Commission des affaires étrangères

Réunion du 19 mai 2015 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • APC
  • ratifier
  • turkmène
  • turkménistan

La réunion

Source

Turkménistan : ratification de l'accord de partenariat et de coopération établissant un partenariat avec les Communautés européennes et leurs États membres (n° 783) et de l'accord relatif aux services aériens (n° 2346)

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

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Avant d'ouvrir notre réunion, je souhaitais attirer votre attention sur le fait que cette réunion est ouverte à la presse.

En effet, le bureau de la commission des affaires étrangères a redéfini au cours de sa réunion du mercredi 13 mai le régime de publicité des travaux de la commission.

La réforme du Règlement adoptée à la suite d'une initiative du président de l'Assemblée nationale en a modifié l'article 46. Depuis cette réforme, les travaux des commissions sont en principe ouverts à la presse sauf dérogations décidées par le bureau de chaque commission.

Le bureau de notre commission a estimé que certaines réunions exigeaient une certaine discrétion et que certains invités pouvaient solliciter d'être entendus dans un cadre confidentiel. De ce point de vue, notre régime de publicité est inchangé. Les auditions du ministre des affaires étrangères, du ministre de la défense ainsi que celles des fonctionnaires pourront donc se tenir à huis clos.

En revanche, il a estimé qu'il convenait que les travaux législatifs de la commission, notamment l'examen des conventions internationales, ainsi que l'examen des rapports d'information, soient désormais ouverts à la presse.

Pour les travaux législatifs, cette décision d'application est strictement conforme à la lettre et à l'esprit du Règlement. Après en avoir délibéré à plusieurs reprises, il est apparu aux membres du bureau qu'il n'était pas possible de faire du cas par cas et qu'il était donc préférable de respecter le nouveau règlement comme le font toutes les autres commissions.

Pour l'examen des rapports d'information, les membres du bureau ont estimé qu'il était préférable de travailler en toute transparence et que cela permettrait de donner plus d'écho à ce type de travaux.

Concrètement, ces réunions ne seront pas ouvertes au public, mais les journalistes pourront y assister et un compte rendu audiovisuel sera produit et diffusé en direct sur le circuit interne de télévision de l'Assemblée et sur le site internet de l'Assemblée nationale

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Je voudrais dire que mon groupe est favorable à cette réforme. C'est une excellente idée de rendre nos auditions ouvertes à la presse. Nous soutenons tout à fait cette réforme.

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Je passe la parole à notre rapporteure, Valérie Fourneyron.

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Les deux accords que nous examinons aujourd'hui s'inscrivent dans des schémas classiques. L'Union européenne a signé des accords de partenariat et de coopération, ou APC, avec de nombreux pays, notamment dans son voisinage et en particulier avec la quasi-totalité des États issus du démembrement de l'URSS, à l'exception de la Biélorussie. Quant aux accords relatifs aux liaisons aériennes, tels que le deuxième accord à notre ordre du jour, la France en a en vigueur avec 110 pays.

C'est donc surtout le pays avec lequel ces accords ont été signés qui pose question : le Turkménistan. Je vais donc centrer mon propos sur ce pays avant d'aborder brièvement le contenu des deux accords.

Après son indépendance à la fin de l'URSS en 1991, le Turkménistan a défrayé la chronique avec l'établissement sous l'autorité du président Nyazov, dit le Turkmenbashi, ou « père des Turkmènes », d'un régime qui associait un culte de la personnalité poussé à l'extrême avec des tendances très régressives. L'enseignement, y compris l'examen du permis de conduire, avait ainsi été reformaté uniquement autour du livre fleuve du président, le Rukhnama, et les salles de spectacle et même la plupart des hôpitaux avaient été fermés. De plus, toute opposition était sévèrement réprimée. En particulier, en 2002, suite à un présumé complot contre le président, une soixantaine de personnes, dont de hauts cadres du régime, ont été arrêtées et condamnées à de lourdes de peines de prison. Le Turkménistan n'appliquant plus la peine de mort, ces personnes n'ont pas été exécutées, mais on est sans nouvelles de la plupart d'entre elles, d'où l'appellation d'une des dernières campagnes des ONG à propos du Turkménistan : « Prove they are alive ! ».

