Aux yeux de la Fondation Abbé Pierre, la loi SRU et la politique locale de l'habitat sont distinctes. La loi SRU est très importante symboliquement, car elle met en lumière la nécessité de partager l'effort de solidarité à l'échelle d'un territoire. Pour autant, elle ne constitue pas l'alpha et l'oméga de la politique du logement, contrairement à ce que certains débats médiatiques ont pu laisser entendre. La loi SRU a fixé un taux, à partir de la moyenne de logements sociaux en 2000, qui n'a pas beaucoup de sens, mais qui rappelle que tout le monde doit participer à l'effort de solidarité. Certes, ce taux peut ne pas répondre aux besoins dans certaines collectivités locales. C'est pourquoi le projet de loi envisage la sortie de certaines villes du dispositif. On demande toutefois la réalisation d'une étude d'impact précise sur ce point.
Le cadre de la loi SRU a évolué, puisque les préfets peuvent désormais constater l'incapacité ou l'absence de besoin d'agir pour avoir 20 % ou 25 % de logements sociaux, et remonter ces cas à la Commission nationale de l'article 55 pour que celle-ci statue définitivement. De même, le projet de loi prend déjà en compte les éventuelles baisses démographiques dans les communes, les difficultés financières ou les impossibilités liées à la localisation en zone inondable ou à flanc de montagne pour moduler l'application de la loi SRU. Nous demandons d'ailleurs le renforcement de la Commission nationale de l'article 55, qui a à connaître de ces dossiers.
Pour ce qui est de la politique d'ensemble, nous soutenons la logique de contractualisation défendue par plusieurs d'entre vous. Si toutes les intercommunalités étaient aujourd'hui en état d'agir politiquement, il n'y aurait pas de problème pour leur lâcher davantage la bride. Or ce n'est pas le cas, et beaucoup de territoires ne sont pas équipés pour lutter contre l'habitat indigne, pour conseiller, pour avoir une bonne visibilité des marchés locaux du logement, pour déployer les bons outils en matière de rénovation urbaine et pour intégrer la politique du logement des personnes défavorisées. Dans certains endroits, la contractualisation se mettrait en place avec succès : l'État donnerait l'impulsion puis laisserait agir les acteurs locaux ; mais on ne peut pas adopter cette démarche dans l'état actuel de la politique du logement telle qu'elle est mise en oeuvre dans notre pays. Les choses évoluent cependant et le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) s'inscrit dans cette logique. Nous souhaitons également que le projet de loi rende les conférences intercommunales du logement obligatoires.
Nous sommes extrêmement favorables à ce que des expérimentations soient conduites, car la baisse des loyers dans le logement social prévue par la loi ne se fera pas sans compensations financières ou sans laisser aux acteurs la possibilité de diminuer les loyers au regard de la réalité du peuplement dans leur territoire.
Je ne crains pas que l'on crée de nouveaux QPV, car la loi est très modérée et n'aura qu'un impact limité. Elle a le mérite de découpler le financement initial du logement social et la possibilité de faire varier les loyers. Cette évolution est très positive, mais on n'intervient que sur les flux, sans tenir compte du peuplement actuel, si bien que le même effort reposera sur tous les bailleurs sociaux, que la population à revenus modestes soit nombreuse ou non. Si des collectivités locales, des intercommunalités, des métropoles bien équipées, connaissant bien leur population et s'engageant avec les maires et les bailleurs sociaux, sont capables d'intervenir pour améliorer l'accessibilité de tous, y compris les plus défavorisés, au parc social, nous devons les encourager.
S'agissant de la mobilisation du parc privé, on arrive agréablement à un consensus, et nous nous réjouissons d'entendre, à droite comme à gauche, la volonté de recourir à la ressource du logement privé. La ministre du logement a confié une mission à la fFondation Abbé Pierre sur la façon de mobiliser davantage de logements privés à vocation sociale ; nous rendrons nos premières conclusions à la fin du mois de juin et le rapport définitif au mois de septembre. Nous consultons les agences immobilières, les associations d'insertion par le logement et les collectivités pour voir comment développer l'offre de logements à loyer accessible, capter les logements vacants en zone rurale et améliorer la qualité du logement grâce à des aides importantes. Il serait opportun d'utiliser ce projet de loi pour enclencher cette dynamique. Celle-ci nécessite que l'on y consacre des moyens suffisants, faute de quoi on ne pourra pas faire plus de logements sociaux moins chers, ni mobiliser davantage le parc privé à vocation sociale, ni non plus aider les propriétaires qui éprouvent des difficultés à rénover leur logement. Des logements sont aujourd'hui disponibles pour du conventionnement, y compris en milieu rural ou semi-rural, mais les moyens s'avèrent insuffisants. On ne pourra donc pas esquiver la question financière.
