La réunion

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Présidence de M. Noël Mamère, président de la Commission d'enquête

La séance est ouverte à huit heures quarante-cinq.

La Commission d'enquête examine le rapport de M. Pascal Popelin et se prononce sur son adoption.

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Nous sommes arrivés à la fin de notre commission d'enquête. À l'issue de notre dernière réunion, qui a permis un échange de vues sur les propositions de notre rapporteur, celui-ci a rédigé son rapport, qui sera soumis à votre approbation. À dix heures, nous tiendrons une conférence de presse.

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Au moment où, après un semestre d'un programme particulièrement dense, il me revient de vous présenter mon rapport, je remercie chacune et chacun d'entre vous, pour la qualité qui a marqué nos échanges.

Je salue notre président, qui a su conduire nos travaux avec toute la mesure et le souci d'équilibre qu'exige cette fonction, tout en conservant sa liberté de parole et de ton. Même si nous ne partagions pas toujours la même approche – « tant s'en faut », pour reprendre l'expression qu'il emploie lui-même dans l'avant-propos du rapport –, nous avons travaillé en harmonie et en confiance, notamment pour arrêter le programme très diversifié de nos auditions.

Nous avons eu l'occasion de le vérifier tout au long de nos travaux : une commission d'enquête permet de faire émerger des constats objectifs, de mettre fin à des préjugés parfois tenaces et répandus, d'acquérir une meilleure connaissance des faits et du droit. Ce processus d'établissement d'un diagnostic objectif concourt naturellement à rapprocher les points de vue.

Nous avons tous progressé dans la connaissance de notre sujet et je ne doute pas que nous avons, les uns et les autres, adapté certaines de nos convictions pour tenir compte de ce savoir approfondi.

Voilà pourquoi je pense que notre commission d'enquête peut aboutir à un consensus très large, sur l'essentiel de ses conclusions. Cette convergence me semble possible, parce que nous pouvons – je crois – partager les trois grands constats qui étayent les préconisations que je formule.

Le premier est que l'équilibre entre liberté de manifester et ordre public n'a guère évolué en cinquante ans. Il repose sur un régime juridique libéral et un maintien de l'ordre plutôt efficace, piloté par les préfets, en s'appuyant principalement sur des forces spécialisées.

Le deuxième constat, c'est que, si l'équilibre entre les concepts de liberté et d'ordre demeure intangible, les conditions des manifestations ont en revanche beaucoup évolué. De nouvelles formes de protestation, moins respectueuses du cadre légal et de l'autorité ont émergé. De nouveaux lieux de manifestation sont investis. Toute forme de contestation est aujourd'hui davantage médiatisée. Une violence parallèle, qui n'est imputable ni aux initiateurs ni à l'immense majorité de ceux qui prennent part aux manifestations, s'est également développée.

Le troisième constat, conséquence des deux premiers, c'est qu'il n'est nul besoin de bouleverser l'équilibre français entre ordre public et liberté de manifester, mais que la France a besoin de moderniser le cadre régissant les manifestations sur la voie publique et d'adapter les modalités du maintien de l'ordre aux nouvelles expressions que recouvre désormais la liberté de manifester.

Tel est le sens du rapport que je vous présente aujourd'hui.

Dans un premier temps, je me suis attaché à décrire le régime juridique et le cadre du maintien de l'ordre, en soulignant la grande stabilité de cet ensemble.

Le régime juridique applicable aux manifestations revendicatives peut être qualifié de libéral. La liberté de manifestation est elle-même de valeur constitutionnelle, sinon dans les textes du moins dans la jurisprudence, tout comme l'objectif de maintenir l'ordre public. L'équilibre entre ces deux exigences trouve ses racines dans la Révolution française de 1789, comme en attestent les articles 10, 11 et 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Clairement favorable à la liberté d'expression conformément aux valeurs républicaines françaises, cet équilibre est consacré par un régime de déclaration préalable des manifestations. Ce régime, plus souple que celui de l'autorisation en vigueur dans d'autres pays européens, vise à amener les manifestants au dialogue, pour permettre à l'autorité civile de s'adapter et de maintenir l'ordre dans les meilleures conditions.

Les travaux de la commission d'enquête ont permis de mesurer précisément toute la portée que ce régime offre à la liberté de manifester. Ainsi, une manifestation non déclarée n'est pas pour autant interdite en elle-même, bien que son organisateur commette une infraction. En soi, une manifestation interdite ne constitue pas non plus un attroupement pouvant être dispersé, bien que sa persistance soit constitutive, là encore, d'une infraction.

La seule limite à la liberté de manifester est le trouble à l'ordre public, au motif que celui-ci empêche alors l'exercice d'autres libertés, comme la liberté de travail, de circulation ou d'expression. Le rôle de l'État n'est donc pas de restreindre les libertés, mais au contraire de les préserver en garantissant que le désordre public ne va pas « trop loin ».

Voilà pourquoi la responsabilité du maintien de l'ordre incombe à l'autorité civile, qui exerce en la matière une police administrative préventive. L'autorité civile régule l'exercice de la liberté de manifester afin de prévenir le trouble excessif à l'ordre public, mais ne peut et ne doit intervenir – le cas échéant en faisant usage de la force – que lorsque ce trouble excessif est caractérisé : la manifestation devient alors un « attroupement » au sens du code pénal.

L'intervention pour maintenir ou rétablir l'ordre doit être toujours proportionnée. Le rapport détaille les conditions de mise en oeuvre de la doctrine française du maintien de l'ordre, qui découlent de ces principes de droit et n'ont pas non plus substantiellement évolué durant les dernières décennies.

Cette doctrine est mise en oeuvre principalement par des unités spécialisées dans le métier du maintien de l'ordre : les forces mobiles, compagnies républicaines de sécurité (CRS) et escadrons de gendarmerie mobile (EGM). Leur organisation, leur équipement et leur formation constituent les gages d'une mise en oeuvre adéquate de la doctrine spécifique de maintien de l'ordre à la française, c'est-à-dire d'une préservation aussi concomitante que possible, aussi longtemps que possible, de la liberté de manifestation et de l'ordre républicain.

Cette doctrine réglemente strictement le recours à la force à l'encontre des manifestants. Il ne peut en effet y être recouru que lorsque c'est strictement nécessaire, toujours de façon proportionnée aux troubles à l'ordre public, de manière graduée. La gradation est un élément fondamental de la doctrine qui vise à mettre à distance manifestants et force de l'ordre, afin que la sécurité des biens et surtout des personnes soit au mieux garantie. En effet, la gradation des moyens de force employés offre toujours une réversibilité à ceux qui troublent excessivement l'ordre public, afin de freiner l'escalade de la confrontation.

