Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 14 juin 2016 à 15h00
Droit humain à l'eau potable et à l'assainissement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission – cher Jean-Paul Chanteguet –, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce n’est pas une proposition de loi banale qui nous réunit aujourd’hui dans notre hémicycle. Elle vise à mettre en oeuvre une ancienne et honorable volonté d’ériger en droit humain fondamental l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Elle prolonge un travail de fond mené depuis des années par de nombreux parlementaires et experts du sujet de l’eau.

L’eau, c’est une question globale, que les sociétés humaines se posent depuis longtemps, car l’eau est un élément essentiel et non substituable, qui peut être légitimement considéré comme un bien commun. L’eau, c’est une question complexe dont les différents usages sont indispensables aux activités humaines.

Devant ce problème immense, il faut faire preuve d’humilité, avant de se mettre au travail pour mesurer tous les enjeux et les conséquences des modifications législatives qu’il conviendrait d’adopter.

À ce propos, je veux féliciter notre rapporteur pour son implication personnelle et sans faille ; il a accompli un remarquable travail. Des propositions de loi de ce type traduisent la capacité du Parlement à résoudre des questions complexes. Le temps est une ressource rare pour les députés – nous voulons saluer celui que notre rapporteur a consacré à ce texte solide et structuré.

Les propositions de loi cosignées par quasiment l’ensemble des groupes politiques de notre assemblée sont très rares ; elles doivent se compter au maximum sur les doigts d’une main depuis 2012.

Si nous sommes souvent opposés sur plusieurs sujets, nous aurions pu nous retrouver sur celui de l’accès à l’eau. Je salue à ce titre la position du groupe de l’UDI – et particulièrement de notre collègue Bertrand Pancher –, qui pratiquent une opposition constructive et n’hésitent pas à soutenir les bonnes mesures.

De manière générale, je suis convaincu que notre pays ne pourra pas avancer si nous ne surmontons pas les clivages partisans qui perdurent sur des sujets pour lesquels nous devrions nous rassembler. Ce sont des fronts et des conflits souvent inutiles, qui bloquent la France. Nos concitoyens attendent de nous que nous soyons capables de les dépasser ensemble pour le bien commun du pays.

Ce texte présente d’excellentes intentions, et au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je tiens à dire que nous sommes unanimement favorables aux objectifs et au principe de l’instauration d’une solidarité minimale pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement.

L’humanisme est consubstantiel à notre groupe. Et comme l’eau c’est la vie, comment pourrions-nous ne pas approuver une telle proposition ? Cependant, comme beaucoup d’autres députés sur tous les bancs, nous partageons les grandes réserves sur les mécanismes de financement prévus par cette proposition.

Pour être clair et précis, les objectifs – louables – devront trouver un autre financement qu’une taxe sur les eaux embouteillées et surtout ne pas se traduire par un nouvel alourdissement des charges pesant sur les communes, principalement rurales ; elles ont assez donné ces derniers temps.

Au-delà de l’épineux problème du financement, nous n’oublions pas qu’aujourd’hui, plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à une eau potable et non contaminée. Aujourd’hui, environ 4 milliards de personnes ont accès à l’eau potable de façon intermittente.

Compte tenu des évolutions des changements climatiques, il semble que la situation s’aggrave année après année et que nous ne parvenions plus à inverser ces grandes tendances. Les rapports estiment à environ 300 millions le nombre de réfugiés climatiques dans le monde en 2050, notamment en raison de l’accès à l’eau. Au cours de la COP21, la question de l’eau n’a pas eu la place qu’elle mérite. Nous l’avons déjà dit dans cet hémicycle et en commission, nous le répétons à nouveau : il faudra en tirer toutes les conséquences pour la préparation de la prochaine COP22 à Marrakech.

L’accès à l’eau potable, l’accès à l’eau des paysans pour l’irrigation, l’accès à l’eau pour l’industrie, l’accès à l’eau pour tous sont des enjeux majeurs de l’avenir de l’humanité. C’est aussi un facteur majeur de conflits : nombre d’entre eux, au niveau international, sont directement liés à l’eau. N’oublions pas que les premières actions de Daech et de Boko Haram au Moyen-Orient ont consisté à confisquer l’eau.

Dans notre hémicycle, nous devons confirmer qu’un droit à l’eau est une exigence fondamentale. Nous devons réaffirmer la solidarité minimale qu’un pays développé doit à ses habitants.

Le droit à l’eau traduit deux exigences clairement mentionnées dans le titre de ce texte : chaque être humain doit pouvoir disposer de suffisamment d’eau pour satisfaire ses besoins fondamentaux d’hydratation et la réalisation d’un équipement garantissant à chacun l’hygiène, la santé, la salubrité et la dignité.

