Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 31 mai 2016 à 15h00
Rénovation des modalités d'inscription sur les listes électorales — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner les propositions de loi rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales. Elles font suite aux préconisations contenues dans le rapport de la commission des lois de Mme Élisabeth Pochon et de M. Jean-Luc Warsmann, que je tiens à féliciter pour leur travail.

Bien évidemment, comme nous le disons depuis quatre ans, il est nécessaire d’envisager une modernisation de la procédure d’inscription, afin de la rendre plus simple et plus efficace pour nos concitoyens. Les propos que je vais tenir s’inscrivent dans la continuité de ce que j’ai déjà dit et répété ici à plusieurs reprises. Il est certes indispensable de simplifier l’inscription sur les listes électorales, mais il faut aussi aller plus loin, en instaurant le droit de vote pour tous et le devoir de vote.

Pour commencer, sans entrer dans le détail comme l’ont fait les rapporteurs, il me semble important de revenir sur le titre Ier. Qui pourrait ne pas être d’accord avec ces propositions de bon sens : extension de la procédure d’inscription d’office sur les listes électorales pour les personnes atteignant l’âge de dix-huit ans au premier comme au second tour et pour les personnes qui viennent d’acquérir la nationalité française ; modernisation des modalités d’établissement des listes électorales communales ; création d’un répertoire électoral unique et permanent tenu par l’Institut national de la statistique et des études économiques ; enfin, réduction à trente jours avant la date du scrutin de la période de révision préélectorale des listes, comme cela avait été le cas pour les dernières régionales de 2015 ?

Ainsi, nous concrétisons les intentions du Président de la République qui avait déclaré : « j’ai demandé au ministre de l’intérieur de conduire ce chantier avec les maires, pour qu’aucun Français ne soit privé de son droit de vote à cause de la rigidité des règles. […] On doit pouvoir s’inscrire sur les listes électorales un mois avant le scrutin et je pense que nous devons aller là-dessus jusqu’au bout. » Nous pouvons nous en féliciter.

Si ces mesures sont utiles, permettront-elles d’endiguer la montée de l’abstention et de revitaliser la démocratie ? Les élections se succèdent et se ressemblent malheureusement. À chaque consultation, le grand vainqueur, c’est l’abstention – aux régionales, elle s’est élevée à 50,9 % des suffrages. Elle est accompagnée d’une poussée du parti d’extrême droite qui a été porté en tête dans 19 637 communes, essentiellement rurales. Il est urgent de trouver des solutions pour réduire l’abstention et faire revenir ou venir aux urnes les électeurs, notamment les jeunes âgés de 18 à 34 ans, dont plus des deux tiers ne votent pas. Il est temps d’agir !

C’est pourquoi, pour nous, si ce texte va dans le bon sens, il manque d’ambition. Dans un contexte où les citoyens s’éloignent de plus en plus des urnes, en facilitant la procédure d’inscription, ces mesures envoient un bon signal, toutefois insuffisant. Une réforme plus globale et de fond serait souhaitable. Pour entraîner nos concitoyens, il est nécessaire de les responsabiliser et de leur dire que l’évolution de la société, la quête du bonheur individuel, mais aussi collectif, dépendent également d’eux et que la société compte sur eux pour faire reculer l’égoïsme et le repli sur soi. Construire une citoyenneté active et responsable, c’est un objectif que nous devons nous assigner. Pour cela, nous devons nous saisir de tous les moyens et de toutes les innovations proposés par les nouvelles technologies, tout en étant conscients de leurs limites.

D’abord, d’un point de vue technique, à l’ère de l’informatique et de l’internet, pourquoi ne pas automatiser l’inscription sur les listes électorales et simplifier le vote par procuration ? Dans de nombreux pays, la première inscription sur les listes électorales est effectuée d’office et la modification des données individuelles sur les listes électorales est automatique. C’est le cas en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Espagne, en Italie et aux Pays-Bas, où les listes électorales sont établies à partir des fichiers municipaux de population. Tout électeur est donc inscrit d’office sur les listes électorales. Il est nécessaire d’examiner la constitutionnalité de cette solution.

Aujourd’hui, dans 3 000 communes, le citoyen a la possibilité de s’inscrire en ligne sur les listes électorales. En raison de leur simplicité et de leur rapidité, ces procédures connaissent un succès notable quand elles sont efficacement mises en oeuvre. Elles doivent être améliorées et développées, en veillant à assurer, monsieur le secrétaire d’État, que toutes les communes disposent d’un site internet et, bien évidemment, en facilitant la mise en oeuvre du haut débit dans les petites communes.

Nous ne pouvons pas pour autant sacrifier la propagande électorale sur l’autel de la dématérialisation. Comment peut-on prétendre lutter contre l’abstention et, dans le même temps, supprimer la propagande électorale sous format papier distribuée par voie postale dans tous les foyers ?

Au-delà de ces aspects techniques, lutter contre l’abstention et le vote extrême nécessite un combat plus global et plus profond. Cessons de priver de vote celles et ceux qui vivent parmi nous ! Le droit de vote pour toute personne vivant en France de façon légale depuis dix ans est devenu une nécessité. Nous avons le devoir de dire à ceux qui partagent la vie de la cité, qui y travaillent, qui y paient des impôts qu’ils sont aussi des nôtres. Là encore, de nombreux pays permettent aux habitants étrangers de voter aux élections locales. Pourquoi ne le ferions-nous pas, d’autant qu’il s’agit là de la proposition no 50 du candidat François Hollande ? Il ne s’agit pas d’agiter je ne sais quel chiffon rouge, mais simplement de redonner des couleurs à la démocratie et favoriser le vivre ensemble.

N’oublions pas que si le vote est un droit, pour lequel des femmes et des hommes donnent encore leur vie aujourd’hui, au Congo, en Birmanie ou en Corée du Nord, c’est aussi un devoir. Plus que jamais, nous devons rappeler qu’en s’érodant, le droit de vote devient une arme qui se retourne contre la démocratie et contre la liberté. S’il faut une profonde réforme de la pratique politique, nous devons également tout faire pour que les citoyens s’intéressent à la vie sociale et politique de leur pays. La démocratie, la liberté d’expression leur donnent de nombreux droits. C’est bien. Mais rappelons-leur qu’il faut aussi être acteurs, qu’il faut participer et non pas seulement critiquer. S’il est légitime de se demander ce que la société fait pour soi, il est tout aussi légitime de se poser la question de la contribution citoyenne de chacun. Selon la formule de John Fitzgerald Kennedy, « ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays ».

Plus que jamais, nous devons être à l’offensive pour plus de démocratie et de citoyenneté. Contrairement à ce que l’on dit, je ne pense pas que le vote obligatoire se traduirait automatiquement par un report massif des électeurs vers les extrêmes ; bien au contraire. Chez nos amis belges ou dans certains cantons suisses où voter est une obligation, le vote extrême est nettement inférieur à ce qu’il est chez nous. Surtout, dans un contexte où nous devons refonder la nécessité d’appartenance à la communauté nationale, c’est un premier geste de participation à la vie citoyenne du pays. Le renforcement d’une citoyenneté active passe aussi par là.

Par ailleurs, le devoir de vote doit être accompagné de la reconnaissance arithmétique du vote blanc. Je suis de ceux qui pensent que la démocratie représentative a montré ses limites et qu’il est impératif de promouvoir la démocratie participative.

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