Tout cela n'a pas empêché l'Union européenne de signer en 1998 un accord de partenariat et de coopération avec le Turkménistan, mais a empêché qu'il soit ratifié jusqu'à présent. Il s'agit en effet d'un accord dit « mixte », exigeant à la fois une ratification par les instances européennes et par les États membres et, dix-sept ans après, d'une part le Parlement européen, d'autre part deux États membres, le Royaume-Uni et la France, n'ont toujours pas approuvé ce texte.

Cependant, au Parlement européen comme au Royaume-Uni, les procédures ont été relancées et devraient aboutir en 2015.

Dans le cas particulier de notre pays, la procédure de ratification a longuement été stoppée du fait du sort inacceptable réservé à trois citoyens turkmènes. Ceux-ci avaient eu le malheur d'apporter leur aide à une équipe française de France 2 qui avait tourné un reportage diffusé sous le titre : « La folie Nyazov ». Ces trois personnes ont été arrêtées en juin 2006. L'une est décédée peu après en prison et son autopsie a révélé de graves violences physiques. Les deux autres ont été condamnés sous des prétextes fallacieux à sept ans de prison, qu'ils ont purgés en quasi-totalité. Cette situation avait amené en 2010 notre commission des affaires étrangères, déjà saisie de l'APC, à demander à ce que son vote soit reporté tant que ces deux personnes n'auraient pas été libérées, ce qui a été le cas en 2013, après l'exécution de presque toute leur peine. La ratification de l'APC, entretemps acceptée en mars 2013 au Sénat, nous revient donc à nouveau.

Les années passant, la situation a cependant évolué au Turkménistan. Après le décès soudain du président Nyazov en décembre 2006, le nouveau président Berdymuhamedov a engagé son pays dans la voie de réformes qui constituent d'abord un retour à un fonctionnement plus « normal » de l'État et de l'économie, avec une volonté affichée d'ouverture politique et de libéralisation économique. Ces réformes sont permises, voire imposées, par l'évolution interne du pays, qui se caractérise d'abord par une très forte croissance économique, une croissance qui, la plupart des années récentes, a été à deux chiffres, 10 % ou plus, avec une inflation à peu près maîtrisée. En une décennie, le PIB par habitant est passé de 4 000 à 15 000 dollars. En donnant des satisfactions matérielles à la population, cette croissance permet au régime de lâcher du lest. Mais elle implique aussi une intégration dans l'économie internationale et le développement d'une classe moyenne de cadres qualifiés qui présupposent une certaine ouverture.

La croissance turkmène est assise sur les hydrocarbures. Ce secteur représente entre le tiers et la moitié du PIB, selon les différentes sources ; il fournit au moins 80 % des recettes publiques et assure plus de 90 % des exportations. Il s'agit essentiellement du gaz. Si le Turkménistan est encore un producteur gazier modeste, avec, en 2013, 1,8 % de la production mondiale, son potentiel est énorme : selon des estimations moyennes, il détiendrait plus de 9 % des réserves mondiales de gaz conventionnel, soit les quatrièmes réserves mondiales derrière l'Iran, la Russie et le Qatar.

La valorisation de ce potentiel gazier reste toutefois entravée par deux types de difficultés.

D'abord, malgré les réformes engagées depuis quelques années pour se rapprocher des standards internationaux du droit économique, le système reste quasiment soviétique. L'État contrôle toujours directement les trois quarts de l'économie, le régime de change reste restrictif et les financements internationaux doivent passer par une seule banque d'État, la propriété intellectuelle est mal protégée, enfin, la corruption est massive, puisque, dans son classement 2014 sur la corruption, l'ONG Transparency International classe le Turkménistan au 169ème rang sur 174 pays. Il est clair que, pour faire des affaires au Turkménistan, il vaut mieux avoir de bonnes relations avec le pouvoir politique.

Par ailleurs, il faut être conscient que le Turkménistan est un petit pays, par sa population, qui est de 5,6 millions d'habitants, et un pays enclavé. Ses quatre voisins continentaux sont beaucoup plus peuplés : l'Iran a 77 millions d'habitants, l'Ouzbékistan 30 millions, l'Afghanistan près de 27 millions et le Kazakhstan près de 17 millions. Le seul débouché « maritime » du Turkménistan est sur la mer Caspienne, mer intérieure fermée dont les pays riverains sont, outre le Turkménistan, le Kazakhstan et l'Iran, l'Azerbaïdjan et la Russie.

