduit Vladimir Poutine à s’emparer de ce territoire.
Cette visite avait suscité des réactions très vives, y compris dans notre pays. Je suis d’ailleurs un peu étonné que votre groupe vous soutienne dans cette démarche. Que vous assumiez une position personnelle est une chose, mais que votre groupe l’adopte, je trouve cela plus étonnant.
Il me suffit de constater que les députés présents aujourd’hui à la droite de cet hémicycle sont celles et ceux qui défendent une alliance privilégiée avec la Russie pour comprendre ce qui est en jeu dans cette proposition de résolution. Je suis très étonné, pour ne pas dire plus, de la fascination que le régime de Vladimir Poutine – je dis bien le régime de Poutine, et non la Russie – exerce sur une partie de la classe politique française.
Je ne parle même pas de l’extrême-droite – nous savons ce qu’il en est pour Mme Le Pen. Je parle d’une partie de la droite classique. Je dis bien « une partie » car je sais que cela n’est pas partagé par l’ensemble de la droite.
Par exemple, M. Fillon, qui est présent dans l’hémicycle, assume lui aussi une position pro-russe, et ce de manière récurrente et depuis plusieurs années.
Je trouve cela très inquiétant quand on connaît la nature autoritaire du régime de M. Poutine.
Par ailleurs, et j’en finirai là-dessus, votre proposition de résolution révèle votre volonté de faire l’impasse sur la possibilité d’une diplomatie où l’Union européenne jouerait un rôle.
Vous pensez que le salut viendra d’un accord direct entre la France et la Russie, comme au temps de la guerre froide, quand on essayait de nous faire croire que la France pouvait jouer un rôle de non-aligné entre les États-Unis et la Russie.
À l’occasion de l’examen de ce texte, c’est ce débat-là que nous devrions avoir.
C’est pour cette raison qu’avec mon groupe, je voterai contre la proposition de résolution.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le mois de mars 2014 et le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie à l’issue d’un référendum d’autodétermination à la légalité douteuse, l’Union européenne et les États-Unis ont décidé de mener une politique de sanctions contre cet pays. Depuis le référendum, les sanctions sont allées crescendo : interdiction de séjour pour plusieurs personnalités, embargo sur l’exportation d’armes, gel des avoirs russes et autres mesures ciblant la coopération et les échanges commerciaux avec la Russie.
Deux ans après, il est grand temps de s’interroger sur le bilan de ces sanctions. Quel était leur but ? Quelle est leur efficacité ?
Les mesures prises ont renforcé le régime de Vladimir Poutine, en lui offrant l’opportunité de se présenter comme le défenseur de la Russie contre toute agression extérieure.
Le propos de mon intervention n’est pas de défendre la politique russe ; il s’agit plutôt de dire ce qui est dans l’intérêt de nos deux peuples et de valider une relation d’État à État conforme au droit international.
Les sanctions ont d’abord frappé le peuple russe, auquel le destin du peuple français a toujours été lié : hier pour sauver l’humanité de la barbarie nazie, aujourd’hui pour défendre les valeurs de liberté et de démocratie face à la menace terroriste de Daech.
Ces sanctions ont mis à mal la « belle et bonne alliance », pour reprendre les mots du général de Gaulle.
Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Eh oui, c’est peut-être de la nostalgie, mais cela compte pour moi !
Elles s’inscrivent dans la continuité d’une logique de bloc que l’on croyait disparue depuis la fin de la guerre froide. Depuis la chute du Mur, les pays occidentaux ne cessent de mener une politique inamicale envers la Russie. Les sanctions dont nous discutons aujourd’hui ne sont qu’un des nombreux avatars d’une politique fondée sur de multiples provocations et humiliations à l’encontre du peuple russe.
Provocation, quand l’OTAN multiplie les initiatives d’encerclement et les tentatives d’implantation aux marges de la Russie. Dès 1991, les pays occidentaux ont considéré que la dislocation de l’URSS annonçait la fin de l’histoire et la suprématie de l’atlantisme sur l’ensemble de la planète. Aucune chance, je dis bien aucune, n’a été laissée au président Gorbatchev. Pourtant, celui-ci avait mis en place d’ambitieuses réformes basées sur une restructuration du régime, la perestroïka, ainsi que sur la liberté d’expression, la glasnost. Loin de soutenir ces réformes, les Occidentaux ont adoubé Boris Eltsine et combattu toute tentative d’instaurer un socialisme démocratique. Les choix ultralibéraux du premier président de l’ère post-soviétique ont permis le dépeçage des richesses de l’ex-URSS par les oligarques russes et l’arrivée des capitaux occidentaux. La France a ainsi noué des liens économiques de plus en plus étroits avec la Russie, au fur et à mesure que le pays s’engageait à marche forcée dans l’économie ultralibérale, véritable jungle où les milliardaires ont fait florès.
Aujourd’hui, l’Union européenne, et en particulier la France, souffre des contre-sanctions russes prises en 2014. Des pans entiers de notre économie ont été mis en difficulté. En 2014, la Russie était le troisième marché de la France hors Union européenne, c’est-à-dire un partenaire économique majeur. Les produits alimentaires ont été directement visés par l’embargo décrété le 7 août 2014 par le Kremlin. La Russie, cinquième pays importateur de produits alimentaires dans le monde, était un débouché important pour nos agriculteurs. Ceux-ci ont payé au prix fort les sanctions européennes. La France exportait jusqu’en 2014 près de 70 000 tonnes de viande de porc vers la Russie ; l’embargo a fait dévisser les prix, rendant leur situation encore plus précaire. Les producteurs de fruit et légumes, qui exportaient près de 50 000 tonnes vers la Russie, connaissent de lourdes pertes. Cette situation touche tous les producteurs européens et sature le marché, tirant les prix vers le bas.
Les sanctions occidentales ont entraîné la quasi-paralysie des échanges entre la Russie et l’Union européenne. Elles ont un effet direct sur les projets des entreprises françaises en Russie, notamment de celles appartenant aux secteurs de la finance, de l’énergie et de la défense, directement visés par les sanctions européennes. Rappelons une fois encore que près de 1 200 entreprises françaises sont présentes sur le territoire russe et que 7 000 exportent vers la Russie. Autant dire que des milliers d’emplois en France sont en jeu !
L’accord d’annulation de la vente des deux Mistral à la Russie reste l’exemple le plus regrettable de cette stratégie absurde. Alors que près de 1 000 emplois avaient été créés grâce à cette commande, la France s’est laissée tordre le bras par ses alliés de l’OTAN et de l’Union européenne, hostiles à cette vente.
Le refus de livrer les deux Mistral a conduit la France à rembourser l’État russe et à endosser une perte pour nos concitoyens de 1,2 milliard d’euros.
MM. Nicolas Dhuicq et Pierre Lellouche applaudissent.
De telles sanctions illustrent toute l’hypocrisie de notre diplomatie, qui sanctionne la Russie tout en signant des contrats avec l’Égypte, l’Arabie Saoudite ou le Qatar, des États où les droits de l’homme sont pourtant quelque peu bafoués.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, je m’étonne de ce « deux poids, deux mesures », qui donne une image déplorable de la France et de sa diplomatie sur la scène internationale !
D’autres pays profitent de nos errements diplomatiques pour renforcer leurs liens avec la Russie. Depuis 2014, la Chine profite des atermoiements européens pour affirmer sa capacité d’intervention financière auprès d’un grande pays en manque de liquidités. De même, les entreprises américaines, qui appliquent dans une moindre mesure les sanctions, obtiennent la signature de contrats avec la Russie.
Cette politique pénalise et fragilise la position des travailleurs français qui vivent de ces contrats. La Russie doit rester un partenaire privilégié.
La France maintient des liens stratégiques puissants avec le régime russe dans plusieurs domaines, notamment dans le domaine spatial. Dans le combat contre le terrorisme de Daech, des relations existent entre nos deux pays.
Face à de tels enjeux, les vieilles logiques de bloc ne peuvent perdurer. Dans un monde multipolaire, la France doit faire évoluer les lignes diplomatiques. Nous devons promouvoir la conduite de relations d’État à État dans un intérêt mutuellement avantageux pour les deux pays.
C’est pourquoi la prolongation indéfinie des sanctions n’a pas de sens. Je rejoins la critique émise par le Premier ministre italien, Matteo Renzi : « J’ai trouvé incohérent de vouloir confirmer les sanctions sans avoir d’abord une petite discussion [entre partenaires européens]. […]L’approche anti-russe ne conduira nulle part. »
Il revient à la France de se donner les moyens de jouer un rôle majeur. Il ne s’agit pas de donner un blanc-seing à la politique du gouvernement russe ou à son président, mais plutôt de leur proposer une sortie par le haut. Les possibilités de partenariats entre la France et la Russie sont légions et peuvent offrir une solution pour sortir de l’impasse dans laquelle l’économie des deux pays est engagée.
Pour l’ensemble de ces raisons, les députés communistes et du Front de gauche soutiennent la proposition de résolution en faveur de la levée des sanctions européennes imposées à la Russie, étape nécessaire à la promotion d’une coopération bénéfique pour nos deux pays.
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne a donc décidé la mise en place de sanctions commerciales précises contre la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée par Moscou en mars 2014, puis du rôle joué par celle-ci dans le conflit avec les séparatistes pro-russes de l’est de l’Ukraine. Les sanctions ont été prolongées à la fin de décembre 2015 pour six mois, alors qu’elles devaient arriver à échéance à la fin de janvier 2016.
Il nous semble d’abord que ces sanctions sont légales et légitimes.
Elles sont légales, puisqu’elles ont été prononcées par le Conseil européen, à l’unanimité et dans le respect des traités européens. Les mesures individuelles – gel d’avoirs et interdiction de voyager en particulier – sont soumises à la supervision du juge européen, qui peut être saisi de recours en annulation contre ces sanctions. Les listes sont d’ailleurs périodiquement revues et adaptées. À l’inverse, il n’existe aucune voie de recours contre les contre-sanctions prononcées par la Russie à l’encontre des responsables européens.
Ces sanctions sont légitimes. Certains l’ont rappelé, elles répondent à des actions d’une extrême gravité : annexion de la Crimée, déstabilisation et encouragement d’actions séparatistes dans le Donbass. Ces violations du droit international remettent en cause l’ordre européen et la stabilité de notre continent. Elles préoccupent d’ailleurs fortement les voisins est-européens de la Russie.
Deuxièmement, les sanctions ne constituent pas un but en soi ; elles sont un instrument au service d’une politique.
Elles ont pour objectif premier de provoquer un changement de comportement de la part de la Russie, en particulier en ce qui concerne son soutien aux séparatistes du Donbass. Elles ont d’ores et déjà permis de mettre en place un format de négociation, le « format Normandie », qui réunit la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine, et qui a empêché une guerre ouverte dans l’est de l’Ukraine. Les sanctions sont pour la Russie une incitation forte à participer activement à ces négociations. À l’inverse, revenir sur ces sanctions sans avoir obtenu des contreparties, c’est-à-dire des progrès significatifs dans la mise en oeuvre des accords de Minsk, ne ferait que bloquer la situation sans pour autant résoudre le conflit en Ukraine.
Surtout, les sanctions sont réversibles et adaptables. Nous travaillons à des négociations qui permettraient d’envisager une levée progressive de certaines d’entre elles, en commençant par les mesures dites politiques : suspension des contacts au plus haut niveau et sanctions individuelles.
La balle est désormais dans le camp de la Russie, dont des gestes sont attendus, notamment en ce qui concerne la sécurité dans le Donbass. Des avancées doivent être obtenues sur les dossiers cruciaux, ou tout au moins sur une partie d’entre eux : un cessez-le-feu effectif et durable ; le retrait des armes lourdes ; la présence d’observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe – OSCE –, ainsi que leur liberté de circulation, dont ils ne disposent pas en ce moment ; des échanges de prisonniers ; une amélioration de la situation humanitaire dans les territoires sous contrôle séparatiste ; le déploiement dans le respect du droit ukrainien des convois qui proviennent d’Ukraine, de Russie et de l’Union européenne.
Les autorités ukrainiennes sont elles aussi incitées à accomplir leur part du chemin, en s’engageant résolument dans l’adoption d’un statut spécial pour le Donbass, avec une réforme constitutionnelle et une loi de décentralisation permettant la tenue, le plus rapidement possible, d’élections locales. La nomination, il y a quelques jours, du nouveau Premier ministre, Volodymyr Hroïsman, qui semble enclin à plus de réformes que son prédécesseur, peut à cet égard apparaître comme un signe prometteur.
Enfin, les conséquences des sanctions pour notre pays appellent quelques précisions.
Les sanctions dites sectorielles – restriction d’accès aux capitaux, embargo sur les armes et autres biens sensibles – ont un impact indéniable sur nos entreprises. Toutefois, la situation économique de la Russie, qui est fortement dépendante du cours des hydrocarbures sur le marché mondial, doit aussi être prise en considération et relativise cet état de fait.
De plus, la France a su négocier des exemptions afin de réduire cet impact, en particulier pour ce qui concerne l’embargo sur les armes, valable uniquement pour les nouveaux contrats.
Enfin, et il faut avoir le courage de le dire dans cet hémicycle, les mesures décidées par la Russie à l’encontre de la filière porcine n’ont aucun rapport avec les sanctions européennes,…
…puisqu’elles ont été imposées avant la crise ukrainienne. Le Gouvernement est mobilisé, vous le savez, pour obtenir leur levée rapide, sur la base d’arguments sanitaires solides et de contacts avec les experts.
La France demeure cependant résolue à préserver une relation privilégiée avec la Russie. N’oublions pas que s’il existe des divergences momentanées entre les deux pays, de puissants intérêts communs prédominent. La relation franco-russe doit, sur le fond, rester dominée par ces fondamentaux : une relation solidement enracinée dans l’histoire de nos deux peuples, de nos deux nations, et qui s’appuie en France sur une opinion publique plutôt russophile ; une relation nourrie par la complémentarité de deux économies et par l’intérêt de chacune au développement de l’autre ; une relation faite de l’attraction que deux des plus grandes cultures européennes exercent l’une sur l’autre ; une relation technologique et spatiale fructueuse, dont témoignent en particulier les multiples lancements de Soyouz depuis Kouru – en début de semaine, Soyouz a placé deux satellites en orbite depuis le pas de tir que nous avons mis en place à Kourou – ; une relation politique et diplomatique entre deux puissances membres à titre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Aucune grande question stratégique mondiale ne peut être résolue sans le concours d’au moins un des deux pays et le plus souvent des deux.
C’est vrai, Vladimir Poutine ne reconnaît généralement que les rapports de force. La problématique consiste à en établir un sans pour autant provoquer l’humiliation ni du dirigeant ni du peuple russe, avec fermeté et détermination, dans le respect du dialogue et avec la volonté de préserver l’avenir, mais aussi avec la lucidité de reconnaître que certaines erreurs ont pu être commises par le passé. Ainsi les propositions d’élargissement de l’OTAN à certains pays d’Europe centrale et orientale ont pu froisser la susceptibilité de Moscou.
Et quand était-ce ? Qui donc a fait ces propositions ? Vous en souvenez-vous ? C’était en avril 2008 !
Mais il faut aussi citer l’exemple de la Libye et la gestion de l’après-crise. Eh oui, cela aussi, chers collègues, il faut le reconnaître !
Deuxièmement, mes chers collègues, croyez-vous que les conditions et la gestion des accords d’association avec l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie, ont été correctes ? Bien sûr que non. Le passage en force ne mène jamais nulle part.
Pour la France, le respect des accords de Minsk demeure un objectif essentiel et surtout un préalable. C’est surtout une question de crédibilité politique et diplomatique sur la scène internationale. La France est, avec l’Allemagne, le médiateur des accords de Minsk, et elle entend bien le rester.
Pour affirmer cette position, il apparaît nécessaire d’utiliser tous les moyens à notre disposition pour faire appliquer les accords du côté russe comme du côté ukrainien. À court terme, la réunion des acteurs qui se tiendra – du moins l’espérons-nous – en mai, à Berlin, sous « format Normandie » pourrait aussi rouvrir certaines perspectives. En attendant, les sanctions contre la Russie représentent un levier dont il ne faut pas se priver.
La commission des affaires étrangères a reçu hier – je m’étonne que seul un collègue y ait fait allusion – l’ambassadeur Pierre Morel, qui préside, depuis les accords de Minsk II, le groupe politique au sein du groupe de contact trilatéral de l’OSCE – lequel, vous le savez, comprend au total quatre groupes, respectivement dédiés à la sécurité, à l’humanitaire, à l’économie et aux questions politiques.
Avec la décision du cessez-le-feu, le sommet de Paris du 2 octobre 2015 a fixé la feuille de route : réforme constitutionnelle accordant davantage d’autonomie aux fédérations séparatistes et vote de la loi électorale conjointement à une cessation totale des hostilités. Sur ce dernier point, les responsabilités sont partagées : le manque de majorité à la Rada, mais aussi l’intransigeance des représentants du Donbass, qui veulent rester dans un système binaire d’organisation des élections, constituent des handicaps. Sont aussi des objectifs la liberté de déplacement des observateurs de l’OSCE, la sécurisation du territoire pour la tenue des élections, l’échange de prisonniers, le retrait des armes des soldats mercenaires du Donbass,…
…sans parler de la lutte contre la corruption.
L’ambassadeur nous a fait part de la volonté des partenaires de parvenir à une issue malgré la difficulté des travaux, voire d’une obligation de résultat d’ici à la fin juin, puisque les sanctions ont été prolongées de six mois en décembre. L’absence de résolution du conflit aurait, dans cette zone, des répercussions dramatiques – déstabilisation ou création d’une zone de non-droit.
Il nous semble donc très important de soutenir les efforts des négociateurs reconnus par les institutions et de ne pas donner d’argument à ceux qui souhaitent l’échec du processus de Minsk. On ne peut pas saluer l’initiative de Minsk I et de Minsk II et en même temps, à deux mois d’une échéance importante, savonner la planche des négociateurs…
… – Une réunion se tiendra en effet à Berlin et, peut-être, un sommet fin juin –, à un moment où l’Union européenne redéfinit ses positions stratégiques. La sécurité européenne est-elle envisageable sans un amarrage de la Russie ? Tout cela fait partie du débat.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Début juillet se tiendra aussi le sommet de l’OTAN, puisque les discussions ont repris dans le cadre du partenariat entre l’Alliance et la Russie. Tout ce travail peut permettre des avancées.
Cette proposition de résolution vient donc, disais-je, au plus mauvais moment compte tenu de l’intensité des négociations.
Protestations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, je veux apporter un témoignage précis sur les conséquences des sanctions contre la Russie et de l’embargo ; conséquences très concentrées, en France, sur une catégorie de la population : nos agriculteurs, qui visiblement n’avaient pas besoin de cela.
