Intervention de Sylvain Berrios

Séance en hémicycle du 27 juin 2016 à 16h00
Égalité et citoyenneté — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvain Berrios :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission spéciale, mesdames et monsieur les ministres, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en janvier 2015, après les attentats perpétrés à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher de Vincennes, le Premier ministre évoquait « un apartheid territorial, social et ethnique » en France.

Il aura fallu attendre quinze mois, quinze longs mois pour que le Gouvernement décide d’inscrire, en urgence, un projet de loi présenté comme une réponse aux fractures sociales et sociétales de notre pays, lesquelles trouvent une expression particulièrement violente et dramatique ces derniers mois.

L’intention est louable, et ce n’est pas parce que nous siégeons sur les bancs de l’opposition que nous méconnaissons la difficulté à légiférer dans des moments aussi sombres. Comment, dans ces conditions, ne pas souscrire à l’ambition du Gouvernement de renforcer l’égalité entre nos concitoyens et d’oeuvrer à un exercice plus incarné de la citoyenneté ? Mais encore faut-il que le souffle, le sens et même la finalité du projet emportent l’adhésion !

Examiner les causes qui conduisent une partie de la jeunesse, et pas seulement de la jeunesse, à la désespérance est, naturellement, un objectif partagé et nous ne nous opposerons pas aux dispositions du titre Ier sur la lutte contre les discriminations. Ce projet de loi comporte des avancées dont certaines, prises séparément, peuvent être intéressantes. Je pense notamment à plusieurs dispositions sur le service civique.

Mais ce projet de loi peut-il apporter un début de réponse aux attentes immenses et aux failles durables de notre contrat social ? Ce qui a conduit il y a quelques jours nos voisins anglais à se replier sur leurs frontières nous guette depuis longtemps. Mais rien n’a été fait pour tenter d’apporter, avec lucidité et pragmatisme, des réponses de fond aux tensions qui dissolvent insidieusement notre modèle républicain.

D’où vient-on, où va-t-on ? Telles sont les questions que l’on se pose en lisant ce projet de loi présenté en fin de quinquennat, alors que la gauche est exsangue, la majorité éparpillée et la France bloquée. Avant même son examen, il s’agit d’un point de faiblesse du texte que vous ne pourrez pas lever : le calendrier et le contexte politique ne créent pas les conditions d’une unité autour du projet de loi, comme en témoignent les quelque 1 100 amendements déposés par les seuls députés socialistes. Ce texte demeure insatisfaisant, très en deçà des enjeux.

Intitulé « Égalité et citoyenneté », il s’appuie sur des constats très généraux et peine à fixer un cap. Il a vocation à « faire vivre » une « République en actes », d’autant plus « fédératrice » qu’elle « se manifestera dans le quotidien des Français ». Soit. Mais qu’entend-on par « faire vivre » ? Cette expression revient en boucle, qu’il s’agisse de faire vivre la fraternité, l’égalité, les valeurs de la République, les idéaux républicains ou le sentiment d’appartenance à une collectivité publique. Ce que vingt ans de pouvoir politique, de droite comme de gauche, n’ont su corriger, votre projet de loi, par la magie du texte, saurait l’infléchir ? Ne péchez-vous pas par excès de confiance, voire d’angélisme ?

Régénérer les valeurs fondatrices de notre modèle républicain suppose de renoncer aux formules incantatoires auxquelles les Français n’adhèrent plus, précisément parce que la dimension d’intérêt général de notre devise républicaine, désormais, n’est plus ni perçue ni comprise.

Or, il suffit de lire ce texte pour s’en convaincre : ce n’est pas avec un catalogue de mesures disparates que l’on crée l’adhésion. Nous sommes en présence d’un inventaire à la Prévert, dont le caractère désordonné est encore renforcé par 45 articles additionnels. Comment convaincre nos compatriotes avec ce milk-shake législatif allant de la parité dans les instances académiques à la définition des auberges de jeunesse, en passant par la fréquence des ventes au déballage ?

Est-ce cela, « faire vivre les valeurs de la République » ? Quelles mesures phares propose-t-on pour donner aux Français le sentiment que « cela bouge enfin », que l’on « est en marche » ? Quel revirement ce texte impulse-t-il dans les pratiques, les usages et les méthodes ? Que retiendra-t-on, in fine, de ce projet de loi ? Espère-t-on créer une rupture en affirmant avec orgueil « l’ardente obligation pour la nation tout entière de permettre la réalisation d’un engagement citoyen » ? Pense-t-on qu’avec des formules aussi creuses, on redonnera espoir à des jeunes en mal de sens, et que l’on renforcera le rôle du législateur dans la mise en oeuvre d’un projet d’avenir pour notre pays ?

Votre projet de loi ne comporte pas, dans son ADN, la volonté de fédérer. Bien plus, il crée, avec le titre II, les conditions de la désunion et de la désorganisation.

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