Dans ce contexte, le Turkménistan a certes les moyens d'une indépendance réelle grâce à son gaz, mais a un besoin vital de bonnes relations avec tous ses voisins pour pouvoir l'exporter, d'où le choix qu'il a fait, officiellement, d'être un pays neutre, ce que l'ONU a reconnu en 1995. Le principal enjeu de la diplomatie turkmène, ce sont les gazoducs. C'est une grande différence avec un pays maritime comme le Qatar, qui peut exporter du gaz naturel liquéfié partout, au gré des contrats commerciaux.

Longtemps, compte tenu des tuyaux existants, le gaz turkmène est parti principalement vers la Russie, ce qui entretenait une dépendance lourde, d'autant que la Russie n'a pas vraiment besoin de ce gaz. Depuis 2009, Gazprom a clairement traité le gaz turkmène comme une variable d'ajustement.

Depuis 2010, grâce à la construction d'un gazoduc, plus de 60 % du gaz turkmène est expédié en Chine, les autres clients étant résiduellement la Russie et l'Iran. Les Chinois ont massivement investi au Turkménistan : les autorités chinoises ont accordé en juin 2011 un prêt de 10 milliards de dollars – ce qui équivalait à plus du tiers du PIB turkmène ! – pour le développement du champ gazier de Galkynysh et la compagnie nationale chinoise CNPC a obtenu en 2007 un accord de partage de production, malgré l'opposition de principe des autorités locales à ce genre d'accords. Cette relation particulière est certes gagnante pour les deux parties, car la Chine souhaite diversifier et sécuriser ses approvisionnements. L'objectif est de quasiment tripler les flux de gaz exportés vers la Chine d'ici 2020. Mais cela crée aussi une nouvelle dépendance du point de vue turkmène, puisque les deux tiers des recettes d'exportation proviennent d'un seul partenaire.

Les Turkmènes cherchent donc à diversifier leurs flux d'exportations grâce à la construction de nouveaux gazoducs. Deux sont envisagés : l'un vers l'Inde et le Pakistan via l'Afghanistan, projet qui se heurte à d'évidentes limites sécuritaires et géopolitiques. L'autre pour exporter vers l'Europe en passant sous la Caspienne pour rejoindre le réseau de gazoducs en cours de parachèvement depuis l'Azerbaïdjan jusqu'à l'Europe du sud. En 2011, les États membres ont donné mandat à la Commission européenne de négocier un accord trilatéral Union européenne-Azerbaïdjan-Turkménistan portant sur la définition du cadre juridique de cet éventuel gazoduc.

La concrétisation de ce projet se heurte cependant à de nombreux obstacles : d'abord les deux pays qu'il vise à laisser de côté, qui ont par ailleurs des relations difficiles avec l'Occident, à savoir l'Iran et surtout la Russie, y sont fortement opposés. Or, ces pays ont une capacité juridique et donc politique de blocage du fait des controverses sur le statut juridique de la mer Caspienne, qu'il s'agirait de traverser et dont ils sont riverains. En effet, le statut international de la Caspienne, « lac » ou « mer », n'est pas défini et est encore en cours de discussion entre les États riverains. Une chose est sûre, la Russie ne renoncera pas à son droit de veto sur un projet de cette nature. Par ailleurs, la position de l'Azerbaïdjan, qui serait pays de transit, n'est pas très claire, car ce pays n'a pas particulièrement intérêt à favoriser ce projet, l'exportation de son propre gaz vers l'Europe étant pour lui prioritaire. Enfin, pour lancer le projet, les Turkmènes souhaiteraient des garanties quantitatives d'achats à long terme que personne ne peut leur donner en Europe. Bref, tout laisse à penser que le gazoduc transcaspien n'est pas pour demain.

L'évolution du Turkménistan n'est pas seulement économique, mais aussi politique. Dans ce domaine les avancées existent, mais restent timides et surtout difficiles à évaluer sur le terrain.