« Absolument ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Nos agriculteurs ont le sentiment d’être victimes d’une décision géopolitique qui les dépasse, d’être de bons soldats que l’on envoie au sacrifice, en première ligne, dans une guerre qui ne les concerne pas. L’embargo décidé en 2014 a été mis en oeuvre en deux temps : d’abord sanitaire à partir du mois de janvier, il est devenu politique à partir de l’été de la même année, le tout sur fond de crise, s’agissant notamment du fameux bateau de Saint-Nazaire destiné à la Russie – bateau qui, réglementairement acheté et payé par les Russes, ne fut pas livré.
Les conséquences sont graves pour l’ensemble de notre agriculture, pour la production légumière et plus encore pour la production porcine, particulièrement touchée par cette crise.
Soyons précis. L’Europe exportait vers la Russie 700 000 tonnes de porc – dont 70 000 tonnes pour la France –, soit un cinquième de la consommation dans ce pays. Tout cela s’est arrêté d’un seul coup, ce dont nous avons été doublement victimes. En premier lieu, la France ne peut plus exporter ses 70 000 tonnes de production, ce qui a un impact, en particulier, sur notre premier groupement de producteurs de viande porcine, la Cooperl, qui avait fait l’effort de développer une filière commerciale vers la Russie. Cela a également un impact indirect sur notre production agricole, puisque les productions que les Danois ou les Allemands, par exemple, n’exportent plus reviennent sur le marché national : cela fut l’élément déclencheur de la crise porcine.
Loin de moi l’idée que ce soit le seul ; il n’empêche que, sur le plan chronologique, c’est au moment précis où ces événements géopolitiques ont eu lieu que la crise agricole, en particulier porcine, a commencé.
Ma conviction est que nous ne sortirons de cette crise que par un élément déclencheur, à savoir la double levée de l’embargo et des sanctions, et ce rapidement.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains. – Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
si ce n’est pas le seul, c’est en tout cas un élément déclencheur de la crise. En termes de calendrier et de chronologie, c’est indiscutable et vous le savez bien, chers collègues de la majorité – c’est d’ailleurs ce qui vous gêne.
Il faut sortir au plus vite de l’embargo parce que les Russes sont en train de s’organiser pour renforcer leur propre filière agricole et agroalimentaire : de fait leur production augmente, ne serait-ce que pour faire face à la baisse de leurs importations. Paradoxalement, la vraie crainte est que les grands groupes agroalimentaires allemands – en particulier Tönnies, groupe leader en Europe – ne saisissent demain cette occasion pour investir massivement en Russie, lui apporter la technologie dont elle a besoin et, ce faisant, nous pénaliser davantage encore.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.
Nous serions alors les victimes de notre entêtement à vouloir laver plus blanc que les autres.
Que font nos gouvernants ? Au mois de janvier, on a vu M. Macron et M. Le Foll se rendre en Russie pour essayer de faire évoluer les choses, ou à tout le moins afficher leur volonté en ce sens. Rien ne s’est passé depuis.
Il faut lever très vite l’embargo sanitaire, et celui-ci peut l’être de façon très simple : il faudrait que l’Europe admette une forme de zonage. Elle pourrait ainsi distinguer le cas de la Lituanie ou de la Pologne, où l’on peut admettre l’existence d’un risque sanitaire du fait de la peste porcine, de celui des autres États membres, où ce risque est nul. L’Europe doit donc en quelque sorte accepter de se diviser, de façon que l’essentiel des pays européens puissent exporter, moyennant le maintien éventuel d’un embargo sanitaire dans les pays où le risque existe. Cela profiterait à tout le monde : si un certain nombre de matières sont dégagées vers l’exportation, cela favorisera l’exportation de nos produits et ferait remonter les cours. Je vous rappelle qu’en matière de production porcine, nos agriculteurs vendent à perte depuis deux ans.
Surtout il faut lever les sanctions politiques. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous donnerez des assurances, ou à tout le moins des perspectives, sur la levée, indispensable, de cet embargo. Pour une fois, mes chers collègues, l’occasion nous est donnée de dire clairement ce qu’il en est !
Je me souviens du temps où, à gauche, on formait le voeu que le Parlement puisse s’exprimer sur les questions diplomatiques. Nous avons aujourd’hui cette occasion : saisissons-la. Disons très clairement que la levée de l’embargo est nécessaire et souhaitable. Demandons au Gouvernement de prendre des dispositions au niveau national et européen pour que les choses évoluent vite : il y va de l’intérêt d’un certain nombre de Français, pour qui la situation actuelle est très compliquée.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais dire quelques mots pour compléter de l’intervention de M. Chauveau, qui a fort bien exprimé la position du groupe SRC.
Tout d’abord, monsieur Le Fur, je n’aime pas votre ton un peu condescendant vis-à-vis des agriculteurs.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je sais, comme vous, les souffrances qui sont les leurs aujourd’hui et je sais, comme vous, quelle est l’origine de la crise : prétendre qu’elle est concomitante aux sanctions me paraît pour le moins un peu rapide.
Mais je sais aussi, comme vous, que les agriculteurs sont capables d’analyser la situation internationale. Ce n’est pas parce qu’ils sont dans leurs exploitations qu’ils sont incapables de se figurer les contraintes internationales.
Même s’ils peuvent contester ces contraintes, je les crois, pour ma part, capables d’analyser et de comprendre les problèmes géopolitiques.
Pouvons-nous faire l’impasse sur ce qui se passe dans le Donbass ? Pouvons-nous ignorer les tirs et les morts que l’on y déplore presque tous les jours ? Pouvons-nous considérer que tout cela est derrière nous, et que la levée des sanctions enverrait un message de paix ?
Ce territoire souffre de guerres civiles depuis plusieurs années, qui ont fait à ce jour, M. Mariani l’a rappelé, entre 10 000 et 15 000 morts.
Peut-on faire l’impasse sur la prise en otage de la Crimée, que vous connaissez bien, monsieur Mariani ? Peut-on faire l’impasse sur le comportement de la Russie, qui a pris des sanctions très lourdes, non seulement à l’encontre de l’Europe, mais de notre pays, y compris – vous ne l’avez pas souligné –, contre certaines personnalités, comme Bruno Le Roux, le président du groupe SRC de notre assemblée ?
Pouvons-nous faire l’impasse sur le fait que dernièrement, malgré nos appels réitérés à faire preuve de compréhension et de sollicitude, une jeune pilote d’hélicoptère vient d’être condamnée d’une façon extraordinairement sévère, dans les conditions que l’on sait, par un tribunal russe ? Pouvons-nous faire l’impasse sur ces comportements répétés, par lesquels la Russie cherche systématiquement à imposer l’annexion de la Crimée et la mise sous tutelle du Donbass ?
Le Donbass, puisqu’il faut aussi en dire quelques mots, est en pleine destruction, M. Mariani le sait bien. L’outil industriel, qui est l’un des éléments majeurs de l’économie ukrainienne, est aujourd’hui réduit à néant. Quoi qu’il arrive demain – espérons que le chemin de la paix sera retrouvé rapidement –, il faudra reconstruire le Donbass, et déterminer les responsabilités de ce qui s’y est passé. De cela aussi, la Russie devra répondre.
Enfin, prétendre que les sanctions sont la cause de tous les malheurs industriels et agricoles de la France me paraît tout aussi rapide.
Protestations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Vous avez évoqué, monsieur Mariani, un dossier que je connais bien, l’usine Sambre-et-Meuse. Pensez-vous sérieusement que les sanctions expliquent seules ce qui s’est passé ? Non, vous le savez bien.
Si ! Nous avons discuté avec l’investisseur, il a été bloqué par les banques françaises !
À vous entendre, vous auriez sauvé Sambre-et-Meuse lorsque vous étiez au gouvernement : nous ne serions pas en train d’en parler si c’était vrai !
On ne serait pas là pour en parler s’il n’y avait pas les sanctions, surtout !
Nous avons fait le maximum.
Pour ma part je n’utiliserai pas les choix du consortium UVZ – Uralvagonzavod – d’investir ailleurs, dans l’Oural, abandonnant un outil industriel pour des intérêts très particuliers.
C’est scandaleux, ils n’obtiennent plus aucun prêt des banques françaises, ils ont été blacklistés !
Je vous ai écouté, monsieur Mariani : vous m’avez interpellé, je vous réponds.
La chute du rouble explique aussi le changement de stratégie de ce groupe ferroviaire, qui s’est retiré de Sambre-et-Meuse, comme elle explique le retrait d’activités industrielles russes de France, provoquant la suppression de 250 emplois. Notre incapacité, depuis trente ans, à soutenir notre tissu industriel explique, bien plus que les sanctions russes, monsieur Mariani, l’échec de cette entreprise – comme de bien d’autres – dans mon territoire.
Enfin, nous le savons, l’économie russe va mal, notamment en raison de la chute des cours du pétrole. Cela explique que les sanctions que nous proposons et que nous avons, comme l’Europe, soutenues, portent leurs fruits.
Il est effectivement temps – et rien ne peut nous en empêcher – que nous retrouvions la Russie, à laquelle, j’en suis convaincu, notre destin est lié. Cela est nécessaire pour notre développement économique commun, mais, au-delà, pour construire l’Europe.
Rien ne peut nous empêcher de prendre une telle voie. Il est donc important, aujourd’hui, que la Russie tienne compte de l’accord de Minsk ainsi que de ses conséquences, et qu’elle permette effectivement cette nécessaire évolution vers la paix. Mais il n’en est pas temps encore.
Il appartient à la Russie de s’y engager et de montrer l’exemple : nous le suivrons. Notre diplomatie se trouvera donc, après avoir permis la signature des accords de Minsk – et évité, en Ukraine, de possibles massacres – en situation de négocier.
Nous irons donc, à ce moment-là, vers cette rencontre que nous appelons de nos voeux. Encore faut-il donner du temps au temps et permettre à la Russie de répondre à l’exigence légitime de l’Europe.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, force est de constater que le chapitre des sanctions contre la Russie s’inscrit tristement dans l’orientation atlantiste prise, depuis quelques années déjà, par notre diplomatie.
La géopolitique à la française, aujourd’hui trahie, fondée sur l’intérêt national et le souci d’équilibre, octroyait à notre nation sa liberté d’action sans jamais déroger à la raison d’État. La France était respectée parce qu’elle résistait à l’emprise des hyperpuissances. Ce prestige nous a permis d’être regardés par les États-Unis comme un allié et non comme un vassal et d’être l’interlocuteur privilégié et respecté de la Russie. Aujourd’hui les États-Unis nous utilisent comme leur homme-lige, tandis que la Russie nous impose un embargo et détruit les denrées alimentaires que nous exportons vers son territoire. Triste actualité, quand on connaît le passé fraternel de la France et de la Russie : grâce à l’alliance nouée en 1894, les Russes nous ont sortis de l’isolement diplomatique consécutif à notre défaite de 1870. Durant la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques reconnaissaient la France libre et honoraient ses valeureux héros de l’unité Normandie-Niémen.
Les sanctions économiques révèlent l’application à géométrie variable du droit international et du principe de non-ingérence par l’Union européenne. Celle-ci a dénoncé à cor et à cris la violation de ces règles par la Russie dans le dossier ukrainien ; dans le dossier du Kosovo, pour ne citer que celui-ci, elle a totalement fait fi de ces mêmes considérations. Aujourd’hui, le cessez-le feu continue d’être violé en Ukraine, y compris du côté ukrainien, sans qu’aucune sanction soit pour autant envisagée à son encontre.
C’est que ces sanctions relèvent en réalité d’une logique idéologique : Bruxelles a saisi au bond la crise russo-ukrainienne afin d’ostraciser Moscou, et ce au mépris de l’histoire et du droit à l’autodétermination.
En effet, en janvier 1991 déjà, les Criméens organisaient, sous le contrôle d’observateurs internationaux, un référendum dont les résultats parlent d’eux-mêmes : un taux de participation de 83 % et 93,4 % de suffrages favorables au maintien dans la Fédération de Russie !
La Crimée s’était exprimée sans hésitation sur ses attaches avec la Russie avant même l’indépendance de l’Ukraine.
Par ailleurs, la réponse russe inflige à la France de graves dommages financiers – ce point a été largement développé. Nos échanges commerciaux avec la Russie ont diminué de 6,6 % entre 2013 et 2014 et nos exportations de 12,1 %. Les principales victimes ont été les agriculteurs français.
La Russie est le premier importateur mondial de fruits et légumes, et plus particulièrement de pommes. Au premier trimestre 2015, selon Eurostat, nos exportations agroalimentaires ont chuté de 33,6 %.
Dans ma région, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, le prix de la pomme a chuté de 25 % en 2014. L’interdiction de l’exportation de porc vers la Russie a, selon l’interprofession nationale porcine, coûté 500 millions d’euros de février à août 2014. Sur les cinq premiers mois de l’année 2015, les exportations vers la Russie de produits transformés à base de viande et de lait ont respectivement chuté de 73 % et 78 %.
Cet embargo russe a deux impacts : en premier lieu, il provoque une saturation du marché français, inondé de produits espagnols, polonais ou allemands qui entraînent une baisse du prix de vente des produits agricoles français.
« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
En second lieu, il éloigne durablement la production française du marché russe : il ne faut pas espérer récupérer, une fois les sanctions levées, la totalité de ces marchés. En toute logique, les Russes tentent d’atteindre une indépendance alimentaire en développant les cultures sous serre des légumes ou la recherche sur les fromages à moisissure.
L’ironie du sort veut que, dans le même temps, les Américains continuent de commercer avec la Russie : les échanges entre les deux pays ont même augmenté de 7 % ! Conscients de leurs propres intérêts, les États-Unis ont levé l’interdiction de l’utilisation de moteurs russes en décembre dernier. Cela leur permet de passer des commandes de moteurs de fusées de conception russe pour le lancement de leurs satellites militaires, pendant que l’annulation du contrat de vente des Mistral fait perdre à la France 250 millions d’euros.
Elle y a perdu bien plus encore : son honneur, sa parole, sa fiabilité.
Les États-Unis osent tout, jusqu’à la leçon de morale, déclarant, par la voix de leur ambassadeur en Ukraine, qu’« une levée partielle des sanctions européennes serait un sacrifice des valeurs européennes contre l’argent russe ». Il ne manque plus que la signature du traité de libre-échange avec les États-Unis pour que la capitulation des États européens soit totale.
Par ailleurs, le résultat escompté par certains de l’embargo est un échec : les mesures prises à l’encontre des oligarques russes n’ont pas engendré d’opposition à Vladimir Poutine. Ce sont donc bien les économies européennes qui payent le plus lourd tribut à cet embargo. La raison en est simple : les États membres sanctionnent sur ce qu’ils vendent alors que la Russie sanctionne sur ce qu’elle achète.
Messieurs les ministres Valls, Macron, Le Foll ont déclaré envisager, voire même espérer la levée des sanctions. Il est donc temps de mettre un terme à cette situation ubuesque. Le temps presse, pour nos agriculteurs comme pour nos industriels ! Le temps presse, pour éradiquer le terrorisme djihadiste qui sème la terreur. Or sanctionner la Russie, qui lutte précisément contre l’islamisme en Syrie, alors que nous commerçons avec les pétromonarchies du Golfe, revient à faire le jeu de l’État islamique.
Il est plus que jamais urgent de redonner à la voix chancelante de notre nation de la force et de la fermeté. Commençons donc par voter cette résolution.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos débats se déroulent à un moment proche de dates symboliques.
Il y a soixante ans, lorsque la France était souveraine, lorsqu’elle avait une politique étrangère et une voix qui portait dans le monde, le général de Gaulle effectuait une visite historique sur les traces des héros du Normandie-Niémen pour renouer les relations multi-séculaires entre la France et la Russie. Faut-il rappeler ici les 26 millions d’âmes sacrifiées au cours de la Grande guerre patriotique pour que nous puissions ici continuer à parler français en toute liberté ?
Faut-il rappeler le sacrifice des armées de Rennenkampf, en 1914, qui a permis la victoire de la Marne ? Faut-il rappeler l’absorption de l’invasion mongole au Moyen-Âge, alors que la Russie dut attendre Pierre le Grand pour se doter d’un État moderne ?
Cela a été rappelé par notre excellent collègue du groupe Radical – j’espère qu’il va changer d’avis quant à son vote. son soutien nous est en effet nécessaire pour que, comme sous Catherine II, la Crimée et le territoire qui est aujourd’hui l’Ukraine soient libérés de leur joug qui à l’époque était ottoman.
Quelle est la situation aujourd’hui ? Les paysans et les éleveurs français se suicident et désespèrent, comme l’a rappelé notre excellent collègue Marc Le Fur. La filière porcine a perdu au moins 150 millions d’euros !
Que se passe-t-il aujourd’hui ? Les Suédois, les Sud-coréens ainsi que les Allemands investissent massivement dans le développement de l’agriculture russe, car il est logique que le président de la Fédération de Russie appelle de ses voeux – à l’instar de celles que la France a atteintes grâce à ses paysans – l’autonomie et la sécurité alimentaires.
Quelle devrait-être notre vision de l’avenir ? Il faudrait d’abord permettre un nouveau décollage des exportations de produits à haute valeur ajoutée. En effet, la France est leader dans le monde en matière de génétique animale, de nutrition, d’agro-alimentaire et de transformation des légumes et des fruits.
Mes chers collègues, dans quinze à vingt ans, les liaisons ferroviaires vont se développer sur le continent eurasiatique. Elles permettront l’exportation vers la Chine de produits à haute valeur ajoutée en quinze jours au lieu des quarante-cinq qu’autorise aujourd’hui la voie maritime. La France aussi devrait prendre part à ce grand essor. Il rappelle ce que firent Pierre le Grand et Stolypine en faisant appel à des spécialistes.
Monsieur le secrétaire d’État, j’enrage de voir les entreprises françaises, qu’il s’agisse de PME ou de grands groupes internationaux, contraintes, s’agissant de leurs transactions bancaires, d’attendre une semaine, soit un délai identique à celui de nos chers alliés – nos meilleurs amis – américains.
Par ailleurs, un petit pays que tout le monde oublie, la Biélorussie, qui constitue la porte d’entrée du marché russe, a vu ses échanges commerciaux avec la France chuter de 30 %, alors que l’Allemagne a, tout comme l’Italie, vu les siens augmenter de 2 %.
Qui paie le prix, monsieur le secrétaire d’État, de cette politique folle de sanctions, si ce n’est l’économie et l’agriculture françaises ? Qui paie le prix de ces sanctions, si ce n’est le continent européen ? Cela été dit par plusieurs de nos collègues : il n’y aura pas de grande Europe, de grande vision ni de paix dans le monde si l’Union européenne ne s’associe pas à la Fédération de Russie.
On constate aujourd’hui que le président ukrainien a naturalisé un ancien président géorgien M. Saakachvili, à qui on a donné l’oblast d’Odessa à gouverner. Quant au président Porochenko, sa fortune personnelle a triplé voire quadruplé depuis le début de la guerre !
