Nous sommes entrés dans une logique perdant-perdant, dans une guerre sans vainqueur dont même le consommateur final ne tire aucun bénéfice.
Si le législateur a déjà cherché à agir pour lutter contre le déséquilibre des relations commerciales dans le domaine agricole et agroalimentaire – citons notamment la loi Dutreil de 2005, la loi Chatel de 2008, voire, dans une certaine mesure, la loi Macron –, ces dispositifs n’ont pas suffi à enrayer la guerre des prix et les abus de dépendance économique qu’elle entraîne.
Si l’abus d’une situation de dépendance économique est reconnu et sanctionné par le code de commerce, cette notion est aujourd’hui inefficace car trop difficile à caractériser. Ses contours législatifs sont trop flous, et l’interprétation jurisprudentielle qui en est faite est trop restrictive, du fait que le juge ne peut que trop rarement qualifier l’abus de dépendance économique.
Nous devons repenser cette notion au regard des pratiques abusives actuelles qui, bien qu’elles soient particulièrement développées dans le secteur agro-industriel, existent dans tous les secteurs économiques de notre pays et sont particulièrement néfastes aux petites structures, qui pourtant participent grandement à la vitalité d’une économie – j’en veux pour preuve l’exemple de notre voisin germanique, dont le dynamisme économique repose en grande partie sur l’incroyable développement de ses PME et TPE.
La nouvelle définition de l’abus de dépendance économique qui est proposée dans ce texte est pragmatique et intelligente. Façonnée par l’Autorité de la concurrence, elle vise à assouplir la qualification de la dépendance économique en remplaçant ses quatre critères cumulatifs complexes par deux critères simples : d’une part, que la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur risque de compromettre le maintien de son activité ; d’autre part, que le fournisseur ne dispose pas d’alternative susceptible d’être mise en oeuvre dans un délai raisonnable.
En élargissant à un horizon de moyen terme les effets de l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique, le dispositif permet de prendre en compte les effets restrictifs sur la concurrence des rapprochements des centrales d’achat, qui s’expriment davantage à moyen terme qu’à court terme.
La définition proposée de la dépendance économique est donc ouvertement protectrice des petites structures vulnérables, et cela est largement souhaitable. Il ne s’agit pas de se détourner des fondements de notre économie, mais de démontrer que ceux-ci sont tout à fait compatibles avec des mesures de régulation du marché lorsque des dérives de l’économie de marché sont constatées. Comme l’a dit Damien Abad, la dépendance économique en tant que telle n’est pas un mal, dès lors que chaque partie joue le jeu et respecte ses partenaires. Ce qui est mal, c’est qu’une des parties abuse de la situation. L’État doit intervenir pour mieux protéger les victimes.
Pour finir, je souhaite souligner que si le dispositif que nous nous apprêtons à voter, je l’espère, à l’unanimité est une solution concrète à la crise agricole qui ronge notre pays, qu’il ne doit pas être la seule. Pour sortir nos agriculteurs de l’impasse, nous devrons également encourager les circuits courts, renforcer la contractualisation et diminuer le nombre de normes. Cette nouvelle définition de l’abus de dépendance économique est un premier pas qui aidera non seulement les agriculteurs, mais aussi toutes PME qui sont soumises à des conditions inacceptables. Il est de notre responsabilité de permettre un rééquilibrage des relations commerciales, pour l’avenir de nos petites entreprises, indispensables à la reprise de la croissance économique.
Vous avez parlé, madame la secrétaire d’État, de « juste prix » en matière agricole – c’est difficile, et vous le savez – de « négociations difficiles » – nous vous rejoignons sur ce point – et de renforcement de la grande distribution. Vous nous avez renvoyés à la DGCCRF, dont nous connaissons l’action, et à l’article L. 442-6 du code de commerce. Je vous demande à présent de bien vouloir permettre l’adoption de cette proposition de loi.