Depuis quelques années, il y a quelques signes d'ouverture. En 2012, un second parti a été créé, le Parti des industriels et des entrepreneurs, qui reste une émanation des milieux officiels. Un troisième parti, à dominante agraire, a été annoncé. Une loi sur l'indépendance des médias a été adoptée en janvier 2013 et il existe désormais deux fournisseurs d'accès à internet. S'il n'existe toujours pas de véritable « société civile », on dénombrerait une centaine d'ONG locales, strictement contrôlées par le Gouvernement et n'intervenant jamais dans le champ politique. Un Institut pour la démocratie et les droits de l'homme a été créé et un plan d'action pour l'égalité des genres a été élaboré.

Enfin, après une période de fermeture totale, le Turkménistan manifeste un début de bonne volonté par rapport aux dispositifs internationaux de promotion des droits fondamentaux et de vérification des engagements. Il s'est ainsi soumis en 2008 à la procédure de l'Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme des Nations-Unies et a depuis lors formellement accepté un grand nombre de recommandations qui lui avaient été faites, tout en refusant les plus précises et exigeantes. La même année 2008, la rapporteure spéciale de l'ONU sur la liberté religieuse a été autorisée à visiter le pays. Cependant, les autres demandes de même nature n'ont jamais été acceptées. Enfin, la coopération semble un peu s'améliorer avec la Croix-Rouge internationale, seule ONG étrangère tolérée par le Turkménistan, même si celle-ci n'a toujours pas obtenu l'accès aux prisons dans les conditions qu'elle souhaite.

L'OSCE et l'Union européenne ont, pour la première fois, été invitées à observer les élections législatives en décembre 2013. Par ailleurs, le dialogue annuel organisé avec l'Union européenne sur les droits de l'homme est devenu, selon les responsables que j'ai rencontrés à Bruxelles, assez ouvert et productif, du moins plus qu'avec bien d'autres pays.

Cependant, l'analyse de la réalité de ces progrès est rendue difficile par la difficulté à obtenir des informations sur la situation locale. Les organisations de défense des droits de l'homme se fondent largement sur les faits rapportés par une poignée d'opposants en exil, ce que les personnalités plus favorables au Turkménistan ne manquent pas de critiquer en observant que ces sources sont peu nombreuses, situées hors du pays et pas nécessairement impartiales. Ce à quoi les défenseurs des droits de l'homme rétorquent à juste titre qu'il ne tient qu'aux autorités turkmènes d'ouvrir leur pays et leurs prisons aux observateurs internationaux.

De même, le fait que le nombre de cas individuels de dissidents qui sont injustement harcelés ou emprisonnés semble plus faible que dans d'autres pays suscite le même genre de polémique : sont-ils effectivement peu nombreux, ce qui relativiserait les critiques contre le régime, ou sont-ils pour la plupart méconnus du fait du degré de fermeture du pays ?

Les constats des ONG que j'ai rencontrées restent globalement très sévères, malgré les quelques avancées qu'elles reconnaissent. Reporters sans frontières est sans appel dans son classement 2014 de la liberté de la presse : le Turkménistan y occupe la 178ème place sur 180 pays, seules la Corée du Nord et l'Érythrée obtenant un score pire. Pour ce qui est des élections, l'OSCE, invitée en 2013 pour la première fois à les observer, a publié un rapport sévère, estimant notamment que l'existence d'un second parti ne constitue qu'une apparence de diversité, mais n'apporte pas aux électeurs un choix authentique entre des alternatives politiques.

Avant de vous faire part de ma position sur l'opportunité de ratifier les deux accords que nous examinons dans ce contexte, je vais les présenter très brièvement, car leurs clauses sont des plus classiques.

L'accord de partenariat et de coopération, comme les autres APC, est un document assez long qui vise trois objets principaux.

D'abord l'établissement d'un dialogue politique entre l'Union européenne et le Turkménistan, dialogue dont il est dit qu'il devrait concerner notamment les droits de l'homme et la démocratie. Plus généralement, comme les autres APC signés souvent avec des pays plus ou moins démocratiques, celui-ci comprend un article qui solennise le fait que « le respect de la démocratie et des droits fondamentaux de l'homme (…), ainsi que des principes de l'économie de marché (…), inspire les politiques intérieures et extérieures de parties et constitue un élément essentiel du présent accord ».