Les Ukrainiens et les Russes, si liés par l’histoire et qui ont tant souffert, paient le prix du sang. Les familles ukrainiennes sont divisées et ne peuvent même plus se rendre aux noces des leurs. Les citoyens russophones d’Ukraine n’ont, en outre, plus le droit de considérer la langue russe comme leur langue naturelle. En effet la Rada a décidé après le coup d’État de faire du russe une langue étrangère et interdit les chaînes de télévision russophones.
Alors oui, monsieur le secrétaire d’État, il est temps de voir la réalité en face. Il est temps que la France retrouve sa voix ainsi que la place dans le monde qu’elle doit aux Français. Il est temps, monsieur le secrétaire d’État, de vous souvenir de François Mitterrand !
Je pense à toutes ces âmes une fois de plus sacrifiées pour que nous puissions ici, aujourd’hui, débattre en toute liberté.
Monsieur le secrétaire d’État, retrouvez la voie de la raison et de la grandeur et soutenez la vision de notre excellent collègue, ami et compagnon Thierry Mariani : votez cette proposition de résolution ! Pensez à nos agriculteurs, pensez à nos enfants, pensez à la paix dans le monde. De grâce, retrouvez la raison !
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La discussion générale est close. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le député Thierry Mariani, mesdames et messieurs les députés, la proposition de résolution sur laquelle votre assemblée est appelée se prononcer aujourd’hui me donne l’occasion de rappeler la position du Gouvernement à l’égard des sanctions décidées par l’Union européenne à l’encontre de la Russie, mais aussi sa vision du règlement du conflit en Ukraine.
Monsieur le député, vous avez raison de mettre en avant, à travers votre résolution, le fait que la Russie est un partenaire stratégique de la France comme elle doit l’être pour l’Union européenne.
Sourires.
Nous n’avons pas de désaccord sur ce point. La Russie est un partenaire avec lequel il est dans notre intérêt commun d’avoir une coopération aussi large que possible, dans de très nombreux domaines, mais une coopération fondée sur des principes clairs au premier rang desquels figure le respect du droit international.
La France fonde sa diplomatie sur le droit international et sur son respect en toutes circonstances : nous pensons en effet que c’est la condition de la sécurité comme de la paix.
Les sanctions, vous le dites avec raison, ont des conséquences négatives pour l’économie russe – c’est leur principe même – et, dans une certaine mesure, pour l’économie européenne. Mais ce serait une erreur de considérer ces sanctions comme une fin en soi, ou de les présenter comme telles, ou de penser que l’objectif serait ou devrait être de les maintenir indéfiniment. Ces mesures constituent des réactions à des violations graves du droit international et leur adoption vise en premier lieu à conduire la Russie à se mettre en conformité avec ses obligations et à créer les conditions qui nous permettront de les lever.
Chaque type de mesure restrictive adopté par l’Union européenne l’a été pour des raisons très précises. Des sanctions ciblées ont été adoptées dès le 17 mars 2014 à l’encontre d’individus ou d’entités russes et séparatistes ayant tiré profit de l’annexion illégale de la Crimée ou y ayant directement joué un rôle.
Le prétendu référendum du 16 mars 2014 s’est déroulé en présence de forces armées russes, comme l’a reconnu le président Poutine lui-même, et en l’absence de tout observateur international. Je rappelle que c’est toute la communauté internationale qui a condamné l’annexion de la Crimée comme le référendum qui y a été organisé, au travers des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies. Ces sanctions ont été par la suite étendues à une liste d’individus et d’entités dont l’action entrave la bonne mise en oeuvre des Accords de Minsk.
Au-delà de ces mesures individuelles, l’Union européenne a également adopté des sanctions économiques dites sectorielles, en juillet 2015, du fait des actions de déstabilisation menées par la Russie en Ukraine, en particulier après le crash du vol MH17 provoqué par un tir de missile dans l’est du pays, qui a fait 298 morts civils.
Ces sanctions ont été renforcées le 12 septembre 2014 en raison de l’aggravation du conflit dans l’est de l’Ukraine, qui a fait plus de 9 000 morts et 21 000 blessés au cours des deux dernières années et dans lequel la Russie apporte un soutien direct aux séparatistes.
Ces sanctions sectorielles, comme vous le savez, ne pourront être levées qu’en fonction de la mise en oeuvre des accords de Minsk. Il a en effet été décidé lors du conseil européen du 14 mars 2015 de lier la levée des sanctions à la mise en oeuvre intégrale de ces accords, négociés dans le cadre du format de négociation « Normandie » à l’initiative du Président de la République lors des commémorations du soixante-dixième anniversaire du débarquement. C’est la première fois qu’était rétabli un dialogue direct entre le Président Poutine et le Président Porochenko, sous l’égide du Président de la République et de la Chancelière Angela Merkel.
Face à cette agression armée contre un État souverain, l’Union européenne a répondu par des instruments permettant d’encourager le règlement pacifique de la crise en évitant le risque d’une escalade plus importante encore sur le terrain. Elle a répondu par des instruments qui respectent intégralement le droit international et les personnes visées par ces mesures restrictives disposent sans exception d’une voie de recours au niveau de l’Union européenne.
En effet, toute personne visée par des sanctions peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour en contester le bien-fondé, et le juge n’a pas hésité à procéder à des annulations lorsque cela s’est révélé justifié. À l’inverse, la Russie n’assure pas de réciprocité en la matière : les personnalités européennes interdites de séjour en Russie, parmi lesquelles certains de vos collègues parlementaires, n’ont aucune voie de recours pour obtenir la levée des restrictions dont ils font l’objet.
Je souhaiterais également apporter certaines précisions concernant l’effet négatif des sanctions sur l’économie et les entreprises européennes, que déplore la proposition de résolution. C’est en effet un sujet grave et important.
D’abord, les entreprises présentes en Russie avant 2014 sont toutes restées sur ce marché. Un grand nombre d’entre elles ont certes réduit leur présence mais pas une ne s’est retirée. Certaines sont mêmes entrées sur le marché russe depuis deux ans.
Ensuite, l’analyse des causes des difficultés que connaissent certains acteurs économiques français présents sur les marchés russes ne doit pas occulter que les fragilités structurelles de l’économie russe, accentuées par la baisse des prix du pétrole et la forte dévaluation du rouble qui a suivi, participent aussi à la dégradation de nos relations commerciales avec la Russie.
Par ailleurs, les mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis le début de la crise ukrainienne ont été conçues avec la préoccupation de minimiser leur impact sur l’économie européenne, tout en imposant une pression sur la Russie. Le Gouvernement y a particulièrement veillé, en insistant par exemple pour que l’embargo sur les armes ne s’applique pas aux contrats conclus avant la date d’entrée en vigueur de cette mesure. Le secteur spatial et le secteur gazier sont aussi explicitement exclus du champ des sanctions. Les sanctions ont donc été à la fois graduelles et proportionnées, et elles demeurent circonscrites à quelques secteurs précis de l’économie russe.
Les relations économiques avec la Russie restent donc possibles et se poursuivent dans de nombreux domaines.
Un mot enfin au sujet de l’embargo sur les viandes porcines, puisqu’il la proposition de résolution en fait état. Cet embargo a été adopté par la Russie en janvier 2014, soit avant l’annexion de la Crimée et les premières sanctions européennes, pour des motifs présentés comme sanitaires,…
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains
…qui ne concernaient en réalité que certaines régions de l’Union européenne. Il n’a donc pas été décrété en réponse aux sanctions européennes mais bien de façon unilatérale.
Quoi qu’il en soit, notre objectif est d’obtenir la levée de cet embargo qui ne repose sur aucune base sanitaire sérieuse, du moins en ce qui concerne notre pays, puisque nous ne présentons aucun cas de fièvre porcine africaine.
Des contacts réguliers ont lieu, avec l’implication de la Commission européenne, pour y parvenir. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, s’est notamment rendu à Moscou le 8 octobre 2015 pour défendre cette position.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il a obtenu de la Commission européenne l’adoption d’un paquet de mesures de compensation de 500 millions d’euros pour faire face à la crise. Le Premier ministre, Manuel Valls, s’en est entretenu avec son homologue, M. Dimitri Medvedev, à Davos,…
…et Jean-Marc Ayrault l’a également évoqué lors de sa visite à Moscou le 19 avril dernier.
Concernant nos agriculteurs, toutes les démarches que la France a entreprises auprès de la Commission européenne et qu’elle entreprend à Moscou, auprès du Gouvernement russe, sont utiles et devraient être soutenues par l’ensemble de ces bancs.
Vous le voyez, les sanctions adoptées par l’Union européenne sont des instruments au service de la résolution du conflit en Ukraine.
À l’heure où nous débattons de ce texte, ce conflit n’est pas résolu et l’intensification des violations du cessez-le-feu, que l’OSCE observe sur le terrain, est extrêmement préoccupante.
Néanmoins, la médiation de la France et de l’Allemagne dans le format « Normandie » a permis de mettre un terme à la phase la plus violente des combats. D’après les estimations de l’ONU, le nombre de victimes parmi les populations civiles a été divisé par neuf depuis la signature des accords de Minsk le 12 février 2015, qui fixent une feuille de route pour le règlement du conflit.
En outre, plus de deux ans après le début de la crise, la Russie reste à la table des négociations pour parvenir à un règlement dans le cadre des accords de Minsk. Aux termes de ces accords, la Russie a réaffirmé la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine et a reconnu le caractère unitaire de l’État ukrainien, tout en appelant à l’adoption d’une organisation décentralisée.
C’est bien là l’objectif de ces régimes de sanction : disposer d’un levier pour revenir à la négociation. Nous devons maintenant avancer dans la mise en oeuvre de ces accords et c’est tout le sens de l’action menée par Jean-Marc Ayrault, en concertation étroite avec son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier.
La France et l’Allemagne poursuivent leurs efforts pour aboutir à la mise en oeuvre de ces accords, qui constituent la seule chance crédible de mettre un terme à cette guerre qui se déroule aux portes de l’Europe. Ces efforts nécessitent avant toute chose que les deux parties mettent en oeuvre leurs engagements à travers des actions concrètes.
L’Ukraine a déjà adopté en première lecture la réforme constitutionnelle instaurant une décentralisation dans le pays.
Elle doit poursuivre la mise en oeuvre de ses engagements, en particulier sur les élections et sur la loi d’autonomie pour les régions de l’Est de l’Ukraine, qui leur donnera un statut spécial.
Il revient à la Russie de son côté d’assurer le respect du cessez-le-feu, d’exercer les pressions nécessaires sur les séparatistes pour qu’ils cessent leurs activités militaires sur le terrain et participent aux discussions sur le volet politique, conditions nécessaires au déroulement des élections dans le Donbass.
La Russie, aujourd’hui, sait ce qu’il lui revient de faire pour que les armes se taisent dans le Donbass, Jean-Marc Ayrault l’a rappelé à ses interlocuteurs à Moscou la semaine dernière.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Mesdames et messieurs les députés, nous ne nous résignons pas à la situation actuelle en Ukraine, qui n’est bonne ni pour l’Ukraine ni pour la Russie, ni pour la sécurité du continent européen. L’ambition de la France, comme de l’Allemagne, est de parvenir à une paix durable et négociée, conformément à la mise en oeuvre des accords de Minsk, seule feuille de route agréée par l’ensemble des parties. Son respect intégral permettra la levée des sanctions.
Notre ambition commune doit être de rétablir les conditions qui permettront à la Russie de redevenir pour l’Union européenne le partenaire politique, économique, industriel et commercial de premier plan qu’elle doit être. La géographie, l’histoire, les échanges culturels et humains, tout milite en faveur d’une Russie partenaire de l’Europe. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement français est résolu à maintenir le dialogue avec la Russie dans tous les domaines, en particulier ceux qui mettent en jeu la sécurité internationale, qu’il s’agisse de la Syrie, de l’Iran et de la lutte contre la prolifération, de la situation au Proche-Orient, de la lutte contre le terrorisme.
Fermeté, cohérence, responsabilité, tels sont, mesdames et messieurs les députés, les principes qui ont guidé et qui continuent de guider l’action du Gouvernement sur ce dossier.
Oui, nous souhaitons la levée des sanctions, en lien avec le règlement de la crise dans le Donbass. Oui, si les accords de Minsk sont respectés, les sanctions seront levées. Telle est la position unanime de l’Union européenne, et ce serait une erreur de sortir de ce cadre. Ce cadre, c’est le respect du droit international, c’est le règlement pacifique négocié du conflit en Ukraine, c’est l’unité des Européens, en appui au processus de Minsk et aux efforts franco-allemands au sein du format « Normandie ».
La France et les vingt-sept autres États membres doivent et peuvent parvenir à ce règlement, mais nous n’y arriverons qu’ensemble, avec l’Allemagne et tous nos partenaires européens. Cette unité de l’Union européenne, nous devons la préserver dans les discussions à venir sur l’avenir du régime des sanctions : c’est l’intérêt bien compris de la France et de l’Europe.
Pour toutes ces raisons, et parce qu’il est absolument nécessaire de soutenir les négociations de paix et le rôle que joue notre diplomatie avec l’Allemagne au sein du format « Normandie », je vous appelle à ne pas adopter la proposition de résolution qui vous est soumise aujourd’hui, qui risquerait de réduire les chances de règlement de ce dossier.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.
Sur l’ensemble de la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Dans les explications de vote, la parole est à M. Pierre Lellouche, pour le groupe Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, nous allons voter la résolution présentée par Thierry Mariani ce matin pour une seule et unique raison : une telle décision servira les intérêts de la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
À l’inverse, le maintien du statu quo ne réglera ni la crise ukrainienne ni les grands conflits de l’heure au Proche-Orient, où nous avons besoin de la Russie.
Pour le comprendre, il faut évaluer l’impact de l’embargo à l’aune des cinq questions suivantes.
L’embargo va-t-il mettre fin à l’annexion de la Crimée ? Aussi condamnable qu’ait été la décision russe de s’emparer de ce territoire par un fait accompli militaire, l’embargo n’aura aucun impact sur l’annexion de la Crimée.
Dois-je rappeler que ce territoire fait partie de l’histoire de la Russie depuis le XVIe siècle et que c’est en 1774 qu’a pris fin la souveraineté turque sur ce territoire ? Nous n’allons pas recommencer la guerre de 1853, à laquelle nous avions participé aux côtés des Britanniques et des Turcs contre la Russie. Pour dire les choses gentiment, je ne crois pas qu’un nouveau siège de Sébastopol soit d’actualité.
Deuxièmement, l’embargo a-t-il affaibli le Président Poutine et mobilisé son peuple contre lui ou contre sa politique en Crimée ou dans le Donbass ? C’est l’inverse qui s’est produit : les Russes ont serré les rangs face à ce qu’ils ont perçu comme une arrogance, une agressivité méprisante de l’Occident à leur égard.
Troisièmement, l’embargo nous aide-t-il à régler le problème de l’Ukraine ? Là encore, la réponse est non. Même les plus fidèles soutiens de l’Ukraine indépendante, dont je suis depuis le début de la révolution orange, doivent reconnaître aujourd’hui que le processus de Minsk est bloqué, non pas à cause de la Russie mais du fait de l’incapacité d’une classe politique ukrainienne totalement divisée et corrompue à appliquer l’accord, et en particulier à voter les textes sur la décentralisation nécessaire au règlement de la question du Donbass.
En clair, nous sommes devenus les otages de notre propre embargo. Tant qu’il dure, les dirigeants ukrainiens n’ont aucun intérêt à adopter les décisions difficiles qu’ils se sont pourtant engagés à prendre.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.
En un mot, l’embargo, c’est le pourrissement garanti de la situation ukrainienne.
Quatrièmement, l’embargo a-t-il servi nos intérêts politiques ou économiques ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous ne sortons pas grandis de l’épisode des Mistral. Après avoir longtemps hésité, et même essayé de sauver ce contrat, vous avez fini par le dénoncer, à nos frais, dont on ne connaît d’ailleurs pas le montant, sous la pression des États-Unis et de l’OTAN. Je ne reviens pas sur ce qu’a dit Marc Le Fur tout à l’heure sur les dommages considérables pour notre agriculture.
Enfin, cinquièmement, le maintien de l’embargo est-il sage et utile pour la France au moment où, plus que jamais, nous avons besoin de la Russie pour gérer ensemble les crises du Proche-Orient et leurs conséquences, terrorisme et immigration de masse ? Sans la Russie, nous le disons depuis trois ans avec François Fillon, point de solution en Syrie, ni au Proche-Orient.
Que voulons-nous ? Combattre l’État islamique ou Moscou ? Rejouer la guerre froide, comme le veulent certains nostalgiques à Washington ou votre collègue, le ministre polonais des affaires étrangères, pour qui la Russie est un plus grand danger pour l’Europe que Daech, ou bien bâtir une alliance stratégique avec la Russie pour gérer les problèmes du sud du continent ?
Mes chers collègues, Maurice Thorez disait en 1936
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen
qu’il faut savoir terminer une grève. M. Barack Obama, ironiquement, l’a compris en levant les embargos contre l’Iran et Cuba. Quant à nous, serons-nous seuls à continuer de punir indéfiniment la Russie ? Pourquoi le ferions-nous ? Pour satisfaire le principe de plaisir ou à l’encontre du principe de réalité ? Ce n’est pas ainsi que l’on doit concevoir la politique étrangère d’un grand pays comme la France. Nous voterons cette résolution.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, pour ne pas perdre de temps et comme je crois avoir été très clair tout à l’heure, sachez que le groupe UDI votera cette proposition de résolution !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La brièveté s’impose, monsieur le président. Marcel Proust inventait à juste titre, pour résumer les plus belles analyses littéraires qui soient, « le côté Dostoïevski de Mme de Sévigné ». Quant à moi, je m’abstiendrai par devoir et avec regret. (« Oh ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Mon collègue et ami, Jérôme Lambert, grand connaisseur des réalités internationales et esprit libre s’il en fut, votera pour.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Pour commencer, je voudrais saluer le fait que nous ayons des débats à l’Assemblée nationale sur la politique étrangère de la France et de l’Europe.
C’est intéressant et éclairant. Je me félicite également du vote par scrutin public, car nous allons voir un étrange arc politique voter cette résolution (« Oh ! » sur les bancs du groupe Les Républicains) : notre collègue communiste, le Front national, ce qui ne me surprend pas de leur part, et Les Républicains…
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
Écoutez-moi, mes chers collègues, moi je respecte votre position et vos arguments !
…qui présentent cette proposition de résolution et la voteront.
M. Fillon assume sa position depuis longtemps, de façon argumentée. Il a, en quelque sorte, théorisé l’alliance privilégiée avec la Russie. M. Sarkozy, qui n’est pas député, s’est rallié à cette position plus récemment. Je ne sais pas quelle est la position de M. Juppé.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il serait intéressant de savoir, pour les débats à venir dans les prochains mois, quelles sont les positions des uns et des autres.
