Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du 23 juin 2016 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à onze heures vingt.

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Nous poursuivons nos auditions en recevant M. Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France, et M. Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron.

La Coop de France, créée en 1966, est une organisation professionnelle représentant des entreprises coopératives agricoles. Elle est structurée autour de trois pôles : animal, végétal et agroalimentaire. La coopération agricole regroupe quelque 2 700 entreprises, soit une marque alimentaire sur trois, réalise 40 % du chiffre d'affaires de l'agroalimentaire français et compte 165 000 salariés. En matière animale, les coopératives regroupent 35 % de l'industrie d'abattage de volailles, 21 % des bovins et veaux, 31 % des porcs – dont la Cooperl, premier abattoir français de porcs – et 34 % des ovins.

La Sicarev, pour sa part, a été fondée en 1962 ; il s'agit d'un groupe coopératif régional qui s'appuie sur des filières approvisionnées par des éleveurs situés dans les régions Rhône-Alpes, Auvergne, Limousin, Centre, Bourgogne et Champagne-Ardenne. La Sicarev dispose de cinq sites d'abattage et de découpe et commercialise 200 000 tonnes de viande par an.

Il nous semblait indispensable, messieurs, de vous auditionner dans le cadre de nos travaux et nous vous remercions vivement de votre présence ce matin.

Je rappelle que nos auditions sont ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le portail vidéo l'Assemblée, certaines étant diffusées sur la chaîne parlementaire.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Poulet et Dumas prêtent successivement serment.)

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Je vous remercie de nous avoir invités à cette audition et j'espère que nous pourrons répondre à toutes vos questions. Votre présentation, monsieur le président, était très complète. J'y ajouterai seulement qu'une trentaine de nos coopératives disposent d'outils d'abattage-transformation avec des chiffres qui vont de 2 000 tonnes à plus de 100 000 tonnes par an. Nous avons donc, au sein même de la coopération, toutes sortes d'outils – une diversité qui, j'espère, enrichira le débat.

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Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron

Je vous remercie également de me permettre de participer à cette audition. Je suis moi-même éleveur dans le département de la Loire. À ce titre, je préside le groupe Sicarev-Aveyron qui a la spécificité de concerner à la fois les métiers d'abattage-découpe pour les bovins, porcins et veaux, l'export et le négoce d'animaux vivants.

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Je vais entrer dans le vif du sujet.

Vous savez quelle est l'origine de la création de la présente commission d'enquête. Quelle a été votre réaction personnelle à la suite de la diffusion de plusieurs vidéos par l'association L214 ? Et surtout, quelles ont été les réactions des différents acteurs de la filière avec lesquels vous êtes en contact ? Avez-vous une explication à avancer ?

Ensuite, au cours de ces derniers mois, avez-vous observé une évolution de la prise en compte du bien-être animal au sein de la filière et plus précisément dans le secteur de l'abattage ? La prise en compte du bien-être animal, au coeur de notre réflexion, a-t-elle entraîné un renchérissement du coût d'abattage ?

Enfin, question que nous avons longuement évoquée hier au cours d'une table ronde réunissant des spécialistes du droit du travail et des représentants de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), que pensez-vous de l'introduction éventuelle de la vidéosurveillance dans les abattoirs à certains postes – déchargement des animaux, amenée, étourdissement, saignée ? Y êtes-vous favorables ? Serait-ce à vos yeux une bonne solution pour rassurer le consommateur, de plus en plus exigeant quant à la façon dont sont tués les animaux ? Les pratiques en abattoir ont en effet été ignorées pendant longtemps et, d'ailleurs, le grand public n'a pas forcément voulu les connaître alors qu'un certain nombre de lanceurs d'alerte comme l'association L214 ont mis récemment le sujet sur la scène publique. La confiance quant à la manière dont sont tués les animaux exige peut-être l'instauration de dispositifs nouveaux.

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Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron

Nous n'avons évidemment pas apprécié les images auxquelles vous faites allusion, nous les condamnons. Nous ne souhaitons pas voir de telles pratiques au sein de nos outils – ce qui m'amènera dans un moment à vous parler de la vidéosurveillance. Quand on porte, comme moi, la double casquette d'éleveur et de responsable d'outil d'abattage, on souhaite que les animaux soient bien traités.