L'APC comprend ensuite des clauses commerciales et économiques, dont certaines sont d'ailleurs déjà en vigueur en application d'un accord intérimaire passé dans l'attente de la ratification de l'APC. La portée de ces clauses est assez modeste, puisqu'il s'agit surtout de demander au Turkménistan d'appliquer des principes de base de l'OMC, dont il n'est pas membre, comme la clause dite de la nation la plus favorisée.

Enfin, l'APC liste tous les domaines, multiples, où l'Union européenne et le Turkménistan envisagent de coopérer.

L'accord bilatéral relatif aux services aériens qui nous est également soumis a été signé à Achgabat en 2013. Il a un objet très ciblé, qui est de donner un cadre juridique aux vols commerciaux entre les deux pays. C'est un accord d'un type très classique : la France en a conclu avec plus d'une centaine d'États. Lorsqu'ils sont conclus avec des grands pays, les accords de ce type peuvent avoir des enjeux économiques importants, mais, dans le cas d'espèce, ces enjeux sont beaucoup plus modestes.

Actuellement, en effet, il existe juste une liaison directe, une ou deux fois par semaine, entre Paris et Achgabat, assurée par Turkmenistan Airlines. Cette ligne a été ouverte en décembre 2013 et transporte environ 600 passagers par mois. Aucune compagnie française n'envisage d'exploiter cette liaison, mais l'accord présente cependant un intérêt pour Air France, car il garantit la liberté de survol du territoire turkmène, ce qui est bien utile pour ses vols vers l'Asie du sud-est et n'est pas toujours allé de soi jusqu'à présent.

Je ne m'attarderai pas sur les clauses de l'accord, car elles sont standard et, je l'ai dit, les enjeux pratiques sont limités. S'agissant des questions de sécurité, je signale qu'aucun des contrôles effectués n'a révélé de problème.

Chers collègues, je vais vous proposer d'adopter les deux projets de loi, donc d'autoriser la ratification des deux accords, et je voudrais m'en expliquer un peu longuement, car c'est une décision difficile à prendre.

Je voudrais d'abord écarter un argument – ou une accusation, selon le point de vue –, qui n'est pas pertinent : ce n'est pas pour des raisons économiques que nous devons ratifier ces accords et il faut le dire.

D'abord parce que la portée de la ratification et de l'entrée en vigueur d'accords de ce type, notamment l'APC, est probablement assez limitée sur les flux économiques. Vu la structure des échanges avec le Turkménistan, qui sont peu diversifiés, il n'est pas évident que l'existence de ce type d'accords soit déterminante : ce qu'a à vendre le Turkménistan, ce sont des hydrocarbures, et sa capacité à les expédier en Europe dépend surtout des moyens de transport, en particulier des gazoducs, et éventuellement de tel ou tel gros contrat de livraison, plus que d'un accord politique. Dans l'autre sens, l'Union européenne et la France en particulier vendent surtout au Turkménistan des biens d'équipement, notamment en lien avec l'exploitation des hydrocarbures, qui sont fabriqués par un nombre limité d'entreprises, généralement grandes, dans quelques pays, de sorte que là aussi l'impact propre d'un accord de ce type doit être relativisé.

Bien sûr, le choix de ratifier ou non les accords aura un effet sur notre image au Turkménistan, pays où les décisions économiques sont plus centralisées que partout ailleurs et où il est donc essentiel d'avoir de bonnes relations avec le pouvoir politique. Mais, en même temps, cet effet sera sans doute moindre que celui de n'importe quel contact personnel à haut niveau, ceci valant aussi bien pour nos ministres que pour nos dirigeants d'entreprise, car les rapports personnels sont extrêmement déterminants au Turkménistan.

La deuxième raison pour laquelle il ne faut pas surévaluer les enjeux économico-stratégiques tient tout simplement au poids limité du Turkménistan. Ce pays a sans doute un potentiel gazier énorme, mais encore largement inexploité. Par ailleurs, son économie est encore assez fermée et restera, de toute façon, celle d'un pays de moins de 6 millions d'habitants, qui ne sera donc jamais l'un des grands marchés essentiels.