Une levée des sanctions – le but n’étant pas de les maintenir, ne serait-ce que dans les intérêts de la France –, n’a de logique que si les accords de Minsk sont respectés. On affaiblirait complètement, pour ne pas dire qu’on ferait s’affaisser, la crédibilité de la France et de l’Europe, à les lever sans contrepartie ni sans aucun acte diplomatique fort ni aucune action sur le terrain de la part de la Russie.
Je tiens à dire, dans cette analyse diplomatique et géopolitique, que nous, les écologistes, n’avons jamais été des atlantistes pro-américains. On ne peut pas nous faire ce coup-là !
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Nous ne voulons pas que la diplomatie française tombe dans un alignement pro-russe. Je vois bien que la question ukrainienne n’est qu’un prétexte.
Les deux minutes sont dépassées !
Certains d’entre vous l’ont d’ailleurs assumé pour ce qui est de la Syrie, puisque vous y êtes également favorables à un alignement pro-russe. Les choses sont claires. Nous sommes, quant à nous, favorables à l’émergence d’une diplomatie européenne autonome et à l’affirmation d’une politique européenne autonome au sein de la communauté internationale. Dans ce cadre, il est inconcevable de lever ces sanctions, sans que la Russie ait respecté les accords de Minsk.
Je rappelle, parce qu’il peut y avoir des ambiguïtés dans l’esprit de certains, que lorsque nous disons que M. Poutine est responsable de l’annexion de la Crimée, c’est parce qu’il l’a revendiquée lui-même. Il s’est vanté, à la télévision russe, d’avoir préparé cette opération avec ses services. Ne soyons pas naïfs, mes chers collègues ! Nous assistons aujourd’hui à un expansionnisme agressif de la Russie de M. Poutine.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Nous devons y faire face.
La Russie a toute légitimité à vouloir jouer un rôle de grande puissance dans la communauté internationale, mais elle doit, pour cela, respecter ses règles. Nous ne devons pas lui donner quitus pour un fait accompli par la force. Nous ne pouvons pas laisser passer sans réagir la preuve de cet expansionnisme agressif, dont nous devons avoir bien conscience. Or, c’est l’intention de cette proposition !
C’est pour cette raison fondamentale que nous voterons contre cette proposition de résolution, et ce débat aura permis d’éclairer les intentions des uns et des autres en matière de politique étrangère.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je signale à ceux de nos collègues qui ne semblent pas être au courant que, pour ce type d’explications de vote, le temps alloué aux orateurs est de cinq minutes. M. Lellouche s’est d’ailleurs exprimé plus de quatre minutes.
Sourires.
C’est le règlement. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Il serait souhaitable que sur un sujet aussi important et aussi sérieux, nous essayions de ne pas tomber dans des arguments purement politiciens.
Je vais vous dire pourquoi nous allons voter contre cette proposition de résolution, non qu’il ne soit pas souhaitable, évidemment, que les sanctions puissent être levées.
« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je rappelle, d’ailleurs, aux orateurs du groupe Les Républicains que le Président de la République, lui-même, a dit qu’il souhaitait que les sanctions soient levées, il y a de cela plusieurs semaines déjà.
Le but des sanctions, ce n’est jamais de durer indéfiniment, mais de faire pression pour parvenir à un règlement politique : le respect des accords de Minsk, dans ce cas précis. Ces accords imposent à l’Ukraine de voter une réforme de la constitution en vue d’une décentralisation dans le Donbass…
Cela est fait pour partie !
…et d’y permettre la tenue d’élections, c’est-à-dire de voter une loi électorale. Ces réformes sont en cours, comme on nous l’a confirmé à Kiev lundi dernier, où j’étais avec mes homologues allemand et polonais pour manifester l’unité des parlementaires dans le Triangle de Weimar.
Quant à la Russie, les accords de Minsk lui imposent de faire suffisamment pression sur les séparatistes pour que le cessez-le-feu soit effectif. Or, il y a eu une centaine de violations de ce cessez-le-feu. Dimanche dernier encore, ce sont trois soldats ukrainiens qui sont morts. Moscou doit également faire pression sur les séparatistes pour que les observateurs de l’OSCE puissent aller là où ils doivent être et contrôler la situation, sans mettre leur vie en péril, comme c’est le cas actuellement, en essuyant des tirs sur leurs voitures – heureusement qu’elles sont blindées et qu’il n’y a pas eu de morts pour l’instant.
Ce sont à ces obligations que la Russie a souscrit dans les accords de Minsk ; or, elles ne sont pas respectées aujourd’hui. Seul le respect de ces accords créera les conditions d’une levée des sanctions.
Puisqu’il a été beaucoup question de l’Ukraine et que, sur les bancs des Républicains, certains ont prétendu que notre attitude tenait d’un atlantisme excessif, je veux rappeler qu’une adhésion à l’OTAN a été promise à l’Ukraine en avril 2008.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Cela s’est fait avec la signature de M. Sarkozy, à l’occasion d’un sommet de chefs d’État.
En août 2008, la Russie envahissait la Géorgie. La Russie a été provoquée par cette décision prise par votre majorité et par vos responsables politiques !
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Maintenant que nous avons hérité de cette situation, il est de notre responsabilité de favoriser un dialogue positif entre l’Ukraine et la Russie, pour parvenir à la paix dans le Donbass.
Permettez-moi également de vous dire que votre texte n’est ni fait ni à faire.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il mélange toutes les sanctions : aussi bien celles qui s’appliquent à la Crimée que celles qui s’appliquent au Donbass. Je peux comprendre le raisonnement russe selon lequel la Crimée a toujours appartenu à la Russie et que c’est Khrouchtchev qui, par une décision incompréhensible, l’a donnée aux Ukrainiens ; mais cette annexion a été une violation caractérisée de plusieurs principes du droit international respecté, y compris par l’Union soviétique, depuis 1945.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il n’est pas possible de mélanger les sanctions relatives au Donbass et celles concernant la Crimée. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre votre proposition de résolution. Il ne laissera pas penser que nous ne voulons pas resserrer les liens avec la Russie. C’est ce que nous souhaitons, mais pas de cette façon et pas n’importe comment.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 101 Nombre de suffrages exprimés: 99 Majorité absolue: 50 Pour l’adoption: 55 contre: 44 (La proposition de résolution est adoptée.)
La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures trente.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son avis de 2015 relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution, l’Autorité de la concurrence explique que « l’appréciation de l’existence d’une éventuelle situation de dépendance économique […] doit tenir compte d’une multitude de critères. […] Ces critères ne sont cependant pas toujours adaptés, ou sont insuffisants. » Ils dissuadent aujourd’hui les acteurs de déposer des recours visant des abus de dépendance économique, alors que cette procédure pourrait constituer un outil important de rééquilibrage des relations commerciales si les entreprises concernées pouvaient réellement s’en saisir.
C’est pourquoi mon collègue Bernard Accoyer a déposé cette proposition de loi qui suit les préconisations de l’Autorité de la concurrence permettant de rendre ce dispositif efficace et de lutter contre les abus de dépendance économique. Son urgence se fait d’autant plus sentir que depuis 2013, les enseignes de la grande distribution se livrent une concurrence accrue sur la variable prix. Si cette donnée n’est pas nouvelle, elle a pris une intensité particulière à partir de 2013 en raison d’un contexte de croissance atone et d’une concurrence exacerbée pour la grande distribution. Cette concurrence est rapidement devenue âpre au point de justifier l’appellation de « guerre des prix ».
Cette guerre des prix a singulièrement durci les conditions de vente pour les fournisseurs. Ceux-ci sont amenés non seulement à comprimer leurs marges, au détriment de l’investissement, de l’innovation, voire de l’emploi, mais aussi à répercuter les baisses de prix consenties ou imposées par la grande distribution sur leurs propres fournisseurs, les exploitants agricoles. Il en résulte un appauvrissement de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, et un risque, à terme, d’une réduction de la qualité et de la diversité des produits de grande consommation, caractéristiques pourtant propres à notre pays.
En 2016, la guerre des prix est devenue encore plus dure. À la dégradation du climat des négociations entre fournisseurs et distributeurs déjà observée en 2013, 2014 et 2015 a fait suite, lors des négociations pour l’année 2016, une nouvelle exacerbation des tensions. Ces difficultés se sont doublées d’une crise agricole dans un grand nombre de filières, exposées à une chute dramatique de leurs prix à la vente, qui a conduit à des blocages de sites de la grande distribution, ainsi en février dernier en Bretagne et dans l’Ain. Notons que l’Observatoire des négociations commerciales a reçu en quelques semaines pas moins de 327 signalements adressés par des entreprises de toutes tailles, de tous statuts et de tous secteurs. Plus de 80 % des signalements ont été adressés par des PME-ETI. Certains fournisseurs se plaignent d’avoir été exposés à des menaces de déréférencement, parfois mises à exécution, et à des demandes de réduction de tarifs sans compensation.
Le souhait de nos collègues Annick Le Loch et Philippe Armand Martin, qui affirmaient en introduction de leur rapport d’information sur la mise en application de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation : « Notre impératif commun est que les prochaines négociations commerciales se déroulent dans un climat partenarial plus équilibré, juste et apaisé, profitable à tous », n’a donc malheureusement pas été suivi.
Les quatre plus grandes centrales d’achat, qui concentrent aujourd’hui à elles seules 90 % du marché de l’approvisionnement de la grande distribution, sont concernées. Les chiffres sont éloquents : janvier 2016 a constitué le trente et unième mois consécutif de déflation pour l’ensemble des produits de grande consommation. Une chute de cette ampleur n’avait pas été observée depuis huit ans. L’érosion des marges dans l’industrie agroalimentaire a atteint un niveau extrêmement préoccupant : le taux de marge a régressé de plus de onze points depuis 2000, et l’investissement a chuté de 7 % en 2015, alors même que le supposé grand gagnant de la guerre des prix, le consommateur, peine à en percevoir les bénéfices. En effet, si l’on estime que cette guerre a permis de reverser un milliard d’euros aux consommateurs, la somme devient dérisoire dès lors qu’on considère le gain par ménage : à peine trois euros par mois !
Il existe donc, de fait, une dépendance économique réelle des PME aux distributeurs. Le rôle de la distribution est déterminant tout au long de la chaîne économique, car elle fait le lien entre les activités menées par les fabricants et les consommateurs. C’est par les distributeurs que les fournisseurs accèdent au marché. Avant de pouvoir placer ses produits dans l’ensemble des magasins d’un distributeur, une PME commence par contracter avec quelques enseignes, dans une phase d’amorce. Dans la plupart de ces situations, PME et distributeurs parviennent à des accords équilibrés permettant de promouvoir une offre diversifiée et de qualité, et la situation de dépendance économique ne pose aucune difficulté. Le véritable problème se trouve dans les abus.
Ce sont les abus de dépendance économique qu’il faut combattre, autrement dit la situation où l’un des partenaires – le plus souvent une TPE ou une PME – ne peut trouver une solution alternative s’il refuse les conditions que lui impose l’autre, à savoir le distributeur.
C’est le cas, par exemple, des déréférencements en cours de négociation, de l’explosion des demandes de financement des opérations promotionnelles, des demandes d’avantages sans contrepartie, ou encore de la multiplication des pénalités pour retard logistique.
Face aux dangers que fait peser le déséquilibre des relations commerciales sur les perspectives de notre agriculture et de notre industrie agroalimentaire, le législateur n’est pas resté inerte : en témoignent la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, dite « loi Dutreil », et la loi du 3 janvier 2008, dite « loi Chatel », ainsi que la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, et, pour la législature en cours, les lois du 17 mars 2014 relative à la consommation et du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Cette forte activité législative a permis de construire un cadre commun plus rigoureux pour les négociations et a notablement renforcé les moyens de contrôle et le niveau des sanctions en cas de manquement à ce cadre. Mais elle n’a pas suffi à infléchir le cours des négociations commerciales, ni à mettre fin à la guerre des prix. Il paraît donc nécessaire de trouver un dispositif permettant de mieux protéger nos PME dans ce rapport de forces. Dans cette perspective, une solution, complémentaire du dispositif légal existant, a longtemps été négligée : il s’agit d’assouplir la définition de l’abus de dépendance économique afin de faciliter les recours déposés sur son fondement.
Figurant dans notre droit depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, l’abus de dépendance économique n’est quasiment jamais utilisé. Les fournisseurs sont, en effet, dissuadés de recourir à cette procédure à cause des conditions très strictes qui ont été posées par la jurisprudence. Ces conditions cumulatives sont au nombre de quatre : l’importance de la part du chiffre d’affaires réalisé par un fournisseur avec un distributeur ; l’importance du distributeur dans la commercialisation des produits concernés ; l’absence de choix délibéré du fournisseur de concentrer ses ventes auprès de ce distributeur ; l’absence de solutions alternatives pour le fournisseur. L’existence de ces quatre conditions rend très compliqué d’apporter la preuve d’un état de dépendance économique. En outre, l’Autorité de la concurrence préconise également une multitude d’autres critères devant permettre de définir les marges respectives de négociation dont disposent les entreprises concernées. La répartition des pouvoirs de négociation dépendant largement de la structure du marché de chaque famille de produits concernés, l’Autorité a conclu à la nécessité de tenir compte des spécificités de chacune d’entre elles.
À titre d’exemple, lors de son audition le 8 avril 2015 par la commission des affaires économiques du Sénat, le président de l’Autorité de la concurrence avait ainsi indiqué que dans le secteur de la pomme, même si un fournisseur écoulait 40 à 50 % de sa production auprès d’une seule enseigne, le juge écarterait la qualification de dépendance économique s’il existait pour ce producteur des solutions alternatives, comme la vente dans une autre région ou à l’étranger, même si ces solutions paraissent en pratique impossibles. Il en découle que la plupart des recours déposés pour abus de dépendance économique sont aujourd’hui écartés par l’Autorité de la concurrence.
Pourtant, s’il pouvait être davantage utilisé, l’abus de dépendance économique pourrait constituer un levier puissant de rééquilibrage et de pacification des relations entre fournisseurs et distributeurs. De fait, si bien des fournisseurs se voient aujourd’hui contraints d’accepter les conditions défavorables qui leur sont proposées par la grande distribution, c’est parce que ces enseignes constituent, pour eux, des débouchés vitaux. À terme, cette proposition de loi devrait permettre de changer les mentalités en envoyant un signal fort aux grands distributeurs pour qu’ils adoptent un comportement vertueux et s’autolimitent dans la pression exercée à l’égard des fournisseurs.
Le dispositif proposé a pour objectif d’assouplir la définition législative de la situation de dépendance économique en limitant sa caractérisation à deux critères : le risque que ferait peser sur le maintien de l’activité la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur, et l’absence de solution de remplacement à ces relations commerciales susceptible d’être mise en oeuvre dans un délai raisonnable. L’appréciation doit tenir compte des options de sortie dont disposent respectivement les fournisseurs et les distributeurs et de la capacité de ces opérateurs à maintenir leur activité sur le marché dans l’hypothèse d’une rupture brutale des relations commerciales. La proposition de loi a également pour but d’élargir à un horizon de moyen terme les effets sur le fonctionnement ou la structure de la concurrence que doit être susceptible d’avoir l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique pour être passible de sanctions.
Ce texte a d’ores et déjà fait l’objet d’un large consensus. Il résulte directement d’une proposition de l’Autorité de la concurrence, et avait été adopté sous forme d’amendement par le Sénat lors de la première lecture du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Dans la suite de la navette, cette disposition a été écartée, mais elle a été reprise récemment dans le rapport de Mme Annick Le Loch et de M. Thierry Benoit sur l’avenir des filières d’élevage, dont elle constitue la vingt-deuxième proposition. Enfin, la commission des affaires économiques a voté à l’unanimité en faveur de ce texte, le 6 avril dernier.
Cette proposition de loi, portée par Bernard Accoyer, est nécessaire car elle permet de lutter efficacement contre le déséquilibre manifeste entre distributeurs et fournisseurs, qui affecte à court et moyen terme la santé économique du secteur agroalimentaire. Elle simplifie le droit actuel, donne des moyens nouveaux à l’Autorité de la concurrence et permet de sanctionner uniquement les abus dans les stades de dépendance économique. Ce texte protège les PME, la double procédure permettant de sanctionner les infractions plus efficacement. Il n’y aura pas trop de travail pour deux autorités – la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, DGCCRF, et l’Autorité de la concurrence –, qui ne sont pas saisies sur le même mode pour lutter contre les abus auxquels sont confrontées les PME. Voter cette proposition de loi prouverait la capacité du Parlement à se rassembler sur un sujet essentiel pour notre économie.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, mesdames, messieurs les députés, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à mieux définir l’abus de dépendance économique.
Comme l’indiquent les auteurs du texte dans l’exposé des motifs, il s’agit de revenir une nouvelle fois sur les déséquilibres des relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs. J’ajouterai qu’il s’agit sans doute également, dans le contexte que nous connaissons – vous l’avez dit, monsieur le rapporteur –, de répondre en partie à la crise que traversent certaines filières agricoles.
Il est vrai que la crise que nous traversons aujourd’hui est particulièrement préoccupante. Comme vous le savez, plusieurs filières sont en grande difficulté. Les producteurs ne parviennent pas toujours à vendre leurs produits à un prix qui leur garantisse une juste rémunération, ce qui pèse sur leur capacité à investir ou à innover. En aval, les négociations commerciales sont de plus en plus difficiles entre les fournisseurs et les distributeurs, particulièrement après le rapprochement récent des enseignes de la grande distribution, qui a renforcé le pouvoir de négociation de ces dernières.
Face à ce constat inquiétant, le Gouvernement s’est mobilisé sans relâche : de nombreuses mesures très importantes ont été prises depuis le début du quinquennat et d’autres seront prises dans les prochaines semaines. Ainsi, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a renforcé les moyens d’action et de sanction des services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. En outre, des ajustements de fond au dispositif d’encadrement des relations commerciales ont permis notamment de lutter contre la pratique des délais de paiement ou de renforcer la transparence de la relation commerciale. La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a également apporté quelques ajustements aux règles d’encadrement des relations commerciales et a encore renforcé le dispositif de sanction. Ces lois ont permis de renforcer le dispositif de régulation pour mettre un terme à des pratiques abusives persistantes.
Par ailleurs, la DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a exercé une vigilance accrue pendant les négociations qui se sont achevées le 29 février dernier : 151 établissements ont été contrôlés entre le 1er novembre 2015 et le 1er mars 2016, soit deux fois plus que l’année dernière pour la même période. Les services d’enquête ont en outre effectué une perquisition dans les locaux d’une enseigne de la grande distribution le 9 février 2016, et d’autres vont suivre. Le Gouvernement proposera encore des solutions concrètes dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit Sapin 2, qui sera bientôt examiné par votre assemblée.
