J'ai eu la chance de participer aux travaux de la 65e session de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), qui a été pour moi l'occasion de côtoyer des auditeurs de haut potentiel et dont j'ai particulièrement apprécié la dimension interministérielle. C'est une des raisons pour laquelle j'ai souhaité constituer cette mission relative à l'encadrement supérieur de l'État. Peut-être pourrez-vous nous dire si le modèle militaire – caractérisé par la formation conjointe du Centre des hautes études militaires (CHEM) et de l'IHEDN des cadres ayant fait l'objet d'une première sélection au moment de l'École de guerre – serait transposable au monde civil.
Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du général Hubert de Reviers de Mauny, directeur de l'École de guerre, empêché du fait de modifications d'emploi du temps.
La détection, la sélection et la gestion de ce que l'on appelle les hauts potentiels dans les armées – grade d'officier général – s'effectuent dans le cadre d'un processus continu. La détection et la sélection interviennent lorsque les intéressés sont âgés d'environ 35 ans, à la moitié de leur carrière, et intègrent alors l'École de guerre. Au vu de mon expérience au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), puis au cabinet militaire à Matignon, je suis frappé de constater à quel point les pratiques du ministère de la défense se différencient de celles de la haute fonction publique. J'ai vu certains jeunes hauts fonctionnaires accéder très rapidement à des échelons de direction ou proches des décideurs, alors que le parcours est progressif dans les armées.
Un jeune officier évolue d'abord dans sa spécialité – à caractère plus technique – pour franchir ensuite, à mesure de l'âge et de l'expérience, l'étape de l'Ecole d'état-major ou ses équivalents techniques pour les autres armées que l'armée de terre. Ensuite, vers l'âge de 35 ans, intervient ce premier jalon qu'est l'École de guerre où, pour la première fois, sont détectés les futurs hauts potentiels. Les intéressés font dès lors l'objet d'un suivi personnalisé au niveau de chaque armée – même si, depuis 2009, un suivi est aussi effectué à l'échelon de l'état-major des armées – suivi d'abord quantitatif puis, le cas échéant, suivi personnalisé pour des officiers ayant un potentiel d'officier général mais qui laisseraient apparaître un très haut potentiel de commandeurs à quatre ou cinq étoiles.
Il s'agit donc d'un processus continu, qui débute à l'École de guerre vers 35 ans, et se poursuit, pour des colonels de 45 ans environ, au CHEM, dont le cursus est couplé avec la session nationale « politique de défense » de l'IHEDN.
Nous formons les intéressés, tant au titre de l'enseignement militaire supérieur que de l'IHEDN, mais nous ne sommes pas responsables de leur sélection, ni de leur gestion : nous donnons simplement aux responsables des armées et de l'interarmées des éléments d'appréciation. Je ne pourrai donc pas répondre à des questions relevant des compétences des directeurs des ressources humaines (DRH) des différentes armées ; quant aux questions portant sur la parité entre femmes et hommes, elles relèvent plutôt de la directrice des ressources humaines du ministère de la défense, Anne Sophie Avé.
Jusqu'à présent, il appartient aux armées – terre, air, mer et services – de sélectionner leurs candidats à l'Ecole de guerre et de déterminer la nature des concours, même si le nombre de places offertes est déterminé par l'état-major des armées. À l'issue de la scolarité au sein de l'Ecole de guerre, nous donnons aux DRH des armées ainsi qu'au chef d'état-major des armées (CEMA) nos éléments d'appréciation, notamment s'agissant des détections de hauts potentiels. À titre d'illustration, moins de 30 % des officiers français de l'École ayant le grade de commandant ou de lieutenant-colonel, seront retenus au titre des hauts potentiels. Ce qui ne veut pas dire que tous seront nommés. En effet, les intéressés sont mis, ensuite, en situation de faire preuve de leurs qualités de chef. Il en est de même, lors du passage au CHEM, pour les colonels de 45 ans ; tous doivent confirmer leur haut potentiel, et nous informons les chefs d'état-major du petit tiers d'officiers que nous avons détectés comme susceptibles d'être de très hauts potentiels.