Le Turkménistan est certes un marché important pour quelques grandes entreprises françaises, comme Bouygues, que l'on cite souvent, mais aussi, par exemple, Schneider Electric ou Thales, qui vient de vendre aux Turkmènes leur premier satellite de télécommunications, lequel a été lancé au mois d'avril. D'autres, comme Total ou Lagardère, se positionnent pour l'avenir. Toutefois, il ne faut pas s'exagérer ces enjeux bilatéraux. Avec 185 millions d'euros d'exportations françaises en 2014, ce qui est un niveau record, le Turkménistan n'absorbe pourtant que 0,04 % de nos exportations mondiales. Moins de 400 Français vivent là-bas, essentiellement des salariés de Bouygues, et seulement un peu plus d'une centaine de citoyens turkmènes en France.

Il restera enfin toujours le problème de l'enclavement géographique, différence fondamentale avec un pays maritime comme le Qatar, par exemple. Il n'est pas acquis que le Turkménistan sera un jour prochain en mesure d'exporter massivement du gaz vers l'Europe, que ce soit via le gazoduc transcaspien ou par un autre canal.

Ce n'est donc pas pour des raisons économiques que je vous invite à voter les deux projets de loi, mais en me plaçant sur le terrain des principes.

Il y a d'abord des considérations d'équité.

Le Turkménistan est entouré d'autres ex-républiques soviétiques avec lesquelles l'Union européenne a aussi conclu des APC, lesquels APC ont tous été dûment ratifiés. Ces APC comprennent aussi des clauses sur les droits de l'homme et la démocratie. Nous avons également des accords aériens avec plusieurs de ces pays.

Or, s'il est vrai qu'au temps du président Nyazov, le Turkménistan a réellement été un cas à part, avec le retour à une sorte de normalité régionale engagé par le président Berdymuhamedov, les choses ont changé. S'agissant des valeurs démocratiques, je rappellerai simplement que les présidents actuels du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan sont en place depuis un quart de siècle, en fait depuis avant même l'indépendance, et viennent l'un et l'autre d'être réélus une fois encore avec plus de 90 % des suffrages. Quant au Tadjikistan et au Kirghizstan, s'ils ont connu, eux, un certain nombre de changements politiques, c'est le plus souvent dans un climat de révolution violente, voire de guerre civile, qu'ils ont eu lieu, avec de nombreux morts, et pas grâce à des élections pacifiques et démocratiques. Les rapports des ONG sur ces différents pays sont édifiants.

Bref, je ne suis pas sûre que les différences actuelles de situation entre les pays justifient de refuser pour le Turkménistan ce que l'on a accepté pour ses voisins.

Pour conclure, il me semble que la question que nous devons poser est la suivante : comment pouvons-nous agir le plus efficacement pour rapprocher de nos valeurs démocratiques un pays comme le Turkménistan, c'est-à-dire un pays qui s'est engagé dans la voie des réformes et de l'ouverture internationale, mais dont l'objectif final n'est sans doute pas la démocratie comme nous l'entendons, et qui a, de toute façon, encore beaucoup à progresser ?

Les principales ONG de défense des droits de l'homme appellent à ne pas ratifier l'APC. Cet accord étant un gage de respectabilité pour le Turkménistan, elles estiment que la menace de ne pas le ratifier est l'un des rares leviers dont la France dispose pour peser sur la question des droits de l'homme dans ce pays. Une éventuelle ratification devrait, selon elles, être conditionnée à la mise en oeuvre préalable par le gouvernement turkmène de mesures beaucoup plus significatives de libéralisation que celles engagées jusqu'à maintenant.

En revanche, la plupart des interlocuteurs institutionnels que j'ai eus à Paris comme à Bruxelles sont d'avis que le dialogue, dans le cadre de l'APC, serait une tactique plus efficace pour obtenir des progrès tangibles. Actuellement, les contacts bilatéraux Union-Turkménistan trouvent place dans un ensemble limité de cadres institutionnels, du fait de la non-ratification de l'APC. Son entrée en vigueur permettrait d'établir des coopérations dans de nombreux domaines non couverts jusqu'à présent. Cela ouvrirait la possibilité de diffuser beaucoup plus largement, dans toutes les administrations notamment, les conceptions et les bonnes pratiques européennes, ce qui est une manière indirecte de promouvoir l'ouverture et la démocratie.