Nous travaillons à la prise en compte du bien-être animal depuis un certain nombre d'années à l'aide des référents pour la protection animale (RPA) et en demandant à nos personnels, à nos chauffeurs de suivre une formation. Quand on a annoncé à des chauffeurs qui exerçaient ce métier depuis dix ans qu'on allait les former à la manipulation des animaux, ils ont souvent réagi en disant : « On ne va tout de même pas m'apprendre mon métier ! » Moi-même j'ai suivi, en tant qu'éleveur, des formations sur le comportement animal : on découvre ainsi, par exemple, que le champ de vision d'un bovin n'est pas le même que le nôtre, et c'est ce qui explique leur manière particulière de réagir. Ces formations nous permettent d'appréhender d'une manière différente les animaux, de mieux les approcher, de mieux comprendre et de mieux anticiper leurs réactions. Or ces chauffeurs, dont je viens de parler, mais aussi des opérateurs d'abattoir, ont admis qu'au lieu de perdre une journée, comme ils le craignaient, ils avaient appris des choses. Car il faut éviter de transposer au comportement de l'animal notre ressenti personnel : il ressent les choses différemment, sa vision, son odorat n'est pas le même que nous. Finalement, ces formations sont entrées dans leurs moeurs et ont permis de faire avancer les choses dans l'ensemble de la filière, éleveurs compris : car le bien-être animal, c'est tout au long de la vie de l'animal, jusqu'à sa mort, autrement dit jusqu'à l'abattage.

Si l'on peut mesurer, pour répondre à l'une de vos questions, le coût de mesures favorables au bien-être animal, comme une journée de formation ou la création d'un poste supplémentaire, il faut également être capable d'apprécier le plus qu'elles apportent pour rassurer le consommateur. J'en profite pour dire, quitte à m'écarter un peu de notre sujet, qu'il faut bien avoir conscience de tout notre travail d'étiquetage des produits de la filière française, et ne pas fermer les yeux sur les produits que nous importons : si l'on s'impose des exigences pour un produit né, élevé et abattu en France, on ne peut en dispenser les produits qui viennent d'ailleurs. Bref, si l'on sait mesurer des surcoûts, il est plus difficile d'en mesurer le retour ; reste que si, demain, nous n'avons plus de consommateurs de viande parce qu'ils ne sont plus rassurés par les pratiques de la filière, nous en mesurerons directement les conséquences… Il faut donc voir le côté positif des choses.

J'en viens à la vidéosurveillance. Il y a plusieurs façons de l'appréhender. Je pense qu'il faudra réfléchir à son utilisation. Si l'on doit mettre en place une vidéosurveillance, nous proposons que ce soit d'une vidéosurveillance en direct, avec un écran visible par un vétérinaire, à défaut de pouvoir mettre un vétérinaire à tous les postes ni aux côtés de chaque opérateur. Ainsi, dès que l'on constate une dérive dans la gestuelle, dans la façon de traiter les bêtes, quelqu'un est à même d'intervenir immédiatement pour corriger le geste inapproprié : c'est tout l'intérêt de la vidéosurveillance en direct. Il ne sert à rien d'enregistrer des heures d'images si c'est pour constater que le salarié a passé toute une journée à ne pas travailler comme il faudrait, faute d'avoir été bien formé, d'avoir bien compris sa tâche, etc., et qu'on n'a pas su le corriger rapidement. Avec la vidéo en direct, le vétérinaire peut réagir immédiatement, quitte à faire arrêter la chaîne : le bien-être animal ne peut admettre qu'une mauvaise gestuelle se prolonge pendant une heure, voire une journée. Peut-être faudra-t-il tenir un registre, au besoin former l'opérateur ; ce n'est pas la sanction qui m'intéresse, mais les marges de progrès, tout ce qui permettra de tirer par le haut toute une approche centrée autour du bien-être animal.

