Intervention de Audrey Azoulay

Séance en hémicycle du 21 juin 2016 à 15h00
Création architecture et patrimoine — Présentation

Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président et rapporteur de la commission mixte paritaire et président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, cher Patrick Bloche, mesdames et messieurs les députés, nous voici donc au terme de l’examen du projet de loi relatif à la création, l’architecture et au patrimoine.

Je me réjouis que les deux lectures aient permis de dégager un consensus entre les deux assemblées lors de la commission mixte paritaire qui s’est réunie mercredi dernier : celle-ci a donc été conclusive.

Les débats ont été extrêmement constructifs et respectueux des convictions de chacun. Je veux en remercier chaleureusement les rapporteurs et, plus généralement, tous les parlementaires, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, qui y ont pris part.

Je remercie également ceux d’entre eux qui, par leurs travaux précédant la loi – je pense bien évidemment à Martine Faure et à Patrick Bloche – ont contribué à nous éclairer sur les enjeux majeurs de cette loi.

Au terme de ces deux lectures, certains sujets, et c’est bien normal, faisaient encore débat entre vos deux assemblées. Mais, après cinq heures de discussion en commission mixte paritaire, vous êtes parvenus à élaborer un texte équilibré sur les dispositions du projet de loi restant en discussion, c’est-à-dire sur une quarantaine d’articles sur un peu plus de cent-trente.

Au fur et à mesure de nos discussions, ce texte a également pu s’enrichir de dispositions nouvelles, allant – après un débat sur plus de 2 800 amendements – jusqu’à faire croître le projet initial de près d’une centaine d’articles.

Derrière ce chiffre, on décèle l’appétence et l’intérêt du Parlement pour les sujets culturels, preuve qu’un tel texte était nécessaire. L’affirmation de la liberté de diffusion – qui continue parfois d’être malmenée – à l’article 1er bis figure parmi les sujets qui restaient en discussion.

Encore tout récemment, dans le cadre de la préparation de l’édition 2016 de la Fête de la musique qui se tient aujourd’hui, un groupe nantais s’est vu imposer, dans son contrat, une clause – qu’il a bien entendu refusée – prévoyant le respect d’un prétendu principe de neutralité politique.

Qui paie commande, en quelque sorte : c’est un retour à l’âge de pierre en matière culturelle ! Les libertés de création et de diffusion doivent pouvoir bénéficier de la protection de la loi.

Ensuite, la mission de service public, inhérente à la politique publique en faveur de la création artistique, qui est définie à l’article 2, viendra – sans diminuer le rôle joué par les secteurs associatif et privé – conforter le caractère d’intérêt général de la politique culturelle, tout en reconnaissant la diversité des acteurs qui y contribuent.

L’article 3 définit, au travers de l’agrément et de la délivrance des labels, une politique nationale. Votre commission mixte paritaire a conservé, en lien avec les collectivités territoriales, le principe du conventionnement pour les structures qui ne bénéficient pas d’un label.

A également été conservée, s’agissant de la validation du choix des dirigeants proposé par le jury, l’agrément de l’État. La CMP a ajouté, en cas de refus d’agrément, la nécessité d’une décision motivée. Enfin, elle a conservé – et cela me semble majeur – l’attention portée au renouvellement des générations ainsi qu’à la diversité.

À l’article 5, vous avez également, s’agissant de la musique, confirmé la nécessité d’une rémunération plus juste des artistes, notamment en confortant la protection que la loi de 1985 a entendu leur assurer en interdisant la pratique des cessions de créances.

Sur cette même question, le projet de loi prévoit désormais, au bénéfice des artistes, les conditions d’un développement pérenne de la musique en ligne au moyen de la création d’une garantie de rémunération minimale. Il s’agit d’une mesure majeure, issue de la mission confiée par le Gouvernement à Marc Schwartz.

Je me félicite également de l’adoption d’une évolution consensuelle de la copie privée, sujet délicat s’il en est. Cette évolution vise à couvrir de nouveaux usages, notamment les possibilités d’enregistrement d’émissions « dans le nuage », cette forme de magnétoscope virtuel mise à disposition par certains éditeurs et distributeurs de services audiovisuels.

La solution retenue répond aux usages qui se développeront dans les années à venir, tout en sécurisant les droits des créateurs et de ceux qui investissent dans l’édition de programmes.

S’agissant de l’article 11 ter, je me réjouis également de l’adoption d’un nouveau dispositif de soutien ambitieux à la scène musicale française et francophone améliorant son exposition à la radio.

Ce dispositif a obtenu le soutien de la filière musicale, notamment de très nombreux artistes. En renforçant les quotas radiophoniques par un plafonnement des rotations prises en compte dans leurs calculs, cette mesure assurera une meilleure exposition de la diversité musicale.

Elle sera, à terme, bénéfique pour les radios dont le développement bénéficiera également de la diversité offerte à leur public. Enfin, la diversité éditoriale des formats des radios sera prise en compte puisque des engagements forts et précis ont été pris en matière de diversité et de nouvelles productions : ils permettront une modulation strictement encadrée des quotas. En ce jour de fête de la musique, les artistes se réjouissent de ce signal fort envoyé par la représentation nationale.