La doctrine française et les forces qui la mettent en oeuvre ont fait preuve de leur efficacité. En dépit de l'événement dramatique qui a conduit un groupe de l'Assemblée à demander la création de cette commission, et d'autres cas avérés de manquements inacceptables, force est de constater que l'intégrité physique des manifestants, y compris des plus agressifs à l'endroit de l'État et de l'ordre républicain, a été plutôt bien préservée au cours des dernières décennies. Les interdictions de manifestation sont marginales et, comme l'ont souligné de nombreuses personnes auditionnées, de tous profils, l'immense majorité des protestations se déroule sans heurts.

Ce cadre général, qui comporte de nombreux points de force, est toutefois confronté à des évolutions importantes affectant les acteurs, les lieux et les conditions de manifestation.

Ces évolutions concernent tout d'abord les organisateurs des manifestations. Chacun d'entre nous a pu le mesurer, le temps des grands cortèges encadrés par des services d'ordre structurés est globalement révolu. De plus en plus de manifestations se déroulent sans avoir jamais été déclarées et a fortiori sans encadrement civil. Un grand nombre résulte d'échanges sur les réseaux sociaux, sans véritable organisateur responsable, ou qui pourrait être responsabilisé.

Les dernières décennies ont également vu s'affirmer un phénomène récurrent de grande violence en marge des manifestations, dont les manifestants eux-mêmes sont rarement les initiateurs – quoique certaines confusions soient parfois possibles –, et que l'on doit à des groupes d'individus autonomes, structurés pour se livrer à des troubles et des violences. Celles-ci sont parfois orientées contre les manifestants eux-mêmes, le plus souvent contre les biens publics ou privés, assez systématiquement contre les forces de l'ordre.

Ces nouveaux acteurs ont également investi de nouveaux terrains, sur lesquels le rapport apporte quelques éclairages. Tout d'abord, le fait même de manifester en zone rurale ou d'occuper physiquement un espace rural pose aux forces de l'ordre des problèmes nouveaux, d'ordre tactique ou matériel.

Il convient aussi d'évoquer les zones dites « à défendre » (ZAD). Le rapport s'efforce d'éclairer ce phénomène relativement nouveau. Comme vous sans doute, j'ai relevé avant et pendant cette commission d'enquête que ces espaces et opérations faisaient l'objet d'une certaine confusion. D'aucuns considèrent qu'une ZAD s'apparente à une forme de grande « manif » dans la nature, d'une durée exceptionnellement longue, mais comparable dans l'esprit et la finalité à ses pendants en milieu urbain. Les ZAD se heurteraient à l'intervention des forces mobiles appelées à maintenir l'ordre public par l'usage de la force, dans des conditions plus difficiles qu'en ville. Cela ne me semble pas correspondre à la réalité factuelle et juridique.

L'installation d'une ZAD sur des parcelles privées non ouvertes au public ne constitue pas en soi un trouble à l'ordre public. Il s'agit au premier chef d'un délit contre le droit de propriété, à l'instar d'un squat illégal dans un immeuble. Comme le rapport l'explique, la ZAD peut même être constitutive en elle-même d'une succession de délits. Ces infractions causent des préjudices aux propriétaires ou occupants légitimes des terrains concernés et la mission de l'État consiste essentiellement à garantir l'exécution des décisions des tribunaux rendant justice à ces propriétaires ou occupants. Il n'y a là rien de comparable avec les cortèges occupant le pavé des centres-villes.

Il n'en demeure pas moins exact que l'opposition physique, voire violente, de certains zadistes aux décisions de justice transforme, de proche en proche, sur les ZAD, les opérations de sécurité classique en opérations de rétablissement de l'ordre face à des foules hostiles. En outre, l'existence de manifestations de soutien etou de contre-manifestations, elles-mêmes parfois violentes, crée un risque de dégénérescence de la paix publique, qui oblige l'État à s'interposer, pour préserver la sécurité des personnes.

Dans tous ces cas, effectivement, l'État intervient sur les ZAD afin de préserver l'ordre, la justice et la paix civile, en recourant le plus souvent aux unités mobiles, dont le métier est précisément de bien proportionner l'usage de la force aux attroupements les plus violents.

À titre personnel, même dans ces cas, je demeure perplexe sur la qualification de « manifestation ». Notre droit et nos valeurs républicaines ne consacrent aucun droit à occuper illégalement la propriété d'autrui ni à s'opposer par la violence aux décisions des tribunaux, même pour protester contre un projet public et quelle que soit l'idée qu'on se fasse du bien-fondé de cette contestation.

Enfin, pour en terminer avec la deuxième partie du rapport consacrée aux évolutions des phénomènes de protestation, les manifestations contemporaines sont également différentes par les attentes qu'elles suscitent dans l'opinion publique. La médiatisation plus systématique des opérations de maintien de l'ordre a rendu l'opinion particulièrement sensible tant à la violence de certains manifestants et à la commission de délits lors des manifestations, qu'aux violences commises, le cas échéant, par les forces de l'ordre. Cette évolution a poussé, et pousse encore aujourd'hui, l'État à chercher une réponse pénale adaptée aux agissements individuels délictueux qui perturbent l'exercice de la liberté de manifester. Force est de reconnaître que cette recherche n'a pas abouti, jusqu'à présent, à des solutions satisfaisantes. Ce chantier est encore largement devant nous.

Le fil directeur des préconisations que j'ai pensé utile de formuler est l'idée que, pour mieux préserver demain la liberté de manifester, il faut davantage de gradation dans la gestion des protestations publiques.

Nous avons procédé entre nous, il y a dix jours, à un échange de vues sur ces propositions. J'ai cherché autant qu'il était possible, tout en préservant la cohérence du rapport, à intégrer dans sa version finale les fruits de nos échanges.

Le recours à la force – par des manifestants ou les forces de l'ordre – et la prohibition constituent les atteintes les plus graves à la liberté de manifester et à la liberté d'expression au sens large. Or quels sont aujourd'hui les seuls moyens concrets dont dispose un préfet confronté à une manifestation ? Prohiber en amont. Réprimer en aval. Je crois qu'il est possible de préserver l'ordre public et de protéger les personnes et les biens, en réduisant le recours à de tels moyens, qui ne doivent constituer que les derniers outils à la disposition de l'autorité publique. Le rapport s'efforce donc d'offrir davantage de solutions d'actions graduelles aux autorités civiles, afin que le compromis entre ordre républicain et libertés démocratiques soit en permanence adapté, ajusté, proportionné.

