Intervention de Martine Pinville

Séance en hémicycle du 16 juin 2016 à 15h00
Homologation d'une année scolaire passée à l'étranger — Discussion générale

Martine Pinville, secrétaire d’état chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire :

Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, de contribuer, avec cette proposition de résolution, à la réflexion et au débat sur les vertus de la mobilité européenne et internationale des jeunes Français, mais aussi sur l’ouverture de l’école de la République sur l’Europe et sur le monde et, au fond, sur l’apprentissage des langues vivantes et des cultures étrangères dans le cadre scolaire.

Vous savez à quel point la ministre de l’éducation nationale est attachée, engagée et active sur ces sujets qui sont encore loin, à en juger par les débats de ces dernières semaines, de faire l’unanimité dans cette assemblée, ce que je déplore tant il est important de sensibiliser nos élèves à la diversité linguistique dans un monde plus ouvert, plus accessible et plus métissé que jamais.

C’est donc un plaisir pour moi d’aborder un tel sujet avec vous, monsieur le député Patrick Hetzel, alors que la ministre de l’éducation nationale est plus habituée, ces derniers temps, à défendre l’idée que les expériences internationales, la cohabitation des cultures et des langues étrangères avec celles de la France sont parfaitement compatibles avec l’apprentissage des fondamentaux, et tout particulièrement de la langue française.

Merci de défendre, à nos côtés, une vision ambitieuse, moderne et ouverte pour l’éducation dans notre pays, car, comme le dit très bien Sandro Gozi, secrétaire d’État délégué aux affaires européennes du gouvernement italien, nous sommes la première génération Erasmus à accéder aux responsabilités : il est donc essentiel que nous sachions transmettre et faire grandir cette expérience très concrète de l’Europe aux générations qui viennent, dans un contexte pour le moins inquiétant de repli national et de frilosité européenne.

C’est vous dire si la ministre de l’éducation nationale partage la motivation de fond des signataires de cette proposition de résolution, même si son analyse sur les réalités de ce que nous faisons en France en ce domaine et de ce qu’il conviendrait de faire à l’avenir est quelque peu différente dans les termes, sinon dans les objectifs.

Oui, un séjour à l’étranger représente un bénéfice immense pour les jeunes collégiens et lycéens français qui peuvent l’effectuer, quel qu’en soit le contexte. C’est pourquoi le ministère de l’éducation nationale travaille activement au développement et à la valorisation de ces mobilités.

Oui, la mobilité européenne et internationale des élèves constitue un investissement éducatif et pédagogique très important et très efficace pour le développement des compétences des jeunes et pour leur insertion professionnelle, donc, à terme, pour le rayonnement, l’attractivité, la compétitivité et l’économie de notre pays. C’est aussi, pour chacun d’entre eux, une richesse irremplaçable dans un parcours de vie, pour la construction d’une identité ouverte au monde, pour l’estime de soi et pour l’acquisition de valeurs citoyennes de tolérance et de compréhension mutuelle.

Aujourd’hui, la mobilité des élèves prend différentes formes dans notre pays, et cette grande diversité fait partie des éléments qui nous permettent de dresser un état de la situation en France plutôt avantageux au regard de ce qui se fait ailleurs. La mobilité peut être individuelle ou collective, brève ou longue. Elle recouvre l’ensemble des séjours d’élèves hors du territoire français, tels que les échanges, les voyages de classes, les périodes de scolarité à l’étranger, les séquences d’observation, les visites d’information en milieu professionnel, les stages ou périodes de formation en milieu professionnel à l’étranger, les volontariats de solidarité, le service civique ou les chantiers bénévoles inscrits dans le cadre scolaire.

Cette variété de cas et de dispositifs permet aussi à une plus grande diversité d’élèves d’accéder à la mobilité internationale, laquelle, vous le savez, constitue aujourd’hui une forme de privilège scolaire particulièrement recherché.

