Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 26 mars 2015 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à dix heures trente.

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Nous avons le plaisir d'accueillir l'amiral Alain Béreau. En 2009, amiral, vous étiez rapporteur général de la commission « Ambition volontariat », présidée le ministre Luc Ferry et chargée du développement de l'engagement citoyen parmi les sapeurs-pompiers volontaires. Pendant près de dix ans, entre 2004 et 2013, vous avez fait partie du Conseil d'analyse de la société. Votre réflexion, notamment sur le caractère obligatoire d'un temps de service citoyen et sur les mesures à prendre afin de développer l'engagement sans pour autant dénaturer le service civique, nous intéresse donc au plus haut point.

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Amiral Alain Béreau, ancien membre du Conseil d'analyse de la société, membre du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires, membre du comité stratégique de l'Agence du service civique

J'avais prévu d'intervenir sur les moyens de conforter le modèle de la sécurité civile et de pérenniser le volontariat, mais j'aimerais élargir mon propos au service civique, auquel j'ai beaucoup contribué depuis plusieurs années, et vous livrer quelques réflexions personnelles sur ses évolutions actuelles.

Au Conseil d'analyse de la société, qui était chargé d'éclairer les choix du Gouvernement sur les questions de société, j'ai travaillé avec Luc Ferry sur le service civil, entre 2006 et 2008. Ces travaux ont abouti à la mise en place du dispositif actuel de service civique et de l'Agence du service civique.

Avant de vous parler d'engagement, je voulais vous dire que j'ai eu l'extraordinaire chance, presque le bonheur, d'encadrer pendant une semaine, jour et nuit, les 100 volontaires qui ont participé aux cérémonies du 14 juillet 2013 devant la tribune présidentielle, avant et après le défilé militaire. Ce fut une expérience en grandeur nature sur les jeunes d'aujourd'hui, sur leur comportement et leurs attentes.

Les travaux du Conseil d'analyse de la société sur le service civil et ceux de la commission « Ambition volontariat » sur l'engagement citoyen parmi les sapeurs-pompiers volontaires montrent bien que ce n'est pas la volonté des jeunes – et même de la population en général – de s'engager qui est en cause. Les jeunes souhaitent toujours s'engager, mais leur approche et leur pratique de l'engagement ne sont plus les mêmes que celles de leurs aînés.

À l'heure actuelle, on s'engage plus facilement pour des causes proches, liées à la famille ou aux amis, ou qui sont un peu à la mode comme celles qui touchent à l'écologie et à l'environnement. En outre, les gens se découragent plus vite face aux contraintes ou aux pressions de l'entourage. Les armées ont compris ce poids de l'entourage depuis au moins dix ans. C'est ainsi qu'un chef d'état-major de l'armée de terre m'expliquait que la fidélisation des soldats passait par celle des familles. Nous devons avoir la même approche à l'égard des sapeurs-pompiers volontaires.

J'y insiste, les jeunes veulent toujours s'engager, mais selon d'autres modalités et avec d'autres objectifs que leurs aînés. La mise en place de la commission « Ambition volontariat » partait d'ailleurs du constat qu'il y avait non pas un manque de candidats à être sapeur-pompier volontaire mais une baisse de la durée d'engagement. À l'époque, la durée d'engagement était tombée au-dessous de la barre des dix ans, ce qui ne permettait pas de « rentabiliser » la formation par l'acquisition d'expérience, précieuse pour un pompier. L'armée de terre rencontre le même problème : elle considère qu'elle ne pourra fonctionner que si elle fidélise ses engagés volontaires pendant environ sept ans, alors que l'engagement moyen ne dépasse pas cinq ans. Au bout de quelques années, l'engagé craque en raison des contraintes, des missions extérieures, du poids de la famille.

