Dans le temps qui m'est imparti, je ne pourrai pas me féliciter de toutes les mesures figurant dans ce projet de loi que nous approuvons. Je me bornerai donc à mentionner ce qui, à mes yeux, appelle la critique.
Selon le rapport du Conseil d'État de 2009 intitulé Droit au logement, droit du logement, les politiques publiques nationales ou locales, limitées à une approche technicienne, économique et financière du logement, « ne se sont jamais hissées au niveau d'une politique de l'habitat et n'abordent pas la question des interactions entre le logement et son environnement urbain ou entre ses occupants et leur voisinage ». Malheureusement, le titre II du projet de loi ne dément pas cette affirmation. L'injonction de mixité sociale et d'égalité des chances qui en constitue l'essentiel semble ignorer ce qui fait la vie quotidienne des habitants et, finalement, ce qui leur permettrait d'exercer une citoyenneté concrète. Je note, d'ailleurs, l'absence de toute référence à la citoyenneté.
Aujourd'hui, la mixité sociale fait l'objet d'un consensus politique mou dans la plupart des pays européens : constitue-t-elle le seul objectif à assigner à une politique publique de l'habitat ? Nous, Compagnons bâtisseurs, considérons qu'une autre ambition devrait animer ce projet de loi : le renforcement de la capacité d'agir des habitants eux-mêmes.
Pour être quotidiennement aux côtés des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville, nous pensons que leur premier souci n'est pas forcément la mixité sociale : trouver un travail stable, assurer un avenir à leurs enfants, vivre dans un environnement décent, telles sont leurs préoccupations majeures. Malheureusement, la précarité et l'enfermement, qui est le lot de bien de ces habitants, ont pour résultat d'affaiblir leur capacité d'agir et de leur faire perdre confiance en eux. Beaucoup d'entre eux finissent par abandonner la recherche d'emploi, leur désir de formation, le suivi de la scolarité de leurs enfants et l'entretien de leur logement.
Restaurer la confiance en soi afin de revivifier la capacité d'action des habitants, tel est l'objectif que se sont assigné beaucoup d'associations travaillant dans les quartiers fragilisés. Les Compagnons bâtisseurs le poursuivent eux aussi en développant, depuis quelques décennies, des activités d'auto-réhabilitation accompagnée (ARA) ou d'auto-construction accompagnée, malgré l'absence d'une politique publique claire dans ce domaine.
Sur un chantier d'auto-réhabilitation accompagnée, l'habitant, qu'il soit locataire ou propriétaire occupant, n'est plus un assisté ; il dirige son propre projet d'embellissement ou de réparation de son logement accompagné d'un professionnel du bâtiment, qui est salarié de l'une de nos associations, de deux jeunes volontaires du service civique et de bénévoles, qui sont le plus souvent les voisins de l'intéressé. C'est ce que j'appelle le quatuor magique, riche de sa diversité et de la convivialité qui s'installe très rapidement entre les intervenants.
Au démarrage du chantier, l'habitant est souvent convaincu qu'il n'est pas capable de faire ; à la fin, après l'apprentissage des gestes techniques, c'est-à-dire du savoir-faire, mais aussi celui des relations avec les autres – le savoir-être –, l'habitant a retrouvé une bonne part de la capacité d'agir dont tout être humain dispose au départ. Il a aussi retrouvé le sens de la citoyenneté, grâce à la communication rétablie avec son entourage, et le plaisir d'habiter dans un voisinage convivial, et pas seulement celui de vivre dans un logement rénové et décent.
En France, une petite centaine de collectivités locales a pris conscience de l'impact social important que peut avoir un atelier de quartier d'auto-réhabilitation accompagnée. Les choses sont plus difficiles à l'échelon national. À l'automne 2013, Mme Cécile Duflot avait lancé une concertation nationale sur l'auto-réhabilitation accompagnée. Le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) issu de cette initiative, dit rapport Berrier, a été remis en juillet 2014 à Mme Pinel. Il n'a malheureusement été suivi d'aucun effet, à l'exception d'une expérimentation conduite par l'ANAH, prévue au cours de l'année 2016, et concernant les propriétaires occupants.
Depuis, malgré les efforts faits par le ministre de la ville et le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), aucune des treize autres propositions du rapport Berrier n'a été mise en oeuvre.
Nous considérons que les efforts menés par la collectivité nationale pour améliorer le sort des habitants ne doivent pas se limiter à des investissements matériels. La rénovation urbaine des quartiers les plus fragilisés devrait, au contraire, valoriser ces investissements par des actions d'accompagnement qui changeraient positivement le quotidien des habitants en développant leur propre capacité d'agir et de faire ensemble. Nous proposons donc que, pour toutes les actions de rénovation entreprises dans ces quartiers, une fraction des budgets d'investissement et de fonctionnement soit consacrée au renforcement de la capacité d'agir individuelle et collective des habitants. La France est riche d'une vie associative très active et l'intervention directe des habitants sur leur propre logement et sur leur propre consommation peut faire l'objet d'actions collectives qui iraient dans ce sens. Ce type de démarche nous semble tout à fait de nature à faire renaître la citoyenneté et le plaisir du vivre-ensemble.
Cette proposition devrait, selon nous, se traduire par un sixième chapitre dans le titre II du projet de loi, et nous sommes prêts à y travailler avec vous.