Monsieur Bouchité, en tant que préfet, quelle appréciation portez-vous sur ce cursus engagé par l'IHEDN et le CHEM, en comparaison de ce qui est pratiqué pour les autres cadres de la haute fonction publique de l'État ?
Lorsque l'on découvre avec un oeil extérieur le processus de validation des acquis et de promotion des officiers, on ne peut que s'interroger sur la haute fonction publique civile de la catégorie A ou A+, où la pratique est moins encadrée et beaucoup moins directive. J'ajoute que le processus – formation initiale, formation terrain interarmées, École de guerre, CHEM – laisse la possibilité de compenser des « erreurs d'aiguillage » : quelqu'un qui n'a pas été auditeur au CHEM peut devenir général quand même, et quelqu'un qui a été auditeur peut ne pas le devenir. En effet, même si le parcours est très organisé, d'autres circuits sont susceptibles de compenser d'éventuelles erreurs d'affectation : c'est un système aussi souple que structuré. Un officier supérieur occupant une fonction extrêmement lourde, par exemple au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), et qui n'aurait pas eu le temps de faire le CHEM, a néanmoins vocation à devenir général.
La fonction publique civile est mal adaptée à cette systématisation. Les parcours des hauts fonctionnaires comportent surtout des formations métier, et la situation actuelle en impose un certain nombre de nouvelles.
Des viviers sont constitués par le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) ainsi que par chacun des secrétariats généraux des ministères : les secrétaires généraux et le secrétaire général du Gouvernement se réunissent avec les hauts fonctionnaires chargés des ressources humaines ou chargés de fonctions opérationnelles, pour recenser des personnes d'une quarantaine d'années – hommes et femmes – à haut potentiel, en vue de leur faire occuper des postes de direction à courte échéance. Cette méthode ne revêt pas toutefois le caractère systématique observé dans les armées, car il y a une grande variété de métiers.
Dans un objectif d'acculturation aux intérêts fondamentaux de la Nation, le modèle pédagogique de l'IHEDN devrait faire école. Il faut que les cadres civils et militaires, les cadres de la haute fonction publique, mais aussi les cadres dirigeants du secteur privé, s'approprient les notions de défense et de sécurité nationale. Je considère que leur enseignement doit devenir la règle au terme de la formation « métier », au moment de la prise des fonctions de préfet, d'ambassadeur ou de cadre dirigeant. Ce brassage avec nos camarades militaires officiers supérieurs est, en termes de cohésion, nécessaire à la Nation.
Une des caractéristiques de l'IHEDN est son rattachement au Premier ministre, alors même que plusieurs ministères se sont dotés d'organes poursuivant la même ambition comme l'Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) qui a créé le cycle des hautes études pour le développement économique (CHEDE), pour le ministère des finances. Or, certaines de ses structures sont rattachées au ministère qui les finance et qui les a mises en place, et non au Premier ministre.
L'intérêt des échanges interministériels est pourtant patent. J'ai suivi le cycle de l'IHEDN et j'ai aussi bénéficié d'une formation au ministère des finances. Le modèle de l'IHEDN me paraît le plus abouti, car il est un excellent lieu de brassage des cadres civils et militaires. Les moyens financiers sont-ils suffisants ? Ne conviendrait-il pas de regrouper, sur le modèle de l'IHEDN, ces formations quelque peu éparses que j'évoquais à l'instant ?
Cette mixité entre le militaire et le civil constitue une vraie valeur ajoutée de l'IHEDN comme de l'INHESJ – qui forme des responsables de la sécurité et de la justice et qui est également placé sous la tutelle du Premier ministre. Le centre de gravité de l'IHEDN est plutôt la défense et les affaires étrangères, même si les deux derniers Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale, parus en 2008 et 2013, ont montré la nécessité d'aborder tous les domaines. Un tel lieu de réflexion et de formation sur les questions de défense et de sécurité nationale, rassemblant des militaires, des fonctionnaires ainsi qu'une part importante de responsables du privé, ne se rencontre dans aucun autre pays : ni aux États-Unis, ni au Royaume-Uni, ni en Allemagne, ni en Italie ; le cas de la Chine étant particulier.