J’en viens à présent à la proposition de loi examinée aujourd’hui. L’Autorité de la concurrence a rendu en mars 2015, à la demande du ministre de l’économie et de la commission des affaires économiques du Sénat, un avis sur les risques engendrés pour la concurrence par les accords de coopération à l’achat entre enseignes de la grande distribution. Dans son avis, l’Autorité recommandait d’instaurer une obligation légale d’information préalable de tout nouvel accord de rapprochement. Cette obligation a été introduite dans la loi d’août 2015. L’Autorité proposait également une modification législative pour appréhender ces accords sous l’angle de la notion d’abus de dépendance économique en assouplissant la définition de ce délit, tout en se montrant prudente, à juste titre, sur cette proposition.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui reprend cette deuxième proposition de l’Autorité, qui avait été examinée et écartée lors de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Le principal objectif de la proposition de loi est de protéger les fournisseurs de la grande distribution alimentaire dans un contexte où le rapport de forces entre fournisseurs et distributeurs est fortement déséquilibré. On ne peut que souscrire à un tel objectif. Pour autant, je suis très réservée sur cette proposition,…
… qui risque en pratique d’avoir des conséquences très négatives pour les petits fournisseurs.
Cette proposition est tout d’abord redondante, puisque nous disposons déjà d’un outil juridique pour encadrer ces pratiques.
Il s’agit de l’article L. 442-6 du code du commerce, qui permet déjà de sanctionner le déséquilibre significatif dans les relations commerciales, donc l’abus de puissance d’achat. Cet article sanctionne également la rupture brutale, ou la menace de rupture brutale des relations commerciales, l’un des critères d’appréciation du préjudice étant précisément la dépendance économique de la victime. Cette disposition a été renforcée dans la loi d’août 2015, qui a porté le montant maximal des amendes de 2 millions d’euros à 5 % du chiffre d’affaires mondial. Les outils juridiques existent donc, ils sont appliqués avec un succès indéniable et seront appliqués avec plus de rigueur encore à la suite de la campagne de contrôles de la DGCCRF pendant les négociations 2015-2016.
L’action du ministre de l’économie à l’égard des enseignes de la grande distribution a en effet permis récemment la condamnation de l’enseigne Leclerc à restituer plus de 61 millions d’euros à 46 de ses fournisseurs à la suite de pratiques jugées déséquilibrées à leur encontre. Quant à l’enseigne Carrefour, elle a été condamnée à restituer 17 millions d’euros à 16 fournisseurs. Cette répétition ou remboursement des sommes indûment touchées est d’ailleurs une spécificité de l’article L. 442-6 du code du commerce et du pouvoir du ministre de l’économie devant les juridictions, qui renforce l’efficacité et le caractère dissuasif du dispositif. Ainsi que l’avait déjà reconnu l’Autorité de la concurrence, l’action du ministre de l’économie au titre de cet article est un outil efficace au service des fournisseurs, notamment dans le secteur de la grande distribution.
La mesure proposée risque ensuite d’avoir des conséquences néfastes pour les PME et les petits fournisseurs. Les entreprises qui réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaires avec un distributeur se trouveront, selon la définition de la proposition de loi, en situation de dépendance économique. Une telle disposition incitera les distributeurs à refuser de nouer ou de poursuivre des relations commerciales avec ces PME pour écarter tout risque de poursuite et de sanction par l’Autorité de la concurrence au titre de l’abus de dépendance économique. En pratique, les distributeurs pourraient donc être conduits à éviter de développer leurs relations avec un fournisseur avec lequel ils ont déjà une forte activité et dont ils représentent une part importante des débouchés, de peur de le placer dans la nouvelle définition de la dépendance économique, qui exposerait le distributeur à un contentieux potentiel auprès de l’Autorité de la concurrence. Ce sont surtout les PME qui subiront les conséquences de ce nouvel environnement juridique.
La proposition de loi introduit également un critère selon lequel le fournisseur est en état de dépendance s’il ne dispose pas d’une solution de remplacement susceptible d’être mise en oeuvre dans un délai raisonnable. Le distributeur devra donc s’assurer que le fournisseur met bien tout en oeuvre pour trouver une solution de remplacement, ce qui constitue une ingérence dans l’activité du fournisseur. Ce nouveau cadre juridique risque de favoriser les relations contractuelles entre des grands groupes, donc de ne pas répondre à l’objectif initial poursuivi. Il se révèle être ainsi une fausse bonne idée. Prenons garde, en essayant de régler un problème lié principalement au secteur agro-alimentaire, de ne pas créer des effets de bord qui toucheront les PME non seulement de l’agro-alimentaire, mais de tous les autres secteurs de notre économie, ainsi que les sous-traitants, pour lesquels n’avoir qu’un ou deux clients est une situation courante.
Les principales fédérations de fournisseurs, notamment celles qui représentent des PME, ne sont pas favorables à cette proposition de loi, ce qui doit nous inciter à réfléchir. Nous avons dans notre droit un dispositif qui fonctionne, qui est plus facile à mettre en oeuvre et qui permet d’obtenir le remboursement des fournisseurs, ce que ne permet pas la sanction de l’abus de dépendance économique.
Plus que sur une modification du cadre juridique, c’est aujourd’hui sur une répartition équitable de la valeur que nous devons tous travailler avec les acteurs des filières. Nouer des relations commerciales plus respectueuses du développement des PME et de l’investissement qui ne soient pas uniquement fondées sur le prix est notre priorité commune.
Comme je vous l’ai exposé, le dispositif répressif actuel est à la fois efficace et dissuasif, et sa mise en oeuvre est une priorité fixée par le ministère de l’économie à la DGCCRF. La nouvelle définition de l’abus de dépendance économique qui est proposée, outre qu’elle s’appliquerait à toute notre économie, risquerait d’avoir un effet d’éviction pour les PME vis-à-vis des grands acheteurs ou donneurs d’ordre.
C’est pour ces raisons, mesdames, messieurs les députés, que j’émettrai un avis défavorable sur ce texte.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd’hui un texte qui s’attache à rendre plus effectif le dispositif de lutte contre les abus de dépendance économique.
Le sujet de la régulation et du rééquilibrage des négociations commerciales n’est pas nouveau dans cet hémicycle, cela a été rappelé. Il a déjà fait l’objet de discussions au cours des législatures précédentes et actuelle. Dans le contexte de rapprochement des centrales d’achat dans la grande distribution et de crise agricole, il est nécessaire de retrouver un meilleur équilibre des forces entre l’ensemble des acteurs des négociations commerciales, tant dans le secteur agricole que dans le secteur industriel. Cette guerre commerciale a également des conséquences importantes sur la disparition des commerces de proximité dans les centres-villes. Nous aurons l’occasion d’en discuter le 16 mai prochain en commission des affaires économiques lors d’une table ronde organisée sur le sujet.
Des mesures ont déjà été prises au cours de l’actuelle législature afin de lutter contre les excès des négociations commerciales. Le montant des sanctions pour pratiques commerciales trompeuses ou agressives peut désormais atteindre 10 % du chiffre d’affaires annuel depuis la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. Le montant des sanctions pour pratiques commerciales restrictives de concurrence a également été relevé dans le cadre de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques : il peut désormais atteindre 5 % du chiffre d’affaires. Grâce à l’adoption d’un amendement devenu l’article 37 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, défendu par mon prédécesseur, François Brottes, il existe désormais, dans le code du commerce, une obligation d’information préalable de l’autorité de régulation en cas de rapprochement à l’achat entre distributeurs.
Les contrôles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes contre les pratiques commerciales abusives ont été renforcés : le nombre de contrôles s’est accru de 70 % par rapport à l’année passée. Ces contrôles ont mené à une perquisition chez une grande enseigne de la distribution en pleine période de négociations commerciales.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui s’inscrit dans cette dynamique de régulation des échanges. Elle s’inspire d’une proposition de l’Autorité de la concurrence dans son avis du 31 mars 2015. Elle réforme l’article L. 420-2 du code du commerce en assouplissant les critères de qualification de l’abus de dépendance économique, notion juridique ancienne quasiment tombée en désuétude aujourd’hui. Son adoption rendrait ainsi effective une sanction qui pourrait déjà en théorie être prononcée dans le cadre d’une procédure introduite devant l’autorité de la concurrence, mais dont la mise en oeuvre est jugée trop complexe. L’autorité administrative indépendante aurait ainsi la possibilité de lutter de manière plus efficace contre les nombreuses pratiques abusives qui ont cours actuellement, telles que les menaces de déréférencement, les demandes de compensation de perte de marge émises avant même la discussion des conditions de vente de l’année à venir, ou encore la facturation de prestation de promotion des produits.
Aussi la mesure fait-elle consensus au sein de notre groupe. Redéfinir l’abus de dépendance économique est une des préoccupations des parlementaires de la commission des affaires économiques ayant travaillé sur le sujet. C’est la proposition no 22 du rapport d’information de Mme Le Loch et de M. Benoit sur l’avenir des filières d’élevage, sur lequel M. Abad a également travaillé, et qui a été déposé par la commission des affaires économiques il y a moins d’un mois, le 30 mars 2016.
Déjà, en octobre 2015, dans leur rapport sur l’application de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, Mme Le Loch et M. Philippe Armand Martin insistaient sur l’indispensable pacification des relations commerciales, qui a fait l’objet d’un travail consensuel au sein de notre commission. Certes, le texte a suscité des inquiétudes depuis quelques jours et encore ce matin, un peu tardivement, il faut bien l’admettre. Je ne doute pas que le travail que mèneront M. le rapporteur Abad et M. Accoyer, premier signataire de la proposition de loi, dans le cadre de la navette parlementaire sera à même de les lever voire d’apporter des solutions.
J’ai dit ce matin à M. Abad, lors de notre réunion tenue en application de l’article 88 du règlement, que je lui fais pleinement confiance pour échanger avec l’ensemble des professionnels afin de lever leurs inquiétudes. Je ne doute pas que le Gouvernement sera également à leur écoute et à leurs côtés pour mener ce travail indispensable. Nous travaillons dans un esprit de responsabilité et de consensus. Notre rôle ne consiste pas à mettre en difficulté les TPE et les PME. Sur ce point, je sais que nous partageons tous les mêmes préoccupations.
En outre, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, également appelé « Sapin 2 », nous donnera l’occasion d’approfondir le sujet, notamment en matière de relations entre producteurs et distributeurs.
La commission des affaires économiques s’est saisie pour avis sur le texte. Nous serons donc amenés à retravailler ce sujet. Le texte dont nous discutons aujourd’hui constitue une étape supplémentaire. La franchir est cohérent avec nos travaux passés et à venir. Je ne doute pas que ce même esprit de cohérence et de responsabilité nous permettre de parvenir à terme à un dispositif qui lèvera toutes les inquiétudes des acteurs économiques.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les équilibres au sein du secteur de la distribution ont été profondément bouleversés au cours des dernières années. Nous ne sommes plus à l’époque où 120 enseignes se partageaient le marché français et contribuaient à faire baisser les prix par une saine concurrence. Aujourd’hui, seules neuf enseignes subsistent. Qui plus est, les alliances qu’elles ont nouées entre elles ont réduit le nombre de centrales d’achat à quatre, qui contrôlent 90 % du marché. Une telle concentration a des conséquences considérables. Ces mastodontes économiques se livrent une guerre des prix sans merci. Prêts à tout pour proposer quelques centimes de réduction aux consommateurs, ils entretiennent une pression énorme sur les producteurs.
Les négociations commerciales pour 2016 en ont apporté une nouvelle preuve, comme l’ont souligné les auditions conduites par notre excellent rapporteur Damien Abad, dont je salue le remarquable travail. Malgré les engagements pris par les distributeurs, ces négociations se sont déroulées dans des conditions exécrables caractérisées par une brutalité et une violence sans précédent. Rien n’est fait pour permettre aux producteurs, en particulier les PME et les TPE, de négocier dans les conditions de sérénité et de respect qu’ils méritent.
Déréférencements en cours de négociation pour obliger les fournisseurs à accepter les offres initiales transmises, explosion des demandes de financement des opérations promotionnelles par les fournisseurs eux-mêmes, impossibilité pour ces derniers d’augmenter leurs tarifs quel que soit le contexte et les réalités économiques auxquels ils sont eux-mêmes confrontés, demandes d’avantages sans contreparties, multiplication des pénalités pour retard logistique sont autant de pratiques généralisées qui finissent par écarter du jour au lendemain de nombreuses PME de l’accès aux linéaires de la grande distribution, ce qui est contraire aux engagements pris par les enseignes.
Face à l’enjeu primordial de la sauvegarde de notre appareil de production et de notre tissu économique local menacés par ces comportements à courte vue, le législateur semble impuissant. Les réformes se sont pourtant succédé, mais sans succès. Rappelons la loi Dutreil en faveur des petites et moyennes entreprises en 2005, la loi Chatel pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et la loi de modernisation économique en 2008. Plus récemment, la loi consommation du 17 mars 2014 et la loi Macron promulguée l’année dernière n’ont pas eu plus d’efficacité pour apaiser les tensions et rééquilibrer les rapports entre les grands distributeurs et des fournisseurs contraints de baisser toujours davantage leurs tarifs, cette année encore de 2 %, au détriment de la pérennité de leurs entreprises et de l’emploi.
L’objectif de cette proposition de loi est de contribuer à rééquilibrer les rapports entre distributeurs et fournisseurs en améliorant la définition de l’abus de dépendance économique, dispositif créé en 1986 et figurant à l’article L. 420-2 du code du commerce. Auditionné le 8 avril 2015 par la commission des affaires économiques du Sénat, le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, a admis que « la notion d’abus de dépendance économique est peu utilisée car ses conditions de reconnaissance sont trop contraignantes ». Ainsi, en l’état actuel du droit, des entrepreneurs écoulant jusqu’à 50 % de leur production dans une même enseigne peuvent ne pas être reconnus par le juge en situation de dépendance économique.
Aussi l’Autorité de la concurrence préconise-t-elle d’assouplir la caractérisation de l’abus de dépendance économique pour donner une réelle efficacité aux dispositions du code du commerce le sanctionnant. Cette recommandation a été reprise par le Sénat lors de l’examen de la loi sur la croissance mais n’a pas été retenue par notre assemblée. C’est la raison pour laquelle plusieurs de mes collègues et moi-même avons pris l’initiative de cette proposition de loi à la lumière des conditions désastreuses dans lesquelles se sont déroulées les négociations commerciales en 2016. Cette initiative converge également avec ce que préconise le rapport d’information particulièrement fouillé rédigé par nos excellents collègues Annick Le Loch et Thierry Benoît au nom de la commission des affaires économiques sur l’avenir des filières d’élevage.
La proposition de loi vise à donner leur pleine effectivité aux dispositions sanctionnant l’abus de dépendance économique afin d’améliorer la protection des fournisseurs. Ces abus de dépendance économique consistent notamment en refus de vente, ventes liées, pratiques discriminatoires ou accords de gamme. La proposition de loi n’a pas pour objet d’interdire ou de sanctionner la situation de dépendance économique, qui est très courante et dans laquelle se trouvent de fait de nombreuses PME réalisant la majeure partie de leur chiffre d’affaires avec un ou deux distributeurs. Ceux que nous voulons sanctionner, ce sont les grands distributeurs qui en font une exploitation abusive, au sens de loi.
Dans la plupart de ces situations d’ailleurs, PME et distributeurs, sur le terrain, parviennent à des accords équilibrés permettant de promouvoir une offre diversifiée et de qualité. Loin d’inciter les distributeurs à déréférencer les PME pour limiter le risque d’abus de dépendance économique, comme certains représentants de la grande distribution en ont publiquement agité la menace dans le droit fil des méthodes et pratiques abusives déjà en vigueur, cette proposition de loi vise au contraire à envoyer un signal aux grands distributeurs pour qu’ils limitent eux-mêmes la pression qu’ils exercent sur les fournisseurs.
J’approuve pleinement la présidente de la commission Frédérique Massat dont les propos ont visé à écarter les craintes récemment formulées à l’initiative de la grande distribution, il faut bien le dire, qui a une nouvelle fois suggéré avec insistance à un certain nombre de ses fournisseurs modestes, en leur mettant le couteau sous la gorge, de venir nous solliciter. Tout cela sera certainement éclairci, approfondi et résolu par le travail qui sera mené dans le cadre de la navette parlementaire, dans la continuité de ce qui a déjà été réalisé par notre commission des affaires économiques. Vous le voyez, mes chers collègues, il n’y a là aucune complexité, bien au contraire. Je salue le vote unanime de la commission des affaires économiques en faveur de cette proposition de loi, qui montre que nous sommes capables de surmonter les clivages politiques lorsque l’intérêt général est en jeu.
Bien sûr, cette mesure ne prétend pas être suffisante à elle seule pour protéger et même développer la production et l’emploi en France après tant d’années de destruction. La situation exige une réflexion de fond sur la répartition des charges entre production et distribution. En effet, la production exige une main-d’oeuvre compétente et nombreuse alors que la distribution compte proportionnellement dans son chiffre d’affaires et ses profits beaucoup moins d’emplois et souvent de moindre qualification. Ainsi, la production supporte la plus grande part des charges salariales, sociales, fiscales et administratives. Cette répartition inéquitable est l’un des facteurs de la destruction de filières agricoles et industrielles en France.
Pourtant, c’est bien la grande distribution qui exerce une pression sur les prix à la production, menaçant la survie même d’entreprises et d’emplois sans que sa propre marge en soit affectée. Des centaines de milliers d’emplois sont en jeu. Nous ne pouvons pas continuer à légiférer sans mettre en oeuvre une refonte de notre système de prélèvements sociaux afin de mettre les producteurs à armes égales avec les distributeurs. Il faut mettre un terme au consumérisme frénétique promu par la grande distribution !
Nos producteurs méritent d’être payés à la hauteur du service qu’ils rendent à notre pays et à tous les Français. Dans un contexte où le chômage n’a jamais été aussi haut, les initiatives du Gouvernement consistant à lever un certain nombre de tabous s’inscrivent dans la ligne de cette proposition de loi et je les salue. La commission des affaires économiques a considéré que les maux économiques et sociaux de notre pays méritent une initiative courageuse. Je vous appelle, mes chers collègues, à transformer l’essai afin que soient enfin sanctionnés ceux qui abusent de leur pouvoir de vie ou de mort sur les entreprises et sur les emplois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur – cher Damien –, mes chers collègues, je commencerai par regretter que nous soyons si peu nombreux pour débattre d’un sujet si important. Lorsque nous avons discuté de la Russie il y a quelques minutes, plus de cent parlementaires étaient présents. On ne peut que s’en féliciter mais il me semble que le sujet que nous abordons maintenant est également très important et je ne peux que regretter que nos collègues ne soient pas restés dans l’hémicycle.