Le premier axe concerne le rôle même de l'autorité civile. La formation initiale et continue du corps préfectoral doit mieux insister sur les conditions de mise en oeuvre du maintien de l'ordre. Ce point me semble faire consensus. Dans le prolongement de cette idée, il pourrait être envisagé de renforcer le dispositif préfectoral de maintien de l'ordre dans certains départements. Certaines préfectures connaissent structurellement davantage de manifestations, d'autres sont confrontées ponctuellement à une série d'événements de type ZAD. Il doit être possible, dans de telles préfectures, de garantir la présence d'une équipe préfectorale aguerrie au maintien de l'ordre. Il me semble également qu'il faut réaffirmer et préciser le rôle du préfet, en mentionnant que sa participation ou celle de représentants explicitement habilités par lui doit être continue durant l'ensemble des opérations de maintien de l'ordre.

Le deuxième axe des préconisations a trait au travail préfectoral, en amont des manifestations ou des troubles à l'ordre public : il s'agit notamment de la concertation. Ce travail a peu ou prou disparu, faute de pouvoir être fait de façon traditionnelle, à cause de l'affaiblissement temporaire du renseignement territorial au cours de la dernière décennie, en raison parfois de l'absence d'organisateurs structurés, ou du fait de l'apparition de nouvelles formes de contestation. Pourtant, il est indispensable au respect des libertés publiques comme de l'ordre républicain. C'est pourquoi il me semble qu'il faut trouver de nouvelles formes de concertation, en s'inspirant notamment de ce qui peut être observé chez certains de nos voisins : communication via des sites web, unités de médiation, etc.

L'État dispose aujourd'hui des moyens de communiquer de façon plus directe et plus moderne à destination des citoyens qui manifestent sur la voie publique : au préalable, en utilisant les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, mais aussi pendant les manifestations, en créant des unités policières de médiation ou en adaptant ses messages à notre temps, afin qu'ils soient plus clairs, plus intelligibles. Je pense, par exemple, à la formulation des sommations. Il n'est pas certain que l'expression « Obéissance à la loi » soit très claire. On peut sans doute travailler sur ce point, ce qui répond à une demande du ministre et du directeur général de la gendarmerie nationale.

Je tire aussi de nos travaux la conviction que l'État ne doit pas se priver d'un travail administratif et judiciaire de prévention des troubles les plus graves à l'ordre public. De Ben Lefetey, venu exprimer son point de vue sur le cas de Sivens aux divers commandants d'unités, en passant par le préfet de police de Paris, tous ont confirmé l'existence d'une tendance de plus en plus systématique à la violence organisée en marge des manifestations : violences contre les personnes et les biens, contre les forces de l'ordre, ou violences contre ou entre manifestants eux-mêmes. L'État doit se donner les moyens d'agir contre cette quasi-professionnalisation, itinérante en Europe, qui constitue probablement une des pires menaces contre la liberté de manifester.

Si nous acceptons que nos concitoyens ne soient plus en sécurité dès lors qu'ils manifestent, ou dès lors qu'ils sont à proximité d'une manifestation, nous risquons d'aboutir à une situation qui contraindrait la société à choisir entre liberté publique et ordre public. Il me semble que l'État peut agir préventivement et de façon contrôlée, afin que des individus isolés et connus pour leurs comportements avérés lors des mouvements de protestation ne puissent plus autant nuire à la liberté de manifester. Le Gouvernement et le Parlement devraient explorer la piste consistant à permettre au préfet d'interdire – de façon très encadrée dans le temps et l'espace, et évidemment sous le contrôle du juge – à un ou plusieurs individus déjà objectivement connus pour leur violence lors ou en marge de manifestations, de prendre part à certains événements. Une telle mesure, qui s'inscrit dans l'esprit de la peine complémentaire d'interdiction de manifester que le juge pénal peut déjà prononcer en l'état actuel de notre droit, serait de nature à aider à la préservation de la paix publique, de la liberté d'expression et de l'ordre républicain.

Le troisième et dernier axe des préconisations concerne l'action des forces de sécurité lors des opérations de maintien de l'ordre. En définitive, lorsque la manifestation commence, c'est dans leur professionnalisme que se situe la gradation de l'action publique. Telle est d'ailleurs déjà la doctrine des forces mobiles, CRS et gendarmes mobiles, dont la discipline et les équipements permettent de doser – en permanence et au plus juste – l'action régulatrice ou répressive de l'État. La France doit continuer de s'appuyer, voire s'appuyer davantage sur le point fort que constituent ces unités mobiles. Cela suppose d'adapter leurs moyens et leur doctrine d'emploi, afin que leur action demeure toujours proportionnée. Dans cette perspective, j'ai mentionné plusieurs pistes de travail :

– renforcer et moderniser la formation, déjà très complète, des unités spécialisées dans le maintien de l'ordre,

– chercher à faire intervenir, en opération de maintien de l'ordre, des unités dont c'est précisément le métier, et qui ont été formées spécifiquement pour cela. Les forces mobiles, bien sûr, mais aussi les compagnies de police « mixtes » ou « d'intervention », comme celles de la préfecture de police de Paris, à qui leur formation et leur équipement pourraient valoir une habilitation à maintenir ou rétablir l'ordre. Il serait alors souhaitable de s'assurer d'une présence homogène d'au moins une ou deux unités ainsi formées ou habilitées dans chaque département, afin de permettre aux préfets de disposer d'effectifs de première urgence présentant toutes les garanties requises pour le maintien de l'ordre,

– faire confiance à la discipline collective des unités spécialisées en leur confiant un équipement adapté. Il s'agit de prévoir notamment que seules les unités constituées et habilitées au maintien de l'ordre puissent continuer d'être dotées de lanceurs de balles de défense lors de l'intervention en manifestation, à l'exclusion de toute autre unité des forces de l'ordre susceptible d'intervenir à rencontre de manifestants. Il s'agirait également de développer de nouveaux moyens intermédiaires de type collectif, comme les grenades projetant à faible hauteur des galets en caoutchouc, et de suggérer un investissement plus grand dans des équipements qui permettent de pallier les diminutions d'effectifs des unités et de renforcer leur mobilité tout en préservant leurs missions. Je pense notamment aux systèmes de camionbarrière ou de barre-ponts. On pourrait aussi revisiter la doctrine d'usage des lanceurs d'eau.

Enfin, je préconise d'envisager l'instauration d'une procédure adaptée d'interpellation, pour les cas flagrants de grandes violences durant une manifestation. Une telle procédure s'appuierait notamment sur la généralisation de la captation vidéo et sur des moyens d'accélération de l'interpellation standard : local commun de transfert, magistrat de permanence, numérisation d'un procès-verbal oral instantané. Elle permettrait aux forces spécialisées d'intervenir dans de meilleures conditions pour faire cesser les violences, sans pour autant mettre en péril leur schéma tactique d'ensemble, grâce à la rapidité de remise à disposition des personnels.