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Tout d'abord, j'ai trouvé la vidéo en question choquante et je ne vois aucune explication qui pourrait justifier de tels actes. Nous sommes les premiers à dénoncer les mauvaises pratiques, les premiers à encourager tous nos industriels à sensibiliser, à encadrer, à former leurs employés, à mettre en place de bonnes pratiques sur les outils d'abattage – il existe d'ailleurs des guides en la matière et qui évoluent régulièrement en fonction des exigences sanitaires et du bien-être animal. Il ne faut toutefois pas rechercher le scandale car il éclabousse tout le monde. De nombreux opérateurs travaillent correctement et essaient de progresser pour toujours être à la pointe de la demande du consommateur. Ce qui sous-tend tout de même l'activité de nos filières, c'est le consommateur et le produit qu'on lui vendra. Si le consommateur ne veut plus du produit, c'est toute la filière qui va s'effondrer. Nous sommes donc très attentifs aux attentes de la société.

Ensuite, bien sûr, une évolution progressive s'est faite dans la prise en compte du bien-être animal, tout comme cela a été le cas en matière sanitaire à la suite des crises passées. Cette progression s'est faite tant au niveau des hommes – qui travaillent dans des conditions relativement difficiles – qu'à celui des animaux, puisque nous travaillons avec des êtres vivants lorsqu'ils entrent dans un abattoir. C'est un processus régulier de remise en cause et d'analyse de ce qui ne va pas, afin de toujours faire mieux dans la limite évidemment de ce qui est économiquement faisable : n'oublions pas que nous travaillons, M. Dumas l'a rappelé, sur un marché ouvert à tous, face à des concurrents français, mais également européens et même internationaux. Il nous faut donc préserver, voire renforcer la compétitivité qui aujourd'hui manque à nos filières.

Ajoutons que nos outils ne sont pas tous au même niveau d'engagement quant au bien-être animal. Il faut donc tirer tout le monde vers le haut de façon à bien respecter la réglementation en la matière et à satisfaire les demandes sociétales qui peuvent parfois aller au-delà.

Comme l'a dit le président Dumas, la vidéosurveillance doit être un outil d'aide à la décision. Elle ne résoudra pas à elle seule le problème : c'est un élément supplémentaire qui doit permettre au référent bien-être animal (RPA), au vétérinaire, au chef de ligne de vérifier que tout se passe bien, tant sur les aires d'amenée des animaux qu'au moment de l'abattage. Pour être efficace, la vidéo devra fonctionner en flux permanent, de façon que la personne chargée de contrôler le bien-être animal puisse voir régulièrement ce qui se passe. La vidéosurveillance sera d'un intérêt moindre si les films sont stockés et visionnés ultérieurement. Cela dit, rien ne remplacera le savoir-faire, la sensibilisation des opérateurs, le rôle du RPA, des responsables et de l'encadrement. L'oeil humain détectera toujours plus rapidement les conditions de mal-être animal qu'une vidéo dont la qualité des images est parfois discutable.

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Je suppose que ces vidéos, au-delà de l'impact psychologique immédiat qu'elles ont engendré sur les consommateurs, ont eu des répercussions sur la consommation de viande en France, en particulier de viande bovine et ovine. Avez-vous des éléments de réponse sur cette question ?

Quelle est la part de la viande halal ou casher en France ? A-t-elle une répercussion sur les cours ? Comment ces filières rituelles pèsent-elles sur le commerce global de la viande en France, selon que le volume consommé augmente ou diminue ? Ces filières sont-elles bien organisées et avez-vous des échanges directs avec elles ? Si oui, pour quels types d'animaux – je pense qu'il s'agit plutôt des bovins et des ovins ? À votre connaissance, quels types d'animaux, parmi les bovins et les ovins, sont recherchés de préférence ?

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Nous sommes actuellement sur une tendance de baisse de la consommation de viande en France : il s'agit d'un phénomène relativement stable depuis plusieurs années, que nous gérons dans nos outils et au niveau des productions animales. La crise économique que nous traversons depuis quelques années l'a accentué, dans la mesure où la viande est un produit relativement cher. La baisse de la consommation est plus forte sur certaines espèces, notamment les ovins. Cela dit, il est très difficile de savoir si ce phénomène est dû à la diffusion des vidéos ou à d'autres facteurs environnants. Je pense que ces vidéos ont entraîné une réaction de dégoût vis-à-vis de ces pratiques, et je crains que ce dégoût ne se généralise : lorsque l'on voit ces vidéos, on n'a plus envie de consommer de viande. Mais je pense que c'était le but recherché. À nous de faire la preuve qu'il y a des gens qui savent travailler et que la viande est un produit noble, un produit plaisir qui fait partie de notre culture.