La commission « Ambition volontariat » était très ouverte. Elle était composée de pompiers de tout rang, mais aussi de philosophes, de gens de divers milieux professionnels, d'élus. Pour favoriser le volontariat ou le maintenir en l'état, il faut faire preuve de souplesse, tant dans le recrutement que dans la formation ou la gestion, et il faut donner des signes de reconnaissance. L'engagement de sapeur-pompier volontaire, comme celui de militaire, est contraignant à la fois en lui-même et parce qu'il a des répercussions sur la vie professionnelle et familiale.

La commission « Ambition volontariat » a eu la satisfaction de voir ses travaux se concrétiser dans une loi adoptée en 2011, qui a permis de mieux définir le volontariat et d'améliorer la protection pénale et sociale des volontaires. En 2013, cette loi a été complétée par un plan d'action annoncé à l'occasion du congrès national des sapeurs-pompiers de Chambéry.

Que faudrait-il faire pour conforter le volontariat, notamment dans le domaine de la sécurité civile ?

Revenons tout d'abord sur le recrutement. Durant les travaux de la commission « Ambition volontariat », j'avais fait observer que le recrutement des sapeurs-pompiers volontaires souffrait d'un manque de féminisation et de modestie dans l'appel à la diversité. C'est toujours le cas, et j'ajouterais que les étudiants, eux aussi, sont insuffisamment représentés. Les femmes représentent 13 % des sapeurs-pompiers volontaires, ce qui est un taux correct mais inférieur à celui qui est observé dans la marine et dans l'armée de terre.

Pourtant, c'est difficile de féminiser la marine ! Vous avez devant vous celui qui a féminisé la marine. Je m'honore d'avoir, dans ma carrière, permis l'embarquement des femmes sur les bateaux et de leur avoir ouvert pleinement les portes de l'École navale. Pour ce faire, j'avais à ma disposition un système centralisé : si le directeur du personnel décide de féminiser la marine – avec l'accord de son grand chef et du ministre – la décision est exécutée. Il n'y a qu'une seule direction du personnel, un seul service de recrutement. Quand j'ai décidé d'embarquer 150 femmes sur le Charles-de-Gaulle, ça a suivi. À l'inverse, les sapeurs-pompiers sont organisés par départements, et la féminisation dépend de la vision qu'en a le directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS). Pour la diversité, je pense que c'est un peu pareil.

Pour conforter le volontariat, il faudrait aussi le faire connaître. Ne nous méprenons pas, le système que décrivait le colonel Éric Faure n'est pas connu. Pourtant parvenu à un certain niveau de connaissances générales, j'ai découvert en 2009, en tant que rapporteur général de la commission « Ambition volontariat », ce qu'était le volontariat des sapeurs-pompiers en France. Je n'en avais aucune idée auparavant ! Depuis, je fais des sondages autour de moi. Combien de Français savent que nous avons 200 000 sapeurs-pompiers volontaires qui effectuent 70 % des interventions ? Combien savent que c'est grâce aux sapeurs-pompiers volontaires qu'ils seront secourus en moins de douze ou treize minutes en moyenne ?

Il faut faire un gros effort de communication, comme l'avaient demandé les volontaires lors des auditions que nous avions menées. À l'époque, l'armée de terre et la marine avaient lancé des campagnes de recrutement au moyen de spots assez modernes. Les volontaires avaient demandé à Luc Ferry d'utiliser aussi la télévision pour faire connaître le volontariat et en montrer une image positive. Ça coûte cher mais quand on veut, on peut. Quoi qu'il en soit, je pense que le système n'est pas aussi connu qu'on veut bien le croire : le Marseillais moyen, par exemple, pense que tous les pompiers de France sont marins.

Quitte à vous paraître un peu terre à terre, je pense que la promotion du volontariat passe aussi par des récompenses, signes tangibles de reconnaissance, même si l'idée peut prêter à sourire. Qui n'est pas sensible aux récompenses, et notamment aux décorations ? J'ai connu un grand moment, celui de la création de la médaille de la défense nationale par Charles Hernu, en 1983. Alors que l'initiative avait fait sourire, j'ai pu constater la fierté que ressentaient les jeunes appelés qui la recevaient à la fin de leur service.