S'efforcer de progresser sur tous les terrains, dont celui des droits de l'homme, par un dialogue pragmatique, prudent, incitatif, utilisant parfois des voies détournées, voire par l'effet de la présence économique, n'est pas toujours très satisfaisant, mais donne peut-être plus de résultats que les positions frontales. C'est le pari qui est fait avec le choix de ratifier les accords qui nous sont soumis.

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Merci pour ce rapport sans concessions qui nous donne un compte-rendu fidèle des auditions qui ont été menées et une vue très claire du choix à faire. Je soutiens votre position.

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Je souhaite féliciter la rapporteure pour la clarté de son exposé. Elle a bien mis en valeur tous les aboutissants aussi bien politiques que plus largement économiques.

Effectivement, il y a cinq ans, la commission, sur ma proposition, avait refusé de ratifier ce projet de loi dans les circonstances que vous avez rappelées : sur les trois personnes mises en détention à l'époque, une était déjà décédée et nous n'avions pas connaissance du sort réservé aux deux autres, à savoir s'ils étaient toujours en vie ou non. Sous ma présidence, c'est le seul texte que la commission n'a pas adopté.

Vous avez rappelé ce qu'il était advenu des deux autres prisonniers qui ont purgé leur peine et ont été libérés en 2013. Aujourd'hui je pense qu'il faut ratifier ce projet de loi, même si le Turkménistan reste un pays extrêmement autoritaire. Je ne suis pas tout à fait sur votre ligne qui consiste à dire qu'il faut ratifier ce projet de loi pour des raisons d'équité. Si on partait de ce principe-là, il faudrait ratifier tous les accords, notamment avec les voisins de ce pays, au seul motif de l'équité au fur et à mesure. Il ne faut pas se cacher derrière un voile, il me semble que le seul motif pour ratifier cet accord est celui des raisons économiques, non pas à court terme, où il y a encore peu à attendre, mais à long terme. Je vous propose donc d'approuver ce projet de loi pour des raisons d'équité dans le pragmatisme.

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Je félicite notre rapporteure pour son excellent travail, sans partager ses arguments. Pour ma part, je vais voter ce texte pour des raisons économiques, et uniquement pour des raisons économiques, ce que j'assume pleinement. Nous avons actuellement des échanges avec des régimes qui sont aussi « démocratiques » que le Turkménistan et on ne se pose pas ces questions.

Je regrette aussi parfois que l'on impose des sanctions à des pays qui ont un fonctionnement démocratique un peu plus élaboré que celui du Turkménistan, je pense à la Russie en particulier. Nous ne faisons que nous aligner sur les États-Unis et j'aimerais bien qu'en la matière nous ayons le même courage que celui que vous nous incitez à prendre pour le Turkménistan.

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Je salue le travail important qui a été effectué. Je suis néanmoins surpris, connaissant l'attachement de la rapporteure aux droits de l'homme. Certes, l'économie a une part importante. Mais il y a des valeurs à défendre. Les droits de l'homme sont bafoués, dans ce pays comme dans d'autres.

Je ne vois pas d'évolution par rapport à il y a cinq ans lorsque nous avions refusé de ratifier cet accord, sauf les enjeux économiques. Je reprends les classements que vous avez donnés : 169ème sur 174 en matière de corruption, 178ème sur 180 selon Reporters sans frontières. C'est presque l'Azerbaïdjan. Il n'y a aucune évolution. Quand je vois les sanctions prises à l'encontre de la Russie, qui pénalisent les entreprises françaises, je ne comprends pas qu'on ratifie un tel accord de partenariat avec le Turkménistan. La France et le Royaume-Uni n'ont pas ratifié cet accord. Si le Royaume-Uni ne le fait toujours pas, on peut s'interroger sur l'opportunité de le faire. Les ONG nous invitent à ne pas le voter, comme vous l'avez dit.

Je n'ai rien contre le Turkménistan mais il faut que les droits de l'homme soient respectés. Je voterai donc l'accord sur les services aériens, mais pas l'accord de partenariat et de coopération.

Par ailleurs, vous avez parlé de 400 Français présents au Turkménistan : y a-t-il une école française et une Alliance française ?