Cette proposition de loi est enfin l’occasion d’ouvrir un débat que le groupe UDI considère comme primordial pour l’équilibre des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Je tiens à saluer la qualité du travail de M. le rapporteur qui s’inscrit dans l’esprit des travaux menés par la mission d’information sur l’avenir de l’élevage français. En effet, l’excellent rapport de nos collègues Thierry Benoît et Annick Le Loch, présenté il y a quelques semaines en commission des affaires économiques, préconisait lui aussi de redéfinir l’abus de dépendance économique compte tenu du contexte de crise agricole sans précédent. Cette crise, qui s’est abattue sur notre agriculture avec une violence absolument déroutante, trouve en partie son origine dans les relations déséquilibrées liant les acteurs de la chaîne de valeur. Depuis la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, que je n’ai pas votée, le prix des produits semble être devenu la seule variable d’ajustement des négociations commerciales.
Cette loi a – me semble-t-il – donné une liberté particulièrement importante aux distributeurs, en libéralisant les relations commerciales ; une liberté partiellement acceptée par les fournisseurs, en échange, notamment, d’une réduction – très attendue – des délais de paiement.
La loi de modernisation de l’économie a finalement eu pour effet de concentrer le secteur de la distribution, en augmentant le pouvoir de négociation des distributeurs dans les relations commerciales, au détriment de nombreuses entreprises – notamment agroalimentaires – et de nombreux exploitants agricoles. Ces derniers sont – me semble-t-il – les premiers concernés, car ce sont eux qui produisent. Est-il nécessaire de rappeler que les agriculteurs ne participent toujours pas aux négociations commerciales annuelles, alors même qu’ils subissent les conséquences de la forte volatilité de leurs coûts et du prix de leurs productions ?
Le climat – déjà particulièrement délétère – des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs a donc été exacerbé par une situation de concentration devenue insoutenable. Dans les années 1970, la France comptait 120 enseignes de grande distribution : elle n’en compte désormais plus que neuf. Je me permets d’insister sur ces chiffres car je regrette que les Français ne les connaissent pas mieux – et ce n’est pas Mme la secrétaire d’État qui dira le contraire !
Pire, actuellement, seules quatre centrales d’achat s’adjugent 90 % du marché de l’approvisionnement de la grande distribution.
Je l’ai dit tout à l’heure !
Les Français doivent en être conscients. Cette situation plutôt alarmante est néanmoins similaire dans d’autres pays européens, à l’image du Royaume-Uni où les « big four » monopolisent 72 % du marché, et de l’Allemagne où cinq grandes entreprises contrôlent 90 % du marché.
Dans une note publiée en avril 2015, l’Autorité de la concurrence avait rappelé que les récents accords de coopération avaient renforcé la puissance d’achat de l’ensemble des distributeurs. Elle avait également pointé du doigt des pratiques qui méritaient d’être davantage encadrées, à l’instar de l’abus de dépendance économique. En dernière analyse, ces pratiques révèlent que ce secteur est très fortement concentré, et que la guerre des prix y est de plus en plus féroce.
L’Association nationale des industries alimentaires et le médiateur des relations commerciales agricoles se sont récemment inquiétés de la généralisation de pratiques dites de garantie de marge. Un distributeur peut ainsi demander à ses fournisseurs de compenser la perte de marge résultant de la baisse de son prix de vente aux consommateurs – une baisse décidée pour riposter contre une offre plus compétitive d’un concurrent. Comment un fournisseur pourrait-il refuser de telles pratiques lorsqu’il se trouve en situation de dépendance économique à l’égard du distributeur ?
Compte tenu de ce constat, il était urgent de proposer une définition plus précise de cet abus, pour éviter des pratiques absolument inacceptables. Cette proposition de loi constitue un premier pas dans ce sens, mais nous devrons encore approfondir la réflexion en réunissant tous les acteurs autour d’une même table, pour fixer un cap plus ambitieux afin d’enrayer l’appauvrissement des différents maillons de la chaîne.
En son état actuel, le code de commerce définit l’abus de position dominante et l’abus de dépendance économique. L’article L. 420-2 de ce code interdit ainsi l’exploitation abusive par une entreprise de l’état de dépendance économique dès lors « qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence ». De tels abus peuvent notamment consister en un refus de vente ou des pratiques discriminatoires.
L’abus de dépendance économique existe donc dans notre code de commerce, mais il est particulièrement mal défini ; cela laisse place à des interprétations souvent hasardeuses. Ainsi, l’Autorité de la concurrence rappelait récemment qu’il est souvent difficile de détecter une situation de dépendance économique. D’après son président, Bruno Lasserre, mêmes les producteurs qui écoulent 50 % de leur production dans une seule enseigne peuvent ne pas être reconnus en état de dépendance économique. Autant dire qu’il est plutôt difficile de trouver des critères clairs pour définir cet état, et donc pour qualifier les abus qui en découlent.
Lors de l’examen de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », cette question avait fait l’objet de nombreux débats. Au bout du compte, ce sujet avait été laissé en suspens : aucune mesure n’avait été adoptée, alors même que la crise agricole s’amplifiait de jour en jour. Pire, sur le site internet du ministère de l’économie, on peut lire que les conditions sont rarement remplies pour définir un état de dépendance ou une atteinte au marché. Cette proposition de loi va donc dans le bon sens, car elle permettra de sanctionner plus facilement certaines entreprises qui n’hésitent pas à profiter de cette situation.
Elle caractérise la situation de dépendance économique par deux conditions cumulatives. Pour caractériser cette situation, il faut, d’une part, que « la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur risque de compromettre le maintien de son activité », et d’autre part, que « le fournisseur ne dispose d’aucune solution de remplacement ». Monsieur le rapporteur, peut-être aurions-nous pu aller plus loin en instaurant un « taux de menace » qui aurait permis de détecter, quantitativement, une situation de dépendance économique ?
Vous avez également proposé une présomption de dépendance lorsque la part du chiffre d’affaires du fournisseur réalisée auprès d’un distributeur est d’au moins 22 %. Cette piste mérite d’être explorée au cours de la navette parlementaire. La proposition de loi précise également que l’exploitation d’un état de dépendance économique peut affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence aussi bien à court terme qu’à moyen terme ; cette temporalité est absolument primordiale. J’espère, monsieur le rapporteur, que cette nouvelle définition permettra à l’Autorité de la concurrence d’infliger davantage de sanctions aux auteurs des pratiques incriminées.
Certaines voix se sont élevées pour dénoncer cette proposition de loi, au prétexte qu’elle serait une « fausse bonne idée ». À les écouter, ce texte aurait un effet pervers : les distributeurs seraient poussés à limiter volontairement le développement de leurs relations avec les fournisseurs de manière à ne pas les placer dans une situation de dépendance économique. De la même façon, un distributeur pourrait se retrouver dans l’obligation de maintenir des relations commerciales avec un fournisseur en situation de dépendance économique, dans le cas où ce dernier ne trouverait pas – ou ne voudrait pas trouver – de solutions de remplacement.
Il me semble que ces cas seront tout à fait exceptionnels. Ces hypothèses reposent sur un postulat de suspicion qui ne me semble pas opportun. Les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants n’en resteront pas moins vigilants quant à l’application de cette nouvelle définition.
Madame la secrétaire d’État, outre la nécessité de redéfinir l’abus de dépendance économique, il me semble urgent de redonner de véritables moyens au contrôle des pratiques anticoncurrentielles et abusives. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ne dispose pas, aujourd’hui, des outils suffisants pour faire appliquer les dispositifs existants.
Par ailleurs, il me paraît important que l’Union européenne s’empare plus clairement de ces sujets, et arrête de pratiquer une politique de la concurrence à géométrie variable. L’abus de dépendance économique n’est pas défini en droit communautaire, contrairement à l’abus de position dominante ; il faut donc plus d’encadrement à l’échelle européenne.
Monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, il y a urgence à agir. Vous l’aurez compris : les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants soutiendront cette excellente proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, depuis plus d’un siècle, et dans le monde entier, les pratiques commerciales ont été analysées par la théorie économique et la loi. La première a identifié et la seconde a réprimé les pratiques monopolistiques et oligopolistiques tendant à faire monter les prix.
Symétriquement, la théorie économique a depuis longtemps repéré la situation de marché dans laquelle un faible nombre de demandeurs domine un grand nombre d’offreurs. Le mot qui désigne cette situation est plus rare : c’est l’oligopsone. Il y a parfois même un unique acheteur pour toute l’offre : on parle alors de monopsone.
Dans cette situation, la rémunération du producteur tend à baisser et la marge de l’acheteur à s’accroître. Cela bénéficie aussi, en partie, à l’acheteur final, c’est-à-dire le consommateur : vous et moi. Dans cette situation complexe, il ne faut pas condamner tel ou tel acteur, comme la grande distribution – grâce à laquelle, tout de même, le pouvoir d’achat des Français s’est considérablement amélioré en quelques décennies – ; il s’agit plutôt de fixer des règles contre les abus.
Il y a parfois, sur certains marchés, à la fois une situation d’oligopole et d’oligopsone : demandeurs et offreurs se livrent alors à un véritable bras de fer, avec ses hauts et ses bas. Je citais l’autre jour le marché de la sidérurgie : dans le monde entier, un faible nombre de grands sidérurgistes – d’ailleurs coordonnés – achètent des minerais à un nombre encore plus faible d’entreprises minières. L’amortissement de l’activité des premiers comme des seconds se mesure en dizaine d’années, alors qu’il n’est pas possible de prévoir l’évolution du marché à plus de six mois.
J’ai personnellement connu une situation d’oligopsone. Je me trouvais du bon côté, mais dans des conditions difficiles. J’assumais une position stratégique dans une grande entreprise du secteur de l’électricité, qui connaissait des difficultés considérables. Un plan de réduction des effectifs, touchant plusieurs milliers de salariés, avait même été nécessaire.
Nous avions l’habitude de payer nos câbles électriques à 90 jours fin de mois – ce qui doit être prohibé aujourd’hui, mais il y a prescription.
Vous avez raison : aujourd’hui ce n’est plus possible !
À l’époque, c’était légal. Un très grand producteur italien nous a tout à coup demandé de le payer comptant. Le lendemain, nous l’avons menacé de ne plus rien lui acheter. Ce producteur s’est alors avisé que son chiffre d’affaires en France chuterait de 30 % dans ce cas. Le surlendemain, il acceptait de nouveau que nous le payions à 90 jours fin de mois, sachant qu’il ne pourrait trouver d’autre acheteur pour écouler une part équivalente de sa production. J’ai donc observé de près ce type de phénomène, dans des conditions difficiles.
J’ai également observé à quel point les relations des donneurs d’ordres avec leurs sous-traitants sont complexes. C’est un monde très dur, il faut le savoir ! Ces relations peuvent malheureusement se résumer par la formule suivante : étrangler sans tuer ! Le donneur d’ordres étrangle ses sous-traitants, mais contrairement à une idée reçue, il ne veut pas les tuer, car il n’aurait plus le bénéfice d’un prix avantageux. Pour reprendre la formule d’un humoriste, en la transposant dans un domaine beaucoup moins drôle, les donneurs d’ordre savent jusqu’où aller trop loin.
La France est un pays pionnier dans la révolution du commerce. Notre savoir-faire en la matière s’est répandu dans le monde entier. Aujourd’hui, des centaines de milliers de producteurs agricoles dépendent de quelques milliers d’entreprises agroalimentaires et plus encore d’une dizaine d’enseignes de grande distribution, lesquelles sont regroupées en quatre centrales d’achat – le président Accoyer a décrit cette situation de façon quasi médicale.
Sourires.
Plus encore : sa description était parfaitement exacte, ce qui n’est pas toujours le cas de la médecine. La médecine est fondée sur le principe primum non nocere, d’abord ne pas nuire ; les législateurs feraient bien de s’en inspirer.
Cette proposition de loi est remarquable ; elle est le fruit d’un travail approfondi.
C’est vrai, il faut saluer M. le rapporteur pour cela ; vous ne faites qu’anticiper les compliments que je m’apprêtais à lui adresser.
Cette proposition de loi ne crée pas le concept d’abus de dépendance, mais elle le précise, elle le caractérise en termes simples et bien pesés. Cela ne permettra pas, évidemment, de régler tous les problèmes – il faudrait être immensément naïf pour penser qu’une loi y suffirait. Après trois mandats de député, j’ai une certaine expérience de la législation ; je commence à voir non pas à quoi cela sert, mais à quoi cela ne sert pas.
Sourires.
Dans le cas d’espèce, je crois que la législation est utile. Caractériser mieux l’abus de dépendance, en des termes intelligemment et mûrement réfléchis, fera avancer les choses, étant entendu que cela ne suffira pas.
Les rapports entre le monde de la production agricole, l’industrie agroalimentaire et le monde de la distribution, font l’objet de l’activité diurne du ministre de l’agriculture, et de ses cauchemars nocturnes !
Les préfets sont souvent sollicités, en particulier ceux de Bretagne. Je connais bien un ancien préfet de Bretagne, récemment promu, M. Patrick Strzoda. Il maîtrisait parfaitement cette question et mesurait tout l’enjeu des discussions entre les uns et les autres. Il a d’ailleurs eu beaucoup de mérite en la matière. Son successeur, M. Christophe Mirmand, que je connais bien aussi, s’attend à mener le même type de combat.
Mais tirer prétexte aujourd’hui de ce que cette proposition de loi ne réglera pas tout, pour refuser de progresser en clarifiant le droit et en caractérisant mieux le concept, serait une grave erreur, et une occasion manquée.
Parce que le droit est aujourd’hui trop flou, le rapport est incontestablement très déséquilibré entre la grande distribution et l’agriculture, mais cela ne signifie pas qu’il faille condamner la grande distribution, grâce à laquelle nous avons pu progresser.
Notre groupe, dès le début, a approuvé sans détour cette proposition, en particulier par la voix de ma collègue et amie Jeanine Dubié. Il est donc évident que nous la voterons.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, la proposition de loi que nous étudions ce matin concerne un sujet sensible et d’actualité : l’abus de dépendance économique.
Dépendre économiquement d’un distributeur signifie dépendre de son existence pour commercialiser un produit. Cette situation est très fréquente et caractérise notamment toutes les relations de sous-traitance.
Il y a abus de dépendance lorsque le distributeur joue de la suprématie de sa capacité de vente pour exiger du fournisseur des conditions déraisonnables de prix ou de livraison, voire de gestion des invendus, auxquelles le fournisseur doit se soumettre s’il ne veut pas prendre le risque d’une cessation d’activité.
Attention : c’est l’abus qui doit être puni et non le fait de se retrouver dans une situation de dépendance économique.
L’abus de dépendance économique est l’un des concepts fondamentaux du droit de la concurrence, parallèlement à l’abus de position dominante et aux ententes commerciales. Pourtant, jusqu’à ce jour, ses victimes l’ont peu dénoncé alors qu’il est fréquent. En effet, le reconnaître, c’est simplement reconnaître une faiblesse !
Cependant, ces situations abusives peuvent avoir de graves conséquences au niveau des entreprises de production ou de transformation, faisant des salariés et des employés, sommés d’être compétitifs, les premières victimes.
Quant à l’environnement immédiat de l’entreprise, il peut se retrouver tout simplement négligé, faute d’être compétitif. De nombreuses réglementations sociales et environnementales ne sont pas respectées pour tenir des délais, ajuster des coûts de revient mal appréciés à la signature du contrat, ou tout simplement obtenir le référencement chez un distributeur !
L’abus de dépendance économique est mal connu, et le juge l’invoque rarement, car ses critères de définition ne sont pas opérationnels.
La proposition de loi du groupe Les Républicains, présentée par son auteur M. Accoyer et son rapporteur, M. Abad, tend à revoir les critères de définition de la dépendance économique et, par conséquent, de l’appréciation de l’abus. L’invitation est séduisante.
Si la pratique de l’abus de dépendance économique figure dans la loi depuis maintenant trente ans, la notion de dépendance économique n’est pas définie. Seuls quatre exemples d’abus sont mentionnés à l’article L. 420-2 du code de commerce : le refus de vente, les ventes liées, les pratiques discriminatoires visées au I de l’article L. 442-6 de ce même code et les accords de gamme.
Par ailleurs, cette proposition fait suite à une préconisation de l’Autorité de la concurrence. Elle avait été reprise par le Sénat en 2015, dans le cadre de la loi dite « Macron », mais écartée à l’Assemblée nationale, comme l’a rappelé Mme la secrétaire d’État.
Notons au passage que nos collègues Annick Le Loch et Thierry Benoit proposaient également d’améliorer la définition de l’abus de dépendance économique dans le rapport d’information qu’ils ont rendu sur la crise de l’élevage, et qui a été approuvé à l’unanimité par la commission des affaires économiques.
Les uns et les autres ont pour objectif de mettre fin à l’interminable guerre des prix que se livrent fournisseurs et distributeurs, aux pratiques commerciales abusives et au déséquilibre des relations commerciales.
Nous nous retrouvons en France dans une situation de quasi oligopole avec seulement quatre centrales d’achats sur le marché : Casino-lntermarché, Auchan-Système U, Carrefour – avec Dia – et Leclerc.
Nous pourrions légitimement penser que le renforcement des dispositifs de contrôle des abus en droit de la concurrence rééquilibrerait les relations commerciales dans le domaine de la distribution. En sera-t-il ainsi ? Tout dépendra de la jurisprudence et de l’usage que fera le juge de cet article, plus que de la rédaction que nous retiendrons.
Par ailleurs, même si cette proposition figure dans le rapport sur la crise de l’élevage, le dispositif ne concernera que très peu les agriculteurs.
En effet, tel qu’il est rédigé, l’abus de dépendance économique concerne la relation d’un fournisseur avec un distributeur. Or, dans l’immense majorité des cas, le fournisseur n’est pas directement l’agriculteur, mais un transformateur industriel ou un intermédiaire. Ainsi, dans le domaine du lait, le producteur vend la totalité de sa production à une laiterie, pas à un distributeur.
Pire, le système coopératif originel de ces laiteries s’est tellement concentré au nom de la compétitivité puis privatisé au nom de la rentabilité économique, que les industriels agroalimentaires du lait abusent eux-mêmes de cette situation au détriment des producteurs en grande dépendance !
Tous les secteurs de l’agriculture sont dans ce cas, car ces grands trusts financiers ont plus intérêt à rémunérer grassement les détenteurs de capitaux que les produits et le travail, bradés sur l’autel des profits !
Enfin, notre groupe, probablement comme les vôtres, a été sensibilisé aux potentielles conséquences de ce texte, qui pourrait se retourner contre les petites et moyennes entreprises. Une PME fabricant du miel en Dordogne, la fédération du commerce et de la distribution ou encore Coop de France m’ont écrit. Tous pointent le risque de voir la grande distribution préférer se tourner vers les grands groupes plutôt que de se retrouver dans une situation de position dominante avec une PME, qui lui imposerait des obligations.