Nous avions proposé de décerner des médailles de la société civile ; c'est la médaille de la sécurité intérieure qui a été créée. Force est de constater que cette médaille est surtout attribuée à des policiers et à des gendarmes, des professionnels qui n'ont pas forcément besoin de récompenses supplémentaires. Il y a quelque chose à faire, car il est anormal qu'un sapeur-pompier volontaire n'ait pas une décoration à porter, au bout de cinq à dix ans de service. C'est une marque de reconnaissance importante, et qui ne coûte pas cher à la République.

J'avais oeuvré pour la mise en place d'un Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires (CNSPV), en m'inspirant du Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) que j'avais contribué à mettre en place dans le cadre de la refonte du statut général des militaires, sous la direction de M. Denoix de Saint Marc. Ce HCECM, dont j'ai fait partie pendant quatre ans, fonctionne bien et rend au Président de la République et au Parlement un rapport annuel sur l'état de la condition militaire.

Le CNSPV s'est mis en place. Loin de moi l'idée d'attaquer son président, le député Jean-Paul Bacquet, qui prend son travail très à coeur. Comparés à ceux du HCECM, les moyens et le rayonnement du CNSPV restent néanmoins très modestes. Le HCECM se réunit beaucoup plus fréquemment et, surtout, il va sur le terrain. En quatre ans, j'ai fait des dizaines d'auditions dans les régiments, sur les bateaux, dans l'armée de l'air. Il serait important que le CNSPV aille auditionner des sapeurs-pompiers volontaires sur le terrain et en dehors de la présence de l'encadrement : non seulement nous apprendrions beaucoup, mais ce serait aussi une marque d'estime et d'intérêt à l'égard des sapeurs-pompiers volontaires.

Venons-en au service civique. Lorsque nous avons créé l'Agence du service civique, Martin Hirsch m'avait chargé de la formation civique et citoyenne et d'une étude sur le service civique et la sécurité civile. Tout jeune qui effectue son service civique doit recevoir une formation civique et citoyenne. Force est de constater que cela ne fonctionne pas très bien. Votre collègue Bernard Lesterlin, avec lequel j'ai beaucoup travaillé, le reconnaît et milite en faveur d'un renforcement de cette formation.

À ma demande, Martin Hirsch avait accepté qu'à l'issue du service civique, chaque jeune obtienne l'attestation prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC 1). Rappelons qu'en matière de délivrance du brevet de secourisme, la France a le bonnet d'âne. Un crédit de 50 euros par jeune était prévu. Pourtant, moins de la moitié des jeunes concernés passent ce PSC 1, parce que l'association ou la collectivité ne prend pas le temps de s'en occuper. Nous ratons l'opportunité de former tous les ans 25 000 jeunes au secourisme, et c'est d'autant plus regrettable que le service civique va monter en puissance et toucher bientôt 150 000 jeunes par an.

En ce qui concerne le service civique et la sécurité civile, nous venons de créer un système qui me paraît bon : le service civique peut être l'occasion pour un jeune de se former comme sapeur-pompier volontaire et d'être dans un centre de secours. Il faut profiter de la montée en puissance du service civique pour que ce volet « sapeurs-pompiers volontaires » prenne sa place. Cela pourrait aider François Chérèque, le président de l'Agence du service civique, dont la difficulté va être de trouver des missions à tous ces jeunes.

Martin Hirsch m'avait aussi demandé de réfléchir à la sécurité civile. Un jeune peut faire un service civique dans le domaine de la sécurité civile sans être sapeur-pompier volontaire. Il peut faire de la prévention, par exemple, alerter les gens sur la nécessité d'un débroussaillage. À Marseille, plusieurs jeunes sont affectés au bataillon des marins-pompiers et, avec des sous-officiers, ils font des tournées en camion rouge dans les quartiers difficiles pour expliquer le rôle des pompiers. Venant de ces quartiers, ils sont à même d'avoir un meilleur contact avec la population.

