Intervention de Sébastien Huyghe

Séance en hémicycle du 13 juillet 2016 à 15h00
Validité des habilitations des clercs de notaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

Le candidat de 2012, lui aussi, avait complètement occulté la grande crise mondiale de 2008, qui a touché la France comme les autres pays. Les effets de cette crise se sont fait ressentir aussi sur les prix de l’immobilier et le nombre et la valeur des transmissions de patrimoine, impactant fortement l’activité notariale. Au plus fort d’une crise telle que celle-là, comment voulez-vous qu’une profession, quelle qu’elle soit, développe ses effectifs ? C’est un non-sens économique !

Par ailleurs, savez-vous que la densité notariale en France est le double de celle des autres pays européens qui connaissent le notariat latin ? Pour augmenter le nombre de notaires sans déstabiliser la profession ni nuire au maillage territorial, d’autres voies que la liberté d’installation pouvaient être ouvertes.

D’abord, la chancellerie aurait pu augmenter de manière importante le nombre d’offices à créer par la voie du concours – procédure fondée sur l’impartialité et la méritocratie républicaine – sur l’ensemble du territoire, en fonction des évolutions démographiques et économiques.

La seconde voie aurait été de rendre les contrats d’adaptation structurelle obligatoires. Jusque-là, ces contrats étaient destinés à inciter les études dépassant un certain nombre d’actes par notaire rapporté à un certain chiffre d’affaires à accueillir un ou plusieurs notaires supplémentaires. Cette méthode aurait été beaucoup plus douce et respectueuse des équilibres économiques. Cela aurait évité au notariat d’entrer dans un processus de concurrence exacerbée, dont le résultat risque d’être la détérioration de la qualité juridique.

La matière juridique, je le répète, n’est pas une marchandise comme les autres, même si le Gouvernement et l’Autorité de la concurrence voient les choses autrement, comme le prouve l’hérésie des ristournes commerciales sur les tarifs.

Cette réforme des tarifs avait pour objectif de rendre du pouvoir d’achat à nos concitoyens. Mais savez-vous que, dans une vente immobilière, les honoraires perçus par les offices notariaux sont de l’ordre de 0,825 % de la valeur de l’immeuble ? Et savez-vous que les divers impôts et taxes perçus par l’État et les collectivités locales, qui sont de l’ordre de 6 %, ont été augmentés au moment même où le texte était discuté, et d’un montant équivalent auxdits honoraires ? N’aurait-il pas été plus souhaitable, pour le pouvoir d’achat de nos concitoyens, de s’abstenir d’une augmentation d’impôts supplémentaire ?

Autre exemple d’incohérence : la modification des tarifs, dont le ministre nous avait annoncé la main sur le coeur qu’elle devait préserver le maillage territorial notarial, l’office notarial étant le seul point d’accès au droit dans de nombreux territoires ruraux. Or l’intervention de l’Autorité de la concurrence en la matière a un effet totalement inverse. En effet, pour 314 offices, l’impact dépasse le quart des bénéfices. Ces offices sont justement ceux qui assurent le maillage territorial, car ils sont implantés dans des communes de moins de 5 000 habitants. Leur taille modeste ne leur permet absolument pas de réagir à une variation d’une telle amplitude. Cette baisse remet donc en cause leur pérennité. Plus de 2 000 notaires et collaborateurs sont concernés par cette situation.

Par ailleurs, M. Macron n’a cessé, pendant la discussion du texte pour la croissance, d’invoquer la modernité, ou la nécessité de moderniser la profession notariale. C’est, là encore, la marque d’une méconnaissance totale de la réalité notariale. Cette profession est en pointe en matière d’outils numériques et technologiques : elle a créé l’acte authentique électronique ; elle procède à la télétransmission des actes avec l’administration ; elle a mis en place un partenariat avec la direction générale des finances publiques pour la numérisation du fichier de la publicité foncière ; elle mettra en ligne en octobre Notaviz, une plateforme d’échanges avec les clients, qui permettra à ceux-ci d’obtenir des éléments statistiques et de suivre l’évolution de leur dossier. Mais il est vrai que M. Macron n’était pas à une approximation près pour jeter le discrédit sur cette profession et justifier sa réforme !

Concernant le fond de cette proposition de loi, nous pouvons être d’accord sur le fait qu’il est anormal que les notaires ne rencontrent pas leurs clients pour recevoir leur consentement, ce qui est l’essence même de la fonction. Mais il faut reconnaître que l’habilitation, marque de confiance à l’égard du collaborateur, met aussi le pied à l’étrier de jeunes diplômés qui envisagent de s’installer.

Beaucoup de clercs habilités ont ressenti la suppression de ces habilitations comme une marque de défiance de la part du Gouvernement et de la majorité. Pour vous dédouaner de ce soupçon, vous avez décidé de mettre en place une validation des acquis de l’expérience très large, vous affranchissant des garde-fous existants. Si cette VAE existait déjà, il fallait, pour pouvoir s’installer notaire, être titulaire du diplôme de premier clerc, avoir exercé pendant sept ans et passé un contrôle des connaissances techniques.

Avec l’article 17 du décret du 20 mai 2016, le Gouvernement donne cette autorisation aux personnes justifiant avoir exercé les fonctions de clerc habilité pendant quinze ans, sans même contrôler leurs connaissances techniques. Là encore, il s’agit d’une méconnaissance totale du mode de fonctionnement des études notariales. Cela signifie en effet qu’un collaborateur, quel que soit son niveau de qualification juridique, pourra s’installer comme notaire même s’il n’aura fait que recueillir, pendant quinze ans, les signatures de clients dans des programmes immobiliers de grande ampleur dont le montage juridique complexe, lui, aura été effectué par le notaire titulaire de l’office.

Ce collaborateur, qui n’aura peut-être aucune connaissance juridique ou pratique dans les autres champs du droit où interviennent les notaires – droit de la famille, droit des successions, droit des collectivités – pourra s’installer sans aucun contrôle ! C’est le laisser aller vers d’immenses déconvenues. C’est aussi mettre en péril la sécurité juridique de ses futurs clients. C’est irresponsable.

Vous l’avez compris, pour le groupe Les Républicains, la réforme des professions réglementées contenue dans la loi Macron est non seulement inutile, incohérente et dangereuse, mais remet en cause à terme la solidité et l’efficacité de notre système juridique. Le présent texte est, comme je vous le disais en préambule, le premier d’une longue série de rustines destinées à maintenir à flot un dispositif qui prend l’eau de toute part.

Il appartiendra d’ailleurs à une prochaine majorité de réparer les dégâts que vous aurez causés. En attendant ces jours meilleurs pour le monde juridique français, nous voterons ce texte de rattrapage.

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