C'est incontestablement un bon modèle, avec la limite tenant à ce que plus les thèmes abordés sont nombreux et plus grand est le risque de diluer ce qui est au coeur de la formation. Sous la houlette du SGDSN, nous travaillons très bien avec l'INHESJ dans nos domaines respectifs, et nous nous retrouvons régulièrement pour des journées communes consacrées à des thèmes comme la radicalisation, les frontières ou les migrations. Il existe des champs interministériels que nous pouvons explorer en commun, mais chacun doit conserver ses spécificités.
Un autre aspect de la question tient à ce que nous bénéficions du soutien, y compris matériel, du ministère des affaires étrangères, mais surtout du ministère de la défense. Celui-ci ne souhaiterait peut-être pas consentir le même effort pour des travaux interministériels plus diffus. En revanche, nous cherchons à multiplier les échanges et séminaires croisés, qui sont toujours très riches, que ce soit avec l'INHESJ, l'Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST) ou l'Institut des hautes études de l'entreprise (IHEE) ; nous avons aussi des contacts avec l'IGPDE. Nous raisonnons plus en termes d'activités communes que de grands instituts communs.
Le modèle de l'IHEDN repose sur le croisement des origines professionnelles des cadres de la Nation, qu'ils soient civils ou militaires, issus du secteur public, privé, associatif ou politique, qu'ils soient parisiens ou provinciaux. C'est l'occasion de confronter les différentes cultures professionnelles. Nous organisons des cours magistraux, des colloques, des visites de sites, et les auditeurs préparent des « planches » en commun.
Les outils de formation en usage au sein des ministères sont plutôt à usage professionnel ou technique : même à un haut niveau, ce sont des formations « métier », destinées à aguerrir le dirigeant dans sa fonction. Notre modèle consiste à faire sortir les auditeurs de cette dimension « métier » afin de les mettre en capacité d'assumer la responsabilité de cadre dirigeant public ou privé de la Nation. De façon caricaturale, il faudrait peut-être supprimer cet environnement de formations « ultimes », délivrées à la Cour des comptes, au ministère des finances ou de l'intérieur, pour réunir ces cadres dirigeants qui auront à travailler ensemble et les rendre capables de s'approprier le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui contient tout ce qu'il faut savoir sur la cohésion nationale et les enjeux fondamentaux du pays. Cela implique de savoir ce qu'est la défense ; il est impensable qu'un préfet – n'oublions pas que les jeunes générations n'accomplissent plus le service national – puisse ignorer la pensée stratégique française, les enjeux de sécurité nationale, les questions de sécurité des systèmes d'information, les menaces pesant sur le pays en France même et à l'étranger.
Cette formation peut être relativement courte, mais doit relever du Premier ministre ou du SGG. C'est une occasion exceptionnelle, pour un civil, de découvrir ce qu'est le monde de la défense. À cette fin, il faut que les cadres dirigeants de demain s'assemblent en un lieu de formation qui n'est ni qualifiant, ni diplômant, ni opérationnel, mais qui permette de s'approprier les intérêts de la Nation. C'est un minimum, qui vaut pour les élus comme pour les hauts fonctionnaires et pour les responsables du secteur privé.
Il n'est pas concevable, par exemple, qu'un cadre dirigeant du privé n'ait pas conscience que son système informatique transporté – ne serait-ce qu'un simple téléphone mobile – peut constituer une menace pour son entreprise. Une demi-heure suffit à cette acculturation, et cela vaut pour tous. Il faut toutefois distinguer le métier, qui relève des ministères, de l'appropriation des intérêts de la Nation, qui doit relever du Premier ministre ou du SGG – ce qui ne signifie pas que la dimension de défense enseignée toute une année à l'IHEDN ne soit pas indispensable.