Cette ouverture internationale de notre système éducatif est assurée auprès des recteurs par un maillage territorial très fin, au plus près des réalités du terrain, des enseignants, des élèves et de leurs familles, via le réseau des délégués académiques aux relations européennes et internationales et à la coopération, avec leurs relais dans les établissements, et les enseignants référents pour l’action européenne et internationale. Le ministère de l’éducation agrée également un certain nombre d’associations qui interviennent dans les établissements scolaires en ce domaine, sur l’ensemble du territoire national et pas seulement dans les grands centres urbains.

La mobilité européenne et internationale de nos collégiens et de nos lycéens fait ainsi l’objet, depuis 2012, d’une politique active de promotion et de valorisation par le ministère de l’éducation nationale. Je vous renvoie en particulier au rapport annexé à la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, qui promeut explicitement une plus grande ouverture sur l’Europe et sur le monde, au service de la réussite éducative de tous les élèves.

La ministre de l’éducation nationale a cosigné le 22 février 2015, avec la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt et le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, une circulaire installant les comités régionaux de la mobilité, pilotés conjointement par les préfets et les recteurs. D’ici à 2017, comme la ministre de l’éducation nationale l’a annoncé le 22 janvier dernier, 100 % des établissements d’enseignement du second degré auront un partenariat scolaire et engageront des activités conjointes avec un établissement étranger.

Par ailleurs, une circulaire sur la mobilité des élèves de collège et de lycée en Europe et dans le monde a été publiée ce matin au Bulletin officiel de l’éducation nationale. Elle vise à encadrer et à accompagner la mobilité, à la valider, à la valoriser et à la sécuriser dans toutes les étapes de sa mise en oeuvre.

Tout cela vous paraîtra quelque peu précis et technique au regard de votre proposition, mais il se trouve que la ministre de l’éducation nationale veut assurer une mobilité effective de nos collégiens et de nos lycéens ; elle veut que cette mobilité leur permette d’apprendre et non pas seulement de voyager, qu’elle s’inscrive dans un projet pédagogique clair, connu, encadré et solide, qui puisse être évalué et reconnu de manière objective et sérieuse.

Oui, la reconnaissance et la validation des séjours à l’étranger doivent se faire dans un cadre maîtrisé, par une administration pleinement engagée dans la démarche, comme c’est aussi le cas en Allemagne, en Italie ou en Belgique. Accorder une reconnaissance systématique, générale et aveugle n’aurait aucun sens sur le plan pédagogique. C’est pourquoi l’homologation que vous proposez aujourd’hui nous paraît une fausse bonne idée, en dépit, je le répète, de ses intentions plus que louables.

La mobilité des collégiens et des lycéens doit en effet impérativement s’inscrire dans un projet pédagogique précis, valorisant et sécurisant pour tout le monde, qui s’intègre de surcroît, à chaque fois que c’est possible, dans le cadre d’un partenariat conclu entre un établissement scolaire français et un établissement scolaire étranger.

Il est faux, par ailleurs, d’affirmer que la France serait l’un des rares pays de l’Union européenne à ne pas reconnaître les périodes passées à l’étranger : cette reconnaissance se fait au travers de partenariats conclus au niveau européen, au niveau national, au niveau académique et au niveau des établissements eux-mêmes.

Les établissements scolaires, en premier lieu, peuvent bénéficier de programmes européens leur permettant de développer des projets de partenariat et de mobilité, au premier rang desquels le programme Erasmus+.

Au niveau national, la France a signé plusieurs accords éducatifs permettant de soutenir les partenariats et la mobilité des établissements scolaires. Des coopérations privilégiées ont ainsi été conclues, dans un cadre bilatéral, avec l’Allemagne, l’Angleterre, l’Écosse, l’Espagne, l’Italie, le Brésil et le Québec. Je mentionnerai notamment les programmes franco-allemands Sauzay et Voltaire, d’une durée respective de trois et six mois, ou encore les échanges franco-britanniques Lefèvre et Charles de Gaulle.

Chaque académie met par ailleurs en place des programmes communs qui incluent des partenariats scolaires et des actions de mobilité avec une ou plusieurs régions partenaires.