En effet, si la grande distribution ne sera jamais dans une situation de position dominante par rapport à Nestlé, elle le sera vis-à-vis d’un producteur de confitures artisanales locales !
Nous avons été sensibles à leurs arguments, aussi mon groupe s’abstiendra-t-il, préférant attendre une refonte globale de la réglementation des pratiques restrictives de concurrence, une fois rendues les conclusions de la mission en cours sur les effets économiques de la LME, laquelle a largement libéralisé les pratiques de concurrence déloyale !
Partout en Europe, les producteurs, paysans et artisans sont menacés de disparition du fait de la dérégulation des productions dont se jouent industriels et distributeurs, main dans la main, plus préoccupés de leur cotation en bourse que de la durabilité de leurs systèmes ou des producteurs !
Ne soyons pas dupes,…
…la crise du lait et de l’élevage ne trouvera pas sa réponse avec cette proposition de loi !
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chers collègues, cette année encore, les négociations commerciales entre les grands distributeurs et leurs fournisseurs ont été très rudes, notamment dans le secteur de l’agroalimentaire. Il ne faut pas craindre de le dire.
Alors que nous souhaitons tous qu’elles se déroulent dans un climat partenarial plus équilibré, juste, apaisé et profitable à tous, force est de constater que cet impératif est resté un voeu pieux.
À la dégradation du climat entre fournisseurs et distributeurs en 2013, 2014 et 2015 a fait suite en 2016 une nouvelle exacerbation des tensions. Le rapprochement des centrales d’achat des principales enseignes a aggravé la guerre des prix et a encore renforcé leur poids dans les négociations.
Quatre centrales d’achat concentrent 90 % du marché de l’approvisionnement de la grande distribution, ce qui a aggravé les conflits, certains fournisseurs, petits ou grands, PME ou grands groupes, se plaignant d’avoir subi des déréférencements, des demandes déflationnistes importantes, des demandes de compensation de marges, autant de pratiques abusives illicites ou potentiellement anticoncurrentielles.
En 2016, ces difficultés se sont doublées d’une crise des filières de l’élevage, exposées à une chute dramatique de leur prix de production.
De fait, la guerre des prix contraint l’ensemble de la filière d’approvisionnement agroalimentaire à comprimer ses marges chaque fois plus sévèrement.
L’Observatoire des prix et des marges dresse également un dur constat dans son dernier rapport d’avril : jamais la déconnexion entre les coûts de production et les prix de vente n’a été aussi forte.
Outre que la guerre des prix expose ses acteurs à de graves difficultés économiques, elle compromet l’avenir en leur imposant de réduire leurs dépenses d’investissement et d’innovation, au risque d’altérer la qualité et la diversité des produits, qui font notre spécificité.
Une vraie question politique se pose : comment pouvons-nous accepter la libéralisation, la liberté des prix agricoles, une totale négociabilité des prix comme l’a prévu la LME et, dans le même temps, une cartellisation de la distribution ? L’économie de marché peut-elle fonctionner correctement aujourd’hui ? C’est une question, madame la secrétaire d’État.
La LME, qui visait à rendre du pouvoir d’achat aux consommateurs, a failli à sa mission. Le gain pour le consommateur est marginal. En revanche, en instaurant la libre négociabilité des prix et en libérant l’urbanisme commercial jusqu’à 1 000 mètres carrés, au lieu des 300 précédemment, elle a renforcé les acteurs existants de la grande distribution. Leurs marges n’ont été rétablies et confortées qu’aux dépens de celles des industriels de la filière agroalimentaire, notamment. Les commerces de proximité ont disparu, et les centres-villes, que vous appelez, madame la secrétaire d’État, à redynamiser, s’en sont trouvés déstructurés.
Nous le constatons chaque jour, sans pouvoir nous y résoudre.
Pourtant, depuis 2012, nous n’avons pas manqué d’agir pour faire face au danger que représente le déséquilibre des relations commerciales pour notre tissu industriel agroalimentaire. Par la loi consommation, nous avons construit un cadre commun plus rigoureux, renforcé le formalisme des négociations, les moyens de contrôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et le niveau des sanctions. La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a porté le niveau des sanctions jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires des entreprises.
Nous pouvons également saluer l’action de l’administration qui a doublé le nombre de contrôles, y compris au cours des dernières négociations, allant jusqu’à perquisitionner une grande enseigne. Cependant, ni ces dispositions législatives, ni le recours accru et efficace à la médiation, ni la rédaction de chartes de bonnes pratiques, n’ont permis de mettre un terme à la guerre des prix suicidaire ou de rééquilibrer les relations commerciales.
Ne vaudrait-il pas mieux agir sur la structure même du marché ? L’Autorité de la concurrence n’aurait-elle pas dû porter un autre regard sur ces concentrations pour agir bien plus tôt ? Depuis la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de 2015, toute concentration est notifiée à l’Autorité. Mais le mal est déjà fait !
Le groupe socialiste, tout comme le rapporteur, pense que notre arsenal législatif en matière de droit de la concurrence, doit être renforcé. À la demande de la commission des affaires économiques du Sénat et du Gouvernement, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis le 31 mars 2015 sur les concentrations des centrales d’achat. Elle y fait état de la quasi-impossibilité de sanctionner l’abus de dépendance économique, infraction qui existe dans notre droit depuis 1986. Cette infraction vise à sanctionner l’exploitation abusive par une entreprise de la situation de dépendance économique d’un fournisseur. Pour être constaté, l’abus de dépendance économique doit également affecter sensiblement la structure ou le fonctionnement de la concurrence.
Or les conditions de sa caractérisation par la jurisprudence sont trop restrictives pour être effectivement constatées. Pour preuve, il n’y a eu pour l’instant qu’une dizaine de décisions du Conseil et de l’Autorité de la concurrence fondées sur cette disposition. Il en résulte un sentiment d’impunité des grands distributeurs, qui peuvent toujours agir comme bon leur semble.
Cette proposition de loi, conformément aux propositions de l’Autorité de la concurrence, vise ainsi à assouplir la définition de l’abus de dépendance économique.
Si elle est adoptée, premièrement, la dépendance économique devra cumuler deux critères au lieu de quatre actuellement pour être caractérisée : le risque de compromettre l’activité du client en cas de rupture des relations commerciales, ainsi que l’impossibilité de trouver une solution équivalente ou alternative dans un délai raisonnable.
Deuxièmement, le juge devra prendre en compte l’affectation sur la concurrence à court terme et moyen terme. Cette disposition vise à considérer les effets néfastes de ces pratiques anticoncurrentielles sur les capacités d’investissement et d’innovation des fournisseurs, donc des emplois productifs que j’évoquais tout à l’heure.
Initialement proposée par François Brottes, alors le président de la commission des affaires économiques, puis par les sénateurs, puis dans le rapport que nous avons consacré avec Thierry Benoit à l’avenir des filières d’élevage, cette proposition a fait son chemin. Je remercie le rapporteur de l’avoir soumise à notre commission, qui l’a adoptée à l’unanimité le mercredi 6 avril dernier.
Comme certains d’entre vous, je pense, j’ai rencontré des fédérations de PME inquiètes des conséquences que ces dispositions pourraient avoir sur leur activité. Je comprends ces craintes au vu de leur état de dépendance de fait, qui est réel. Certaines PME sont structurellement dépendantes. Mais ce n’est pas la dépendance économique en tant que telle qui est visée, me semble-t-il, mais bien l’abus de dépendance économique.
Si celle-ci est volontaire et partenariale, comme c’est souvent le cas, et ne donne pas lieu à des pratiques déloyales de concurrence, elle n’est pas une infraction. Ce qui est condamnable, c’est qu’une entreprise exploite abusivement cette dépendance grâce à sa puissance d’achat et modifie la concurrence de manière tangible.
Cette proposition de loi ne fait que renforcer le caractère prescriptif de ce qui devrait être déjà la règle de bonne conduite.
Et je trouve, madame la secrétaire d’État, que ces craintes en disent long sur la réalité du rapport de force.
En effet, ce sont les victimes potentielles de ces abus qui s’expriment en disant : « Attention, la situation risque d’être encore plus difficile pour nous » (Approbations et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), tandis que les auteurs potentiels des infractions ne se sont pas manifestés, si ce n’est, pour un d’entre eux, dans l’intention d’appeler aussi notre attention au sujet des PME. Voilà qui m’interpelle quant à l’impunité souvent évoquée des puissantes centrales d’achat de la grande distribution !
Avec cette proposition de loi, l’Autorité de la concurrence et les tribunaux seront désormais en mesure de déceler des pratiques anticoncurrentielles liées à l’abus de dépendance économique. De plus, conformément au voeu de plusieurs députés dans cet hémicycle, les sanctions seront plus dissuasives que celles que l’article L. 442-6 peut entraîner, puisqu’elles pourront atteindre jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise. Bien évidemment, ces sanctions seront proportionnées à la gravité des faits.
Cette proposition de loi n’est donc qu’un outil supplémentaire qui donne une meilleure définition d’une notion qui existait déjà dans notre droit.
Son propos est d’essayer de pacifier les relations commerciales et de remettre de la confiance là où celle-ci est écornée et où notre arsenal législatif est encore, semble-t-il, insuffisant.
D’aucuns disent qu’il nous faut entamer une refonte de notre cadre normatif des relations commerciales, peut-être, en effet, à la suite de la remise, à la fin de l’année, du rapport sur la LME. D’aucuns disent également qu’il nous faut donner davantage de pouvoir à l’Autorité de la concurrence, là où, peut-être, il ne s’agit que de modification des comportements, de nouvel état esprit, de loyauté des relations ou de bonnes pratiques. Aujourd’hui, cette proposition de loi adapte un outil juridique que soutient le groupe socialiste.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, grâce Bernard Accoyer, à Damien Abad et au groupe Les Républicains, nous avons aujourd’hui une occasion d’améliorer concrètement la situation des agriculteurs français alors que ceux-ci s’enfoncent dans une crise grave et dans un désespoir total.
J’ai eu l’occasion de le dénoncer à plusieurs reprises, ces derniers mois, dans cet hémicycle, cette crise est essentiellement due à la chute des prix : les grandes enseignes de distribution, en situation d’oligopole – rappelons que quatre grandes centrales d’achat représentent désormais 90 % du marché, ce qui est très inquiétant – prennent à la gorge leurs fournisseurs en leur imposant non seulement des prix mais aussi des conditions commerciales iniques, qui ne leur permettent ni de dégager une marge ni même, parfois, de rentrer dans leurs coûts de production. Face à ces quelques géants de la grande distribution, nos plus de 500 000 exploitants agricoles n’ont souvent d’autre choix que de vendre à perte, tant leur dépendance économique est totale – je pense notamment aux producteurs laitiers.
La situation n’a fait qu’empirer depuis que les principaux hypermarchés ont commencé, en 2013, à se livrer à une véritable guerre des prix. Les conditions de vente pour les fournisseurs n’ont depuis lors cessé de se durcir, si bien qu’aujourd’hui un point de non-retour a été atteint. Ces derniers mois, nous avons vu des agriculteurs désespérés bloquer des hypermarchés aux quatre coins de la France.
Qu’a fait le Gouvernement ? Jusqu’à maintenant, pas grand-chose.
Nous sommes entrés dans une logique perdant-perdant, dans une guerre sans vainqueur dont même le consommateur final ne tire aucun bénéfice.
Si le législateur a déjà cherché à agir pour lutter contre le déséquilibre des relations commerciales dans le domaine agricole et agroalimentaire – citons notamment la loi Dutreil de 2005, la loi Chatel de 2008, voire, dans une certaine mesure, la loi Macron –, ces dispositifs n’ont pas suffi à enrayer la guerre des prix et les abus de dépendance économique qu’elle entraîne.
Si l’abus d’une situation de dépendance économique est reconnu et sanctionné par le code de commerce, cette notion est aujourd’hui inefficace car trop difficile à caractériser. Ses contours législatifs sont trop flous, et l’interprétation jurisprudentielle qui en est faite est trop restrictive, du fait que le juge ne peut que trop rarement qualifier l’abus de dépendance économique.
Nous devons repenser cette notion au regard des pratiques abusives actuelles qui, bien qu’elles soient particulièrement développées dans le secteur agro-industriel, existent dans tous les secteurs économiques de notre pays et sont particulièrement néfastes aux petites structures, qui pourtant participent grandement à la vitalité d’une économie – j’en veux pour preuve l’exemple de notre voisin germanique, dont le dynamisme économique repose en grande partie sur l’incroyable développement de ses PME et TPE.
La nouvelle définition de l’abus de dépendance économique qui est proposée dans ce texte est pragmatique et intelligente. Façonnée par l’Autorité de la concurrence, elle vise à assouplir la qualification de la dépendance économique en remplaçant ses quatre critères cumulatifs complexes par deux critères simples : d’une part, que la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur risque de compromettre le maintien de son activité ; d’autre part, que le fournisseur ne dispose pas d’alternative susceptible d’être mise en oeuvre dans un délai raisonnable.
En élargissant à un horizon de moyen terme les effets de l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique, le dispositif permet de prendre en compte les effets restrictifs sur la concurrence des rapprochements des centrales d’achat, qui s’expriment davantage à moyen terme qu’à court terme.
La définition proposée de la dépendance économique est donc ouvertement protectrice des petites structures vulnérables, et cela est largement souhaitable. Il ne s’agit pas de se détourner des fondements de notre économie, mais de démontrer que ceux-ci sont tout à fait compatibles avec des mesures de régulation du marché lorsque des dérives de l’économie de marché sont constatées. Comme l’a dit Damien Abad, la dépendance économique en tant que telle n’est pas un mal, dès lors que chaque partie joue le jeu et respecte ses partenaires. Ce qui est mal, c’est qu’une des parties abuse de la situation. L’État doit intervenir pour mieux protéger les victimes.
Pour finir, je souhaite souligner que si le dispositif que nous nous apprêtons à voter, je l’espère, à l’unanimité est une solution concrète à la crise agricole qui ronge notre pays, qu’il ne doit pas être la seule. Pour sortir nos agriculteurs de l’impasse, nous devrons également encourager les circuits courts, renforcer la contractualisation et diminuer le nombre de normes. Cette nouvelle définition de l’abus de dépendance économique est un premier pas qui aidera non seulement les agriculteurs, mais aussi toutes PME qui sont soumises à des conditions inacceptables. Il est de notre responsabilité de permettre un rééquilibrage des relations commerciales, pour l’avenir de nos petites entreprises, indispensables à la reprise de la croissance économique.
Vous avez parlé, madame la secrétaire d’État, de « juste prix » en matière agricole – c’est difficile, et vous le savez – de « négociations difficiles » – nous vous rejoignons sur ce point – et de renforcement de la grande distribution. Vous nous avez renvoyés à la DGCCRF, dont nous connaissons l’action, et à l’article L. 442-6 du code de commerce. Je vous demande à présent de bien vouloir permettre l’adoption de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite associer à mon intervention mon collègue Hervé Pellois.
« Sujet tabou », « loi du silence », c’est en ces termes que le président de l’Association nationale des industries alimentaires parlait des négociations commerciales entre distributeurs et fournisseurs, en avril 2015. Le Conseil économique, social et environnemental, dans son rapport de 2016 sur les circuits de distribution, parle, lui, de « champ de bataille de la guerre des prix ».
C’est au nom de cette guerre des prix qu’une réduction continue des marges a été effectuée, réduction qui n’a pas eu d’impact direct sur les bénéfices des entreprises ou sur le ticket de caisse du consommateur.
En outre, cette guerre des prix intervient dans un contexte de concentration de notre système de distribution et des centrales d’achat. De cent vingt enseignes de grande distribution, nous sommes passés à neuf. D’une petite dizaine de centrales d’achat, nous sommes passés à quatre. À la fin 2014, ce sont ainsi trois regroupements de centrales d’achat qui ont été opérés en même temps : Auchan et Système U, Casino et Intermarché, et enfin Cora-Match et Carrefour. Comme l’a pertinemment relevé le Conseil économique, social et environnemental, « les négociations commerciales avec les marques nationales, dans le contexte de concentration des centrales d’achat, ne peuvent dans ces conditions que s’exacerber ».
Sans en remettre en cause la conformité juridique, l’Autorité de la concurrence a elle aussi réagi sur ce regroupement des centrales d’achat opéré au cours de l’année 2014, en attirant l’attention des distributeurs sur les limites à ne pas franchir pour respecter les règles de la concurrence. Surtout, elle a proposé qu’un assouplissement de l’infraction d’abus de dépendance économique soit opéré. C’est ce que recommande également le rapport sur la situation des filières d’élevage qu’Annick Le Loch et Thierry Benoit ont remis il y a quelques semaines à notre assemblée. Et c’est cette proposition que reprend, dans un article unique, le texte que nous examinons aujourd’hui.
La nécessité de rééquilibrer les relations commerciales entre distributeurs et producteurs trouve son origine dans la loi Galland de 1996. Cette loi a, certes, permis de clarifier la définition de la revente à perte et de renforcer les sanctions pesant sur les distributeurs, mais elle est aussi à l’origine d’un changement radical : désormais ce n’est plus le prix qui est au coeur des négociations, mais la coopération commerciale.
La loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001, prenant note de cette évolution et des pratiques abusives qui pouvaient en découler, a explicitement mentionné l’abus de dépendance économique et l’abus de puissance d’achat comme caractérisant des pratiques illicites.
Toutefois, cela s’est avéré insuffisant. Du fait de l’absence de définition précise de l’abus de dépendance économique, peu de professionnels ont pu recourir au dispositif. En établissant une définition précise, on rééquilibre ainsi en partie les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs. Désormais, la dépendance économique sera caractérisée dès lors que « la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur risquerait de compromettre l’activité » et dès lors que « le fournisseur ne dispose pas de solution de remplacement susceptible d’être mise en oeuvre dans un délai raisonnable ».
Ce rééquilibrage s’inscrit dans la droite ligne de la politique souhaitée par le Gouvernement depuis 2012, notamment de la loi Hamon sur la consommation, qui avait déjà permis d’améliorer en partie les relations commerciales.
L’Italie et l’Espagne avaient aussi adopté, la même année, des législations visant à empêcher les pratiques abusives dans le cadre des relations commerciales entre producteurs et distributeurs.
Si, comme le relève le CESE, « les révisions de l’encadrement législatif du commerce et de la distribution se sont multipliées ces dernières années et interviennent par touches successives plutôt que par grand bouleversement », Hervé Pellois et moi-même estimons utile de voter cette proposition de loi, qui apportera sa pierre à l’édifice – un édifice encore bien instable qu’il nous faudra consolider dans la loi Sapin 2 à venir.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Après avoir remercié l’ensemble des intervenants et tous ceux qui ont salué l’avancée que constitue cette proposition de loi, je souhaite revenir sur les deux arguments qui pourraient selon vous, madame la secrétaire d’État, freiner son adoption.