Pourriez-vous nous donner des précisions au sujet de l'articulation entre le CHEM et l'IHEDN ?
Le CHEM est installé à l'École militaire depuis sa création en 1911. Il est donc antérieur à l'IHEDN créé en 1936. Après la seconde Guerre mondiale, il renaît en 1952 sous une forme réellement interarmées. Ces dates sont importantes, car elles caractérisent le CHEM aujourd'hui : le besoin pour ce type de formation se fait sentir à des périodes de grands bouleversements stratégiques, où chacun perçoit confusément qu'un monde est en train de disparaître et un autre en train d'émerger. Je pense aux premières années du XXe siècle, et c'est de nouveau le cas à présent, comme à d'autres périodes du siècle précédent.
Chaque année, le CHEM accueille une trentaine d'officiers, dont vingt-cinq Français et quatre à six étrangers provenant de pays alliés proches. Ils sont tous âgés de quarante-cinq ans environ et ont tous exercé des responsabilités importantes, comme le commandement d'un régiment, d'une base aérienne ou d'un bâtiment de guerre. L'objectif est triple : former des chefs militaires du plus haut niveau, c'est-à-dire des personnes réfléchissant aux questions de stratégie militaire ; développer leurs capacités à être des cadres dirigeants de haut rang ; développer leurs capacités à être des acteurs du dialogue entre le politique et le militaire.
Parler de formation au sujet du centre constitue un raccourci quelque peu réducteur. Il s'agit évidemment d'une formation, mais il s'agit surtout d'une période d'entraînement : de même qu'un jeune officier s'entraîne à piloter un avion, un colonel un peu ancien s'entraîne à concevoir et à planifier, par exemple, des opérations. Il s'agit aussi d'une période de réflexion face à un monde qui change et, de ce point de vue, l'ouverture vers l'extérieur est essentielle. Les auditeurs du CHEM ont des contacts entre eux, ce qui est très précieux puisqu'ils représentent une partie significative de l'équipe de commandement des armées qui sera en poste à l'horizon d'une dizaine d'années – même s'il n'y a pas d'automatisme dans le dispositif. Ils ont aussi beaucoup de contacts à l'extérieur, mais aussi avec les participants à la session nationale « Politique de défense » de l'IHEDN, où un auditeur militaire passe 30 % de son temps – pour 70 % au CHEM.
Cette combinaison est unique, car si d'autres pays se sont dotés d'institutions comparables à l'IHEDN, celles-ci sont moins ambitieuses ; tandis que les équivalents du CHEM sont davantage centrés sur des questions strictement militaires.
En février 2015, nos collègues Francis Hillmeyer et Jean-Michel Villaumé ont remis un rapport sur la formation des militaires. Tout en reconnaissant l'efficacité de celle-ci, ils ont considéré que ses coûts étaient mal connus et que l'effort faiblissait. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Je ne dispose pas à l'instant d'éléments susceptibles de confirmer un fléchissement de l'effort de formation militaire. En revanche, la connaissance des coûts, qui fait partie des éléments pris en compte dans les décisions, doit effectivement être améliorée.
Il faut distinguer la direction de l'enseignement militaire supérieur (DEMS) et l'IHEDN.
S'agissant de l'enseignement militaire supérieur, je ne suis pas en mesure, à l'heure actuelle, de donner le coût d'un auditeur du CHEM ou d'un stagiaire de l'École de guerre. Le budget de fonctionnement de la DEMS – dont les effectifs sont effectivement passés de 175 à 140 – est de l'ordre de 3,6 à 3,7 millions d'euros, dont 1,2 million provient de transferts du ministère des affaires étrangères puisqu'un tiers des stagiaires de l'École de guerre sont des invités étrangers. Ils sont 80 cette année, venant de 63 pays. Au sein de ce budget, l'École de guerre représente 1,8 million d'euros et le CHEM 260 000 euros pour neuf cadres et une trentaine de stagiaires. Le comité de coordination de la formation travaille à définir une méthodologie de calcul qui permettra de connaître le coût complet de la formation. Un certain nombre d'organismes de formation pilotes, comme l'école des sous-officiers de Sain- Maixent et l'École de l'air à Salon-de-Provence ont été retenus pour élaborer et tester cette méthodologie.
