Intervention de Gilles Lurton

Séance en hémicycle du 13 juillet 2016 à 15h00
Validité des habilitations des clercs de notaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Lurton :

À peine un an après la promulgation de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, nous sommes réunis, en cette veille de 14 juillet, pour en modifier une disposition. Je crains malheureusement que ce soit le début d’une longue série. C’est dire combien les interrogations que nous avions soulevées au cours de l’ensemble des débats en commission spéciale étaient fondées. Aujourd’hui, les problèmes apparaissent dans toute la réalité de l’application de la loi.

Vous-même, monsieur le garde des sceaux, ne vous y êtes pas trompé, et vos propos lors de votre audition par la commission de suivi le démontrent : « En arrivant au ministère, j’ai constaté la fracture générée par cette loi au sein des professions du droit. Ces professions, presque sans exception, ont vécu cette loi comme une hostilité à leur égard ». Cette fracture, nous en avions pleinement conscience, et la modification de l’article 53, afin de reporter la date de la suppression de la profession de clercs habilités au 31 décembre 2020, vient l’accréditer – même si cette modification, que nous voterons, est nécessaire.

L’article 53 de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a supprimé la possibilité pour les notaires d’habiliter certains de leurs clercs assermentés à donner lecture des actes ainsi qu’à recueillir la signature des parties, afin de mieux valoriser leurs fonctions et de se préparer à devenir notaire de plein exercice.

D’après l’article, la possibilité de désigner des clercs habilités devait cesser le 1er août 2016. Cette date n’est évidemment pas tenable pour permettre l’accès des clercs habilités aux fonctions de notaire dans de bonnes conditions sociales. La Fédération générale des clercs et employés de notaires avait pourtant contesté ces dispositions et s’était étonnée, au moment de l’examen du texte, qu’elles n’aient pas été accompagnées d’une étude d’impact sur leurs effets sociaux potentiels. Mais eux non plus n’ont pas été écoutés !

Pourtant, nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’ouvrir la profession de notaire en permettant à de nombreux notaires assistants ou clercs habilités de devenir notaires à part entière. Les notaires eux-mêmes sont conscients de cette nécessité, mais n’acceptent pas les conditions qui leur ont été assignées par la loi Macron.

L’Autorité de la concurrence vient de rendre son avis sur la carte des installations : il y a un ensemble de zones suffisamment pourvues, d’autres qui le sont moins et des « zones de carence ». Dans ces deux derniers ensembles, les notaires auront la possibilité de s’installer librement, avec, s’il y a plusieurs candidats, un système d’horodatage que je continue de contester parce qu’il ne reconnaît nullement la valeur professionnelle du candidat ni les conditions dans lesquelles il s’installe. Votre prédécesseur, monsieur le garde des sceaux, Mme Taubira, bien qu’à l’origine de ce système, semble-t-il, n’était pas loin de partager mon point de vue. C’est du moins ce qu’elle m’avait signifié lors de son audition par la commission de suivi.

Pire encore, rien n’oblige les notaires à s’installer dans les zones les plus rurales, puisque les transferts dans certaines zones très larges sont possibles. Ces transferts se feront inévitablement de la partie rurale vers la partie urbaine, créant ainsi des déserts notariaux comme nous en connaissons dans la santé. Tout le contraire de l’objectif recherché !

À chaque commission de suivi, je me suis également exprimé sur la rémunération des petits actes, un système de plafonnement qui, j’en suis aujourd’hui convaincu, créera très vite un notariat à deux vitesses. J’ai parfaitement compris que vous vouliez, avec cette mesure, relancer la vente de toute une série de petits biens qui, jusqu’ici, ne faisaient plus l’objet de transactions, tant les frais notariaux étaient élevés par rapport à la valeur du bien. Mais avec un plafonnement des émoluments à 10 %, ce sont les études rurales qui seront les premières victimes, puisqu’elles assurent majoritairement ces petits actes et ne trouveront rapidement plus aucune rentabilité. Ce sont pourtant déjà les plus fragiles. Parallèlement, les études plus importantes ou en zones urbaines pourraient être tentées de délaisser ces petits actes, malgré leur obligation d’instrumenter. Là encore, nous sommes loin de l’objectif recherché.

Lors de la dernière audition de M. Macron, j’ai senti, au travers des réponses qu’il m’apportait, qu’il infléchissait légèrement ses positions sur ce sujet. Même si les données existent sans doute déjà, je me suis empressé de demander à l’Autorité de la concurrence une étude quant aux effets de cette mesure sur le chiffre d’affaires des études notariales et le nombre de petits actes passés depuis l’application de la loi.

En cette fin de session parlementaire mais aussi de législature, je pense que nous aurions tous à gagner à apprendre à nous écouter.

Le débat d’idée fait notre force. Notre démocratie peut avoir parfois tout à gagner à prendre en considération les propositions et les opinions d’un groupe, d’un député ou d’un sénateur, même s’il n’appartient pas à la majorité. C’est en tout cas le voeu que je forme en cette veille de 14 juillet, notre fête nationale, la fête de l’unité de notre peuple, placée, cette année, sous le signe de l’engagement.

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