Enfin, les établissements disposent d’outils structurants, comme le portail européen eTwinning, le portail du Bristish Council Schools online, la plateforme Euromed + ou le site de l’Office franco-allemand pour la jeunesse. Ceux qui souhaiteraient établir un partenariat en dehors des dispositifs européens, nationaux ou académiques peuvent conclure avec un établissement étranger un appariement ou une convention qui assurent un mode de reconnaissance parfaitement opérationnel.

Tout cela est essentiel, car un élève parti en mobilité dans le cadre d’un partenariat entre son établissement et un établissement étranger ne doit pas être pénalisé à son retour, qu’il s’agisse de son passage dans la classe supérieure, de son orientation ou de sa réaffectation dans un établissement français.

Je crois que c’était un objectif de la résolution : il est tenu, et bien tenu puisque les enjeux pédagogiques d’une telle reconnaissance à l’échelle internationale sont parfaitement pris en compte. Très concrètement, cela veut dire que la reconnaissance des apprentissages à l’étranger peut se faire, au collège, dans le cadre de l’oral de projet du nouveau diplôme national du brevet, et, pour les bacheliers professionnels, dans le cadre de l’unité facultative de mobilité du baccalauréat.

Très concrètement encore, le ministère de l’éducation nationale a mis en place, au niveau du brevet, des examens aménagés pour les élèves en mobilité individuelle, avec le recours à la visioconférence et la possibilité de passer les épreuves écrites dans un centre d’examen homologué à l’étranger. Il en va de même pour le baccalauréat général ou technologique. Par ailleurs, une attestation est délivrée pour toute mobilité d’un élève – collégien ou lycéen en lycée général, technologique ou professionnel – ou d’un apprenti.

Contrairement à ce que suggère la proposition de résolution, la France propose donc, comme l’Allemagne, l’Italie ou la Belgique, un cadre permettant d’assurer la pleine reconnaissance et la validation du séjour de ses élèves à l’étranger. Je dois d’ailleurs souligner, puisque la perspective comparatiste semble vous intéresser tout particulièrement, que ni l’Allemagne, ni l’Italie, ni la Belgique ne reconnaissent de manière systématique et automatique l’année scolaire passée à l’étranger. En Allemagne, la reconnaissance s’effectue au cas par cas, et toutes les compétences acquises à l’étranger doivent être justifiées ; en Italie, un examen est obligatoire pour valider son séjour à l’étranger et continuer son cursus ; en Belgique, le système repose aussi sur une évaluation et une justification très précises, au cas par cas.

Il est tout aussi erroné d’affirmer que les jeunes collégiens et lycéens français seraient tenus de réintégrer le niveau scolaire qu’ils ont quitté. Le ministère de l’éducation nationale apporte des réponses à tous les élèves concernés, quel que soit le cadre de la mobilité.

Qu’il s’agisse de quelques mois de scolarité passés dans un établissement reconnu par la France ou partenaire de l’établissement d’origine, ou encore d’un enseignement dispensé par le CNED en classe à inscription réglementée, la continuité est assurée.

S’il s’agit d’une scolarisation dans un établissement non reconnu par le ministère de l’éducation nationale, la situation est traitée au cas par cas dans le cadre d’une procédure qui peut impliquer – quoi de plus normal ? – de se soumettre à un examen. En cas de réussite, l’élève est bien entendu affecté dans les mêmes conditions que les élèves de l’enseignement privé sous contrat qui accèdent aux établissements publics d’enseignement.

Pour toutes ces raisons, mesdames et messieurs les députés, je considère que la proposition de résolution ne doit pas être adoptée : non seulement nulle et non avenue compte tenu des objectifs qu’elle entend poursuivre, elle pourrait remettre en cause un dispositif éprouvé par le temps comme par l’expérience, qui fonctionne, qui est reconnu par l’ensemble de nos partenaires étrangers et qui permet à la France d’être un pays qui offre à sa jeunesse une véritable ouverture sur l’Europe et le monde.

Cette ouverture est si importante pour l’avenir que nous estimons, comme vous, qu’elle doit se trouver au coeur des ambitions d’une école de la République du XXIe siècle, loin, très loin des intentions régressives et de l’école repliée sur elle-même que j’entends trop souvent défendre, notamment sur les bancs de cette assemblée. Merci de bien vouloir nous accompagner dans cette voie.

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