En France, 99 % des habitants ont l’eau potable tandis que 90 % des logements sont raccordés à un réseau d’assainissement. Ces résultats, qui apparaissent comme bons au regard de ceux des pays développés d’Europe qui soutiennent la comparaison, sont globalement le résultat d’une forte implication des élus locaux. Il convient de saluer leur travail de proximité, mais aussi de réaffirmer que cette solidarité locale doit être doublée d’une solidarité nationale. En effet, malgré ces bons résultats, il existerait encore en France, selon différentes études et rapports, un million de familles qui peinent à s’acquitter de leurs factures d’eau.

On estime entre 100 000 et 150 000 le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’eau – SDF, occupants d’un habitat précaire, etc. Ce chiffre serait même en augmentation depuis plusieurs années.

Les réponses apportées jusqu’à présent, notamment par le législateur, ont concerné uniquement le traitement a posteriori de ces cas de précarité, c’est-à-dire le traitement curatif à travers la prise en charge des impayés par les centres communaux d’action sociale et le Fonds de solidarité pour le logement.

Certaines collectivités se sont emparées du sujet. L’Union des services d’eau du sud de l’Aisne en est un exemple. Nous avons mis en place, au service de nos 62 000 habitants, répartis dans 97 communes, des actions de solidarité dans le domaine de l’eau, à destination des consommateurs rencontrant des difficultés, mais aussi des actions de solidarité vis-à-vis des pays en développement.

Vous pouvez ainsi constater, madame la secrétaire d’État, que nous n’avons pas attendu ce texte pour agir. Je sais malheureusement que ce n’est pas le cas sur l’ensemble du territoire, comme le met en évidence cette proposition de loi.

Issue de longs travaux de concertation et de réflexions menées depuis plusieurs années par différentes familles politiques, la proposition de loi s’articule ainsi autour de quatre axes, que je ne reprendrai pas.

De nombreux débats, en commission et en préparation de notre séance, ont eu lieu sur ses différents articles et sur les modalités d’application. C’est bien la question du financement, de l’ordre de 50 millions d’euros pour l’aide préventive, par la majoration d’une taxe sur l’eau embouteillée, qui cristallise les tensions.

Selon les auteurs, l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement doit être garanti par la création d’une allocation de solidarité préventive pour les personnes les plus précaires. L’article 5 de la proposition prévoit donc que l’allocation de solidarité pour l’eau soit financée par une majoration de 0,005 euro par litre de la taxe existante sur les eaux embouteillées. Le produit de cette contribution additionnelle serait versé à un fonds de solidarité pour le droit à l’eau institué au sein du Fonds national d’aide au logement.

De manière générale, je veux redire notre opposition à un financement qui ne serait pas assuré par la solidarité nationale. On parle ici de 50 millions d’euros. Ce n’est pas rien, certes, mais c’est une goutte d’eau comparé aux 40 milliards du CICE et du pacte de responsabilité. Si nous sommes d’accord pour soutenir les PME, les TPE et les artisans, nous dénonçons encore la part qui a profité essentiellement aux multinationales, sans que la question des contreparties ne soit réellement examinée.

Dans le rapport, de nombreuses pistes de financement sont examinées et analysées. Certaines sont plus légitimes que d’autres ; toutes présentent des avantages et des inconvénients, mais dans tous les cas, le financement des mesures d’accès à l’eau et à l’assainissement ne doit pas se traduire par un alourdissement des charges pesant sur les petites communes rurales et montagnardes.

Dans les communes rurales, l’assainissement requiert des investissements lourds, qui peuvent faire grimper à 8 ou 9 euros le prix du mètre cube d’eau pour la part assainissement dans certaines communes. Il est hors de question d’alourdir ces charges, d’autant plus que la coupe est pleine pour les communes rurales de mon territoire, du fait de l’augmentation du fonds de péréquation intercommunal de 75 % pour financer la réforme du Grand Paris – un comble ! Cette ponction représente plus de 100 000 euros supplémentaires pour la communauté de communes de la région de Château-Thierry et ses vingt-quatre communes rurales.

C’est pourquoi nous disons non à la seule solidarité territoriale. Le groupe RRDP considère que le budget de l’État doit financer intégralement les mesures de solidarité appelées à s’appliquer sur l’ensemble du territoire.

Jean de la Fontaine l’écrivait dans la fable L’Âne et le Chien : « Il se faut entraider, c’est la loi de nature ». Espérons que les débats permettront de trouver un financement qui ne pèse pas sur les collectivités territoriales mais permette de mener des actions de solidarité en faveur de tous les habitants de notre pays.

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