Telles sont, brossées à gros traits, les grandes lignes du rapport, que j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir adopter, et qui sera enrichi du compte rendu de nos débats, de quelques annexes et de vos contributions.

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Le projet de rapport agrée au groupe UMP. Je salue l'esprit constructif qui a présidé à nos travaux, lesquels se sont déroulés dans d'excellentes conditions. Je regrette toutefois que la demande que j'avais formulée, il y a un an et demi, de créer une commission d'enquête sur les conditions d'exercice du maintien de l'ordre, n'ait pu aboutir, et qu'il ait fallu attendre le drame de Sivens pour que nous puissions nous pencher sur le sujet.

La première partie du rapport aurait gagné à préciser que l'autorité civile présente en permanence pendant les opérations ne doit pas interférer dans le commandement opérationnel, et à proposer des pistes concrètes pour assurer une meilleure traçabilité des commandements. Si la doctrine française consiste à maintenir les manifestants à distance, afin d'éviter le plus possible tout contact physique, il faut veiller à ne pas créer de vide défensif, en privant les forces de l'ordre de certains outils dont l'emploi est strictement encadré, comme les lanceurs de balles de défense (LBD). Dès lors qu'on supprime des moyens considérés comme dangereux, il faut développer de nouveaux moyens intermédiaires. Par ailleurs, l'autorité administrative gagnerait à bénéficier d'un soutien juridique renforcé.

D'autres propositions concernent les manifestants. J'avais proposé de responsabiliser les organisateurs de manifestations non déclarées, grâce à un régime de présomption d'organisation de manifestation, étayée par un faisceau d'indices, notamment l'utilisation des réseaux sociaux et l'envoi de SMS. Le procédé permettrait de formaliser leur déclaration de manifestation et de prévoir les dispositifs de secours. Cette proposition, soutenue par le procureur de la République de Paris, aurait mérité de figurer dans le rapport.

Nous approuvons l'interdiction ponctuelle de manifester sur la voie publique pour des personnes condamnées pour des faits graves commis lors de troubles. Ce régime serait assorti de garanties juridiques, à l'instar du dispositif anti-hooligans. Certains d'entre nous considèrent que, pour une meilleure efficacité, l'interdiction pourrait être complétée par une obligation de pointage au commissariat.

Face aux nouvelles formes de manifestation, qui peuvent s'apparenter à une guérilla urbaine, le rapport aurait pu retenir, comme l'avait suggéré M. Vigouroux, l'autorisation de procéder à une évacuation forcée, comme celle qui se pratique sur des campements illégaux. Compte tenu de la lenteur de la procédure judiciaire, qui peut durer deux à dix-huit mois, il serait pertinent de créer une réponse judiciaire et administrative expresse, quand des recours ont été déposés, ce qui faciliterait l'évacuation des opposants.

L'introduction dans notre droit de la notion de subversion violente, proposée par le préfet de police de Paris, permettrait d'utiliser les moyens spéciaux du renseignement à l'encontre d'éléments violents agissant en marge de la manifestation. Le rapport reprend toutefois l'idée d'un protocole d'intervention rapide, en cas d'urgence, afin de systématiser leur arrestation et leur neutralisation.

La garantie supplémentaire résultant de la systématisation de l'enregistrement des opérations et de la présence permanente d'un substitut du procureur, à l'instar de celle d'un représentant de l'autorité civile, sécuriserait davantage les démarches judiciaires.

Globalement, la réponse judiciaire gagnerait à être accélérée et harmonisée. Le Défenseur des droits a en effet relevé une inégalité de traitement judiciaire selon qu'il s'applique au donneur d'ordres – l'autorité civile – ou à l'exécutant – les forces de l'ordre –, ce qui pourrait entraîner une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

La responsabilité des organisateurs dans les dommages causés lors des manifestations peut aussi donner matière à légiférer, afin de créer un mécanisme de responsabilité civile solidaire des organisateurs. Ce mécanisme suggéré par M. Vigouroux autoriserait ceux-ci à intenter une action en réparation auprès des casseurs agissant en marge de la manifestation.

Nous développerons ces pistes dans notre contribution. Cependant, nous ne nous opposerons pas à l'adoption du rapport, conscients que la meilleure sauvegarde des libertés publiques, dont celle de manifester, réside dans l'adaptation du cadre juridique du maintien de l'ordre aux nouvelles formes de contestation et au bon déroulement des manifestations.

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Au terme de notre travail, je salue l'état d'esprit constructif qui a prévalu, tout en ménageant la diversité des sensibilités, sur un sujet qui fait régulièrement l'objet de raccourcis, de commentaires partiels, voire de caricatures.

Consécutive au décès dramatique de Rémi Fraisse, le 26 octobre 2014, la création de la commission d'enquête a initié une démarche d'analyse et de réflexion sur le maintien de l'ordre, à l'initiative de M. Mamère. Le rapport de M. Popelin, sérieux, constructif et équilibré, n'appelle aucun commentaire de ma part. Les commissaires socialistes l'approuveront.

S'il est toujours nécessaire pour progresser de prendre du recul, les auditions ont permis de rappeler un élément fondamental : en France, la liberté de manifester est garantie par un régime juridique protecteur, indispensable à une démocratie digne de ce nom.

C'est d'ailleurs la première réflexion du rapport, qui concerne le cadre général du maintien de l'ordre dans notre pays. L'autorité civile doit être présente, autant que faire se peut, sans interférer avec les tâches légitimes des forces de l'ordre. Leur complémentarité est utile.

Les auditions ont mis en exergue des possibilités d'amélioration. C'est dans ce sens que s'inscrivent les vingt-trois propositions. Celles-ci plaident pour un renforcement des moyens donnés à l'autorité civile, dont elles proposent la présence permanente pendant les opérations. M. Bacquet insistera sur ce point dans sa contribution personnelle. C'est en effet un sujet qui doit être précisé.

C'est aussi sur la concertation et la communication que portent certaines propositions, comme la mise en place d'un guide d'action à destination des préfets ou d'une concertation préalable obligatoire. Dans le domaine des raves et des free parties, la procédure trouvée in fine dans la loi sur la sécurité quotidienne, que j'avais fait voter en novembre 2001, a permis de responsabiliser les organisateurs. Une autre préconisation me semble utile : il est bon qu'à Paris, les manifestations soient suivies en amont par le procureur de la République et qu'un substitut soit présent sur le terrain, afin de prévoir d'éventuelles suites juridiques.