Je partage totalement l'analyse selon laquelle il ne faut pas opposer les défavorisés et les catégories modestes qui rencontrent également des difficultés pour se loger. C'est la raison pour laquelle nous sommes très favorables à l'encadrement des loyers. Il s'agirait de maîtriser un peu le niveau des loyers là où il atteint un niveau excessif en le maintenant en dessous du loyer majoré à 20 % pour faire baisser la facture sans injection d'argent public. Tel était l'objectif fixé par la loi ALUR, indépendamment de la lecture idéologique que l'on en a ; or on a réduit la portée de cette disposition en la limitant à Paris.
Nous sommes également favorables à l'usufruit locatif, ainsi qu'à des mesures de défiscalisation pour faire revenir les investisseurs institutionnels et développer le logement intermédiaire. Tous ces logements importent beaucoup, car si les classes moyennes inférieures n'en trouvent pas, elles concurrencent les familles les plus défavorisées, phénomène que l'on a observé depuis une quinzaine d'années. L'encadrement des loyers ne coûte pas d'argent public, mais quels moyens allouons-nous à l'usufruit et au retour des investisseurs ? On réfléchit à de nouvelles pistes, que l'on insérera dans notre rapport, mais la question de l'accès des plus défavorisés – les 25 % les plus modestes, population ciblée implicitement par le projet de loi, et ceux ayant fait un recours DALO – continue de se poser avec beaucoup d'acuité. En effet, ces publics ne trouvent pas d'offre adaptée, y compris dans le logement social et avec un PLAI. Il convient donc de consentir des efforts considérables pour développer cette offre de logements très sociaux, dans le parc social comme dans le parc privé, sous peine de voir s'allonger la liste des ménages mal logés.
Le DPE est effectivement une difficulté. Le 6 juin prochain, le Conseil national de l'habitat (CNH) se penchera sur l'interdiction de louer des passoires thermiques, posée par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Comment va-t-on appliquer cette interdiction ? On entend dire que le DPE se révèle insuffisamment fiable, mais ce qui est proposé au CNH n'est pas satisfaisant. J'ignore si l'on peut faire évoluer le DPE – il convient de se mettre en relation avec des techniciens sur ce sujet –, mais cet outil a au moins le mérite d'exister. Il serait opportun d'avancer dans ce domaine.
Monsieur Alauzet, les 45 milliards d'euros consacrés à la politique du logement recouvrent des dépenses fort diverses. Souhaitons-nous limiter le dispositif Pinel de défiscalisation ? Souhaitons-nous revenir sur la TVA à 5,5 % dans le bâtiment ? Faut-il réduire l'enveloppe de 18 milliards d'euros consacrée à l'aide personnalisée au logement (APL), qui constitue, avec les minima sociaux, l'aide sociale la plus redistributive en France, car elle permet à des gens de sortir du seuil de pauvreté ? De quoi parle-t-on ? S'il s'agit de savoir si la mobilisation financière est insuffisante pour produire du logement social, mobiliser du parc privé à vocation sociale, rénover les logements passoires thermiques et aider les propriétaires en difficulté, oui, elle l'est. C'est pourquoi il faut absolument inverser la logique, insister sur le fait que ces investissements stimuleront l'activité économique, créeront de l'emploi et lutteront contre la fracture énergétique. Il faut penser à long terme ! Les politiques à la petite semaine échoueront et justifieront des coupes aveugles, comme cela a été tenté pendant ce quinquennat pour les APL.
Nous ne sommes pas opposés par principe à la vente de logements sociaux, et 8 000 d'entre eux sont vendus en moyenne chaque année. En revanche, financer la production de logements par la vente de logements sociaux constitue un vrai problème. De notre point de vue, cela revient à vendre le patrimoine que la richesse de la nation a contribué à constituer dans une logique de solidarité, pour subventionner la politique actuelle. La réduction du parc ne doit donc pas dépasser un certain niveau, mais il n'y a pas d'opposition idéologique à de telles opérations.
Nous sommes en désaccord avec certaines associations sur la question du surloyer. Ce dernier ne me semble pas une mauvaise idée. Le projet de loi se propose de modifier les niveaux de remise en cause du droit au maintien dans les lieux, fixés par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion. La question de la mixité se pose différemment selon l'endroit où l'on habite : être dans un QPV dans Paris avec une station de métro au pied de son immeuble n'est pas la même chose que de vivre dans un QPV dénué de tout transport en commun. On en revient au bon équilibre à l'échelle territoriale où seuls les acteurs locaux, s'ils veulent bien agir en matière de mixité sociale, sont capables de produire une politique du logement adaptée, qui aille dans le sens de l'orientation de ce projet de loi. À l'intérieur d'un cadre général national, le niveau de revenu permettant d'obtenir un logement social doit être décidé localement.