L'IHEDN, établissement public administratif (EPA), dispose d'un budget de 10 millions d'euros incluant des transferts des ministères de la défense et des affaires étrangères versés au titre des sessions internationales que nous organisons. La masse salariale de l'encadrement est connue, et l'Institut dispose de fonds propres provenant notamment des frais d'inscription. Un outil comptable qui est en train de se mettre en place, nous permet de suivre, non pas le coût des soixante sessions et des séminaires organisés annuellement pour nos 2 600 auditeurs, mais le coût des principales sessions comme la session nationale « Politique de défense ». Cette session compte une centaine d'auditeurs, dont une trentaine d'auditeurs « de droit » qui sont les officiers du CHEM, qui passent environ soixante-dix jours d'une session avec leurs camarades civils. La session 2014-2015 ayant coûté 2,5 millions d'euros en 2015, un auditeur revient à 25 000 euros environ. Nous disposons de recettes directes de 4 000 euros en moyenne par auditeur, les frais d'inscription variant, en fonction du statut de celui-ci, entre 3 000 et 15 000 euros. En tout état de cause, nos instruments comptables vont s'améliorer pour prendre en compte les prescriptions du rapport de 2015, et ce dans un délai moindre pour l'IHEDN que pour le CHEM, pour lequel nous sommes moins avancés.
Les critères qui sont les vôtres pour identifier les hauts potentiels et sélectionner les trente officiers qui suivront la formation vous semblent-ils transposables à la haute fonction publique ? Quelles sont, pour vous, les qualités requises ?
Je resterai très prudent ; je rappelle que notre processus de sélection est continu, ce qui rend les comparaisons malaisées. Dans le monde militaire, d'excellents jeunes officiers peuvent être de très bons meneurs d'hommes dans leurs premiers postes ou de très bons pilotes de chasse – ce qui constitue une compétence très particulière – et ne pas nécessairement faire preuve par la suite, en milieu de carrière, au moment du passage par l'École de guerre, des compétences de chef, d'homme de caractère et d'ouverture d'esprit que nous recherchons. Ainsi, certains, brillants au départ, plafonnent au moment de cette deuxième partie alors que d'autres, qui ont été des officiers plus discrets, se révèlent.
Nous recourons, d'une façon générale, à des critères de notation liés à l'emploi au cours de l'année. En revanche, au moment du stage effectué au CHEM, les officiers sont comparés les uns aux autres au sein d'une population plus homogène, et les cadres de contact jouent un rôle important : ils observent leur caractère – critère auquel le chef d'état-major est très attaché – et leur ouverture d'esprit. On peut imaginer que celle-ci, par nature, est plus grande dans la haute fonction publique, puisqu'elle est amenée à connaître une plus grande variété de secteurs, tandis que le parcours militaire peut faire que l'on arrive colonel en ne disposant que d'une faible connaissance de certains milieux, des spécificités de la fonction publique ou des problématiques posées à l'État.
Nous intégrons donc, dans un premier temps, au stade de l'École de guerre, la dimension interarmées – terre, air, mer – puis, à celui du CHEM, la dimension politico-militaire, qui implique de prendre en compte les problématiques des acteurs avec lesquels il faudra interagir dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale, dont l'imbrication est croissante avec les aspects diplomatiques, politiques, économiques et – désormais – environnementaux.