La garantie pleine et entière du droit de manifester passe par la sécurité de chacun : manifestants, journalistes ou membres des forces de l'ordre. Si la formation de ces derniers est performante, il est proposé à juste titre de l'ouvrir, tout comme la doctrine, aux recherches en sciences sociales. Il faut aussi doter ces forces de moyens adaptés à leurs missions et à la réalité des situations auxquelles elles font face. Celles-ci étant évolutives, nous préconisons de réduire l'utilisation des forces mobiles à des missions périphériques de sécurité, afin d'accroître leur disponibilité, et de réserver l'usage du LBD aux forces dûment formées à son emploi.

Parce que le droit à l'information est primordial, et qu'il contribue à la nécessaire transparence qui concerne l'action de nos forces, le rapport suggère de faciliter le suivi des opérations de maintien de l'ordre par la presse.

Si ces propositions sont prises en compte, comme je le souhaite, elles renforceront les garanties du droit à manifester, si cher à notre tradition démocratique, tout en assurant la sécurité de chacun.

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Je remercie toutes les personnes auditionnées – militants, chercheurs, représentants des forces de l'ordre – de leur attachement à une conception démocratique et républicaine du maintien de l'ordre. Cette intelligence de lecture, qui garantit le caractère démocratique et républicain des forces de l'ordre, permet de faire évoluer les méthodes dans le sens d'une meilleure garantie des libertés publiques, dont celle de manifester, et d'une plus grande sécurité pour les différents acteurs.

Je remercie le président pour son initiative et le rapporteur pour son travail. L'enjeu de notre commission d'enquête était de moderniser le cadre du maintien de l'ordre afin que la liberté de manifester et l'ordre public se conjuguent sans heurts, dans la durée, en préservant la vie et la sécurité de chacun.

De nombreuses propositions du rapport vont dans ce sens. Toutefois, en nous obnubilant sur le cas pourtant très minoritaire des groupes violents, nous avons détourné le sens de la commission d'enquête et formulé des préconisations qui, qu'on le veuille ou non, limitent la liberté de manifester.

Je conviens que certaines propositions vont dans le bon sens : réaffirmation de la présence permanente de l'autorité civile lors des opérations de maintien de l'ordre, organisation d'un retour d'expérience de la part des manifestants, création d'unités policières dont le coeur de métier est la médiation. Souhaitons que ces dispositifs s'affermissent avec le temps, l'expérience et les progrès scientifiques qu'apportera notamment l'ouverture de la doctrine aux sciences sociales. Je salue aussi la création d'un guide d'action destiné aux préfectures et le fait que les forces mobiles, CRS et gendarmes mobiles, spécialisés dans les missions qui nous intéressent, soient soulagés de missions périphériques, qui les accaparent.

Certaines préconisations pourraient être étendues. L'une d'elles propose de réserver le maintien de l'ordre aux unités spécialement formées. À mon sens, il faut aller plus loin, et le réserver aux unités mobiles, puisque le maintien de l'ordre est le coeur de métier des CRS et des escadrons de gendarmerie mobile. Par ailleurs, si les propositions confirment la fin du recours aux Flash Ball, ce dont je me réjouis, l'utilisation des LBD demeure pendante.

Enfin, quatre propositions me semblent inutiles et inefficaces.

L'une tend à imposer une concertation préalable obligatoire, alors que le régime actuel est celui de la déclaration. Quand une manifestation se déroule de manière démocratique, la concertation se fait naturellement ; quand les groupes sont motivés par le désir de violence gratuite, je vois mal comment procéder à une concertation obligatoire, surtout si l'on ignore l'identité des organisateurs.

L'interdiction administrative de manifester ne semble pas plus convaincante. Le rapprochement avec l'interdiction de stade n'est pas pertinent. On va au stade pour se faire plaisir ; la manifestation appartient aux libertés publiques. Le stade est une enceinte privée ou publique ; la manifestation se déroule dans la rue, qui est un espace de liberté. D'ailleurs, on comprend mal comment la mesure pourrait s'appliquer.

Je suis opposée au recours systématique à la vidéo.

Enfin, le contrôle d'identité collectif ne me semble pas correspondre à l'esprit d'un maintien de l'ordre républicain.

Autant de raisons qui m'incitent à ne pas voter le rapport.

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Je salue à mon tour l'initiative du groupe écologiste, qui nous a permis un temps de réflexion sur un sujet essentiel. Si, dans l'avant-propos du rapport, le président est libre de juger « absurde » le projet du barrage de Sivens, nous avons aussi la liberté d'affirmer que ce projet était utile.

Le président et le rapporteur nous ont permis d'auditionner des personnes de sensibilités diverses. Je suis sensible à la qualité du rapport, très équilibré, ce qui mérite d'être souligné. La République, c'est aussi le respect, qui permet aux députés de la majorité et de l'opposition de sortir de certaines postures, pour adopter une attitude constructive.

Le rapport rappelle certains fondamentaux de notre démocratie. Le droit de manifester, auquel nous sommes tous attachés, doit être préservé. D'autre part, il faut distinguer ceux qui manifestent de manière pacifique et les groupes des casseurs ultraviolents, qui se greffent, comme des cancers, sur les manifestations.

Nous faisons nôtre l'essentiel des propositions du rapport, à commencer par la professionnalisation du maintien de l'ordre dans les préfectures les plus exposées, par le biais de la task-force préfectorale spécialisée. Nous approuvons aussi les propositions nos 2 et 3 visant à réaffirmer la nécessaire présence de l'autorité civile, ainsi que les propositions nos 4, 5 et 6. Nous soutenons aussi les propositions nos 7 et 8, plus sensibles toutefois, qui visent à instaurer l'interdiction individuelle de participer à une manifestation. Encore faut-il que ces mesures, qui resteront exceptionnelles et ne frapperont que des personnes bien connues des services de police et de sécurité, soient effectives.

Nous ne pouvons être que favorables à l'organisation d'une médiation systématique entre les forces chargées du maintien de l'ordre et le public manifestant. En revanche, l'ouverture de la formation et de la doctrine du maintien de l'ordre aux recherches en sciences sociales nous semble légèrement superfétatoire.

Nous craignons que la réduction de l'emploi des forces mobiles pour des missions périphériques de sécurité ne reste un voeu pieux, car il faut bien effectuer certains choix : l'opération Sentinelle, par exemple, bien que périphérique, est extrêmement utile.

Nous nous interrogeons sur la restriction de l'emploi des LBD, dont nul ne fait usage de manière disproportionnée. L'utilisation de la vidéo semble logique : il faut utiliser tous les moyens actuels.