L'idée est que ces jeunes puissent être « gardés en mémoire », si je puis dire, pour devenir une réserve citoyenne ou de sécurité civile. En cas de catastrophe, les sapeurs-pompiers volontaires interviennent dans les premiers jours mais, par la suite, il reste des tas de choses à faire : dégager la boue, remettre en ordre, distribuer des vivres et des couvertures, parler avec les gens. Ces jeunes seraient parfaitement bien adaptés à ces missions, après avoir été formés pendant leur service civique.

Avec Luc Ferry puis Martin Hirsch, j'ai oeuvré en faveur du service civique depuis presque huit ans. Ce service doit-il être obligatoire ou volontaire ? Ma position a évolué et Luc Ferry m'a convaincu qu'il valait mieux faire appel au volontariat, à l'envie de s'engager. Je suis certain que nous avons des jeunes qui veulent s'engager : d'après un sondage que nous avions réalisé, 30 % des jeunes étaient très intéressés par un service civique volontaire. Il vaut mieux laisser le système basé sur le volontariat monter en puissance, d'autant qu'il serait très compliqué d'imposer un service volontaire.

Sur une classe d'âge de 750 000 jeunes, environ 700 000 seraient aptes à faire un service civique obligatoire de six mois – une durée à peu près correcte pour être acceptée et pour que le système ne coûte pas trop cher. Un tel dispositif gérerait en permanence de 300 000 à 350 000 jeunes. À la fin du service national, l'armée avait moins de monde mais deux siècles d'expérience et 7 000 personnes à la direction du service national. Est-on capable de prendre en charge 350 000 jeunes en permanence ? Selon le calcul effectué à partir des chiffres du service national français et des services civils allemands et italiens, un service civique obligatoire de six mois coûterait entre 4 et 5 milliards d'euros par an. Ce montant inclut une indemnité à peu près équivalente à celle versée aux jeunes qui effectuaient leur service militaire, compte tenu de l'inflation. En revanche, il n'inclut pas l'hébergement : nous n'avons plus d'infrastructure et il faudrait tout remettre en fonction. Car un jeune qui effectue son service civique obligatoire doit être complètement immergé, c'est-à-dire hébergé et pris en charge.

Il existe d'autres obstacles à la création d'un service civique obligatoire, notamment le recul – pour ne pas dire plus – des associations. Autant elles étaient prêtes à accompagner la montée en puissance d'un service civique volontaire, autant elles se refusent à prendre des jeunes que l'on obligerait à faire des maraudes, à s'occuper de personnes âgées ou handicapées. Autre écueil : est-on capable de trouver 300 000 missions pour des jeunes en service civique obligatoire, qui soient à la fois intéressantes et utiles pour la communauté et pour le jeune ?

En conclusion, je voudrais donner quelques pistes de réflexion sur la manière de conforter le volontariat. Je n'appartiens pas au monde des sapeurs-pompiers, mais il me semble qu'une partie des professionnels n'adhère pas à ce modèle de sécurité civile. Ils sont persuadés que le « tout professionnel » fonctionnerait très bien. Je participe depuis deux ans à des présentations de notre modèle de sécurité civile et de volontariat à tous les lieutenants qui entrent à l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP). Je me suis exprimé devant quelque 500 lieutenants qui, à 60 %, sont d'anciens sapeurs-pompiers professionnels sous-officiers, et j'ai constaté qu'une bonne partie d'entre eux n'adhère pas au modèle présenté.