Établir le parallèle avec la haute fonction publique me paraît hasardeux, car les hauts fonctionnaires, par nature, doivent disposer, beaucoup plus tôt que les militaires, d'une culture générale qui emporte une certaine curiosité d'esprit, alors que les cadres de l'armée doivent plus répondre à des critères de conviction, de caractère et de capacité de commandement. Au demeurant, c'est dans les responsabilités et les difficultés que se révèlent ce type de qualités, particulièrement l'aptitude à transformer une compétence et un effort individuels en une compétence et un effort collectifs ; à ce degré de responsabilité, les capacités attendues sont équivalentes entre le commandement militaire et la haute fonction publique.
À cet égard, j'avoue avoir rencontré des esprits brillants pour eux-mêmes, mais pas pour l'équipe qu'ils dirigeaient – souvent en raison de difficultés relationnelles –, doués d'une grande capacité de travail individuel sans pour autant savoir créer un projet collectif, faute de capacités managériales. C'est sur ces points que le parallèle établi entre les deux univers est pertinent.
Sachant, qu'à cet égard l'armée vient de loin, et que des progrès significatifs ont été réalisés, recourrez-vous à des procédures particulières pour favoriser l'accès des femmes aux postes de responsabilités ?
On est reçu à l'École de guerre sur concours organisés par les armées. En revanche, la sélection pour accéder au CHEM résulte d'un processus de décision se terminant devant le comité des chefs d'état-major, sous l'autorité du chef d'état-major des armées, qui choisit les vingt-cinq officiers français appelés à suivre la scolarité.
S'agissant de la féminisation, tout officier, sans exclusive, peut postuler à l'École de guerre. Celle-ci, en 2015, connaissait un ratio de 10 % de femmes ; ce pourcentage pourra difficilement excéder 15 % à court ou moyen terme, puisqu'il correspond grosso modo au taux de candidates reçues dans les écoles d'officiers. Il peut y avoir quelques exceptions, mais l'accès aux postes de haut potentiel résulte du recrutement direct dans les écoles comme Saint-Cyr, l'école de Salon-de-Provence et l'École navale.
Être un colonel ou un capitaine de vaisseau féminin identifié comme haut potentiel ne saurait constituer un handicap pour devenir stagiaire du CHEM. Nous avions l'an dernier une stagiaire ingénieur en chef de l'armement, et cette année nous sommes « sauvés » par une femme colonel de l'armée des États-Unis, sans quoi il n'y aurait pas d'élément féminin au CHEM. Nous sommes quelque peu prisonniers de notre système d'enseignement militaire supérieur, et l'on peut penser que, à terme, les promotions du CHEM compteront deux à trois femmes par an au maximum. En revanche, dans les sessions nationales de l'IHEDN, alors que nous retenons un candidat sur trois, pour la session nationale « politique de défense », nous visons un taux de 35 % de femmes auditrices ; mais ce taux sera toujours tributaire des dossiers que nous recevons.
Nous organisons aussi des sessions destinées aux jeunes de vingt à trente ans, qui durent une semaine, en internat, avec le même triptyque visites-conférences-travaux en comité. 450 jeunes y participent chaque année, dont une moitié d'actifs et une moitié d'étudiants : le ratio de femmes y est fréquemment de 50 %. Cela montre l'intérêt que les jeunes, y compris les jeunes femmes, portent aux thématiques de défense et de sécurité nationale.
Des situations comparables sont constatées dans le monde militaire et le monde civil, où prévaut le fameux « plafond de verre ». À l'IHEDN comme au CHEM, l'âge moyen d'entrée est de quarante-cinq ans. Les participants apportent l'expertise de leur domaine et, utiliseront par la suite ce qu'ils ont appris, notamment dans le domaine des relations internationales, dans l'exercice de leurs responsabilités. Ce passage leur permet également de constituer un réseau. Reste que les pourcentages de femmes qui sont ceux de la haute fonction publique ne se retrouvent pas pour nos candidats ni, donc, pour nos auditeurs.
Nous vous remercions, et laisserons le général de Reviers de Mauny répondre à la partie du questionnaire portant sur l'École de guerre.