Malgré les quelques réserves que j'ai formulées, mon groupe votera le rapport sans état d'âme.

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Je remercie le rapporteur. Pendant six mois, nous avons essayé de mener un travail constructif, même si nous en avons tiré des conclusions différentes.

L'objet de nos travaux, entre notre demande d'ouverture d'une commission d'enquête et la fin des auditions, s'est subtilement déplacé. Du constat qu'il était possible d'être blessé ou tué lors d'une manifestation en France aujourd'hui et, partant, de la volonté d'enquêter sur les conditions du maintien de l'ordre dans un contexte de respect des libertés et de droit à manifester, nous aboutissons à un rapport qui s'interroge sur la façon d'intégrer la possibilité de manifester dans le cadre de l'ordre public. Il n'est donc plus question de garantir un droit et de comprendre comment il peut être bafoué mais, au contraire, de tenter de le circonscrire pour qu'il s'ajuste au maintien de l'ordre, dont les modalités ont, par ailleurs, déjà été modifiées. Cette inversion du prisme change pour beaucoup le sens et la raison d'être de ce travail.

Ainsi, je n'approuve pas le rapporteur lorsqu'il écrit que les formes de manifestations ont évolué au point d'aboutir à un « rejet plus franc » de l'autorité. Le chercheur Cédric Moreau de Bellaing a souligné, lors de son audition, que c'est « le niveau de tolérance au désordre global [qui] a baissé parmi le public ou chez les policiers, mais aussi chez les manifestants », tout en précisant que la preuve n'est pas apportée que les manifestations d'aujourd'hui sont plus violentes que celles d'hier. En revanche, un changement de doctrine est à l'oeuvre. La violence employée par les forces de l'ordre est désormais à la mesure de celle des manifestants, ce qui ne participe pas à la désescalade.

Il en est de même des consignes d'interpellation et de la plus grande mobilité des forces de l'ordre qui, depuis 2005, ont provoqué une dislocation de l'action collective et un rapprochement physique sur le terrain, certes favorable à la judiciarisation des délits, mais néfaste à la réduction de la violence.

Le rapport a abordé la gestion des manifestations non-traditionnelles sous un angle non sociologique, mais sécuritaire. À aucun moment, le rapporteur ne se demande si la société peut et doit s'adapter à ces nouvelles formes de contestation. Sa seule préoccupation est de savoir comment aider les forces de l'ordre et la justice à contenir et judiciariser les éléments perturbateurs, qu'il appréhende d'ailleurs en groupe et non pas individuellement. C'est l'un des nombreux paradoxes de ce rapport. On maintient les lanceurs de balles de défense qui blessent un seul pour disperser l'ensemble, mais l'on souhaite mettre en place des contrôles d'identité collectifs et non plus au cas par cas, comme si les manifestants devaient être pris dans leur individualité et les fauteurs de trouble dans leur ensemble, soit l'exact inverse de la doctrine française en matière de maintien de l'ordre.

Je commenterai les propositions de notre rapporteur en suivant l'ordre dans lequel il les présente.

Que ce soit sous la forme d'une task-force ambulante ou d'une structure dédiée au sein de certaines préfectures, la professionnalisation dans les préfectures est ambiguë. Quid de la chaîne de commandement du maintien de l'ordre dans laquelle le ministre de l'intérieur est responsable juridiquement ? Quel est le rapport hiérarchique entre ce nouveau « réfèrent ordre public » et le préfet, selon qu'il serait membre du cabinet ou dépêché sur place ? Qui demanderait l'emploi d'une task-force, et qui prendrait la décision de l'envoyer ? Enfin, la définition des « préfectures les plus exposées » est trop vague. Celles-ci seraient-elles définies au préalable ou au cas par cas ? Sur quels critères ? Pour combien de temps ?

En revanche, la clarification des rôles de l'autorité exclusive du préfet et des forces mobiles, la présence permanente de l'autorité civile pendant l'ensemble des opérations de maintien de l'ordre, la mise en place d'un guide d'action à l'usage des préfets, la simplification et la meilleure compréhension des sommations à destination des manifestants sont des avancées.

La proposition n° 6 sur les rapports entre les forces de l'ordre et les journalistes rappelle des principes qui sont assez essentiels. Attention, toutefois, à ne pas faire de la non-entrave et de la proportionnalité des risques, des moyens détournés d'attenter au droit de la presse. Il serait également intéressant de mener une réflexion sur les liens entre présence de la presse et degré de violence. Il a été généralement admis au cours des auditions que la première réduisait la seconde. Si la médiatisation des manifestations augmente et que cela induit une diminution de la violence, comment peut-on arguer de l'augmentation globale du niveau de violence ?

Si l'interdiction judiciaire existe déjà, je m'oppose totalement à l'idée d'une interdiction administrative de manifester. Cette proposition doit être rapprochée de la réglementation et de la jurisprudence afférentes à l'interdiction des supporters de spectacles sportifs. Toutefois, un stade n'est pas une manifestation. Limiter l'accès à un lieu clos n'est pas limiter l'accès à une portion d'espace public, étendue et mouvante. Et le droit d'assister à un match n'est pas une liberté fondamentale, contrairement à celui de manifester. Plus spécifiquement, le terme « d'individus connus en tant que casseurs violents » me semble hasardeux et sujet à débat. Si cette interdiction devait être autorisée, elle devrait, au minimum, ne s'appliquer qu'à des individus déjà condamnés.

En outre, la mise en oeuvre de ce type de mesures semble hautement improbable. Comment déterminer ab initio que telle ou telle personne pourrait participer à telle ou telle manifestation ? Autant les supporters de football peuvent être individualisés et se voir signifier une interdiction par un arrêté préfectoral, autant il semble improbable de cibler les manifestants de type violent sur l'ensemble du territoire pour tous types de manifestation. Il a été dit à plusieurs reprises au cours de notre travail que l'on compte près de treize manifestations par jour à Paris. Comment pourrait-on techniquement émettre des interdictions ponctuelles dans cette ville ?

Il existe enfin un autre risque démocratique majeur : celui de cibler certains membres d'organisations politiques et syndicales. Le rapporteur écrit que « les dispositions permettant aux procureurs de requérir des contrôles d'identité en marge des manifestations servent d'ores et déjà aujourd'hui de fondement à des formes d'interdiction de manifester ». Légiférer sur un procédé déjà pratiqué, via des biais administratifs, ne rend pas ce procédé légitime. Cela montre également que les contrôles d'identité sont détournés de leur objectif premier.

La médiation entre les forces de l'ordre et les manifestants durant la manifestation, et les retours d'expérience, inspirés des modèles européens, privilégiant le port de l'uniforme et non l'infiltration en civil, sont d'excellentes propositions.

En revanche, fixer le principe d'une concertation obligatoire implique de changer radicalement le fonctionnement du droit de manifester, qui est purement déclaratif. Il y aurait dès lors un contrôle a priori et systématique de toutes les manifestations, ce qui entraînerait une restriction disproportionnée du droit de manifester. Une concertation préalable peut certes être utile et bénéfique, mais les propos cités par le rapporteur ne justifient aucunement la nécessité de rendre cette concertation obligatoire.

Je suis extrêmement favorable à l'idée d'ouvrir la formation et la doctrine du maintien de l'ordre aux sciences sociales, ainsi qu'aux propositions nos 13 et 14.

L'immobilisation de forces par définition mobiles présente une incohérence assez évidente, surtout pour des missions qui ne nécessitent pas l'usage de leurs compétences particulières. La volonté de rationaliser les effectifs est compréhensible, surtout en période de restriction budgétaire, mais il est problématique de voir des forces mobiles assurer des opérations statiques et être remplacées par des forces de sécurité publiques sur certains terrains de maintien de l'ordre. L'habilitation d'unités constituées, hors CRS et EGM, peut ainsi être envisagée, mais à plusieurs conditions, en partie évoquées par le rapporteur.

Interdire effectivement le Flash Ball dans toutes les opérations de maintien de l'ordre est une mesure consensuelle et je suis satisfait que le rapporteur l'ait reprise. Elle sera d'autant plus facile à mettre en oeuvre que la mobilisation d'unités, hors EGM et CRS, sera encadrée.

En revanche, comme il l'a souligné, je suis un fervent partisan de l'interdiction des lanceurs de balles de défense dans leur ensemble et, plus généralement, de toutes les armes de quatrième catégorie, ce qui inclut les LBD 40x46 mais aussi les Tasers. C'est une position que j'ai défendue, avec mes collègues Yves Cochet et François de Rugy, en déposant une proposition de loi en ce sens, en juillet 2009. En effet, la présence d'armes sublétales comme le LBD – c'est-à-dire moins létales, mais potentiellement létales tout de même – entraîne une surutilisation par les forces de l'ordre et un risque plus élevé de blessures graves et de décès. C'est dans le cadre des manifestations que ces risques sont les plus importants, en raison des mouvements de foule, des fumigènes et de l'imprécision du tir.

À cet égard, il semble plus judicieux d'imposer que toutes les normes du maintien de l'ordre et de l'utilisation des armes résultent d'un acte réglementaire, pris en application d'une loi, afin d'éviter l'opacité des diverses circulaires et manuels d'utilisation ou de formation. À titre d'exemple, il est particulièrement difficile, dans le cas de la mort de Rémi Fraisse, de déterminer les textes applicables, certains manuels ou circulaires ayant disparu.

Le développement de nouveaux moyens intermédiaires et le renforcement de moyens mécaniques sont attendus, mais il faut là encore être vigilant. Tous deux peuvent créer plus de dangers qu'ils n'en éviteraient. Je me méfie de certains dispositifs comme les lances à eaux.

Une fois de plus, c'est la philosophie générale du maintien de l'ordre qui bouge. Les unités mixtes employées à Paris, avec des policiers en civil chargés des interpellations, sont déjà une forme dévoyée de maintien de l'ordre, qui ne peut qu'entraîner une suspicion de la part des manifestants. Il est impératif d'imposer le port de l'uniforme et les interpellations doivent viser spécifiquement les abords et les individus, et non pas des groupes. La généralisation de la vidéo porte atteinte au droit de manifester et pourrait entraîner l'identification et la constitution de fichier d'opposants politiques ou syndicaux.

Quant à la systématisation d'un local de permanence pour les contrôles collectifs d'identité, elle est contraire au principe de contrôle d'identité qui doit être individualisé et répondre à des troubles préalables. Le secret de la procédure pénale et son caractère individuel, s'opposent à la présentation groupée à un officier de police judiciaire (OPJ).

Au-delà de ces mesures limitées aux modalités du maintien de l'ordre, c'est une réflexion globale qui doit être entreprise dans notre pays sur la place des forces de l'ordre dans la société. Toute société nécessite un ordre et une autorité. Cependant, le monopole de la violence légitime qui définit l'État wébérien n'implique pas la légitimité de toute violence qu'il pourrait exercer.

Nous serons d'accord sur le fait que le rôle premier des forces de l'ordre est de protéger les citoyens, pris au sens de l'ensemble des habitants de la cité. Elles sont ainsi un service public, au service de la population. La police agit au nom du peuple et non en fonction d'entités abstraites comme la Nation – les étrangers seraient-ils exclus de facto de cette protection ? – ou la République, terme dévoyé, qui n'est ni l'apanage ni la condition de la démocratie. C'est au nom de chaque citoyen que la police agit au nom d'une conception non individualiste mais humaniste de l'ordre. En effet, la défense de l'intérêt collectif ne doit pas oublier d'inclure les individus. Il ne peut y avoir de victime collatérale acceptable dans une société qui se veut et se revendique comme démocratique.

Notre société doit entreprendre un travail collectif pour redéfinir la place du pouvoir de police et son rapport à la population. L'ordre pour l'ordre ne résout rien, c'est aussi en améliorant la justice sociale, la démocratie locale, la représentativité du peuple, que l'on réduira les situations conflictuelles, causes et conséquences des limites floues des pouvoirs accordés aux forces de l'ordre. C'est pour cette raison que les écologistes ont proposé de remettre à plat les procédures de déclaration d'utilité publique, afin d'éviter de reproduire « un vieux, très vieux monopole de représentation, des débats de convenance, des pratiques d'entente et des ententes pratiques [qui] ont engendré une confusion regrettable entre la représentation élective et un inamovible banquet de notables multi-reconduits », comme l'a écrit Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l'homme.

Dans une majorité de cas, les forces de police sont blanchies dans les procédures qui les visent pour blessures graves, homicides ou non-assistance à personne en danger. Je n'ai pas à vous rappeler la décision prise récemment à Rennes. Il manque de toute évidence une réelle autorité indépendante chargée de faire la lumière sur les pratiques abusives, non conformes, illégales, commises par certains représentants des forces de l'ordre. La question du statut des gendarmes qui dépendent du ministre de l'intérieur mais n'ont pas le droit de se syndiquer et sont jugés par des cours militaires, se pose également.

Heureusement, les fautes policières ne sont pas la norme. Ceux qui les commettent sont aussi minoritaires que les fauteurs de trouble en manifestation. Ils ne sont qu'un arbre qui cache la forêt du respect des procédures, mais ils ternissent l'ensemble de leur profession et leur impunité laisse un goût amer à une grande partie de la population, qui se sent confrontée à un terrible sentiment de deux poids-deux mesures.