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Je me suis rendu deux fois au Turkménistan ces six derniers mois. J'ai participé à une séance de formation des parlementaires à la demande du régime et en accord avec l'OSCE. Je rappelle que je suis représentant de l'Assemblée nationale à l'OSCE.

Le régime progresse, même s'il n'est pas idéal. Tout d'abord, sur le plan du droit des femmes, on constate des progrès : la proportion de femmes parlementaires est supérieure à celle de la France et de vrais efforts sont faits dans ce pays musulman modéré. Ensuite, il y a des efforts pour établir un cadre démocratique. Il y a un parlement, dont le siège a été construit par Bouygues, avec aujourd'hui trois partis qui, s'ils sont un soutien au gouvernement, permettent un embryon de débats. Lors de ma présence le 15 avril dernier, notre ambassadeur m'a fait part de l'autorisation qui lui avait été donnée de visiter une prison de femme. Il existe une vraie volonté de travailler avec l'OSCE. J'ai rencontré la principale ONG qui est le Croissant rouge, il est vrai très proche du pouvoir car dirigée par la soeur du Président. Mais il y a une volonté de s'ouvrir.

Combien de centaines de kilomètres de frontières le Turkménistan partage-t-il avec l'Afghanistan, dont on ne sait pas comment il évoluera ? Veut-on un pays stable ou un pays fragile qui pourrait évoluer de manière dangereuse ? C'est un pays qui a choisi comme statut la neutralité et la première chose qu'ils vous montrent est le symbole du glaive coincé.

De plus, les intérêts économiques français sont importants. Le ministre français des affaires étrangères doit rencontrer son homologue turkmène. Notre ambassade à Achkhabad est dynamique, même si ce sera la troisième dans les cinq pays de la région à passer en format réduit.

Que l'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit. Le Turkménistan n'est pas un modèle, mais des efforts sont faits. Je voterai ce projet de loi.

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Le fait est que les intérêts économiques à court terme ne sont pas majeurs. Concernant l'argumentation sur le principe d'équité et le risque de dérive, je signale que l'Union européenne n'a pas signé d'accords de partenariat et de coopération avec tous les pays. Pour ce qui est de la présence française, il y a un Institut français et l'école Bouygues d'Achgabat.

La situation géographique est évidemment un élément important. Il y a 750 kilomètres de frontières avec l'Afghanistan et Achgabat est à 20 kilomètre de l'Iran. Ensuite, ce qui joue aussi, c'est l'histoire depuis 1991 du Turkménistan, qui a toujours été considéré par ses voisins comme une « brebis galeuse », un « moins que rien », comme des connaisseurs du pays l'ont expliqué : cela a une incidence sur la politique du pays.

Aujourd'hui ce pays évolue réellement.

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Madame la présidente a évoqué en début de réunion les nouvelles dispositions relatives à la publicité des travaux. Il est important effectivement que la presse puisse entendre ce que chacun dit et qu'il assume ses positions, comme le disait Pierre Lellouche lors du bureau de la commission. C'est bien ainsi. Cela permet d'être soi-même.

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Nous l'étions déjà et le serons encore plus ! Nous nous sommes toujours déterminés dans cette commission sur la base de convictions, avec des choix qui ne sont pas toujours faciles à faire.

Valérie Fourneyron a bien expliqué les éléments pour et contre la ratification. On peut comprendre que de nombreuses ONG y soient opposées. C'est leur rôle et elles alertent parce qu'il est toujours difficile d'évaluer les progrès. Mais je rejoins la rapporteure car nous avons intérêt à ratifier cet accord. Il y a des intérêts économiques, même s'ils ne sont pas colossaux, et surtout je suis sensible à l'argument selon lequel avec cet accord il existera une instance de dialogue politique qui fait aujourd'hui défaut entre l'Union européenne, les États membres et le Turkménistan. Ce sera un outil pour inciter le pays à continuer dans la voie qu'il a amorcée, certes imparfaite et qui prendra plusieurs années. Nous avons intérêt à désenclaver ce pays et à accompagner ses évolutions, certes timides mais réelles.

Suivant l'avis de la rapporteure, la commission adopte à l'unanimité sans modification les projets de loi (n° 783 et n° 2346).

La séance est levée à dix-huit heures vingt-sept.