Intervention de Brigitte Allain

Séance en hémicycle du 28 avril 2016 à 9h30
Définition de l'abus de dépendance économique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Allain :

Quant à l’environnement immédiat de l’entreprise, il peut se retrouver tout simplement négligé, faute d’être compétitif. De nombreuses réglementations sociales et environnementales ne sont pas respectées pour tenir des délais, ajuster des coûts de revient mal appréciés à la signature du contrat, ou tout simplement obtenir le référencement chez un distributeur !

L’abus de dépendance économique est mal connu, et le juge l’invoque rarement, car ses critères de définition ne sont pas opérationnels.

La proposition de loi du groupe Les Républicains, présentée par son auteur M. Accoyer et son rapporteur, M. Abad, tend à revoir les critères de définition de la dépendance économique et, par conséquent, de l’appréciation de l’abus. L’invitation est séduisante.

Si la pratique de l’abus de dépendance économique figure dans la loi depuis maintenant trente ans, la notion de dépendance économique n’est pas définie. Seuls quatre exemples d’abus sont mentionnés à l’article L. 420-2 du code de commerce : le refus de vente, les ventes liées, les pratiques discriminatoires visées au I de l’article L. 442-6 de ce même code et les accords de gamme.

Par ailleurs, cette proposition fait suite à une préconisation de l’Autorité de la concurrence. Elle avait été reprise par le Sénat en 2015, dans le cadre de la loi dite « Macron », mais écartée à l’Assemblée nationale, comme l’a rappelé Mme la secrétaire d’État.

Notons au passage que nos collègues Annick Le Loch et Thierry Benoit proposaient également d’améliorer la définition de l’abus de dépendance économique dans le rapport d’information qu’ils ont rendu sur la crise de l’élevage, et qui a été approuvé à l’unanimité par la commission des affaires économiques.

Les uns et les autres ont pour objectif de mettre fin à l’interminable guerre des prix que se livrent fournisseurs et distributeurs, aux pratiques commerciales abusives et au déséquilibre des relations commerciales.

Nous nous retrouvons en France dans une situation de quasi oligopole avec seulement quatre centrales d’achats sur le marché : Casino-lntermarché, Auchan-Système U, Carrefour – avec Dia – et Leclerc.

Nous pourrions légitimement penser que le renforcement des dispositifs de contrôle des abus en droit de la concurrence rééquilibrerait les relations commerciales dans le domaine de la distribution. En sera-t-il ainsi ? Tout dépendra de la jurisprudence et de l’usage que fera le juge de cet article, plus que de la rédaction que nous retiendrons.

Par ailleurs, même si cette proposition figure dans le rapport sur la crise de l’élevage, le dispositif ne concernera que très peu les agriculteurs.

En effet, tel qu’il est rédigé, l’abus de dépendance économique concerne la relation d’un fournisseur avec un distributeur. Or, dans l’immense majorité des cas, le fournisseur n’est pas directement l’agriculteur, mais un transformateur industriel ou un intermédiaire. Ainsi, dans le domaine du lait, le producteur vend la totalité de sa production à une laiterie, pas à un distributeur.

Pire, le système coopératif originel de ces laiteries s’est tellement concentré au nom de la compétitivité puis privatisé au nom de la rentabilité économique, que les industriels agroalimentaires du lait abusent eux-mêmes de cette situation au détriment des producteurs en grande dépendance !

Tous les secteurs de l’agriculture sont dans ce cas, car ces grands trusts financiers ont plus intérêt à rémunérer grassement les détenteurs de capitaux que les produits et le travail, bradés sur l’autel des profits !

Enfin, notre groupe, probablement comme les vôtres, a été sensibilisé aux potentielles conséquences de ce texte, qui pourrait se retourner contre les petites et moyennes entreprises. Une PME fabricant du miel en Dordogne, la fédération du commerce et de la distribution ou encore Coop de France m’ont écrit. Tous pointent le risque de voir la grande distribution préférer se tourner vers les grands groupes plutôt que de se retrouver dans une situation de position dominante avec une PME, qui lui imposerait des obligations.

En effet, si la grande distribution ne sera jamais dans une situation de position dominante par rapport à Nestlé, elle le sera vis-à-vis d’un producteur de confitures artisanales locales !

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