Le rapporteur écrit, en préambule, que l'opinion publique aurait des « attentes [...] en matière de maintien de l'ordre et de judiciarisation des délits ». Mais qui est donc cette opinion publique unanime et uniforme, capable de s'exprimer d'une seule et claire voix ? Ce n'est probablement pas la France de Nassuir, de Quentin et Joachim, de Rémi ou de Zyed et Bouna, celle qui subit les contrôles d'identité quotidiens ou qui a la « bêtise » de mourir pour ses idées, pour citer le mot prononcé en octobre 2014 par un président de conseil général, qui aurait mieux fait de se taire.

Pour toutes ces raisons, je n'approuverai pas le rapport de M. Popelin.

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Comme mes collègues, j'exprime mon profond respect pour le président et le rapporteur qui ont mené cette commission d'enquête. Je rappelle toutefois avant le vote que l'intervention du président n'engage que lui.

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J'enverrai une contribution. Auparavant je voudrais poser quelques questions. Le rapport tend à faire de la gendarmerie l'intervenant exclusif outre-mer, où 18,5% des effectifs de gendarmerie sont installés en permanence. Peut-on institutionnaliser cette situation, qui risque de poser un problème opérationnel ? Ce n'est pas parce qu'elle correspond à une habitude qu'elle doit devenir une règle.

D'autre part, si la ville dépend généralement de la police, et les zones rurales de la gendarmerie, ce n'est pas une obligation en matière de maintien de l'ordre. Sur ce point, il faut nuancer la rédaction du rapport.

Enfin, celui-ci insiste sur la nécessité de renforcer la formation de la gendarmerie et de la police. Sommes-nous en mesure de compenser l'indisponibilité opérationnelle des forces pendant leur temps de formation, qui se compte non en jours mais en mois ?

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Le passage sur l'outre-mer figure dans la partie du rapport qui établit un constat et non dans une recommandation. Il ne s'agit donc pas d'un jugement personnel. Par ailleurs, il n'y a pas de confusion ni d'ambiguïté sur le rôle de la police et de la gendarmerie en milieu rural et en zone urbaine. Je vous invite à relire le rapport : « En outre, l'instruction ministérielle portant doctrine d'emploi des forces mobiles de la police et de la gendarmerie nationale prévoit un principe de fongibilité des compétences territoriales entre CRS et EGM. Si la gendarmerie a naturellement tendance à se déployer en milieu rural et outre-mer et les CRS en zones urbaines, chaque force peut être employée dans des missions de maintien de l'ordre public indifféremment dans les deux zones de compétence (police et gendarmerie). »

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Nos travaux ont été d'une excellente tenue, et je partage le point de vue de M. Goujon, qui a approuvé le rapport. Cependant, notre groupe exprime son profond désaccord à l'égard des propos du président.

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Cela ne me surprend pas ; je dois même avouer que cela me rassure.

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Nous ne pouvons accepter, monsieur le président, que vous mettiez en cause certaines institutions de la République, comme vous le faites quand vous vous interrogez sur la déontologie des forces de l'ordre ou le contrôle qu'elles exercent.

Vous avez fait allusion de manière rapide et extrêmement polémique au jugement rendu récemment à Rennes par l'autorité judiciaire dans une affaire bien triste qui a heurté nombre de personnes, il y a dix ans, à Clichy-sous-Bois. Il n'y a pas lieu de remettre en cause, à l'Assemblée nationale, l'indépendance de l'autorité judiciaire et l'autorité de la chose jugée.

Si nous sommes républicains, soyons-le pleinement. Un jugement peut déplaire ou interroger la conscience de tel ou tel, mais notre devoir de député est de ne pas mettre en cause l'autorité de la chose jugée, l'indépendance de l'autorité judiciaire et les instruments de contrôle de l'État de droit.

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Je me méfie comme de la peste des directeurs de conscience. Je ne suis pas là pour juger du bien ou du mal. Comme vous, je suis représentant d'une part de la souveraineté nationale, représentant du peuple, et je suis là pour construire l'État de droit.

Pour ce faire, il faut légiférer non dans l'émotion et la précipitation, mais dans le débat et la confrontation. La commission d'enquête a duré six mois. J'ai le droit républicain et démocratique d'exprimer des réserves sur les pratiques de certaines institutions que je respecte. Je n'ai pas à être à genoux devant elles ni, au motif que ce sont des institutions, à renoncer à toute critique.

Quelle que soit notre famille politique, nous sommes ici pour améliorer le fonctionnement des institutions et pour les contrôler. Peut-être serons-nous d'accord pour voter des lois qui nous permettront de contrôler mieux et plus souvent l'action de l'exécutif. En la matière, notre pays pourrait s'inspirer des autres démocraties de l'Union européenne. Les institutions que je critique fonctionneraient mieux si elles respectaient davantage les citoyens.

Mes propos ne sentent pas le soufre. Ils sont guidés par la volonté démocratique et politique d'améliorer l'État de droit et de respecter l'ordre républicain. Il n'y a pas, dans cette salle, de révolutionnaire qui veuille abattre la pyramide républicaine. Nous avons le droit – et nous l'exercerons aussi longtemps que nous aurons un souffle politique – de formuler des critiques et d'apporter des contributions.

La proposition de nous doter d'une autorité indépendante n'émane pas seulement du président farfelu du président d'une commission d'enquête parlementaire. Elle est reprise par des associations de magistrats ou de policiers, qui souffrent de voir le contrôleur se confondre avec le contrôlé.

La Commission d'enquête adopte le rapport.

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En application de l'alinéa 3 de l'article 144-2 du règlement de l'Assemblée nationale, la réunion en comité secret de l'Assemblée nationale peut être demandée pendant cinq jours francs à compter de l'annonce au Journal officiel du dépôt du rapport d'une commission d'enquête, afin de se prononcer le cas échéant sur la publication du rapport. C'est la raison pour laquelle celui-ci doit rester confidentiel jusqu'à la fin de ce délai, soit jusqu'au mercredi 27 mai 2015 inclus.

L'audition s'achève à dix heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Paul Bacquet, Mme Marie-George Buffet, M. Guy Delcourt, M. Pascal Demarthe, M. Philippe Folliot, M. Hugues Fourage, M. Philippe Goujon, M. Guillaume Larrivé, M. Noël Mamère, M. Michel Ménard, Mme Nathalie Nieson, M. Pascal Popelin, M. Boinali Said, M. Daniel Vaillant, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Jean-Pierre Barbier, M. Christophe Priou