À l’article 17 A, vous avez su trouver, au cours de vos discussions avec le Sénat, les modalités d’un enseignement artistique de qualité. Cet article prévoit, en effet, une place pour les régions dans les classes préparatoires dans le domaine du spectacle vivant, avec un principe de transfert des moyens pour celles qui décideront de s’y investir. Vous le savez, l’État de son côté se réengage financièrement dans le fonctionnement des conservatoires.

Enfin, sur le sujet sensible de l’archéologie préventive, vous avez réaffirmé le caractère scientifique des politiques archéologiques auquel le Gouvernement était extrêmement attaché.

L’article 20 dont c’est l’objet était sans doute celui qui était le moins arrêté au terme de nos débats, les chambres ayant abouti à des rédactions très différentes. Vous avez pourtant réussi à trouver une rédaction désormais consensuelle : elle a contribué à la conclusion favorable de la CMP.

Cette rédaction reconnaît la maîtrise scientifique des opérations d’archéologie, exercée par l’État, tout comme la spécificité des collectivités territoriales et de leur place de partenaire privilégié de l’État.

Vous avez, également, élargi le champ d’intervention des services d’archéologie des collectivités à la région concernée – principe que défendait le Sénat – tout en prévoyant la possibilité, dans les autres cas, que le représentant de l’État puisse autoriser la collectivité ou le groupement habilité à réaliser tout ou partie d’une fouille en dehors de ce territoire.

Du côté des opérateurs privés, vous avez trouvé un accord sur la délivrance des agréments au regard du respect de leurs exigences en matière sociale, financière et comptable, ainsi que le défendait l’Assemblée nationale.

En outre, vous vous êtes accordés sur une réforme importante de la procédure, proposée par le Gouvernement et défendue par l’Assemblée nationale : la transmission par l’aménageur de toutes les offres reçues aux services de l’État, qui devront les évaluer.

En conséquence de cet accord sur l’article 20, la commission mixte paritaire a décidé, dans sa sagesse, de supprimer l’article 20 bis qui prévoyait l’exclusion de l’archéologie préventive du bénéfice du crédit d’impôt recherche, au bénéfice des explications qu’a bien voulu apporter mon collègue M. le secrétaire d’État au budget et compte tenu des procédures d’examen en cours.

S’agissant des espaces protégés dont traite l’article 24, les lectures successives du projet de loi avaient permis un rapprochement entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur la question des sites patrimoniaux remarquables, dont la nouvelle appellation avait été validée par vos deux assemblées.

Les sites patrimoniaux remarquables répondent aux objectifs que nous nous étions fixés : rendre plus compréhensible les outils de protection des espaces, unifier les méthodes et encourager la protection de nouveaux espaces.

Ainsi, les secteurs sauvegardés et les Zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager – les ZPPAUP – et autres Aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine – les AVAP – fusionnent pour donner naissance aux seuls sites patrimoniaux remarquables.

Ceux-ci disposeront de deux outils au choix : le plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine – qui constituera un premier niveau de protection – ou le plan de sauvegarde et de mise en valeur – qui constituera le plus haut degré de protection – qui lui ne sera plus réservé à la centaine de secteurs sauvegardés. Il sera en effet désormais ouvert aux plus de 800 sites patrimoniaux remarquables.

L’État conserve donc tout son rôle puisqu’il procèdera au classement et qu’il aidera les collectivités à définir et à bâtir ces espaces.

Ne restait plus en débat que la question de la systématisation des commissions locales de site patrimonial protégé. Vous avez choisi de conserver la proposition du Sénat de rendre ces commissions obligatoires et non facultatives, afin d’encourager localement le suivi étroit de la politique de protection.

S’agissant de l’architecture, point majeur du texte, demeuraient également, à l’article 26 quater, des divergences entre les deux assemblées sur la place de l’architecte dans le permis d’aménager.

Il n’est pas ici question d’exclure la compétence de professionnels qui concourent à l’aménagement de notre cadre de vie : il faut, en revanche, veiller à ce que les architectes puissent oeuvrer à cet aménagement – tant celui-ci est lié à la qualité architecturale – et à ce que les autres professionnels de l’urbanisme et du paysage puissent apporter toutes leurs compétences.

Par ailleurs, la commission mixte paritaire a fait le choix de rétablir les deux demandes de rapports que prévoyait le projet de loi : celui relatif à l’extension de l’application du dispositif du 1 % artistique aux interventions d’artistes dans l’espace public, à l’article 3 bis, ainsi que, à l’article 4 B, celui portant sur l’amélioration du partage et de la transparence des rémunérations dans le secteur du livre, ce dernier étant très attendu par les professionnels.

Je souscris entièrement aux objectifs de l’article 10 quater qui vise à apporter une réponse aux bouleversements du partage de la valeur dans l’environnement numérique.

Cependant, cette bataille doit être, je l’ai déjà dit, portée au niveau européen : c’est d’ailleurs le sens de la consultation lancée le 23 mars dernier par la Commission européenne sur le rôle des éditeurs dans la chaîne de valeur du droit d’auteur.

