Cela n’a pas été suffisamment commenté, et je veux le souligner : cette proposition de loi est très originale par sa forme, puisqu’elle est l’expression d’une demande de la société civile, autour d’une plate-forme réunissant les grandes organisations humanitaires de notre pays. La Coalition eau, regroupant trente ONG, et la fondation France Libertés en sont à l’initiative et ont travaillé avec le Secours populaire français, le Grand Orient de France, France nature environnement et la Coordination eau Île-de-France.
Cette proposition de loi est cosignée et a donc été co-élaborée par des responsables politiques de la majorité et de l’opposition, ou du moins d’une partie, puisque je m’y suis spontanément associé en tant que parlementaire UDI. Je veux me réjouir de cette démarche et formuler le voeu que, plus souvent à l’avenir, nous nous réunissions et cassions des codes désuets, afin de travailler tous ensemble.
Il faut dire que l’eau constitue indéniablement l’un des défis les plus importants de notre siècle : cette ressource devient rare dans certaines zones de notre planète, et représente un enjeu de santé publique majeur. Si les sujets en lien avec le réchauffement climatique concentrent les énergies lors des conférences internationales, la place de l’eau y est paradoxalement moins présente. Pour autant, préserver l’eau est une nécessité.
La question de la mise en oeuvre effective du droit fondamental qu’est celui de l’accès à l’eau potable est cruciale. Chaque être humain doit disposer de suffisamment d’eau pour satisfaire ses besoins fondamentaux, ce qui est loin d’être le cas actuellement. L’eau non traitée représente d’ailleurs l’une des causes de mortalité les plus importantes dans le monde.
Certes, 99 % des Français ont accès à l’eau. C’est une traduction de notre développement, qu’il faut cependant nuancer : les difficultés de paiement de la facture d’eau ne sont, par exemple, pas prises en compte dans ce pourcentage. Or, actuellement, près d’un million de ménages français ont accès à l’eau à un prix considéré comme excessif par rapport à leurs revenus. Ces données sont malheureusement en hausse, comme l’ont récemment souligné le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
La loi Brottes du 15 avril 2013 a rendu possible le financement des aides au fonds de solidarité pour le logement par le budget propre des collectivités, ainsi que l’expérimentation d’une tarification différenciée. Elle a également permis l’interdiction des coupures d’eau dans les résidences principales, même en cas d’impayé, et ce tout au long de l’année. Nous nous réjouissons que cette mesure fondamentale ait été adoptée. Ainsi, notre pays a d’ores et déjà mis en place plusieurs dispositifs pour favoriser l’accès à l’eau. La France a d’ailleurs signé plusieurs engagements internationaux en ce sens. Mais cela étant loin d’être suffisant, il convenait de combler les lacunes.
Je suis donc heureux, monsieur le rapporteur, de m’être associé à votre travail et salue votre implication sur un sujet aussi délicat, et surtout méconnu. En cosignant cette proposition de loi et en soulignant son humanisme, je voulais surtout qu’un débat soit ouvert au sein de notre assemblée et que nous nous mettions d’accord sur des propositions nouvelles de prise en charge de la précarité. J’ai récemment organisé, avec vous d’ailleurs, un colloque sur la coopération internationale, et plus particulièrement sur les acteurs de l’eau. J’ai donc tout à fait conscience que le chemin est encore long, et qu’il reste beaucoup à faire.
Si chaque être humain devrait avoir accès à un équipement garantissant hygiène, santé et salubrité, quels que soient sa condition et ses moyens, dans notre pays, plus de 100 000 personnes n’ont toujours pas un accès direct ou permanent à ce type de service. Le 19 novembre, nous célébrons la Journée mondiale des toilettes, qui peut prêter à sourire, mais qui n’en est pas moins importante puisque 2,4 milliards d’individus vivent sans toilettes.
La mise en oeuvre effective du droit à l’assainissement étant également inhérente à la dignité de l’homme, notre devoir est aussi d’intervenir dans ce domaine. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de cette proposition de loi, dont l’ambition est tout à fait louable et au-dessus de tout clivage politique.
Nous sommes donc d’accord avec les objectifs visés par ce texte. Alors que la précarité énergétique ne cesse d’augmenter, il est essentiel de réaffirmer le droit à l’accès à l’eau comme un fondement même de notre démocratie. En ce sens, l’article 1er de cette proposition de loi est tout à fait conforme aux valeurs que notre pays se doit de défendre, à travers trois exigences : tout être humain doit disposer chaque jour d’une quantité suffisante d’eau potable pour répondre à ses besoins élémentaires ; il doit disposer ou avoir accès aux équipements lui permettant d’assurer son hygiène et sa dignité ; il doit pouvoir utiliser les services et réseaux d’eau et d’assainissement dans des conditions compatibles avec ses ressources.