Que faire ? Le Gouvernement, les élus, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises et les SDIS doivent montrer clairement que c'est le choix qui a été fait, qu'il n'y en a pas d'autre. Encore faut-il que les actes suivent. Il faut savoir mettre de l'argent dans des campagnes de communication sur le volontariat. Après tout, les SDIS ne lésinent pas sur d'autres dépenses. En tant que membre du CNSPV, j'avoue avoir été choqué que l'augmentation de 2 % du prix de la vacation – qui se situe entre 7 et 10 euros – ait donné lieu à une saga de plusieurs mois, quand, à la même époque, la réforme de la filière des sapeurs-pompiers professionnels coûtait des centaines de millions aux SDIS. Si l'on veut conforter le système du volontariat, il faut que la nation dise clairement que c'est le modèle qui a été choisi et qu'il n'y en a pas d'autre possible.

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Merci, amiral, pour cet exposé très cohérent et plein d'enseignements tirés de votre expérience. Vos réflexions étaient particulièrement pertinentes s'agissant de l'éventuel service civique obligatoire de six mois, de son coût et des problèmes d'hébergement qu'il pose. Si l'on vise la mixité et le brassage social, l'hébergement est primordial, et l'on peut d'ailleurs retrouver cette problématique dans l'éducation au travers des internats.

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Vous déplorez une méconnaissance généralisée du statut de sapeur-pompier volontaire, mais il me semble nécessaire de faire une distinction entre le monde urbain et le monde rural. Dans un département comme celui de l'Ain, qui compte beaucoup de communes petites et moyennes, globalement, les gens connaissent le système de volontariat chez les pompiers. Ne faudrait-il pas prévoir des dispositifs d'information différents selon que l'on s'adresse aux urbains ou aux ruraux ? En ce qui concerne les jeunes sapeurs-pompiers (JSP), constate-t-on une différence de mise en oeuvre du dispositif entre la ville et la campagne ?

Vous plaidez pour un service civique volontaire. D'un autre côté, en l'absence d'obligation, une partie de la population ne va pas être concernée – sans doute celle qui a le plus besoin de cet engagement et de ce sentiment d'appartenance. Le dispositif va être utilisé par des jeunes qui en auront peut-être besoin sur le plan personnel. Qu'en est-il de son utilité sociale, de sa capacité à impliquer les jeunes les plus éloignés du fonctionnement de notre société ? Cela me semble un contre-argument de poids.

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Amiral Alain Béreau, ancien membre du Conseil d'analyse de la société, membre du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires, membre du comité stratégique de l'Agence du service civique

Je reconnais que le système de sapeurs-pompiers volontaires est certainement bien connu dans le monde rural, mais 80 % des Français habitent déjà en zone urbaine ou périurbaine et le mouvement continue. C'est donc sur les urbains que doivent porter nos efforts.

Au passage, je voudrais redire combien j'admire le modèle des JSP. Il ne me revient pas de juger de la qualité de leur formation en matière de sécurité, d'incendie ou de secourisme, mais je trouve qu'ils reçoivent une formation civique et citoyenne tout à fait remarquable. C'est un peu ce que j'ambitionnais pour le service civique, je l'avoue, mais nous en sommes très loin. Je reste très dubitatif sur la formation civique et citoyenne dispensée dans le cadre du service civique, Martin Hirsch et Bernard Lesterlin le savent très bien.

S'agissant de votre dernière question, vous avez raison : nous ne toucherons pas une partie de la population tant que nous serons dans un système de service civique volontaire, même s'il est ouvert à tous les jeunes qui souhaitent le faire, conformément aux voeux du Président de la République – ce qui n'est déjà pas si facile à mettre en place.

Cela étant, les données recueillies depuis quatre ans par l'Agence du service civique sont corroborées par mes observations de terrain en Aquitaine : la population actuelle de jeunes qui effectuent un service civique est assez mélangée ; certains ont un bon niveau scolaire, d'autres viennent de banlieue, etc. Cela veut-il dire que les individus impliqués dans les événements de janvier auraient pu se porter volontaires pour un service civique ? Je ne le crois pas. Seule l'obligation résoudra ce problème. Mais avant de nous lancer dans un service civique obligatoire, voyons déjà comment se passe l'intégration de 150 000 à 200 000 jeunes par an. Est-on capable de bien les encadrer, de leur donner des missions intéressantes, de les héberger ?

