Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du 4 février 2014 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu M. Nicolas Hulot, président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme (FNH).

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Mes chers collègues, je rappelle que nous avons pris la décision d'auditionner les responsables des grandes organisations environnementales. Après avoir entendu en décembre dernier Bruno Genty, président de France Nature Environnement (FNE), nous accueillons aujourd'hui M. Nicolas Hulot, président de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'Homme (FNH).

La FNH est une fondation française qui a été créée en décembre 1990 par vous-même, cher Nicolas, sous le nom de Fondation Ushuaïa, de 1990 à janvier 1995, et reconnue d'utilité publique en 1996. Ses actions poursuivent trois objectifs : mobiliser les citoyens et les inciter à agir au quotidien ; sensibiliser les décideurs politiques et économiques – nous nous rappelons tous l'initiative du Pacte écologique lancé en novembre 2006 en vue de l'élection présidentielle de 2007 ; soutenir les projets et structures associatives dédiées au développement durable en France et à l'international.

Monsieur Hulot, nous souhaitons vous entendre sur les missions et les moyens de votre association, mais aussi sur votre think tank, ce laboratoire d'idées innovantes pour la transition écologique, et votre do tank, laboratoire d'initiatives porteuses d'avenir. Cette audition nous permettra également d'aborder des sujets d'actualité : la préparation du sommet sur le réchauffement climatique qui se tiendra au Bourget en décembre 2015, l'élaboration des textes sur la transition énergétique et du texte sur la biodiversité, ou encore la réforme du code minier.

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Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la nature et l'Homme

Mesdames, messieurs, je vais vous présenter en quelques mots ma fondation, avant de vous faire de part de mes inquiétudes et de mes espoirs au regard des enjeux et des échéances.

Après vingt-cinq ans d'existence, ma fondation, comme la plupart des ONG françaises, est aujourd'hui en très grande difficulté car elle doit faire face à une multiplication des demandes, ce qui l'amène à jouer le rôle de médiateur entre les partenaires privés, sociaux, politiques et économiques, mais aussi à une réduction brutale de ses financements. Pour la première fois de son existence, elle va devoir engager un plan social. À travers l'histoire de ma propre fondation, je me permets donc de vous alerter sur la situation du secteur associatif, en particulier sur la grande vulnérabilité des ONG oeuvrant pour l'écologie.

Quand j'ai créé cette fondation, ma lecture des enjeux était bien plus étroite que celle que j'en ai aujourd'hui. À l'époque, ma préoccupation était plutôt naturaliste et environnementale, avec le souci de m'inscrire dans une dynamique afin que soit pris en compte le respect de la biodiversité et des écosystèmes. Chemin faisant, sous l'éclairage d'un certain nombre de personnes, je me suis retrouvé de plain-pied dans le combat le plus humaniste qui soit, un combat complexe dont les racines se trouvent dans les fondamentaux de notre modèle de développement économique et sociétal – d'où la difficulté à passer à la mise en oeuvre des solutions pour faire face aux enjeux.

Au fil du temps, à mesure que la vocation d'origine de la Fondation a évolué, ses modalités d'action se sont transformées.

Sur un sujet considéré comme purement vertical, environnemental, la première des modalités est de passer par l'éducation et la sensibilisation, pour tenter de changer les regards et les comportements. Ensuite, à mesure que l'on découvre la complexité de l'enjeu, s'inscrit une sorte d'obligation de commencer à sensibiliser tous les acteurs de la société : les citoyens, puis les acteurs sociaux, professionnels, économiques, et enfin les acteurs politiques. L'ADN de cette fondation a donc consisté à jeter des passerelles afin de permettre à l'ensemble de ces acteurs de se parler et de prendre en compte les difficultés et les arguments des autres.

Ainsi, dans un premier temps, la Fondation a-t-elle joué un rôle de médiateur pour tenter d'amener la réflexion dans un espace apaisé et documenté. C'est ce que nous avons fait étape après étape. Nous avons mobilisé, d'abord, les jeunes, puis les citoyens en général, ce qui nous a permis de constater une disponibilité de ces derniers à s'engager. Grâce à l'opération « Défi pour la terre », 700 000 à 800 000 personnes ont pris l'engagement de changer leurs comportements. C'est ainsi qu'a été lancé le processus du Pacte écologique : en effet, nous étions désormais en mesure de dire aux hommes et aux femmes politiques que pour aller au-delà, la volonté individuelle devait rencontrer l'organisation collective. Nous nous sommes donc tournés vers les politiques, tous bords confondus, pour leur proposer de prendre des engagements, de principe, mais aussi très concrets : cela a donné lieu au « Pacte écologique ». Cette campagne de mobilisation a contribué à libérer les énergies dans notre pays, à créer une dynamique positive au niveau de l'État, des collectivités locales et des entreprises, et elle a crédibilisé et légitimé tous ceux qui étaient jusqu'alors isolés sur ces sujets jusqu'alors.

Ensuite, la Fondation a participé, avec d'autres ONG, à la dynamique du Grenelle de l'environnement. Chemin faisant, nous avons continué à sensibiliser tous les acteurs et nous nous sommes positionnés en médiateur entre les scientifiques, le grand public et les décideurs pour rendre un certain nombre de sujets compréhensibles.

Tout cela représente un travail de fond difficilement quantifiable. Il n'est pas aisé pour la Fondation de faire le bilan de son utilité sur vingt-cinq ans. À mes yeux, elle a très clairement participé à décloisonner ce sujet, à créer des passerelles de dialogue et de réflexion ; elle a essayé de faire en sorte que le diagnostic soit partagé par le plus grand nombre et que chacun puisse apporter sa part de contribution. Mais dans la mesure où la Fondation n'est pas le seul acteur, il est difficile de quantifier ses succès. Pour faire court, je dirai que nous avons été un des contributeurs à une première phase d'engagements sur les enjeux écologiques.

Deux aspects ont principalement caractérisé l'esprit de la Fondation. D'une part, nous étions ouverts au dialogue. D'autre part, au-delà du constat, nous nous sommes très rapidement efforcés de travailler sur des propositions concrètes en vue de dégager des solutions. Cela a été le cas avec le Pacte écologique, mais aussi avec des propositions que nous avons présentées dans le cadre du Grenelle et des conférences environnementales.

Ce travail de fond est précieux, mais il se fait souvent dans l'ombre. Il s'agit en effet d'une cause plus difficile à expliquer qu'une cause bien identifiée, comme celle défendue par la Ligue de protection des oiseaux, WWF ou encore Greenpeace. Étant dans l'éducation, la mobilisation, la formation, l'information, le dialogue, notre travail est plus discret. Il a néanmoins son utilité : ce n'est pas à vous que je vais apprendre que, parfois, l'ombre peut porter la lumière.

La Fondation fonctionne avec un personnel permanent et un collège de scientifiques et d'experts, entièrement bénévoles, comme son président. Son financement, plus ou moins équilibré, repose sur trois piliers : le mécénat, puisque la Fondation est reconnue d'utilité publique, avec les contraintes économiques et juridiques afférentes à ce statut ; quelques subventions aléatoires ; des dons et des legs, dont elle a bénéficié à mesure que sa notoriété a pris de l'ampleur.

Je voudrais maintenant vous faire part d'un certain nombre de réflexions.

Inscrit, comme d'autres, dans cet engagement depuis un quart de siècle – presque une vie –, je m'étonne de la difficulté à convaincre sur ces sujets. Je m'étonne, chaque matin, d'avoir à répéter en boucle les mêmes arguments, les mêmes mots, et d'être écouté comme une personne venue défendre un intérêt sectoriel ou particulier. Entre moi et mes interlocuteurs, en dépit d'une forme de sincérité partagée avec certains, je constate un immense malentendu : nous entendons les mêmes mots, mais ne les comprenons pas de la même manière. En fait, les mots n'ont pas la même signification selon le degré de connaissance ou d'attention porté à ces sujets. Dit autrement, l'enjeu écologique est un enjeu optionnel pour certains, alors qu'il est un enjeu conditionnel pour d'autres, dont je fais partie. Or si l'on y voit un enjeu optionnel, compte tenu de l'avalanche de difficultés qui s'accumulent sur nos épaules, un argument primera toujours pour ajourner la prise en compte de ces sujets. À l'inverse, si l'on considère que l'enjeu écologique conditionne tous les enjeux de solidarité auxquels nous sommes attachés, il doit l'emporter sur tous les autres, comme cela a été reconnu par le Pacte écologique. Cette différence de lecture provoque une forme de fracture ou de quiproquo.

Bien que nous soyons en 2014, et alors qu'une avalanche de rapports présente des données incontestables sur l'état des écosystèmes, de la biodiversité de la planète, de nos ressources, notre lecture sur la réalité du monde reste la même que celle du siècle précédent. Pourtant, en ce XXIé siècle, il nous faut prendre en compte des paramètres qui n'ont absolument rien à voir avec ceux du XXé siècle. Tant que nous n'en serons pas convaincus, il y aura toujours, d'un côté, ceux dont la vision des choses s'inscrit à plus long terme, et, de l'autre, ceux qui ont une vision à plus court terme. Certes, chacun a sa part de vérité, de sincérité, mais cette différence de posture aboutit à une lecture différente des choses. Pour le dire simplement, il est difficile de chausser simultanément deux paires de lunettes : l'une pour voir de près, l'autre pour voir de loin. Cette formule résume toute la difficulté de l'exercice : comment combiner les impératifs du court terme avec les enjeux du long terme ?

En ce début de XXIe siècle, trois paramètres incontournables, qui vont complexifier l'action publique, doivent être pris en compte. Il faut changer notre regard. En effet, si le temps et le progrès ne suffisent plus pour améliorer les choses, si le monde va de crise en crise – que la crise devient donc un état permanent –, c'est parce que les outils d'hier ne conviennent plus et que nous n'avons pas acté ces paramètres.

Le premier paramètre, parfaitement identifié dans leur rapport par les 700 experts du Forum de Davos, est la contrainte des inégalités. Certes, celles-ci ne datent pas du XXIe siècle, mais elles sont aujourd'hui plus accentuées et, surtout, beaucoup plus visibles. En effet, dans notre monde connecté, chacun est en mesure de prendre conscience des différences de traitement, d'où un élément explosif : l'humiliation face à des inégalités criantes.

Ces inégalités sont accentuées par un deuxième paramètre : la vulnérabilité. Au XXIe siècle, nous découvrons la vulnérabilité de nos écosystèmes, avec comme première conséquence la crise climatique. Celle-ci est, pour moi, le facteur aggravant : elle ajoute de l'injustice à l'injustice, de l'inégalité à l'inégalité, de la souffrance à la souffrance. Elle nous oblige donc à nous orienter vers une nouvelle forme de solidarité : la solidarité dans le temps. Selon les choix que nous ferons, soit nous sacrifierons le futur au présent, soit nous assurerons un avenir plus épanouissant à nos enfants. Or lorsqu'on écoute les hommes et les femmes politiques, lorsqu'on lit les journaux, force est de constater que la crise climatique préoccupe moins que la crise économique.

Pourtant, les différentes publications, et notamment le dernier rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) confirment ce qu'avait annoncé le premier : que la première manifestation des changements climatiques est l'intensification et la multiplication des extrêmes climatiques. Chacun, en allumant son téléviseur, se rend compte que les changements climatiques, y compris sous nos latitudes, nous affectent déjà socialement, humainement et économiquement. Les rapports de la Banque mondiale eux-mêmes indiquent que la hausse des températures, qui pourrait atteindre six degrés en 2060, doit conduire chaque pays à choisir des modèles différents pour une croissance plus écologique. Je ne suis pas climatologue, je m'efforce simplement de vous restituer de la manière la plus compréhensible possible les prévisions de tous ces experts selon lesquels aucun de nos modèles économiques, aucune démocratie ne pourra faire face aux conséquences des emballements climatiques.

Certes, la diplomatie avance à petit pas, mais ce sujet est le seul pour lequel les phénomènes que l'on essaie de combattre n'avancent pas au même rythme que ces efforts. Chaque année que nous perdons, chaque conférence que nous ajournons, rend de plus en plus difficile l'équation. D'ores et déjà, les changements climatiques jettent des millions de personnes sur les routes, font des centaines, voire des milliers de victimes. Le coût des catastrophes naturelles a été multiplié par quatre à l'échelle de la planète en l'espace de vingt ans. Aux États-Unis, il a représenté 3 milliards de dollars en 1980 : en 2012, l'ouragan Sandy a coûté 60 milliards, la sécheresse dans le Midwest 40 milliards de dollars.

Ce facteur de vulnérabilité, qui est un facteur aggravant, n'a pas été suffisamment pris en compte. Nous sommes trop peu nombreux à le porter. On ne peut pas demander en effet aux ONG d'être à la fois dans l'alerte, la sensibilisation, la mobilisation et, avec le peu de moyens dont elles disposent, dans la solution ! Cette solution n'est pas exclusivement politique, technologique ou économique ; elle s'explique aussi par la défaillance culturelle.

Le troisième paramètre, majeur à mes yeux, est lié aux deux précédents : il s'agit de la rareté. Le XXIe siècle nous a fait basculer brutalement de l'illusion de l'abondance, entretenue jusqu'à plus soif, à une réalité prévisible, celle de la rareté des ressources naturelles. Or la rareté se situe entre l'abondance et une autre étape beaucoup plus tragique : la pénurie. Il demeure donc essentiel de ne pas céder à une forme de fatalisme en se précipitant dans la pénurie.

Les conséquences de la pénurie sont déjà une réalité. Au cours des cinquante dernières années, nombre de conflits ont plus ou moins été provoqués par l'accès aux ressources naturelles. Aujourd'hui, chacun comprend que l'épuisement des ressources halieutiques, le manque d'accès à l'eau potable, les compétitions autour des terres arables, des matières premières sur lesquelles notre économie a été bâtie, ou encore des terres rares, – quasi-monopole chinois –, auront des conséquences géopolitiques gigantesques.

Telle est la réalité de notre monde au XXIe siècle : il doit prendre en charge les conséquences du succès indéniable, mais parfois non maîtrisé, des 150 dernières années. Nous avons changé d'échelle, nous sommes entrés dans l'anthropocène, l'ère de l'Humanité ; grâce au charbon et au gaz, nous avons démultiplié nos capacités musculaires et, avec les ordinateurs, nous sommes capables d'externaliser nos cerveaux – mais aussi de démultiplier l'avidité et la cupidité. En définitive, nous ne sommes plus dans une société où l'on consomme, mais dans une société où l'on consume.

Pardon de vous le dire, mais je me sens un peu seul sur ces sujets. Certes, la tâche est complexe car nous devons changer notre modèle économique, nos comportements, et il nous faut coordonner les volontés. Certes, on peut se gausser de l'action des ONG, du combat des écologistes, et dire que ceux-ci sont contre tout et veulent seulement créer de nouvelles taxes. Mais les choses sont tellement plus compliquées ! Dans ce contexte, il me paraît incompréhensible, alors que la contrainte s'avère si forte, que la créativité demeure aussi faible sur ces sujets. Pourtant, la créativité foisonne partout, y compris dans notre pays ! Elle se heurte cependant malheureusement à un mur de conformisme et de scepticisme. À l'heure où je vous parle, il est certainement possible de s'ouvrir à cette créativité en relançant notre économie grâce à la transition écologique et énergétique, mais encore faut-il y croire, encore faut-il croire qu'un autre modèle est possible.

Sans doute les défenseurs de cette cause ont-ils commis une erreur. Nous avons pensé pouvoir mobiliser sur un constat, mais force est de constater que l'on ne mobilise pas sur un constat, on « tétanise ». À nous de montrer qu'il y a un chemin. Nous n'y parviendrons cependant pas en restant sur nos postures conventionnelles. L'enjeu est universel : c'est l'avenir de l'Humanité qui se joue. Or la fenêtre de tir entre ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pourrons plus faire se réduit de jour en jour. Le moment de trêve n'est-il pas arrivé, au moins pour partager une vision, un horizon ?

En tout cas, si l'on continue en France, en Europe, dans le monde entier, à sous-traiter ces sujets, je crains que nous n'allions de reddition en reddition. (Applaudissements)

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Monsieur Hulot, certaines personnes pensent que l'Humanité s'est toujours sortie de ses problèmes par le conflit. Comment évaluez-vous le risque cynique ? Une part de la politique du pire n'est-elle pas en train de se construire dans notre monde ?

S'agissant du rôle des ONG, les principes de la Convention d'Aarhus ont été repris dans la Charte de l'environnement. Un débat public a permis d'introduire les orientations forestières dans la future LAF. Cette mise en commun des compétences n'est-elle pas celle que vous aviez imaginée au début pour faire émerger un constat partagé à destination des décideurs ? L'institutionnalisation de ce travail n'est-elle pas une phase normale de la mobilisation des ONG ? Ces dernières ne doivent-elles pas à présent se situer à un autre niveau, celui d'acteur opérationnel des choix politiques au niveau planétaire, et ne plus s'en tenir simplement à un rôle d'alerte et d'éveil des consciences ?

Nous l'avons constaté à Doha, l'action intergouvernementale n'est pas suffisante. Les parlementaires se mobilisent autour d'initiatives diverses, comme Globe international, mais qui restent peu structurées. Les ONG agissent. Comment faire converger les parlements, les secteurs professionnels – comme les forestiers – et les ONG ? Comment organiser la marche vers un succès collectif dans le cadre de la Conférence Paris Climat 2015 ?

Enfin, vous l'avez dit, la créativité est primordiale. Chaque fois que l'on veut bouger, c'est soit l'aventure, soit le retour en arrière. Quant à l'immobilisme, il n'est porteur d'aucune solution d'avenir. Comment l'objectif de sécurité de notre société peut-il être compatible avec la créativité, la mise en mouvement ? De quelle manière votre ONG peut-elle inciter les acteurs publics et politiques à participer à la créativité, et non pas à l'organisation des choses établies ?

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Monsieur Nicolas Hulot, je tiens à saluer votre engagement, ainsi que celui de toutes les ONG en France sans lesquelles ce discours serait inaudible.

La loi sur la transition énergétique devait être soumise au Parlement début 2013, mais elle le sera plutôt début 2015. En période de crise, on a le sentiment que les objectifs ambitieux que le pays s'est assigné, en matière de logement, de transport, d'énergie renouvelable, ne sont plus la priorité de personne. D'où le ras-le-bol de toutes les grandes organisations environnementales nationales. Que faut-il faire pour promouvoir une nouvelle stratégie en période de crise ?

En la matière, nous disposons d'outils de deux ordres, la gouvernance et les moyens de régulation. Après l'échec de Copenhague, avez-vous le sentiment que les choses évoluent sur le plan européen en matière de gouvernance ? Les éléments de régulation sont la fiscalité et la valeur que l'on peut donner au climat et à la nature. La valeur du climat est peut-être la plus simple, avec un prix pour les émissions de carbone. Pour le second élément, comment donner une valeur au capital naturel ?

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Merci, cher Nicolas. Le groupe écologiste a bu votre discours « comme du petit lait » et partage entièrement votre constat. Il ne suffira pas d'attendre le retour de la croissance pour sortir de la crise. La crise économique est aussi une crise écologique. La résolution de la première passe par l'écologie. La preuve en est que les conséquences du dérèglement climatique, chiffrées par le rapport Stern de 2006, sont d'ores et déjà visibles et que la raréfaction des ressources et des matières premières a un impact certain sur le coût de l'énergie.

Il ne suffira pas non plus de s'en tenir à ce constat négatif pour s'en sortir. La transition écologique et énergétique, créatrice d'emplois non délocalisables et génératrice de pouvoir d'achat, est une solution pour résoudre la crise économique. Un bâtiment mieux isolé, des transports collectifs et des véhicules sobres permettront de consommer moins d'énergie. Les réponses à la crise sont donc à la fois économiques, écologiques et sociales.

La COP 2015 sera cruciale, elle sera une sorte de deal planétaire visant à répondre à la fois aux enjeux de développement et au défi climatique. Quel est votre sentiment sur la préparation de cette échéance ? Quelle stratégie faut-il adopter pour que cette conférence sur le climat soit une réussite ?

À l'initiative de Delphine Batho, et pour la première fois dans notre pays, un débat national s'est tenu sur la transition énergétique, auquel votre fondation a activement participé. Nous sommes maintenant dans la phase de préparation de la future loi sur cette transition. Mais notre sentiment est celui d'une perte en ligne entre ce débat très riche et cette loi qui vient d'être reportée et sur laquelle travaille une commission spécialisée du Conseil national de la transition énergétique (CNTE) auquel participe votre association. Selon vous, quelles priorités doivent être inscrites dans ce projet de loi ?

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La Commission européenne a rendu publique le 22 janvier dernier sa proposition de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l'horizon 2030. En 2009, dans le cadre du paquet « énergie climat », avait été fixé l'objectif d'une réduction de 20 % d'ici à 2020. La bataille s'annonçait rude puisque le commissaire à l'industrie et le commissaire à l'énergie proposaient de limiter l'effort à 35 % pour 2030. Vous défendiez vous-même, monsieur Hulot, l'objectif de 40 %. C'est ce seuil qui a été retenu. Il correspond aux recommandations des scientifiques du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, afin de contenir la hausse moyenne des températures en deçà de 2 degrés au niveau mondial d'ici à la fin du siècle.

Actuellement, il est estimé que l'Union européenne est responsable de 11 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Fixer des objectifs à un bon niveau ne suffit pas, il faut maintenant se poser la question des moyens mis en oeuvre pour les atteindre.

Au sommet de Varsovie, j'ai constaté que tous les acteurs n'étaient pas sur la même longueur d'ondes, loin s'en faut. Selon un certain nombre de pays émergents en Europe, les efforts qui leur sont demandés en matière de réduction des gaz à effet de serre contrarient leurs perspectives de développement. En définitive, ils reproduisent le même mode de développement des pays riches à l'ère de la révolution industrielle, sur fond de gaspillages énergétiques considérables, sans aucun souci de préservation de la planète.

Le charbon, première énergie du monde, reste l'énergie la plus polluante. Or lorsqu'elle ferme ses centrales nucléaires, l'Allemagne ouvre des centrales à charbon. Bravo pour l'avancée environnementale ! Sur cette question majeure, vous n'avez pas dit un mot, monsieur Hulot.

La Commission européenne peut sanctionner les États qui ne respectent pas les seuils qui leur sont imposés en matière de dettes et de déficit. Les gouvernements doivent même soumettre préalablement à Bruxelles leurs budgets nationaux pour voir s'ils sont conformes aux normes « austéritaires ». Mais lorsqu'il s'agit de réduire les émissions de GES, aucune contrainte réelle n'est envisagée : il n'y a pas lobby pour cela ou, du moins, ils sont bien moins puissants que ceux de la finance et de l'industrie, capables d'imposer l'austérité généralisée.

Personne n'a encore porté l'exigence d'une austérité environnementale. Je crois pourtant que nous n'atteindrons pas les objectifs fixés si nous n'instaurons pas d'incitations fortes pour des productions et un développement propres.

Finalement, monsieur Hulot, il vous a fallu vingt-cinq ans pour aboutir à la même conclusion que Marx, à savoir qu'une série de crises successives débouche sur une crise durable ! (Sourires)

J'aimerais vraiment connaître votre point de vue sur l'Allemagne. Contrairement à ce que pensent certains, je ne suis pas pour le tout nucléaire – cette énergie aura une fin, comme les autres. Cela dit, la superficie de notre territoire ne nous permettra pas d'installer suffisamment d'éoliennes, pour couvrir nos besoins en électricité. Cette énergie est du reste quasiment inexistante aujourd'hui. En outre, la moitié de notre production hydraulique va s'arrêter à cause de la loi sur l'eau ! (Murmures) Comment allons-nous faire ?

Développer l'écologie, c'est très bien, mais encore faut-il produire ! Il faut préserver l'industrie. L'isolation des habitations implique de fabriquer de la laine de verre, du placoplatre, des parpaings ! En trente ans, les efforts du secteur industriel en matière de mise en conformité ont été considérables : il ne faut pas les nier.

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Monsieur Hulot, j'ai apprécié votre discours sur la nécessité d'une mobilisation beaucoup plus forte pour sauver la planète. Pour autant, votre discours me semble très pessimiste, car vous n'insistez pas suffisamment sur le lien entre écologie et progrès social – pour la santé, le développement durable, la justice sociale. Pour ma part, je considère que l'écologie ne doit pas être impopulaire, qu'elle ne doit pas créer des peurs, comme c'est le cas aujourd'hui. Je m'attendais donc à un discours beaucoup plus offensif.

J'ai lu votre interview dans le journal Le Monde. Oui, vous avez raison : les élus, les États veulent lutter contre le chômage, ce qui est tout à fait légitime, mais si nous poursuivons dans la voie du développement actuel, nous n'atteindrons pas les résultats escomptés en matière de créations d'emplois et nous subirons les catastrophes que vous annoncez. Vous parlez d'un changement de paradigme : j'aurais aimé vous entendre sur la définition d'un modèle, en particulier sur la transition écologique et énergétique qui constitue un des moyens d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.

J'aimerais également vous entendre sur la position de la Commission européenne, sur le nucléaire et les gaz de schiste.

Dans le cadre du débat passionnant et complexe entre économistes sur la méthode à adopter pour inciter au développement des énergies propres et limiter les émissions de gaz à effet de serre, nous tâtonnons entre carotte et bâton. Que pouvez-vous nous dire au sujet des droits à polluer ? Faut-il chercher à améliorer à court terme le marché des droits à polluer, faut-il taxer les émissions, ou encore maintenir un mix énergétique ?

Dans le cadre de votre think tank, vous introduisez la notion de démocratie écologique, en partant du constat que le système actuel est incapable de prendre en charge les enjeux du long terme et qu'une réforme de nos institutions est incontournable. Permettez-moi de vous faire remarquer que le temps démocratique est celui d'un mandat et que nous autres, responsables politiques, élus, posons des actes qui vont bien au-delà. Pouvez-vous développer davantage votre argument dont la logique ne me paraît pas évidente ?

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Beaucoup de questions que je souhaitais poser l'ont déjà été, et je ne les reprendrai donc pas. Elles concernaient notamment la conférence internationale de Paris en 2015 et tous les espoirs qu'on place en elle.

Êtes-vous favorable, monsieur Hulot, au lancement d'un Green New Deal européen qui serait créateur d'emplois, ainsi qu'à la création d'une Organisation mondiale de l'environnement qui permettrait une gouvernance équitable et démocratique ?

Vous êtes membre du Conseil national de la transition énergétique (CNTE) et avez pris part au débat national sur la transition énergétique (DNTE). Votre fondation appelle notre pays à s'engager dans cette voie. Quels éléments souhaiteriez-vous absolument voir figurer dans la future loi ?

C'est votre ouvrage pédagogique Le syndrome du Titanic qui m'a fait prendre conscience de la nécessité de s'engager pour la planète. Ayant beaucoup de respect pour vous et soutenant activement votre combat, je partage votre découragement devant l'inaction des États. Et ce n'est pas ce que j'ai entendu à la conférence de Varsovie en décembre dernier qui a pu me réconforter ! La crise nourrit les sentiments les plus bas de l'humanité, notamment l'égoïsme que traduisent le primat donné au court terme et l'attitude consistant à penser « Après moi, le déluge ! ». Comme vous, nous pensons qu'un autre chemin est possible. Mais là où nous divergeons, c'est sur les moyens de la mobilisation. Je ne vous suivrai pas dans votre appel aux autorités religieuses en ultime recours. Après l'appel que vous avez lancé au Saint-Père, ne nous resterait-il plus, à ce point de découragement et de désespoir, qu'à nous tourner vers Dieu et à revenir à l'hostie hebdomadaire, dont j'ai eu l'occasion, dans mes jeunes années, de mesurer l'efficacité toute relative avant de m'en séparer définitivement à l'adolescence – sans l'aide de Closer…? (Sourires)

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Je salue, monsieur Hulot, le combat que vous menez depuis des années auprès des divers gouvernements de notre pays pour la défense de la planète. Des succès ont été enregistrés, dont je veux pour preuve la tenue du Grenelle de l'environnement et les lois qui ont suivi. La France fait certes aujourd'hui figure de bon élève, mais on ne peut qu'être déçu de l'attitude d'autres grands pays. Quelle action mène votre fondation à l'international ? Comment sensibiliser les grandes puissances concernées en Europe, en Asie et outre-Atlantique ? Les Jeux olympiques de Sotchi, tenus pour la compétition olympique la plus polluante de l'histoire, ont déjà occasionné des dommages irrémédiables aux écosystèmes. Nous sommes tous, hélas spectateurs impuissants de ce désastre.

Quelle est par ailleurs votre position sur l'exploitation des gaz de schiste ?

Après votre exposé à la tonalité pessimiste, je souhaiterais terminer par une note plus optimiste. Il n'y a pas de fatalité : il est possible de changer de modèle pour accompagner les mutations qui s'imposent dans de multiples domaines, qu'il s'agisse d'environnement ou d'État-providence par exemple. Écoutons Delacroix qui nous disait que « l'adversité rend aux hommes les vertus que la prospérité leur enlève ».

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Merci, monsieur Hulot, pour votre brillant exposé, en effet teinté de pessimisme.

Au grand dam des associations de défense de l'environnement et à l'encontre du souhait du Parlement européen qui appelait en 2012 à une interdiction totale de la fracturation hydraulique dans certaines zones, le 22 janvier dernier, la Commission européenne adoptait une recommandation qui laisse la voie libre à l'exploitation du gaz de schiste en Europe, à la seule condition de respecter certains principes communs sanitaires et environnementaux. Refusant d'imposer des normes juridiques contraignantes pour l'exploration et l'exploitation de ce gaz, elle a toutefois prévu une évaluation dans les dix-huit mois à compter de la publication du texte au Journal officiel de l'Union européenne, ne s'interdisant pas d'édicter des règles juridiquement contraignantes si les États ne respectaient pas ses recommandations.

Le gaz de schiste reste très controversé en Europe. Certains pays, comme le Royaume-Uni, le Danemark, la Pologne et la Roumanie, développent des projets d'exploration. La France et la Bulgarie pour leur part, en ont interdit l'exploitation. L'Allemagne a banni la technique de la fracturation hydraulique dans les zones riches en eau de son territoire. Selon la Commission, une révolution du gaz de schiste semblable à celle qui a eu lieu aux États-Unis est hautement improbable en Europe. Mais elle estime aussi qu'il faut développer toute ressource propre de gaz, conventionnel ou non, susceptible de réduire la dépendance énergétique de l'Union. Quel est votre sentiment sur sa décision ?

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Dans votre exposé peut-être pessimiste, j'ai surtout entendu, pour ma part, un appel à la créativité. Les écologistes prônent depuis longtemps une telle écologie des solutions. En effet, si on en restait au scénario, hélas crédible, qui se dessine, on se dirigerait tout droit vers la guerre – le mot n'a certes pas été prononcé, on préfère, pour ne pas effrayer, parler seulement de « conflits ». Mais de fait, des guerres ont d'ores et déjà lieu dans certains pays autour des ressources naturelles comme l'eau et d'autres éléments vitaux.

La résistance au changement la plus forte sur le plan international est-elle aujourd'hui de nature politique ou vient-elle des lobbies de l'industrie ou de la finance ?

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Pourrait-on avoir des précisions sur la mise en place d'un guichet unique de la rénovation, souhaitée par votre fondation, et qui devrait permettre d'atteindre l'objectif d'un million de logements rénovés ?

Votre fondation a demandé, on le sait, l'annulation d'un permis d'exploitation aurifère en Guyane. Que pensez-vous de la future réforme du code minier qui ferait incomber aux exploitants la gestion des dégâts de l'après-mine et mettrait en place un fonds national de l'après-mine, chargé de pallier leur défaillance éventuelle et d'indemniser les victimes des dommages ?

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La Commission européenne vient de proposer aux États membres de réduire de 40 % leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Le commissaire à l'énergie juge, pour sa part, cet objectif irréaliste pour l'économie européenne et fait valoir que les gros efforts consentis par l'Union européenne pour sauver le climat mondial sont contrecarrés par le reste du monde, notamment les pays émergents. Que faire pour que ceux-ci prennent conscience du danger et engagent enfin des actions pour réduire leurs émissions ?

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Avec ses quelque huit millions d'hectares, soit environ un tiers de la forêt française, la forêt guyanaise regorge, de par sa faune et sa flore, de ressources à la valeur inestimable, notamment de plantes aromatiques, tinctoriales et médicinales. En dépit des mesures prises pour assurer sa protection et sa valorisation, ce patrimoine national reste menacé par les activités liées à l'orpaillage illégal, dont les conséquences sur les milieux naturels et les hommes ne peuvent même être évaluées. Toute une nature se meurt et les jeunes Amérindiens se suicident en silence, malgré les cris de colère poussés par la population, les ONG, les élus, et même un commandant de la gendarmerie dans le département qui a dénoncé l'inefficacité presque totale de l'opération Harpie, censée pourtant éradiquer le fléau de l'orpaillage illégal. Afin de donner un écho national, voire international, à la situation catastrophique que connaît la forêt guyanaise, pourriez-vous envisager un séjour en Guyane à l'occasion de la première édition de la Journée internationale des forêts en France, qui se déroulera du 14 au 21 mars prochain ? D'avance, je vous en remercierais. Nous sommes prêts à lancer une souscription pour que les ONG puissent prendre en charge le prix de vos billets d'avion.

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Nous sommes en effet passés d'une ère d'abondance à une ère de rareté, et sommes même peut-être aujourd'hui à l'aube d'une ère de pénurie. Merci donc, monsieur Hulot, d'alerter sur la situation. Vous connaissez le modèle de transition que je défends pour économiser les ressources, avec l'approche de l'économie dite circulaire. Mais là encore, c'est une approche transversale qui fait défaut. Comment rendre notre gouvernance plus transversale afin de dépasser les cadres préétablis et permettre que s'exprime vraiment la créativité ? Il faudrait notamment que l'économie circulaire acquière plus d'importance et de visibilité, à la fois au ministère de l'écologie, au ministère du redressement productif, au ministère de l'économie et au ministère de l'éducation.

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En tant qu'élu local chargé dans ma collectivité des questions de développement durable, j'ai constaté que la créativité se situait plus souvent du côté des territoires et de la société civile que du côté de l'État et des structures inter-gouvernementales, qui donnent plutôt un sentiment d'inertie. Dans notre pays très centralisé, la difficulté est encore plus grande. Quelle serait, selon vous, la bonne gouvernance écologique ? La réponse n'est certainement pas indépendante de la réforme territoriale en cours.

Au cours des travaux d'une mission d'information sur la mise en application de la loi sur le Grand Paris, nous avons été amenés à interroger plusieurs entreprises sur le sort qui serait réservé aux 80 millions de tonnes de déblais issus du creusement du futur métro automatique. À notre grande surprise, les acteurs du secteur du recyclage nous ont expliqué que des possibilités de réutilisation existaient, les technologies étant parfaitement maîtrisées, mais que, du fait des cahiers des charges, les principaux donneurs d'ordre – SNCF, RFF et EDF – donnaient la préférence aux matériaux primaires pour réaliser les remblais de voies routières ou ferrées, alors même que les produits recyclés coûtent 30 % de moins pour des caractéristiques équivalentes. Il y a donc loin des bonnes intentions, de l'affichage politique du greenwashing, à la réalité de la commande publique !

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Je partage vos constats, monsieur Hulot, et j'aimerais que votre interpellation provoque un sursaut des consciences.

Je n'ai pas la même approche que notre collègue Philippe Plisson concernant la mobilisation des autorités morales et religieuses. La question reste : comment mobiliser la société civile internationale, notamment dans la perspective de la conférence de 2015 ?

Les ONG, qui concourent à la définition de l'intérêt général, sont les principaux acteurs de la démocratie environnementale dans notre pays. Même si je sais que les fonds publics ne sont pas seuls en cause, je ne souhaiterais pas que sous cette législature, les ONG environnementales s'affaiblissent. Que pourrions-nous faire, nous parlementaires, pour éviter cet affaiblissement ?

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Vous dites vous sentir parfois seul, monsieur Hulot. Imaginez alors quelle peut être la solitude du parlementaire de base !

Grâce à la modélisation mathématique, la climatologie progresse beaucoup aujourd'hui, comme l'a fait avant elle la météorologie. Mais quel est le degré de fiabilité des prévisions d'experts comme ceux du GIEC ? Je m'interroge sur la pertinence des projections à cinq, dix ou quinze ans.

Comme vous, je crois à la créativité des individus pour trouver des solutions. Les ordinateurs, avez-vous dit, nous ont permis « d'externaliser nos cerveaux ». La découverte de l'imprimerie a permis de stocker une mémoire considérable dans les dictionnaires et les encyclopédies, ce qui a permis à l'homme d'imaginer de nouvelles solutions. Pensez-vous que la révolution numérique nous permettra d'inventer de nouvelles voies en matière d'écologie ?

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À toutes ces questions, je n'en ajouterai que deux. La réussite de la conférence de Paris en 2015 ne passera-t-elle pas par l'institution d'une taxe sur les transactions financières au niveau européen, dont une partie du produit pourrait alimenter le Fonds vert, créé au profit des pays en développement ?

Aujourd'hui strictement diplomatique, la gouvernance des sommets internationaux consacrés au climat ne devrait-elle pas à l'avenir associer des territoires, des agglomérations, voire de grandes entreprises qui se mobilisent dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

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Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la nature et l'Homme

Si j'étais vraiment pessimiste, comme plusieurs d'entre vous semblent le penser, je consacrerais moins d'énergie à mon engagement. L'optimisme et le pessimisme sont les deux faces d'une même médaille, qui a nom la capitulation. Que l'on soit optimiste et que l'on pense que tout finira par s'arranger, ou que l'on soit pessimiste et que l'on considère que tout est perdu, dans les deux cas, on s'en remet au destin. Même si chaque jour peut être grande la tentation de se résigner, il faut au contraire se garder de tout fatalisme. Au vu du temps qui a été nécessaire à la prise de conscience, préalable à toute action, et de la vitesse à laquelle on est ensuite passé de l'indifférence à une forme d'impuissance, on peut certes douter du moment où s'engagera vraiment la mutation. Mais d'un pessimisme de la raison, il faut passer à un optimisme de la volonté.

L'enjeu écologique et l'enjeu social sont intimement liés. Partout, les premières victimes de la crise écologique sont les plus démunis, et ces victimes se comptent déjà par centaines de milliers. Dans certains pays du Sud, les souffrances sont déjà quotidiennes. Si nous ne concluons pas aujourd'hui de pacte de responsabilité planétaire, ce sont tous nos enfants qui souffriront demain. Il en va rien moins que de l'avenir de l'humanité. Du temps du commandant Cousteau déjà, on évoquait le sort des générations futures, mais on pouvait croire alors qu'on visait le XXIIe siècle. Or, c'est aujourd'hui, en ce XXIe siècle, que tout va se décider. Il y a de quoi être inquiet car il est extrêmement difficile de tenir compte à la fois du court terme et du long terme. Selon les lunettes que l'on chausse, ce ne sont pas les mêmes décisions qui semblent s'imposer. Si l'on regarde à court terme, on encouragera par exemple sans réserve l'exploitation des gaz de schiste, alors que si on porte le regard plus loin, d'autres arguments prévaudront. C'est la combinaison de ces deux horizons qui rend l'équation du développement durable si difficile à résoudre. Il n'existe pas de solution simple. Il n'y a que des problèmes complexes, appelant des solutions complexes.

À un tel carrefour, on ne pourra s'accommoder plus longtemps des postures et des clivages traditionnels. Rassemblons-nous pour être les plus créatifs possible : il n'y a pas d'alternative. Mais ce n'est pas dans l'épaisseur du trait que pourront s'opérer les changements nécessaires. C'est de cap qu'il faut changer. Nous n'avons pas d'autre choix que de nous engager à fond dans la transition écologique, porteuse d'ailleurs d'un modèle économique grâce auquel on peut espérer réindustrialiser une partie de la France et de l'Europe. Il n'est pas possible d'attendre et de laisser faire en pensant que notre modèle économique pourrait continuer de prospérer. La Banque mondiale elle-même, que l'on ne peut soupçonner de parti pris – les experts du GIEC sont parfois plus contestés, alors qu'eux non plus n'ont aucun parti pris – explique fort bien que la crise écologique, et tout d'abord la crise climatique, aura un coût économique considérable.

Soyons volontaristes, faisons preuve d'imagination et acceptons de changer de modèle. La phase de transition est difficile car il faut investir, alors même qu'il existe une grande part d'inconnu sur le futur. Mais la seule chose certaine, en revanche, est que, sur la trajectoire actuelle, il ne saurait y avoir de dénouement heureux pour quiconque.

Notre rôle, le mien comme le vôtre, n'est pas facile. Il nous faut à la fois montrer que le chemin actuel mène à une impasse mais aussi, et c'est là qu'il nous faut probablement faire preuve de plus de pédagogie, montrer qu'il en existe un autre, praticable, et même séduisant, et que les enjeux économiques, sociaux et écologiques ne sont pas incompatibles. La préoccupation sociale et la préoccupation écologique sont au contraire intimement liées. Il suffit pour s'en convaincre de songer aux centaines de milliers de foyers confrontés dans notre pays à la précarité énergétique.

Est-ce que j'en appelle à Dieu car seul un miracle pourrait maintenant nous sauver ? Même si la conférence de Copenhague n'a pas été un échec total, force est de constater qu'elle n'a pas permis de placer la communauté internationale sur la trajectoire que recommandent les scientifiques et les experts. En 2015, lors de la conférence de Paris, l'humanité aura donc rendez-vous avec elle-même. On ne peut se permettre un nouvel échec, qui mènerait sur une voie irréversible. Ce rendez-vous est donc crucial. Le rôle de la France, qui ne fait qu'accueillir cette conférence des parties, est limité. Nous pouvons créer un cadre apaisé, et déjà, avec l'Union européenne, nous montrer exemplaires, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui. Nous pouvons surtout dialoguer et écouter les points de vue de chacun.

Dans le cadre de la mission qui m'a été confiée par le Président de la République, j'ai rencontré l'an passé de nombreux responsables politiques internationaux. Chaque pays, à sa manière, développe d'excellents arguments pour ne pas agir tout de suite, mais plus tard, se dédouaner de sa responsabilité, ou encore ne vouloir s'engager que lorsque tel autre pays aura fait de même. Sur cette pente, on va vers un blocage des négociations en 2015. Si l'on pense vraiment que l'enjeu est crucial, il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir. Quelqu'un s'est étonné l'autre jour auprès de moi que j'aie rencontré le pape pour parler d'environnement, comme si cela était déplacé. Mais est-ce déplacé quand la pollution atmosphérique tue déjà sept millions de personnes par an ?

Parce que nous sommes à un carrefour de civilisation et parce que demeurera toujours la question fondamentale du sens, oui, à côté des réponses politiques, technologiques, économiques qui pourront être apportées, il est bon que les Églises et les intellectuels s'engagent. Vous évoquiez le progrès et la révolution numérique. Nous aurons besoin de tout le génie humain. Mais encore faut-il donner un horizon et dire où faire porter l'effort. On ne peut continuer de se disperser sur tous les fronts. Il faudra, à un moment, fixer les priorités pour orienter l'effort de recherche et les investissements. Pour moi, la priorité absolue doit être accordée à la transition écologique, et tout l'effort porter là-dessus.

Je me suis rendu au Vatican car je pense que les autorités religieuses doivent mettre les responsables politiques devant leurs responsabilités. L'Histoire retiendra celles et ceux qui auront tenté de débloquer le processus pour l'échéance de 2015 et pointera du doigt celles et ceux qui auraient laissé le monde entier basculer dans l'irréversible.

Il faut jouer à la fois sur les deux registres de l'inquiétude et de la créativité.

Les ONG, les hommes et les femmes politiques, qu'ils soient élus sur le plan national ou sur le plan local, où en effet le changement est parfois en marche de manière plus probante, sont-ils capables de se retrouver sur ces sujets-là ? Il peut exister des divergences sur les modalités de la transition énergétique par exemple, mais cela doit-il occulter tous les autres points sur lesquels nous pouvons être d'accord ?

Avant d'en venir aux outils, je voudrais insister sur un préalable, que j'avais déjà évoqué dans Pour un pacte écologique : je ne suis pas certain qu'il existe des solutions de droite ou des solutions de gauche pour répondre à des problèmes comme ceux que nous évoquons ici. Dès lors qu'il s'agit de l'avenir de nos enfants, le préalable me paraît être de dépasser la petite politique politicienne.

Pour le reste, ne me demandez pas de décrire ici une boîte à outils que je ne possède pas. Je n'en ai d'ailleurs pas les compétences. Ma fondation a son propre think tank et travaille sur divers outils, non encore finalisés.

Pour s'engager résolument dans la transition énergétique et écologique, orienter les filières de production, les comportements de consommation, et tout le modèle économique dans le bon sens, plusieurs changements sont nécessaires.

Le premier d'entre eux est ce que j'appellerai le basculement des régulations. Le dénominateur commun de toutes les crises actuelles – crise financière, crise économique, crise écologique, crise du capitalisme, lequel est bien en crise de par ses excès – est notre incapacité à nous fixer des limites. Or, la finitude même de la planète nous impose des limites. Point n'est besoin d'être Prix Nobel pour comprendre qu'une croissance infinie n'est pas possible dans un monde fini. Ne vous méprenez pas, je ne défends pas ici la décroissance. Les écologistes ne sont pas « contre tout ». Ils souhaiteraient même que certaines choses se développent très vite, mais pensent en revanche que d'autres devront être régulées pour des raisons sociales ou écologiques, et qu'il va nous falloir changer certains comportements afin de ne pas subir violemment la pénurie. Hélas, ce sujet central de la régulation n'est pas aujourd'hui abordé de manière cohérente. Ainsi, d'un côté se tiennent des assises de la fiscalité, tandis que de l'autre, travaille un comité pour la fiscalité écologique. Ces deux instances croiseront-elles leurs réflexions ?

Le principe en matière fiscale devrait être de taxer ce qui est négatif et de favoriser ce qui est positif. C'est pourquoi il faudrait réfléchir en un même mouvement sur la fiscalité en général et sur la fiscalité écologique en particulier. Tant que l'on donnera, à tort ou à raison, le sentiment que cette dernière est une fiscalité additionnelle, elle ne pourra qu'être rejetée. Lorsqu'on sera parvenu à faire comprendre que la fiscalité écologique, pour la plupart des acteurs économiques et des particuliers, n'entraînera pas de hausse de la pression fiscale, qu'elle ne vise qu'à inciter à des comportements vertueux afin de limiter la pollution et d'économiser l'énergie, les matières premières et les ressources naturelles, et que tous peuvent en attendre des gains de pouvoir d'achat, on pourra y réfléchir de manière rationnelle. Certains pays scandinaves se sont engagés sur cette voie de la vertu écologique et ont mis en oeuvre de profondes réformes fiscales, sans que leur compétitivité économique n'en soit affectée.

Le débat sur la transition énergétique en France a été un très bel exemple de dialogue et de concertation, de processus démocratique associant experts, ONG, scientifiques, collectivités, organisations syndicales… Mais après ce foisonnement, il y a, hélas, eu beaucoup de perte en ligne – c'est notamment vrai de la conférence environnementale. On a pu avoir le sentiment, une fois les débats achevés, que des discussions se poursuivaient dans l'ombre.

La transition énergétique, élément clé pour le futur, doit privilégier deux priorités, sur lesquelles chacun s'accorde mais qui vont se heurter au problème du financement. Quel que soit le modèle énergétique retenu, l'efficacité énergétique est la priorité des priorités. L'énergie est devenue le premier facteur de compétitivité. Aussi toute énergie qu'on pourra ne pas consommer, à service et confort égal, est-elle bienvenue. Nos entreprises savent parfaitement faire en ce domaine, pourvu que les règles soient clairement fixées. Plusieurs d'entre elles, françaises et européennes, ont, il y a peu, interpellé la Commission européenne pour que soient durcies les normes d'écoconception. Elles avaient elles-mêmes calculé que des économies se chiffrant en milliards d'euros pourraient en résulter, à leur profit mais aussi au profit des consommateurs, que cela pourrait permettre de créer un million d'emplois et d'éviter le rejet dans l'atmosphère de 500 millions de tonnes de gaz à effet de serre. C'est ce cercle vertueux qu'il faut enclencher.

La deuxième priorité est celle des énergies renouvelables. Certains peuvent encore être tentés de les opposer, de manière caricaturale, à l'énergie nucléaire par exemple, en expliquant que ce n'est pas celles-là qui remplaceront celle-ci. Mais elles n'en sont qu'au début de leur développement. La situation sera différente lorsqu'elles feront vraiment partie du bouquet énergétique, d'autant que les évolutions vont être beaucoup plus rapides qu'on ne le pense en matière d'efficacité énergétique. Comme je l'ai constaté à l'occasion de deux voyages récents en Chine et aux États-Unis, ces deux pays ont parfaitement intégré qu'une grande partie de la solution passait par les énergies renouvelables. Parmi ces énergies, il y a bien sûr l'éolien, le solaire, la biomasse, notamment la filière bois sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, la géothermie, mais aussi les énergies marines – il en existe plusieurs sources, qui toutes présentent l'avantage de n'être pas intermittentes. Dans ce domaine, la France possède un énorme potentiel. Mais là encore, du retard a été pris, et du temps va s'écouler entre les expérimentations et le développement des solutions sur le plan industriel. Il faut progresser sur la question du stockage de l'énergie produite de façon intermittente. Certains pays avancent d'ailleurs à grands pas dans ce domaine. Une fois cette difficulté maîtrisée, la vision du potentiel des énergies renouvelables sera toute autre.

La mise en oeuvre de ces deux priorités est bien sûr conditionnée par les financements. Je vous invite à prendre connaissance des propositions de notre fondation, qui a travaillé sur les enjeux du financement à long terme. J'espère notamment que la Banque publique d'investissement (Bpi) fléchera en priorité ses crédits vers ces enjeux-là. J'aurais souhaité que, dans le futur pacte de responsabilité, certaines aides soient subordonnées à certains investissements ou orientations, bref que l'on dope l'activité économique en France dans le sens que l'on souhaite.

Un mot sur les gaz de schiste. On essaie de nous culpabiliser en nous expliquant que ce sera de notre faute si notre pays rate le train de l'innovation et s'enfonce dans le déclin économique. Je n'ignore pas qu'en peu de temps, les États-Unis sont parvenus à améliorer le solde de leur balance commerciale grâce aux gaz de schiste. S'il était démontré de manière certaine que l'exploitation de ces gaz n'avait pas d'impact sur l'environnement, ni en surface ni en sous-sol, il ne faudrait pas être dogmatique. Mais outre que cette démonstration n'a pas été apportée pour l'instant, la France ne peut faire abstraction de ses engagements en matière climatique. Il faut savoir aussi qu'avec des techniques plus respectueuses de l'environnement, les coûts ne seraient pas de l'ordre de ceux constatés au Canada ou aux États-Unis. La rentabilité économique de cette exploitation mériterait donc d'être évaluée. Enfin, les sommes qu'on y consacrerait seraient autant d'argent capté au détriment des deux priorités que j'évoquais plus haut.

Quelles que soient nos positions sur le nucléaire, chacun sait que notre pays ne pourra pas en sortir demain et que, même si nous devons réduire notre parc, celui-ci doit nous permettre d'assurer la transition énergétique sans avoir recours aux énergies fossiles non conventionnelles.

Pour ce qui est de l'Allemagne, tous les rapports montrent qu'elle tient encore ses objectifs en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. En dépit d'un recours accru aux énergies fossiles, le pays reste sur la trajectoire qu'il s'est fixée.

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On n'utilise pas davantage d'énergies fossiles en Allemagne. Le gaz est seulement remplacé par le charbon.

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Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la nature et l'Homme

L'Allemagne a fait le double pari d'aller vers l'autonomie énergétique grâce aux énergies renouvelables et de ne pas accroître ses émissions de gaz à effet de serre. Dans la période de transition, certains choix sont inévitables. Il n'existe pas de solution parfaite. L'Allemagne a choisi celle-là.

Imaginons que l'Union européenne ou la France parviennent à l'indépendance énergétique grâce aux énergies renouvelables, rêve qui n'est d'ailleurs pas inaccessible. Les conséquences en seraient considérables à tous points de vue : notre balance commerciale serait équilibrée, la donne géopolitique serait également profondément modifiée car nous sommes aujourd'hui dépendants, y compris pour le nucléaire, de certaines routes et notre approvisionnement est loin d'être parfaitement sécurisé.

Lorsqu'on saura tirer tout le parti possible des énergies renouvelables et qu'on aura amélioré l'efficacité énergétique, il est même envisageable de retrouver une certaine forme d'abondance énergétique. Il existe dans le secteur du bâtiment des gisements considérables d'économies d'énergie, à service et confort égal. Il faut donc s'engager à fond dans cette voie en fixant un cap et en sachant être pragmatique s'agissant du calendrier et des moyens.

La Commission européenne va proposer au Conseil que l'Union réduise de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. C'était un minimum, nous aurions souhaité davantage. Certains se demandent à quoi cela sert si l'Europe agit seule et estiment que celle-ci, plutôt exemplaire, n'a pas été payée en retour de ses efforts. Je reconnais que lorsque je rentre de Chine ou d'Inde, je suis moi-même plus indulgent à l'égard de l'Union européenne. Mais à attendre que tous se comportent parfaitement, le risque est de ne rien faire ! Sachant que, plus la contrainte sera forte, plus la créativité sera grande, n'avons-nous pas intérêt à laisser ce qui deviendra incontournable susciter une offre, à laquelle nous serons capables de répondre ? Il faut consentir le plus d'efforts possible dans le bâtiment, les transports, l'énergie, l'agriculture – la Cour des comptes a rappelé que l'on ne sollicitait pas assez les secteurs du transport et de l'agriculture pour tenir nos engagements en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. S'il a fallu cesser d'encourager le développement de la filière solaire, c'est que nous étions inondés de panneaux photovoltaïques chinois, mais si cela s'est passé ainsi, c'est aussi que nous n'étions pas prêts.

On constate, hélas, actuellement en Europe un certain relâchement, sous la pression de quelques pays. Les Polonais commencent de déchanter s'agissant du gaz de schiste, s'apercevant que la rentabilité économique n'est pas aussi mirobolante qu'on le leur avait annoncé. Pour moi, le gaz de schiste n'est pas une option en France, et d'ailleurs elle n'est pas, que je sache, envisagée. J'espère que la future loi sur la transition énergétique affichera une ambition, assortie des moyens nécessaires pour l'atteindre.

Tant que quelques-uns – cela vaut à l'échelle mondiale comme à celle de notre pays – continueront d'être considérés comme des empêcheurs de tourner en rond, tout simplement parce que le constat n'est pas partagé, on restera dans une position stérile de confrontation, laquelle constituera une entrave à la mutation, à ce qu'Edgar Morin appelle « la métamorphose ». Quelle que soit la qualité d'un ministre de l'environnement, quand il est isolé dans son propre gouvernement, sa marge de manoeuvre est réduite. Quand l'écologie à l'Assemblée nationale n'est représentée que par un groupe à l'effectif réduit, il est difficile de progresser...

J'en appelle à chacun pour faire preuve d'imagination et surtout ne pas être réticent à juger pertinente une proposition qui l'est, même si elle émane d'un autre camp que du sien. J'enfonce là des portes ouvertes, me direz-vous. Mais je suis si souvent triste devant tant de gâchis d'intelligence à cause de telles postures. Ainsi aux États-Unis, le marqueur politique du parti républicain est de s'opposer à tout engagement en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, alors que lorsqu'on les rencontre en privé, des sénateurs républicains reconnaissent que leur pays se trompe lourdement en ne s'engageant pas davantage. Ils prennent conscience que les événements climatiques extrêmes commencent d'affecter l'économie américaine et qu'un modèle économique nouveau peut se mettre en place, susceptible de « rapporter gros ». Dans le même temps, les militaires démontrent que la menace climatique pèse autant que la menace terroriste sur la sécurité intérieure américaine. Ces marqueurs, qui cristallisent les clivages et empêchent la mutualisation, sont profondément dommageables. On ne réussira pas si chacun reste dans son coin. Les ONG n'ont pas la possibilité de relever tous les défis, elles ont aussi leurs angles morts et, de toute façon, elles n'ont pas toujours les moyens de mener à bien les projets.

Il faudrait multiplier les occasions de dialogue, comme celui que nous avons aujourd'hui, en sachant dépasser les clivages politiques, ce qui n'empêche pas ensuite chacun, le moment venu, d'exprimer ses différences. Voilà vingt-cinq ans que je dialogue avec des hommes et des femmes, de droite et de gauche. En privé, chacun dit partager le combat que je mène. En public, plus grand monde ne l'assume.

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En public, il ne reste que les hommes de gauche (Rires).

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Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la nature et l'Homme

Pourquoi ? Si l'on est convaincu de l'importance des enjeux, peut-être pourrait-on faire l'effort de laisser les armes au vestiaire le temps de la réflexion et des propositions.

S'agissant de gouvernance, notre fondation considère que les instances actuelles sont inadaptées aux enjeux universels du long terme. L'échec récurrent des grandes conférences internationales sur le climat en est la preuve. Les délégations se rendent à ces sommets dans le même état d'esprit que pour des négociations multilatérales traditionnelles, chacune représentant les intérêts de son pays et se dédouanant du maximum de responsabilités en amont et en aval, sans tenir compte du fait que, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous sommes confrontés à des enjeux universels. À l'issue de la conférence de Paris en 2015, ou tout le monde aura gagné ou tout le monde aura perdu. Plutôt que de s'en remettre à de tels sommets pour la coordination et la régulation, il serait bien sûr plus efficace qu'une Organisation mondiale de l'environnement édicte des règles communes. Si le projet a été envisagé à un moment, il ne figurait pas dans les résolutions du sommet Rio+20 et n'est donc plus, hélas, à l'ordre du jour.

J'en reviens à la France. Dans un monde où tout va de plus en plus vite, il est difficile, notamment pour l'exécutif, de tenir compte à la fois des deux horizons des court et long termes. D'autant que pour les enjeux de court terme, chaque intérêt particulier n'hésite pas à se manifester, parfois de manière vive, grâce à la multitude de canaux d'expression, alors que les enjeux de moyen et long terme exigent au contraire de prendre le temps d'une réflexion apaisée et documentée. Ne faudrait-il pas à un moment scinder les deux degrés de réflexion, pour les recombiner plus tard, de façon que le long terme soit mieux pris en considération ? Dominique Bourg, vice-président de notre fondation, a développé toute une réflexion sur ce sujet.

D'excellents travaux, comme ceux du Commissariat général à la stratégie et à la prospective ou du Conseil économique, social et environnemental, ne sont pas suffisamment mis à profit. Depuis combien de temps traîne dans les tiroirs le rapport de Guillaume Sainteny sur les aides publiques dommageables à la biodiversité, qui contient pourtant nombre de propositions concrètes qui pourraient être mises en oeuvre immédiatement ?

Quels sont les principaux verrous au changement ? Allons-nous assister en spectateurs, avertis mais impuissants, à la marche vers une catastrophe globale ? Pourquoi a-t-on si peu progressé en vingt-cinq ans ? À cela, je vois une cause culturelle tout d'abord : on a encore tendance à considérer, en France et ailleurs, que le progrès est irréversible, que la crise n'est que passagère et que, le temps étant notre meilleur allié, il suffit de courber l'échine et que la situation va s'arranger. Demeure aussi profondément ancrée une vision scientiste et positiviste, selon laquelle la science aurait réponse à tout : le génie humain pourrait réussir à régler de nouveau la machinerie climatique, à remplacer les écosystèmes détruits, à réparer les dommages causés par la disparition de certaines espèces… et saura, pourquoi pas, utiliser les ressources d'une deuxième planète pour satisfaire toutes nos convoitises. Il existe aussi, certes de manière marginale, un certain scepticisme quant à ces enjeux universels et à la part anthropique des changements climatiques. Mais même l'académie des sciences du Saint-Siège ne met pas en doute la responsabilité de l'homme dans ces changements.

À ces blocages culturels, s'ajoutent des verrous économiques. En effet, la transition écologique exige d'investir : pour la seule transition énergétique, les investissements se chiffrent en France en dizaines de milliards d'euros. Et une transition plus profonde aurait des coûts encore plus élevés. Si on ne réfléchit pas parallèlement sur des financements innovants ou de nouvelles modalités de financement, notamment à l'idée de solliciter un pan entier de l'économie qui aujourd'hui ne participe ni aux investissements ni à la solidarité, si on tergiverse encore pour instituer une taxe sur les transactions financières, pourtant indolore alors qu'elle donnerait de l'air à nos États, on butera toujours sur la question des moyens. C'est pourquoi il faut non seulement être convaincu qu'il s'agit de sujets majeurs mais aussi en avoir une approche holistique. À défaut, s'opposeront toujours d'un côté, un Arnaud Montebourg, défendant sa logique, et d'un autre côté un Philippe Martin ou une Delphine Batho, défendant la leur. Et ce sont de telles postures, tenues coûte que coûte, qui nous mènent de redditions en redditions.

Vous avez évoqué la Guyane et le sort des peuples indigènes. Vous savez que j'ai ardemment plaidé pour que le grand chef indien Raoni soit reçu à l'Élysée, et ce contre l'avis de beaucoup qui craignaient de froisser le Brésil. Je m'intéresse de près à ce qui se passe sur l'ensemble du continent américain, notamment au Pérou ou au Brésil, où de multiples exactions ont encore eu lieu récemment. Ce que l'on fait subir aux Indiens est une infamie : après les avoir tués une première fois lors de ce qui a bien été un génocide, puis une deuxième fois en taisant ce génocide dans l'histoire, on les tue aujourd'hui une troisième fois en niant totalement leurs intérêts. Ce sujet me tient à coeur, mais je dois reconnaître que je me sens un peu seul. J'ai eu beaucoup de mal à faire recevoir le chef Raoni dans certaines enceintes et encore davantage par les médias, que le sort des Indiens d'Amérique n'émeut visiblement pas. Pour ce qui est de votre invitation à me rendre en Guyane, monsieur Gabriel Serville, je vous en remercie mais dois préalablement vérifier certaines dates sur mon agenda.

Un mot de la Chine, où je me suis rendu récemment. Je n'y étais pas retourné depuis vingt-cinq ans et n'ai bien sûr pas retrouvé le même pays. De pays horizontal, la Chine est devenue un pays vertical. J'ai eu l'impression de me retrouver dans une imprimante 3 D géante, où tout serait démultiplié. Ce qui m'a frappé est que la Chine a depuis peu intégré dans son logiciel de développement l'enjeu climatique à cause de la pollution qui sévit dans le pays. Jusqu'à présent, Pékin ne se rendait qu'à reculons, et sous la pression internationale, aux conférences sur le climat. Aujourd'hui, lors de tous les plenums du parti, on entend parler de « civilisation écologique », et ces mots y sont associés à des objectifs et des stratégies, notamment d'économie circulaire. La pollution est devenue un problème intérieur majeur, qui a une incidence économique. Peu de temps avant mon arrivée à Shanghai, les écoles, la circulation automobile et le trafic aérien avaient été fermés durant une semaine tant la visibilité était réduite à cause de la pollution de l'air. Les autorités chinoises redoutent aussi des mouvements de masse importants à cause de ces phénomènes. Les outils qu'elles mettent en place pour lutter contre la pollution sont les mêmes que ceux permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. On peut donc nourrir un certain optimisme, d'autant que lorsque la Chine s'assigne un objectif, elle sait décliner les moyens nécessaires pour l'atteindre.

En Chine comme aux États-Unis, le contexte a donc changé, laissant espérer que d'ici à 2015, des initiatives seront prises. Les deux pays attendront sans doute la réunion que doit organiser le secrétaire général des Nations unies ou, en tout cas, la conférence de Lima en décembre 2014 pour s'avancer davantage et énoncer des objectifs.

L'objectif de la conférence de Paris en 2015 serait de parvenir à un accord applicable à tous les pays, juridiquement contraignant et assez ambitieux pour permettre de contenir le réchauffement à 2°C. Ce ne sera pas facile. En effet, les États-Unis n'étaient a priori pas prêts à s'engager, au motif que le Congrès ne ratifierait jamais un tel accord, et jusqu'à présent, la Chine considérait qu'elle devait préalablement achever son développement. Et aucun des deux pays n'était de toute façon disposé à agir si l'autre ne faisait pas de même.

Cela étant, je pense que la situation va évoluer. Je ne peux imaginer que l'administration Obama prenne la responsabilité d'un échec à la conférence de Paris. L'Histoire retiendra ce que les États-Unis auront fait ou n'auront pas fait lors de ce rendez-vous. Plusieurs signes montrent que le président Barack Obama pourrait prendre des initiatives ne requérant pas l'aval du Congrès. Il y a eu des précédents avec le Clean Air Act. Je m'en suis entretenu avec Al Gore, lors de notre rencontre. N'oublions pas non plus l'effort du pays en matière d'énergies renouvelables. J'ai visité dans le Colorado la plus grande agence de recherche au monde sur ces énergies, qui accueille quelque quatre mille chercheurs, de toutes nationalités. Ces chercheurs ont une foi absolue dans la capacité des énergies renouvelables à répondre aux besoins énergétiques de la planète. La courbe d'efficacité de ces énergies, c'est-à-dire le ratio énergie captéeénergie restituée, s'améliore très vite, tandis que la courbe de leur coût, elle, diminue tout aussi vite. Les États-Unis ont bien perçu qu'il y avait là une opportunité économique. C'en est fini de la caricature consistant à penser que trois éoliennes pourraient remplacer une centrale nucléaire ! La Chine aussi développe ces énergies à une rapidité incroyable. Elle construit certes aussi des centrales au charbon et des centrales nucléaires, mais elle va beaucoup plus vite dans le domaine des énergies renouvelables que dans celui du nucléaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup, Nicolas Hulot, d'avoir accepté notre invitation. Notre échange a été particulièrement fructueux.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 4 février 2014 à 17 heures

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Alexis Bachelay, M. Denis Baupin, Mme Gisèle Biémouret, M. Florent Boudié, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Claude de Ganay, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jacques Krabal, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Montaugé, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, M. Arnaud Leroy, M. Jean-Luc Moudenc, M. Napole Polutélé, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier

Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Batho, Mme Sophie Dessus