Je soutiens évidemment cet article, même si j’attends encore des précisions sur certains points qui me paraissent flous. Ainsi, qu’entendez-vous par « quantité suffisante d’eau potable » ? L’examen du texte en commission n’a pas permis de nous apporter une réponse.
Je suis évidemment favorable à l’article 2 : l’eau potable et les équipements sanitaires devraient être plus facilement accessibles dans l’espace public, et sur tout le territoire. À Marseille, par exemple, on dénombre seulement 6 sanitaires publics pour environ 12 000 personnes sans domicile fixe. Trop de personnes vivent encore dans des conditions inhumaines. L’article 2 prévoit ainsi d’améliorer la situation actuelle en mettant à disposition des points d’eau potable, ainsi que des toilettes ou des douches publiques, dans toutes les communes, selon leur taille. Ces dernières devront alors les installer et les entretenir, tout en y assurant un accès gratuit.
Ce sont des mesures de bon sens. Nous nous interrogeons néanmoins sur leur financement. Ainsi, l’obligation pour les communes d’installer des équipements n’est pas chiffrée. Et ce texte étant une proposition de loi, l’étude d’impact est quelque peu imprécise. À l’heure où la dotation globale aux collectivités est en baisse, il est absolument nécessaire de connaître le coût de ces mesures.
En commission, il a été assuré que cela ne créerait pas de charge nouvelle pour les collectivités qui possèdent, soit dans leur cimetière, soit dans leur salle des sports, au moins un point d’eau et des toilettes. Qu’en est-il pour celles qui n’en disposent pas ? Et les communes qui en disposent garantiront-elles vraiment un accès libre à ces équipements ?
Les articles 3 et 4 visent à introduire une aide préventive pour l’eau à la charge des collectivités, ainsi qu’une nouvelle allocation forfaitaire d’eau. La création d’une allocation de solidarité est indispensable pour les individus qui peinent à honorer leurs factures – ils sont plus d’un million – et ce d’autant que le dispositif FSL connaît des limites. Un système de soutien préventif à la facture d’eau est, pour moi, une bonne idée, dès lors qu’il est limité et qu’il généralise, de fait, beaucoup de pratiques en cours dans nos collectivités.
Certes, beaucoup d’entre elles font des efforts significatifs en ce domaine, mais reconnaissons que toutes ne le font pas et qu’il est dès lors nécessaire d’assurer l’égalité de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire.
De même, le versement automatique de l’allocation de solidarité aux bénéficiaires d’allocations sociales est une mesure positive et réaliste, puisqu’elle ne sera pas versée dans les zones où l’eau est bon marché.
Si ces idées sont intéressantes, il reste à connaître les modalités d’application. La multiplication des aides ne risque-t-elle pas d’être contre-productive ? Il en existe en effet déjà trois types : l’aide curative, qui permet de régler les factures impayées, l’aide préventive sous la forme, par exemple, d’un chèque eau pour réduire le montant des factures, et le tarif progressif, qui inclut une première tranche de consommation gratuite modulée en fonction des revenus ou du nombre de personnes composant le foyer.
L’aide préventive et le tarif progressif n’en sont encore qu’au stade des expérimentations. Aussi, pour une majorité de mes collègues de l’UDI, il aurait été plus judicieux d’approfondir les mesures existantes plutôt que de créer d’autres aides dont la gestion peut s’avérer délicate, sans parler des interrogations que soulève l’article 5 de cette proposition de loi.
Cet article prévoit, en effet, de financer l’allocation de solidarité pour l’eau par une contribution additionnelle, qui viendra s’ajouter à la taxe déjà existante sur les eaux embouteillées.
L’augmentation de la taxe sur les bouteilles en plastique pose question. Personnellement, cette tarification me semble être une solution intéressante, pour autant que cette taxe, qui n’est pas nouvelle, puisse être contenue. Néanmoins, nous aurions peut-être pu trouver une meilleure source de financement. Les députés de mon groupe s’interrogent sur cette tarification, craignant qu’elle ne mette en danger les petites et moyennes entreprises d’embouteillage d’eau. Avez-vous mesuré les effets d’une telle taxation tant sur les emplois que sur les consommateurs ? Ce sont les moyens qui incommodent mes collègues et non les objectifs globaux. L’article 5 est source de débats.
Par ailleurs, l’interdiction de couper totalement l’eau, introduite par une disposition de François Brottes, relativise, convenons-en, la question des conditions d’accès à ce droit fondamental.
Si une majorité de mes collègues du groupe UDI souhaite exprimer ses réserves, je soutiendrai, à titre personnel, cette proposition de loi qui concrétise le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiques acceptables. Victor Hugo disait : « Les verres d’eau ont les mêmes passions que les océans ». Je souhaite que ces débats continuent à être dépassionnés sur un sujet aussi sensible, afin de renforcer, ensemble, les conditions d’accès à ces droits humains fondamentaux.