Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chers collègues, cette année encore, les négociations commerciales entre les grands distributeurs et leurs fournisseurs ont été très rudes, notamment dans le secteur de l’agroalimentaire. Il ne faut pas craindre de le dire.
Alors que nous souhaitons tous qu’elles se déroulent dans un climat partenarial plus équilibré, juste, apaisé et profitable à tous, force est de constater que cet impératif est resté un voeu pieux.
À la dégradation du climat entre fournisseurs et distributeurs en 2013, 2014 et 2015 a fait suite en 2016 une nouvelle exacerbation des tensions. Le rapprochement des centrales d’achat des principales enseignes a aggravé la guerre des prix et a encore renforcé leur poids dans les négociations.
Quatre centrales d’achat concentrent 90 % du marché de l’approvisionnement de la grande distribution, ce qui a aggravé les conflits, certains fournisseurs, petits ou grands, PME ou grands groupes, se plaignant d’avoir subi des déréférencements, des demandes déflationnistes importantes, des demandes de compensation de marges, autant de pratiques abusives illicites ou potentiellement anticoncurrentielles.
En 2016, ces difficultés se sont doublées d’une crise des filières de l’élevage, exposées à une chute dramatique de leur prix de production.
De fait, la guerre des prix contraint l’ensemble de la filière d’approvisionnement agroalimentaire à comprimer ses marges chaque fois plus sévèrement.
L’Observatoire des prix et des marges dresse également un dur constat dans son dernier rapport d’avril : jamais la déconnexion entre les coûts de production et les prix de vente n’a été aussi forte.
Outre que la guerre des prix expose ses acteurs à de graves difficultés économiques, elle compromet l’avenir en leur imposant de réduire leurs dépenses d’investissement et d’innovation, au risque d’altérer la qualité et la diversité des produits, qui font notre spécificité.
Une vraie question politique se pose : comment pouvons-nous accepter la libéralisation, la liberté des prix agricoles, une totale négociabilité des prix comme l’a prévu la LME et, dans le même temps, une cartellisation de la distribution ? L’économie de marché peut-elle fonctionner correctement aujourd’hui ? C’est une question, madame la secrétaire d’État.
La LME, qui visait à rendre du pouvoir d’achat aux consommateurs, a failli à sa mission. Le gain pour le consommateur est marginal. En revanche, en instaurant la libre négociabilité des prix et en libérant l’urbanisme commercial jusqu’à 1 000 mètres carrés, au lieu des 300 précédemment, elle a renforcé les acteurs existants de la grande distribution. Leurs marges n’ont été rétablies et confortées qu’aux dépens de celles des industriels de la filière agroalimentaire, notamment. Les commerces de proximité ont disparu, et les centres-villes, que vous appelez, madame la secrétaire d’État, à redynamiser, s’en sont trouvés déstructurés.
Nous le constatons chaque jour, sans pouvoir nous y résoudre.
Pourtant, depuis 2012, nous n’avons pas manqué d’agir pour faire face au danger que représente le déséquilibre des relations commerciales pour notre tissu industriel agroalimentaire. Par la loi consommation, nous avons construit un cadre commun plus rigoureux, renforcé le formalisme des négociations, les moyens de contrôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et le niveau des sanctions. La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a porté le niveau des sanctions jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires des entreprises.
Nous pouvons également saluer l’action de l’administration qui a doublé le nombre de contrôles, y compris au cours des dernières négociations, allant jusqu’à perquisitionner une grande enseigne. Cependant, ni ces dispositions législatives, ni le recours accru et efficace à la médiation, ni la rédaction de chartes de bonnes pratiques, n’ont permis de mettre un terme à la guerre des prix suicidaire ou de rééquilibrer les relations commerciales.
Ne vaudrait-il pas mieux agir sur la structure même du marché ? L’Autorité de la concurrence n’aurait-elle pas dû porter un autre regard sur ces concentrations pour agir bien plus tôt ? Depuis la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de 2015, toute concentration est notifiée à l’Autorité. Mais le mal est déjà fait !
Le groupe socialiste, tout comme le rapporteur, pense que notre arsenal législatif en matière de droit de la concurrence, doit être renforcé. À la demande de la commission des affaires économiques du Sénat et du Gouvernement, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis le 31 mars 2015 sur les concentrations des centrales d’achat. Elle y fait état de la quasi-impossibilité de sanctionner l’abus de dépendance économique, infraction qui existe dans notre droit depuis 1986. Cette infraction vise à sanctionner l’exploitation abusive par une entreprise de la situation de dépendance économique d’un fournisseur. Pour être constaté, l’abus de dépendance économique doit également affecter sensiblement la structure ou le fonctionnement de la concurrence.
Or les conditions de sa caractérisation par la jurisprudence sont trop restrictives pour être effectivement constatées. Pour preuve, il n’y a eu pour l’instant qu’une dizaine de décisions du Conseil et de l’Autorité de la concurrence fondées sur cette disposition. Il en résulte un sentiment d’impunité des grands distributeurs, qui peuvent toujours agir comme bon leur semble.