Intervention de Martine Pinville

Séance en hémicycle du 28 avril 2016 à 9h30
Définition de l'abus de dépendance économique — Présentation

Martine Pinville, secrétaire d’état chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire :

Il s’agit de l’article L. 442-6 du code du commerce, qui permet déjà de sanctionner le déséquilibre significatif dans les relations commerciales, donc l’abus de puissance d’achat. Cet article sanctionne également la rupture brutale, ou la menace de rupture brutale des relations commerciales, l’un des critères d’appréciation du préjudice étant précisément la dépendance économique de la victime. Cette disposition a été renforcée dans la loi d’août 2015, qui a porté le montant maximal des amendes de 2 millions d’euros à 5 % du chiffre d’affaires mondial. Les outils juridiques existent donc, ils sont appliqués avec un succès indéniable et seront appliqués avec plus de rigueur encore à la suite de la campagne de contrôles de la DGCCRF pendant les négociations 2015-2016.

L’action du ministre de l’économie à l’égard des enseignes de la grande distribution a en effet permis récemment la condamnation de l’enseigne Leclerc à restituer plus de 61 millions d’euros à 46 de ses fournisseurs à la suite de pratiques jugées déséquilibrées à leur encontre. Quant à l’enseigne Carrefour, elle a été condamnée à restituer 17 millions d’euros à 16 fournisseurs. Cette répétition ou remboursement des sommes indûment touchées est d’ailleurs une spécificité de l’article L. 442-6 du code du commerce et du pouvoir du ministre de l’économie devant les juridictions, qui renforce l’efficacité et le caractère dissuasif du dispositif. Ainsi que l’avait déjà reconnu l’Autorité de la concurrence, l’action du ministre de l’économie au titre de cet article est un outil efficace au service des fournisseurs, notamment dans le secteur de la grande distribution.

La mesure proposée risque ensuite d’avoir des conséquences néfastes pour les PME et les petits fournisseurs. Les entreprises qui réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaires avec un distributeur se trouveront, selon la définition de la proposition de loi, en situation de dépendance économique. Une telle disposition incitera les distributeurs à refuser de nouer ou de poursuivre des relations commerciales avec ces PME pour écarter tout risque de poursuite et de sanction par l’Autorité de la concurrence au titre de l’abus de dépendance économique. En pratique, les distributeurs pourraient donc être conduits à éviter de développer leurs relations avec un fournisseur avec lequel ils ont déjà une forte activité et dont ils représentent une part importante des débouchés, de peur de le placer dans la nouvelle définition de la dépendance économique, qui exposerait le distributeur à un contentieux potentiel auprès de l’Autorité de la concurrence. Ce sont surtout les PME qui subiront les conséquences de ce nouvel environnement juridique.

La proposition de loi introduit également un critère selon lequel le fournisseur est en état de dépendance s’il ne dispose pas d’une solution de remplacement susceptible d’être mise en oeuvre dans un délai raisonnable. Le distributeur devra donc s’assurer que le fournisseur met bien tout en oeuvre pour trouver une solution de remplacement, ce qui constitue une ingérence dans l’activité du fournisseur. Ce nouveau cadre juridique risque de favoriser les relations contractuelles entre des grands groupes, donc de ne pas répondre à l’objectif initial poursuivi. Il se révèle être ainsi une fausse bonne idée. Prenons garde, en essayant de régler un problème lié principalement au secteur agro-alimentaire, de ne pas créer des effets de bord qui toucheront les PME non seulement de l’agro-alimentaire, mais de tous les autres secteurs de notre économie, ainsi que les sous-traitants, pour lesquels n’avoir qu’un ou deux clients est une situation courante.

Les principales fédérations de fournisseurs, notamment celles qui représentent des PME, ne sont pas favorables à cette proposition de loi, ce qui doit nous inciter à réfléchir. Nous avons dans notre droit un dispositif qui fonctionne, qui est plus facile à mettre en oeuvre et qui permet d’obtenir le remboursement des fournisseurs, ce que ne permet pas la sanction de l’abus de dépendance économique.

Plus que sur une modification du cadre juridique, c’est aujourd’hui sur une répartition équitable de la valeur que nous devons tous travailler avec les acteurs des filières. Nouer des relations commerciales plus respectueuses du développement des PME et de l’investissement qui ne soient pas uniquement fondées sur le prix est notre priorité commune.

Comme je vous l’ai exposé, le dispositif répressif actuel est à la fois efficace et dissuasif, et sa mise en oeuvre est une priorité fixée par le ministère de l’économie à la DGCCRF. La nouvelle définition de l’abus de dépendance économique qui est proposée, outre qu’elle s’appliquerait à toute notre économie, risquerait d’avoir un effet d’éviction pour les PME vis-à-vis des grands acheteurs ou donneurs d’ordre.

C’est pour ces raisons, mesdames, messieurs les députés, que j’émettrai un avis défavorable sur ce texte.

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