Tout d’abord, on peut éventuellement reprocher à cette proposition de loi son caractère redondant. En effet, la question que nous traitons renvoie à deux articles différents du code de commerce : d’une part, l’article L. 442-6, auquel il a été fait référence et qui concerne la DGCCRF, laquelle peut être saisie lorsque sont constatées certaines infractions citées dans cet article, notamment des pratiques commerciales illicites ; d’autre part, l’article L. 420-2, qui concerne l’Autorité de la concurrence et que notre proposition de loi vise justement à assouplir. D’ailleurs, la cour d’appel de Versailles elle-même a reconnu l’existence de deux fondements juridiques différents, permettant de faire appel à deux autorités différentes, l’une dépendant du ministère de l’économie et l’autre étant indépendante. Ainsi, il n’y a pas deux recours redondants mais deux autorités différentes, permettant de renforcer le contrôle de l’abus de dépendance économique.
Je veux surtout revenir sur un argument qui a cristallisé le débat, selon lequel cette proposition de loi serait une fausse bonne idée : nos petites et moyennes entreprises seraient finalement victimes de ce texte, parce que les grands distributeurs pourraient utiliser cette pseudo-insécurité juridique pour dénoncer un certain nombre de relations et contractualiser avec d’autres PME. Très honnêtement, c’est avec une certaine mauvaise foi que certains ont développé cet argument,…
…notamment dans le cadre de certaines fédérations. Permettez-moi de vous répondre très concrètement. Il s’agit ici de sanctionner l’abus de dépendance économique. Madame Allain, j’aimerais vous convaincre à nouveau – vous étiez convaincue dans un premier temps, mais vous avez changé d’avis.
Il s’agit donc ici de sanctionner l’abus, et non l’état de dépendance économique. Pourquoi n’avons-nous jamais réussi à sanctionner l’abus sur le fondement de l’article L. 420-2 du code de commerce ? Parce que nous étions justement dans l’incapacité de caractériser l’état de dépendance économique. C’est en permettant de caractériser davantage l’état de dépendance que nous pourrons sanctionner d’éventuels abus. Cette confusion, parfois volontaire, entre l’état et l’abus nous amène à envisager des situations qui, à mon avis, ne correspondent pas à la réalité.
Je me suis permis de contacter directement des petites et moyennes entreprises, plutôt que de passer par des fédérations, afin de savoir si cette proposition de loi comportait vraiment un risque pour elles. Force est de constater que ces petites et moyennes entreprises nous ont toutes dit qu’effectivement, quand il y avait abus de dépendance économique, ce n’est pas une situation d’état de dépendance. C’est notamment le cas des PME qui se situent en phase d’amorce. En aucun cas cette proposition de loi ne va mettre à mal des relations entre un distributeur et un fournisseur,…
…y compris si le fournisseur se trouve en situation de dépendance quasi totale avec un distributeur, du moment que leurs relations sont équilibrées, pacifiées et qu’elles relèvent d’un commun accord entre la PME et le grand groupe.
C’est un peu fort de café que de dénoncer une telle proposition de loi en prétendant défendre les PME. Je le dis très ouvertement !
Si cette proposition de loi est adoptée, le même débat aura certainement lieu au Sénat. Je ne doute pas que nos collègues sénateurs liront le compte rendu de nos débats : je veux donc m’adresser à eux. Méfiez-vous de ce qu’on pourra vous dire ! Contactez directement les PME de vos territoires, de vos circonscriptions, pour voir la réalité de la situation !
On nous dit que ce texte ne touchera pas les agriculteurs. C’est peut-être vrai pour certains secteurs ; en revanche, les producteurs de fruits et légumes seront directement concernés par cette proposition de loi.
Enfin, il est important que nous soyons tous et toutes d’accord sur ce point : il n’y a aucune ingérence dans les relations qui fonctionnent entre distributeurs et transformateurs. Ou bien l’Autorité de la concurrence sera saisie quand il y aura une plainte, mais je vois mal une PME déposer une plainte parce qu’elle se trouve dans une situation de dépendance qu’elle accepte. Ou bien elle s’autosaisira, mais je la vois mal s’autosaisir sur des sujets qui font consensus.
Encore une fois, ce droit existe depuis 1986, mais il n’a quasiment jamais été appliqué. De deux choses l’une : soit cette disposition ne sert à rien, et elle n’a rien à faire dans notre code de commerce, soit elle sert à quelque chose, et il faut que nous la rendions applicable dans la pratique. C’est pourquoi nous pensons vraiment, sur tous les bancs de cet hémicycle, que cette proposition de loi est un premier pas qui va dans le bon sens.
J’ai entendu ce qu’a dit la présidente de la commission des affaires économiques. Bien entendu, le débat aura lieu au Sénat, et les choses pourront peut-être être améliorées ou précisées, mais en aucun cas ce texte n’aura d’effet négatif sur les PME. Je sais que les acteurs du secteur automobile, en particulier, sont inquiets, mais cette proposition de loi ne changera pas la donne puisqu’ils sont souvent sanctionnés pour la situation inverse : en général, les constructeurs sont les fournisseurs, et ce ne sont donc pas les enseignes qui sont sanctionnées, mais souvent les fournisseurs. Or notre texte traite de la relation entre fournisseurs et distributeurs : il n’aura donc aucune conséquence pour eux.
Cette proposition de loi va dans le bon sens. En tout cas, elle contribuera à un rééquilibrage des relations entre fournisseurs et distributeurs, dont nous avons grandement besoin.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.
J’ai cosigné cette proposition de loi car elle touche à la question des relations entre fournisseurs et distributeurs. Comme cela a été souligné en commission, le déséquilibre entre ces acteurs pose surtout problème dans le secteur agroalimentaire, où les agriculteurs sont fournisseurs, directement et indirectement – nous savons tous qu’il s’agit là d’un aspect de la crise actuelle.
Bien sûr, d’autres mesures doivent être prises, mais je me réjouis que nous nous apprêtions à adopter celle-ci, car je rappelle que la majorité a malheureusement rejeté toutes les propositions que le groupe Les Républicains avait faites lors de sa précédente niche parlementaire, en février.
Vous devriez nous remercier au lieu de nous accuser ! Nous acceptons votre proposition de loi : c’est un beau geste !
Quoi qu’il en soit, cette redéfinition de l’abus de dépendance économique était l’une des propositions du rapport d’Annick Le Loch et Thierry Benoit sur l’avenir des filières d’élevage, qui nous a été présenté en commission des affaires économiques le mois dernier. L’absence de dépendance économique est source d’une meilleure concurrence, qui ne peut être que saine dans un secteur où la gestion des prix pose problème.
Moyennant quelques ajustements, auxquels a procédé notre excellent rapporteur Damien Abad, nous devrions aboutir à une définition satisfaisante. C’est avant tout une façon de dire notre attachement à des relations commerciales équilibrées, dans lesquelles producteurs, distributeurs et consommateurs trouvent leur compte.
Il s’agit d’un amendement d’appel, dont nous avons eu l’occasion de discuter en commission.
La proposition de loi remplace les quatre critères constituant une situation de dépendance économique par deux critères. L’amendement no 1 vise à maintenir un seul critère, puisque l’abus de dépendance économique ne remet pas forcément en cause l’existence d’une PME. Il s’agit donc d’assouplir davantage la caractérisation de l’état de dépendance économique.
Je disais que c’était un amendement d’appel visant à montrer que nous pourrions aller plus loin. Tout à l’heure, François Rochebloine a également parlé du taux de dépendance, qu’un autre amendement propose de modifier. Cependant, compte tenu de l’état actuel de nos travaux, je pense qu’il vaut mieux en rester au texte initial. Nous pourrons éventuellement aller plus loin dans un deuxième temps, lors de la navette. Je retire donc mon amendement.
L’amendement no 1 est retiré.
L’article unique est adopté.
La parole est à M. Damien Abad, pour soutenir l’amendement no 3 rectifié portant article additionnel après l’article unique.
Cet amendement vise à ouvrir le débat sur la publicité comparative. Il s’agit d’encadrer davantage les règles relatives à cette pratique. Permettez-moi, monsieur le président, de consacrer une minute à ce sujet important.
Force est de constater que la course à la publicité comparative crée une course à la baisse des prix, souvent relayée dans nos médias, notamment dans la presse locale. On pousse toujours les prix vers le bas, sans que cela améliore le pouvoir d’achat des consommateurs.
La question de la publicité comparative est très importante. Plutôt que d’interdire cette pratique, l’amendement no 3 rectifié permet de comparer des prix relevés à la même date, et non à des dates différentes, de sorte que la publicité comparative soit complètement éclairée. C’est un moyen de restreindre le champ de cette pratique et d’éviter cette guerre des prix. Cet amendement vise surtout à susciter le débat et à connaître l’avis du Gouvernement sur ce sujet.
Effectivement, par cet amendement, vous souhaitez que la publicité comparative repose obligatoirement sur des prix relevés à la même date. Le Gouvernement y est défavorable.
Je peux vous donner quelques explications complémentaires.
Comme vous le savez sans doute, le droit communautaire ne permet pas une telle restriction. En effet, la directive 2006114CE du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative ne permet pas aux États d’adopter des dispositions plus rigoureuses que celles qu’elle prévoit. Suite à un avis motivé de la Commission européenne rendu en 2011, le législateur a ainsi dû supprimer une exigence non prévue par le droit de l’Union qui prévoyait que « toute publicité comparative faisant référence à une offre spéciale doit mentionner clairement les dates de disponibilité des biens ou services offerts, le cas échéant la limitation de l’offre à concurrence des stocks disponibles et les conditions spécifiques applicables ».
J’entends bien les explications de Mme la secrétaire d’État. Il s’agit d’un sujet très important, dont nous aurons l’occasion de rediscuter dans le cadre du projet de loi Sapin 2 : nous examinerons alors le bien-fondé d’un certain nombre de réserves relatives au droit européen. Je ne suis pas sûr que le droit européen ne nous permette pas d’encadrer davantage cette pratique.
Il ne faut pas croire tout ce que raconte le Gouvernement ! Il dit parfois des bêtises !
Il s’agit d’un vrai sujet. Cette guerre des prix, qui s’appuie sur la publicité comparative, met en péril un certain nombre de nos producteurs et agriculteurs : il conviendra donc d’y réfléchir.
Pour ne pas casser l’unanimité qui règne sur nos bancs, j’accepte de retirer mon amendement,…
…mais je le retravaillerai et je le déposerai à nouveau lors de l’examen du projet de loi Sapin 2, afin que nous puissions avancer sur un sujet qui me semble essentiel.
C’est vrai, monsieur Chrétien, mais je vous rappelle que la majorité a accepté cette proposition de loi ! Nous devons travailler ensemble !
L’amendement no 3 rectifié est retiré.
Encore une fois, il s’agit d’un amendement d’appel demandant au Gouvernement de remettre au Parlement « un rapport étudiant la possibilité d’instaurer une présomption de dépendance économique dès lors que la part du chiffre d’affaires d’un fournisseur réalisée auprès d’un distributeur excède un certain taux. » Il s’agit ici d’examiner la pertinence des taux, comme le proposait tout à l’heure mon collègue François Rochebloine.
Selon une étude menée par la Commission européenne auprès de plusieurs fournisseurs, le taux de menace s’établit à 22 %. Néanmoins, ce taux peut être apprécié de manière différente, selon les secteurs d’activité – d’ailleurs, comme vous le savez, l’Autorité de la concurrence se saisit au cas par cas, secteur par secteur. Il convient donc de réfléchir à la pertinence de ce seuil, en étudiant la possibilité d’instaurer une présomption de dépendance économique à partir du chiffre d’affaires d’un fournisseur – je parle bien de présomption.
Même s’il s’agit d’un amendement d’appel, là encore, nous devons avoir ce débat, et il ne faut pas qu’il soit tout de suite biaisé. Je propose d’instaurer une présomption : ce n’est absolument pas parce qu’un fournisseur dépend d’un distributeur pour plus de 22 % de son chiffre d’affaires que le second sera sanctionné pour abus de dépendance ! Ce taux est un indice permettant de caractériser l’état de dépendance.
Avec les deux critères prévus par la proposition de loi initiale, nous répondons cependant à cet objectif. Je suis prêt à y retravailler par la suite, mais en attendant, je retire cet amendement d’appel.
L’amendement no 2 est retiré.
Dans les explications de vote, la parole est à Mme Brigitte Allain, pour le groupe écologiste.
Monsieur le rapporteur, je veux apporter quelques précisions au cas où vous n’auriez pas bien entendu mon intervention dans le cadre de la discussion générale.
Depuis dix ans, on amuse la galerie ! Pour réduire réellement la dépendance des producteurs, il faut promouvoir un modèle agricole de production régulé au niveau européen et donner plus de pouvoirs de négociation aux organisations de producteurs.
On a longtemps fait croire aux producteurs qu’en favorisant la concentration des transformateurs, on leur permettrait d’être indépendants de la distribution, qui est toujours plus concentrée. Quel est le résultat ? Aujourd’hui, les transformateurs comme les distributeurs abusent de la dépendance des agriculteurs : ils sont devenus des trusts financiers.
Aussi, en soutenant les initiatives de coopération entre producteurs et consommateurs, en privilégiant les circuits courts, en favorisant la relocalisation des productions, en encourageant la production de qualité et biologique, nous permettrons à de nombreux agriculteurs de vivre mieux.
Aujourd’hui, il est tout aussi urgent de combattre les systèmes concentrationnaires d’exploitation agricole, tel que l’accaparement des terres agricoles par des sociétés internationales à visée spéculative,…
…ainsi que les fermes-usines dont les projets fleurissent partout en France, créant de fait une concurrence déloyale interne.
L’agroécologie, l’agriculture paysanne, le respect des sols et du bien-être animal font partie intégrante des systèmes agricoles, économiques, sociaux et écologiques, parce qu’ils favorisent l’autonomie financière et productive. Ils respectent la valorisation des ressources endogènes, patrimoniales, géographiques et humaines. Voilà comment nous devons combattre l’abus de dépendance économique et financière.
La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Vous l’aurez compris, puisque je l’ai dit lors de la discussion générale : le groupe UDI est très favorable à cette excellente proposition de loi, qui cependant, comme l’a dit le rapporteur, peut être améliorée. Celui-ci est d’ailleurs prêt à entendre certains arguments pour la faire évoluer tant au Sénat que lorsqu’elle reviendra en seconde lecture à l’Assemblée nationale. Il est vrai qu’il y a urgence.
Tout à l’heure, le rapporteur a retiré les amendements nos 3 rectifié et 2 . Je conviens que les taux sont difficilement comparables, compte tenu de situations qui peuvent être très différentes. Cela dit, j’en ai assez d’entendre parler, notamment par les médias, du « prix le plus bas ». On assiste dans ce domaine à une incroyable démagogie, dont les premières victimes sont les agriculteurs.
Il faut chercher plutôt le juste prix, sachant que, s’il n’y avait pas de producteurs, il n’y aurait plus de transformateurs ni de grandes surfaces. En voilà assez ! Madame la secrétaire d’État, je souhaite que vous réagissiez contre ces publicités qui nous cassent les pieds, pour ne pas dire autre chose, et qui sont scandaleuses.
Quand on parle du prix le plus bas, on fait des victimes. D’abord, la qualité n’y est peut-être pas. De plus, quand les prix tombent très bas, les gens cherchent à trouver des produits encore moins chers. La victime, c’est alors le consommateur, et plus encore le producteur.
À mes yeux, la proposition de loi va vraiment dans le bon sens. Je remercie le groupe Les Républicains de l’avoir déposée.
« Merci ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je constate que nous nous retrouvons une nouvelle fois, preuve que nous savons le faire dans les grandes occasions.
Ce n’est pas seulement l’union des droites : tout le monde va voter le texte. Nous devons savoir nous rassembler dans l’unanimité.
Il y a le consommateur et le producteur, qui sont pour moi ce qu’il y a de plus important. Je le répète : le groupe UDI votera la proposition de loi, à laquelle il est très favorable.
Je remercie Mme Le Loch et M. Benoit, qui ont effectué un excellent travail, et je me réjouis que le texte rassemble les différentes sensibilités politiques. Si nous pouvions encore l’améliorer, ce ne serait pas mal !
Je confirme que notre groupe votera la proposition de loi, que nous avons déposée ensemble. Je remercie le rapporteur et la présidente de la commission de leur apport décisif aux travaux préparatoires, qui ont été sérieusement argumentés par le rapport Le Loch-Benoit.
On connaît les rapports très difficiles qu’entretiennent la grande distribution, qui, en France, est depuis longtemps devenue hégémonique, et les producteurs au sens large : producteurs agricoles, transformateurs, PME ou TPE. Il existe un déséquilibre auquel tous les gouvernements, toutes les majorités se sont attaqués, sans obtenir jusqu’à présent de résultats satisfaisants.
Aujourd’hui, nous n’avons pas la prétention de résoudre le problème, mais nous voulons avancer. Notre initiative soutenue dans tous les groupes est la conséquence des conditions déplorables dans lesquelles se sont déroulées les dernières négociations entre les producteurs et la grande distribution. On ne peut rester inerte face à de tels dérapages, destructeurs de filières, d’entreprises et d’emplois. Il faut bien réagir à un moment ou un autre.
La réflexion que j’ai voulu ouvrir dans mon intervention sur la répartition, entre production et distribution, des charges sociales auxquelles nous participons tous doit déboucher sur une décision. Car il n’est pas souhaitable, il n’est pas acceptable, il est mortifère de continuer à faire supporter à la production l’essentiel des charges sociales de notre pays. Il y va de notre avenir économique et social. Nous voterons donc, je le répète, la proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Nous voterons pour cette excellente proposition de loi, tout en sachant – d’autres l’ont reconnu – que le travail n’est pas terminé. Des améliorations peuvent encore intervenir, ou plus exactement des approfondissements, puisque l’article unique se suffit à lui-même.
Évitons, d’autre part, de parler de « juste prix », d’abord parce que c’est idiot, ensuite parce que ça m’énerve.
Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains.
Le juste prix n’existe pas : voilà 3 000 ans qu’on court après lui, ce n’est pas aujourd’hui que nous allons l’atteindre.
John Kenneth Galbraith, économiste pourtant classé à gauche, a exposé admirablement qu’on peut tenter un contrôle des prix et chercher un juste prix dans certaines économies à condition qu’on dispose d’un nombre très limité de produits. Pour le reste, il s’agit d’un rêve. Et il est extrêmement difficile de parvenir à une harmonisation plus juste des rapports entre producteurs et acheteurs.
Incontestablement, la proposition de loi y contribue. Qu’en soient remerciés tous ceux qui en ont pris l’initiative, et accessoirement ceux qui vont la voter. J’espère que nous le ferons à l’unanimité.
La proposition de loi est adoptée.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme ;
Discussion de la proposition de loi visant à étendre aux collectivités territoriales le mécanisme de déclassement anticipé ;
Discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi portant statut des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures vingt.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly