La séance est ouverte à 14 heures.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes examine le rapport d'information sur le projet de loi pour une République numérique (n° 3318) (Mme Catherine Coutelle, rapporteure).
Afin de réaliser le présent rapport, la délégation a procédé à huit auditions et j'ai notamment effectué deux déplacements.
Nous avons alors pu constater l'importance de l'orientation professionnelle : 45 % des élèves de terminale S sont des filles – qui, je le rappelle, réussissent mieux au baccalauréat que les garçons –, lesquelles ne sont plus que 11 % dans les filières informatiques, ce qui représente une considérable déperdition.C'est un enjeu pour l'emploi puisque le secteur numérique est composé de 28 % de femmes – avec seulement 15 % de femmes créatrices d'entreprises dans ce secteur –, et en particulier pour les mutations d'emplois, ceux occupés par des femmes étant davantage susceptibles d'être touchés par la croissance du numérique, qu'il s'agisse du développement des caisses automatiques ou des métiers d'accueil …
J'en viens à la cyberviolence, qui affecte un collégien sur cinq, ce qui est considérable. En outre, 18 % des femmes auraient subi des formes graves de violence sur internet dès l'âge de quinze ans – et ce phénomène touche toute l'Europe. La loi doit rendre plus efficace la poursuite des auteurs de ces violences afin non seulement qu'elles cessent mais qu'elles soient réparées.
J'ai effectué des déplacements dans deux écoles formant au numérique – École 42 et Simplon – impressionnantes par leur nouveauté, par les différentes méthodes pédagogiques qui y sont appliquées, par leur capacité à faire réussir aussi bien des « bacs moins cinq » que des « bacs plus cinq » – recrutés sans concours ni examens. Il faudrait que les cellules d'orientation soient au fait de toutes les possibilités offertes par le numérique afin que les jeunes ne soient pas freinés dans leur volonté d'intégrer cette filière : ces écoles, j'y insiste, ne sont pas des lieux où un niveau particulier, où un diplôme particulier est exigé – chacun peut y trouver sa chance pour peu qu'il réunisse certaines capacités et de la motivation.
Le numérique peut et doit changer la forme de la pédagogie, les relations entre professeurs et élèves, l'apprentissage… On pourra, je l'espère, parler bientôt d'une révolution pédagogique grâce à la révolution numérique. Reste à souhaiter que l'éducation nationale se saisisse vraiment de la question et ne se contente pas de la simple distribution d'ordinateurs.
Le rapport est suivi de dix-huit recommandations, et ces travaux approfondis sont imputables notamment à la qualité des interventions des personnes auditionnées, qu'elles aient représenté des associations, des entreprises, qu'il se soit agi d'avocats, d'une enseignante, d'une inspectrice générale de l'éducation nationale, etc. Ce rapport présente des éléments d'analyse détaillés sur différents sujets, alors que nous ne disposions que de peu de matière au départ.
À cet égard, l'absence d'éléments relatifs à l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'étude d'impact concernant le projet de loi pour une République numérique constitue à mes yeux une erreur importante. Je me souviens qu'en 2010 nous avions travaillé, Mme Zimmermann et moi-même, dans le cadre de la délégation, à la rédaction d'un amendement prévoyant que l'égalité entre les femmes et les hommes ferait précisément partie des études d'impact. Or la majorité de l'époque a décidé de fondre cet amendement avec d'autres, la disposition que nous défendions disparaissant au passage.
Quatre priorités se dégagent de ce rapport. La première consiste à faire de la révolution numérique une opportunité pour les femmes et un levier pour la formation et l'emploi. La deuxième a trait au développement de nouvelles formes de militantisme pour l'égalité entre les femmes et les hommes – cyberféminisme, open data… Troisièmement, il s'agit de garantir les droits et libertés des femmes à l'ère du numérique. Elles ne doivent pas à nouveau, dans la sphère numérique, être victimes de violences plus que les hommes. Toutes les formes nouvelles de violences faites aux filles et aux femmes doivent être prévenues et sanctionnées. Il convient en particulier de nommer correctement ces violences et qu'on ne se contente pas de reprendre le vocabulaire anglo-saxon qui peut être trompeur : ainsi, quand on parle de happy slapping on désigne le vidéolynchage et non quelque phénomène « joyeux ». Il faut qu'on se rende bien compte que ces violences peuvent démolir une personne.
Le projet de loi devrait être examiné en commission le 13 janvier prochain et en séance publique à partir du 19 janvier.
La délégation adopte le rapport d'information sur le projet de loi pour une République numérique (n° 3318) ainsi que les recommandations suivantes :
1. – Revoir en profondeur l'orientation à l'ère du numérique, dans l'enseignement, et en responsabilisant toutes les acteurs de l'éducation (enseignant.e.es, agent.e.s d'orientation, parents d'élèves), pour casser enfin les stéréotypes sexistes et permettre le libre choix des carrières des filles.
2. – Accélérer le déploiement de la charte de l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'enseignement supérieur afin de permettre aux filles d'être plus présentes et visibles dans l'enseignement supérieur.
3. – Développer dans les établissements d'enseignement une culture et un usage du numérique qui accompagnent la mise à disposition des équipements informatiques. Mettre en oeuvre une pédagogie fondée sur le décloisonnement et la transversalité.
4. – Réaliser des études prospectives indiquant, à court, à moyen et à long terme, les conséquences prévisibles de la révolution numérique sur l'emploi féminin. Ces études devront également indiquer quelles pourraient être les formations d'avenir compte tenu de l'évolution de la structure de l'emploi.
5. – Compléter la loi pour que le rapport annuel de la CNIL comporte un bilan d'application sexué des dispositions prévues par le projet de loi en matière de droit à l'oubli (article 32), concernant l'effacement des données pour les personnes mineur.e.s.
6. – Généraliser la production de données sexuées par les administrations et organismes publics pour mieux permettre l'utilisation des données publiques ouvertes (open data) au service de l'égalité femmes-hommes.
7. – Améliorer le dispositif statistique du ministère de la justice (casier judiciaire national, etc.) pour pouvoir disposer d'informations plus précises sur les poursuites engagées et les condamnations prononcées en matière de cyberharcèlement, atteintes au droit à l'image et à la vie privée sur internet (« vengeance pornographique »), etc.
8. – Améliorer les connaissances sur les violences en ligne et le cybersexisme :
– en complétant le champ des enquêtes sur les violences faites aux femmes de type VIRAGE pour mieux prendre en compte toutes les violences en ligne ;
– en saisissant le Conseil national du numérique (CNNum) d'une étude sur l'image des femmes, le sexisme et les violences sur internet, réseaux sociaux et jeux vidéos en ligne, en France et dans certains autres pays.
9. – Élargir les missions du Conseil national du numérique (CNNum), pour qu'il soit chargé de rendre publics des avis et des recommandations sur toute question relative à l'impact du numérique sur la société et sur l'économie « en prenant en compte les enjeux liés à l'égalité femmes-hommes » (modification du décret du 13 décembre 2012).
10. – Modifier le décret du 3 janvier 2013 relatif à la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences (MIPROF) pour faire explicitement référence aux violences en ligne.
11. – Modifier l'article 226-1 du code pénal pour mieux sanctionner les atteintes à la vie privée sur internet dans le cas de « vengeances pornographiques » :
– en prévoyant des circonstances aggravantes lorsque que les faits concernent l'enregistrement ou la diffusion, sans le consentement de la personne, de photos ou vidéos intimes à caractère sexuel, en renforçant ainsi les peines encourues dans ce cas ;
– en envisageant la possibilité d'engager des poursuites même si les images ont été prises dans un lieu public (et non seulement dans un lieu privé) ;
– en clarifiant les dispositions établissant une présomption de consentement, en prévoyant une exception dans le cas de photographies ou vidéos sexuels.
12. – Poursuivre les actions de formation des magistrat.e.s et agent.e.s de police en matière de cybercriminalité en veillant à la prise en compte des cyberviolences, notamment en direction des femmes, et en matière d'aide aux victimes.
13. – Généraliser l'emploi de termes français pour mieux traduire la réalité des cyberviolences dans toutes les enquêtes, études, actions d'information et de sensibilisation, textes officiels et dans la communication politique (vidéo-lynchage, intimidations des « salopes », vengeance pornographique, harcèlement sexuel par textos).
14. – Lancer un plan d'actions d'information et de sensibilisation en direction du grand public sur les cyberviolences, avec l'implication des ministères concernés, et plus particulièrement sur la diffusion de photographies ou vidéos intimes par un ex-partenaire, en s'inspirant des actions engagées au Royaume-Uni. En termes de moyens : site internet et communication sur les réseaux sociaux, ainsi que sur les sites tels que You Tube pour toucher les plus jeunes, ligne téléphonique d'urgence, etc. En termes d'objectifs : prévenir le partage de vidéos ou photographies intimes, libérer la parole, apporter un soutien aux victimes et des conseils juridiques, faire prendre conscience de la gravité des faits et communiquer sur les sanctions encourues, etc.
15. – Compléter les dispositions issues de la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l'École pour que les formations à l'utilisation des outils et des ressources numériques, dispensées dans les écoles et les établissements d'enseignement, comportent une sensibilisation aux droits et aux devoirs liés à l'usage d'internet qui prenne en compte les enjeux liés à l'égalité entre les femmes et les hommes, et en particulier la prévention et la lutte contre les violences faites aux jeunes filles.
16. – Développer les bonnes pratiques et soutenir les initiatives locales en milieu scolaire pour sensibiliser les jeunes sur les droits et devoirs liés à l'internet et les usages responsables du numérique ainsi que sur les cyberviolences.
17. – Lutter contre le sexisme dans les jeux vidéos, par une modification des conditions d'éligibilité au crédit d'impôt jeux vidéos (CIJV), pour prendre en compte la présence de contenus sexistes, ou par la création d'un label.
18. – Encourager la réalisation d'une étude sur les applications mobiles en direction des jeunes enfants en vue de la diffusion d'une liste ou palmarès d'applications non-sexistes, voire d'un label.
La séance est levée à 14 heures 25.