Madame la secrétaire d’État, vous avez cité Danielle Mitterrand ; je citerai, quant à moi, Antoine de Saint-Exupéry : « Eau, […] tu n’es pas nécessaire à la vie, tu es la vie ».
La proposition de loi visant à la mise en oeuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement repose sur les valeurs de fraternité, de solidarité et de générosité. Est-elle pour autant vertueuse ? En France, nous manquons souvent de pragmatisme et n’avons malheureusement pas la culture de l’évaluation. Cela est bien dommage puisque, depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, l’expérimentation est possible dans les collectivités locales. La loi organique du 1er août 2003 calque le cadre de l’expérimentation ouverte aux collectivités territoriales dans le domaine réglementaire sur celui de l’expérimentation dans le domaine législatif. Il va de soi que l’objet de l’expérimentation doit être précisé, de même que sa durée et les dispositions auxquelles il pourra être dérogé.
Or l’article 28 de la loi du 15 avril 2013 a permis la mise en place de dispositifs sur cinq ans visant à favoriser l’accès à l’eau, avec la participation de 50 collectivités volontaires. Or à quoi sert une expérimentation, si elle n’est pas conduite jusqu’à son terme et si son évaluation n’est pas faite ? À jeter le discrédit sur les initiatives prises par les collectivités, ce que l’on ne peut que regretter. L’adoption de cette proposition de loi réduirait à néant un processus qui relève pourtant du bon sens.
L’article 1er donne une nouvelle définition du droit à l’eau potable et à l’assainissement. Mais celle-ci est-elle compatible avec l’article L. 210-1 du code de l’environnement ? Celui-ci précise en effet : « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous.
« Les coûts liés à l’utilisation de l’eau, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources elles-mêmes, sont supportés par les utilisateurs en tenant compte des conséquences sociales, environnementales et économiques ainsi que des conditions géographiques et climatiques. »
L’État, les collectivités et leurs établissements publics sont compétents en matière d’eau et d’assainissement, mais il est à relever que le droit à l’assainissement est vu sous l’angle de l’assainissement collectif, alors que le cas des personnes ayant une installation d’assainissement non collectif n’est pas envisagé. Il est surprenant que, dans le cadre de démarches éco-responsables, on ne trouve pas d’encouragement à la consommation raisonnable d’eau potable. Cela devrait être l’un des objectifs de cette proposition de loi.
De même, il est surprenant que ce texte prenne une orientation forte en rattachant la responsabilité opérationnelle concernant les équipements prévus à l’article 2 – toilettes publiques dans les communes de plus de 3 500 habitants et douches gratuites dans les collectivités de plus de 15 000 habitants – aux seuls services de l’eau et de l’assainissement, ignorant les compétences en matière d’aide sociale et d’accès au logement. Qu’en sera-t-il de l’exonération des redevances « pollution » ou des redevances destinées à la modernisation des réseaux ?
Inévitablement, les incidences, notamment financières, seront fâcheuses. L’interdiction récente de toute coupure d’eau dans un immeuble d’habitation principale a un impact négatif sur les services d’eau et d’assainissement, d’autant qu’il est difficile de distinguer entre les personnes en difficulté sociale réelle et les mauvais payeurs. S’agissant des services à caractère industriel et commercial, le jeu des vases communicants fera que les usagers vertueux, souvent issus de milieux modestes et qui se font un honneur de payer leur facture d’eau, seront pénalisés, car les augmentations seront inévitables. Aujourd’hui, on peut constater une croissance des impayés.
Cette proposition de loi est fondée sur des principes fallacieux, car l’eau a non seulement un coût, elle a un prix, forcément acquitté par quelqu’un. Il faut veiller à ne pas déresponsabiliser nos concitoyens.
Cette proposition de loi me semble inutile, dans la mesure où les municipalités, par le biais des centres communaux d’action sociale – les CCAS –, ont déjà prévu des dispositifs d’aide pour les ménages démunis.
Ce texte est aussi nuisible pour les municipalités, car il a pour conséquence de supprimer la possibilité de couper l’alimentation d’eau et, de ce fait, de réduire les moyens d’action pour lutter contre les abus. N’oublions pas que les coupures sont efficaces pour gérer les impayés,…