Votre commission des affaires européennes a, de son côté, adopté il y a peu de temps une proposition de résolution européenne portant sur la protection du droit d’auteur dans l’Union européenne. Forte de ces prises de position, je continuerai le combat pour une meilleure protection des auteurs des arts visuels au niveau communautaire.

Je souhaite également revenir sur l’accord obtenu sur la pratique artistique amateur. La reconnaissance de ces pratiques est importante car elles forment un levier essentiel de démocratisation.

Il était grand temps de reconnaître la richesse de ces pratiques et de les sécuriser, car elles concernent près de douze millions de Français comme des dizaines de milliers d’associations. La rédaction retenue permet une telle reconnaissance, sans porter atteinte à la présomption de salariat.

Outre ces sujets qui restaient en discussion au stade la commission mixte paritaire, je voudrais brièvement rappeler les nombreux sujets qui témoignent de l’ambition du projet de loi comme de l’engagement du Gouvernement en faveur de la culture.

Vous l’avez dit, la liberté de création, objet de l’article 1er, qui est fondamental, est d’actualité. Il est très important, pour notre pays comme pour l’Europe, que la France réaffirme cette valeur fondamentale et que la représentation nationale envoie ce signal. En effet, cette question est de nouveau en jeu : il ne faut pas penser que ce combat est gagné.

C’est pourquoi je suis fière que nous ayons ensemble, dès la première lecture du texte, affirmé ce droit essentiel. La loi fait également entrer – pour la première fois – dans notre code du patrimoine des dispositions destinées à lutter contre le trafic d’oeuvres d’art et de vestiges archéologiques : elles permettront de protéger le patrimoine en danger.

Ainsi, les deux assemblées ont, d’un commun accord, interdit le transport et le commerce d’oeuvres sorties illicitement du territoire d’un État en guerre. Elles ont également validé le principe proposé par le Gouvernement d’un refuge offert aux oeuvres menacées, leur offrant ainsi toutes les garanties de sécurité pendant un conflit.

De la même manière, le projet fait entrer le patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture – l’Unesco – dans le droit interne français, plus précisément dans le code du patrimoine. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cela n’était pas encore le cas ! Il est ainsi rappelé que l’État et les collectivités territoriales doivent protéger les biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.

Ainsi, les notions de zone tampon et de plan de gestion sont désormais insérées dans notre droit, rappelant l’impératif de préservation de la valeur universelle exceptionnelle des biens inscrits par l’Unesco.

L’article 24 est également, s’agissant du patrimoine et des monuments historiques un article très riche.

En matière d’architecture, enfin, il faut saluer les avancées majeures que vous avez bien voulu – incités en cela par votre rapporteur, et grâce à son dynamisme – adopter en faveur de l’architecte. Ces avancées ont été soutenues, sur tous les bancs, par des connaisseurs et des défenseurs de cette discipline.

La deuxième lecture avait déjà vu la validation de deux points importants : la diminution à 150 mètres carrés du seuil au-delà duquel le recours à l’architecte pour le dépôt d’un permis de construire est obligatoire. Au-delà du symbole, c’est l’architecture du quotidien, des petits projets et de la vie de tout le monde, qui est ici en jeu.

Loin des grands gestes, nous avons souhaité montrer que l’intervention de l’architecte était décisive, dès les plus petites surfaces.

De même, les deux assemblées avaient inscrit dans le texte le principe d’une expérimentation permettant de déroger à certaines règles en matière de construction, afin d’explorer de nouvelles voies architecturales, reconnaissant l’apport et la créativité des architectes.

Ce projet de loi, ce qui était un défi, concilie un champ très vaste et des percées majeures qui feront date : la liberté de création et de diffusion, la modernisation des relations entre les acteurs des filières musicales, du livre, de l’audiovisuel et du cinéma à l’heure du numérique, de nouvelles perspectives pour l’enseignement artistique, la redéfinition des règles applicables à l’archéologie préventive, en affirmant le rôle scientifique de l’INRAP, la place des services des collectivités territoriales et du secteur privé, la modernisation du droit des nouveaux espaces protégés, une ambition nouvelle pour l’architecture, qui n’avait pas bénéficié d’une grande loi depuis 1977.

Ainsi, ce projet, fruit d’un travail dont chacun peut être fier, affirme la place des artistes et de la création dans notre quotidien, protège davantage notre patrimoine culturel et encourage la diversité.

Je tiens à remercier l’ensemble des parlementaires, sur chacun des bancs, pour leur engagement en faveur de ce texte. Vous l’avez enrichi et nous avons su collectivement prendre le meilleur de chaque contribution.

Parallèlement, vous l’avez dit, les professionnels du secteur font part de leur confiance en signant de façon unanime un accord relatif à l’assurance chômage des artistes et des techniciens du monde du spectacle vivant et enregistré.

Je crois que ces deux avancées feront date et nous ouvrent de nouvelles perspectives pour la culture dans les années à venir.

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