Alors que le service militaire opérait un brassage essentiellement générationnel, le service civique permet un brassage intergénérationnel, car nombre de missions sont tournées vers les personnes âgées, par exemple. Les jeunes se trouvent aussi au contact de populations qu'ils n'auraient pas rencontrées durant un service militaire : enfants autistes, jeunes handicapés, personnes à la dérive. C'est l'une des vertus de ce service civique. Le rendre obligatoire permettrait d'impliquer tout le monde, mais c'est un vrai défi.

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Colonel Jacques Perrin, vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), président de l'Union départementale des sapeurs-pompiers de l'Isère

À la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, je suis chargé du volontariat depuis 2008 et j'ai fait partie de la commission « Ambition volontariat ». Je suis moi-même sapeur-pompier volontaire depuis quarante-deux ans, toujours en activité, et l'un des rares colonels sapeurs-pompiers volontaires dans mon département de l'Isère.

Il faut avoir de la considération pour le volontariat, un engagement citoyen librement consenti qui, dans la société actuelle, tend à s'éroder au fil des ans pour diverses raisons. Il y a trois ans, j'étais encore chef d'un centre qui comptait 240 sapeurs-pompiers volontaires et cinq sapeurs-pompiers professionnels répartis sur cinq casernes, et qui faisait 3 200 interventions par an. Dans ces fonctions, j'ai eu l'occasion de mesurer qu'un volontaire ne se gère pas comme un professionnel. Il faut le rencontrer une fois ou deux par an au minimum, s'intéresser à sa vie, à sa famille, à ses problèmes matériels ou autres. Comme Luc Ferry le faisait, comme vous venez de le faire, amiral, je tiens à insister sur l'importance de la famille des sapeurs-pompiers volontaires. Quand un sapeur-pompier volontaire s'engage, c'est toute sa famille qui s'engage avec lui.

Une personne qui donne de son temps doit sentir de la considération, sinon elle baisse un peu les bras. Un chef de caserne, qui doit faire de l'opérationnel, de la formation et des tas d'autres choses encore, peut être tenté de fermer le bureau à dix-sept heures. Pourtant, c'est après dix-sept heures, voire pendant les week-ends, qu'il doit se mettre à la disposition de ses sapeurs-pompiers volontaires s'il veut les rencontrer – ne serait-ce que pour leur montrer cette considération qu'ils attendent en contrepartie de leur engagement.

Aucun sapeur-pompier volontaire ne rechigne à consacrer 240 heures à sa formation initiale et, d'ailleurs, la qualité des secours est reconnue par 90 % des Français. Il faut fidéliser ce volontariat en prenant en compte la famille et les obligations de ces hommes et femmes qui donnent de leur temps pour leurs concitoyens. Il fut un temps où ils étaient de toutes les cérémonies et commémorations dans une commune, reconnus par la population. De nos jours, on donne dans la discrétion : il n'y a plus de sirène – ils sont appelés par bip – et les gens ont autre chose à faire que de suivre les véhicules. Les centres fonctionnent dans la discrétion, comme un service public efficace, ce qui est tout à fait logique. Seulement voilà : le bénévolat n'est plus vraiment mis à l'honneur. La médaille de la sécurité intérieure peut offrir une certaine reconnaissance, mais il faut veiller aussi à ne pas fermer les casernes. Le jour où l'on ferme sa caserne, le sapeur-pompier volontaire ne dit rien, il ne va pas revendiquer dans la rue, mais il pose sa tenue : puisque vous ne voulez plus de moi, puisque la caserne est trop loin pour que je puisse continuer mon engagement, je m'en vais. Voilà ce que je voulais dire à votre commission.

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Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès

Vous parlez l'un et l'autre de récompense. La rétribution financière n'est pas la motivation principale des gens qui prennent ce type d'engagement. Ils peuvent avoir le sentiment de participer à une aventure ou de se former, car la dimension technique est de plus en plus importante. Mais il faut aussi accorder toute l'attention qu'elle mérite à la rétribution symbolique, qui peut avoir une dimension individuelle ou familiale, comme lors de la remise d'une décoration. Avez-vous des idées de rétribution symbolique plus collective, au niveau local ou national ? Le colonel Faure nous a parlé du rassemblement national de jeunes sapeurs-pompiers volontaires qui aurait lieu l'année prochaine à Verdun. La présence du Président de la République dans ce type de rassemblement peut avoir du sens. Quelle forme pourrait prendre cette reconnaissance symbolique collective ?

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Amiral Alain Béreau, ancien membre du Conseil d'analyse de la société, membre du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires, membre du comité stratégique de l'Agence du service civique

Je milite pour un CNSPV qui aurait plus d'envergure et de moyens, qui pourrait notamment s'intéresser à ce chiffre qui m'a frappé : 30 % des sapeurs-pompiers volontaires ne vont pas au-delà de leur premier engagement de cinq ans. Il serait intéressant d'en connaître la raison. Dans la marine, j'avais mis en place une équipe sociologique capable de faire ce genre d'analyse sur les marins qui se découragent et abandonnent. L'armée de terre, où l'engagement moyen dure moins de cinq ans, a aussi une équipe très pointue qui étudie les raisons pour lesquelles les gens s'en vont.

Peut-être n'y ai-je pas suffisamment insisté lors de mon exposé : si nous avons des progrès à faire, c'est bien dans le domaine du management des volontaires. C'est exactement ce que vous avez décrit, colonel Perrin : on ne gère pas un volontaire comme un professionnel. Il reste beaucoup à faire, que ce soit au niveau des centres, des groupements, des SDIS, de l'ENSOSP. La formation à l'encadrement humain est une chose très complexe que l'on pratique dans les écoles militaires. Autant il est facile de former un pilote, autant il est difficile de former un bon chef.

S'agissant des symboles, j'ai parlé de décorations parce que j'y suis sensible et que je trouve que les pompiers ont été très mal traités. Mais il y en a d'autres : les sapeurs-pompiers volontaires doivent participer systématiquement aux cérémonies dans la commune et le département ; il faut les valoriser à la télévision par le biais de spots ou d'émissions. Vous vous doutez de l'impact qu'a eu l'émission sur le Charles-de-Gaulle, à la fin de l'année dernière, et de la fierté des marins. Depuis trois ou quatre ans que les sapeurs-pompiers volontaires participent avec fierté au défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées, il ne faudrait pas les en priver au prétexte qu'il y aurait trop de régiments.

Au niveau communal, les élus, que ce soit les députés ou les maires, doivent être présents lors d'une cérémonie dans un centre, d'un congrès départemental ou autre. Pourquoi ne pas remettre aussi des témoignages de satisfaction, à l'image de ce qui se fait dans les armées ? De nos jours encore, nombre de familles encadrent les décorations et les exposent dans leur domicile.

Monsieur le président, si vous le souhaitez, je peux vous transmettre l'étude que j'avais faite, à la demande de Martin Hirsch, sur la sécurité civile et le service civique, et l'utilisation de ces jeunes en réserve. Elle me semble encore d'actualité.

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Avec grand plaisir. Amiral, je vous remercie de votre disponibilité, de votre participation active et de votre contribution importante à nos travaux.

L'audition s'achève à onze heures quinze.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 26 Mars 2015 à 10 heures.

Présents. – M. Patrick Bloche, M. Xavier Breton, M. Yves Fromion, M. Eduardo Rihan-Cypel,

Excusés. – Mme Patricia Adam, M. Guillaume Bachelay, M. Claude Bartolone, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Bernard Lesterlin.