L’article 5 concerne le financement de l’allocation de solidarité à caractère préventif en faveur des familles les plus précaires. Il soulève des questions de principe et de méthode.
La question de principe est la suivante : comment assurer le financement d’une allocation pour éviter les inégalités territoriales et sociales dans le domaine fondamental de l’eau – l’eau, la vie, le bien commun, etc. ?
En tant que parlementaires, nous proposons un financement reposant sur un dispositif à caractère national. Dans le domaine de l’eau et de la précarité, il convient donc de mettre en place un mécanisme de solidarité nationale à caractère préventif et universel afin de pallier les limites, les lacunes et les insuffisances des dispositifs territoriaux existants.
Il s’agit pour l’essentiel, des fonds de solidarité pour le logement, dits FSL, et des centres communaux d’action sociale, dits CCAS, qui sont à dominante curative et présentent des limites : d’une part, il n’y a pas de FSL « Eau » dans tous les départements, seuls deux tiers des départements en disposant. D’autre part, les critères des FSL ont été analysés : ils diffèrent dans leurs modalités d’attribution et dans la définition des ayants droit. De plus, des politiques de stop-and-go entraînent souvent des diminutions dans les aides, suivies d’augmentations.
J’ai, sur ce thème de l’eau, une petite expérience de député mais une assez longue expérience de conseiller général et d’élu local : le FSL est déjà compliqué dans son volet « Logement », mais il l’est encore plus dans son volet « Eau » – quand il y en a un !
En outre, pour en bénéficier, il faut être en situation d’impayé : c’est stigmatisant pour les familles. De fait, 50 % de celles qui pourraient y prétendre ne font pas la demande d’une aide auprès du FSL.
Ainsi que le rappelait notre ancien collègue André Flajolet, en 2010, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, toutes les expertises démontrent que les dispositifs curatifs en France dans le domaine de l’eau ont leurs limites et ne permettent pas de lutter contre la précarité. Tous les rapports préconisent pour cette raison un dispositif universel, préventif et à caractère national.
Nous proposons donc que le financement ne soit pas assuré au niveau local, ni départemental, ni régional – cela était prévu par le passé dans certaines propositions de loi –, mais au niveau national : c’est le premier principe.
Deuxième principe : cela ne doit pas pénaliser les factures des usagers domestiques, donc des ménages, qui utilisent les services publics de l’eau et de l’assainissement auxquels les collectivités consacrent chaque année 16 milliards d’euros – voilà ce que pèse le petit cycle de l’eau en France.
Voilà les deux principes que nous défendons – on peut très bien ne pas être d’accord. Ils ont pour conséquence d’écarter certains financements retenus auparavant pour cette allocation préventive.
Cela écarte également une augmentation de la facture des services publics de l’eau et de l’assainissement, qui pénaliserait les ménages.
Cela écarte enfin la possibilité de financer l’allocation préventive par une taxe sur le chiffre d’affaires des entreprises délégataires des services publics de l’eau et de l’assainissement – certains amendements vont dans ce sens – puisqu’elle sera de toute façon répercutée sur le service de l’eau et de l’assainissement au plan local.
Il demeure donc le financement au niveau national. Nous avions proposé une taxe sur les eaux embouteillées qui ne faisait absolument pas consensus ; je ne reviendrai pas sur ce sujet.
J’ai donc déposé tout récemment un nouvel amendement, cosigné par certains d’entre vous ici présents, afin de maintenir l’article 5, c’est-à-dire le Fonds national d’aide au logement doté de 15 milliards de budget, financés pour l’essentiel par l’État, et comportant un volet « Eau ». Cela a du sens : nous ne voulons pas la suppression de l’article 5, mais nous proposons de supprimer le financement par la taxe sur les eaux embouteillées.
Il convient de conserver les premiers alinéas de l’article 5 car la suppression de cet article, que beaucoup d’entre vous proposent, comme le fera le Gouvernement dans quelques instants, n’offre aucune certitude.
Il s’agit là d’une question de méthode : les parlementaires doivent toujours fournir le financement d’une mesure qui génère des dépenses – à la différence de l’État, d’ailleurs : ainsi, lorsque nous avons voté le « chèque énergie », la loi relative à la transition énergétique ne prévoyait rien quant au nombre d’ayants droit, rien sur le coût et rien sur les modalités de financement : mais si le Gouvernement peut le faire, le parlementaire ne le peut pas.
Cela étant, j’ai appris tout à l’heure, vers dix-sept heures trente, que l’amendement que j’avais déposé, qui aurait sûrement fait la quasi-unanimité puisqu’il abandonnait la taxe sur les eaux embouteillées tout en conservant le dispositif national, ne pourrait être défendu car il est contraire à l’article 40 de la Constitution.
Il ne reste maintenant que deux hypothèses. Je le dis à Mme la secrétaire d’État, qui proposera la suppression de l’article 5 : nous devons avoir l’engagement d’un financement de l’allocation de solidarité préventive que nous allons instituer ; Jean Glavany l’a très bien dit tout à l’heure dans son intervention.
Nous avons adopté une position lors de nos échanges pendant la suspension de séance. L’amendement proposé par le groupe de Joël Giraud permet de pallier les inconvénients que je viens d’évoquer, à savoir l’absence de financement, en proposant un financement par la taxe sur les tabacs ; on sait que c’est un peu « bateau ».
Si nous votons un tel financement, cela ne signifie pas que nous sommes favorables à une augmentation de la taxe sur les tabacs, mais que nous ne voulons pas qu’à cause de l’article 40 de la Constitution, on nous reproche de n’avoir prévu aucun financement.
Nous mesurons aussi les inconvénients d’une telle solution, mais le Gouvernement va prendre l’engagement d’assurer le financement de cette allocation préventive dans la loi de finances à venir. À défaut, nous serions dans l’embarras, car c’est tout le sens de la proposition qui tomberait.