Il est assez difficile d'avoir des chiffres précis sur la part que représente l'abattage rituel. Par contre, des estimations qui nous viennent de notre interprofession font état de 14 % des volumes abattus en bovins et de 22 à 24 % en ovins.

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Parlez-vous de viande commercialisée ou de viande abattue ? Ce n'est pas tout à fait la même chose. On entend dire parfois que des animaux sont abattus de façon rituelle pour des raisons de commodité et d'organisation. Un animal abattu de façon rituelle peut être vendu dans le circuit rituel, mais également dans le circuit conventionnel.

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Mon voisin vient de me souffler la réponse : il s'agit bien des volumes abattus.

Des efforts ont été réalisés pour adapter les volumes abattus par rapport au marché. Par contre, il ne faut pas se voiler la face : la totalité de la viande abattue de façon rituelle n'est pas destinée à cette filière, ne serait-ce que parce que certaines parties des animaux ne peuvent pas être consommées dans ces circuits-là. Elles repassent alors dans le circuit conventionnel.

Quant au pourcentage de volailles abattues rituellement, c'est-à-dire sans électronarcose, il est extrêmement faible : moins de 20 %.

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Lorsque vous parlez de la diminution de la consommation de viande en France, intégrez-vous dans votre observation la viande de volaille ?

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Non, je ne parlais que de la viande bovine, ovine et porcine.

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Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron

Vous laissez entendre que les animaux seraient abattus selon le mode rituel pour des raisons de commodité. Mais il faut savoir que l'abattage rituel ralentit le rythme de la chaîne, en tout cas dans les outils que je connais. On n'a donc économiquement aucun intérêt à pratiquer l'abattage rituel, puisque cela augmente les coûts.

Comme l'a précisé Jacques Poulet, on ne vend pas toujours l'animal en entier, mais des parties de l'animal, voire des coproduits – c'est particulièrement vrai pour la filière ovine. Comme l'équilibre économique de la filière viande est très fragile, nous cherchons à valoriser la totalité des produits. Or certains produits et coproduits ne trouvent de valorisation que sur le marché de la viande rituelle. C'est un marché diversifié qui ne correspond pas à des catégories particulières, même s'il s'agit davantage de troupeaux laitiers ou d'animaux mâles. Un des sites de notre groupe réalise entre 10 et 12 % d'abattage rituel ; dans notre site de Roanne, qui traite plutôt des races à viande, le rituel ne représente que de 2 à 3 %. Mais cette règle ne vaut pas pour tout le monde, elle correspond à notre fonds de commerce, à nos clients. Nous abattons les animaux dont nous avons besoin pour ce fonds de commerce. Ne serait-ce que pour des questions économiques, de productivité et de cadence des chaînes, on ne fait pas de rituel pour le plaisir de faire du rituel.

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Quand je vous disais que les animaux sont abattus de façon rituelle pour des questions de commodité, cela ne voulait pas dire que j'y adhérais nécessairement. Je me faisais seulement l'écho de propos entendus, et je voulais surtout obtenir une réponse de gens de terrain qui connaissent la vérité.

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Vous avez une trentaine d'outils. Dans combien d'outils pratiquez-vous l'abattage rituel ? Cela ne se fait-il que dans certains abattoirs, ou pratiquent-ils tous, de temps en temps, l'abattage rituel ?

Avez-vous des demandes à l'exportation de viande abattue de façon rituelle ? L'abattage rituel peut-il favoriser l'exportation de viande, sachant que certains pays n'autorisent pas ce mode d'abattage ?

Vous avez certainement une grande expérience dans le monde de la viande. Comment ont évolué, au cours des deux dernières décennies, les méthodes d'étourdissement des animaux ? Les choses ont-elles progressé parce que l'on a amélioré les matériels et la formation des hommes ? Vous avez laissé entendre tout à l'heure que vous ne pouviez pas tout faire en matière d'investissements, mais que vous faisiez l'essentiel pour que cela fonctionne bien. Utilisez-vous encore des technologies qu'il faudrait remplacer ?

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Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron

Certains outils ne peuvent pas faire de rituel du tout, faute de disposer des équipements nécessaires, notamment de pièges spécifiques. Mais ce n'est pas non plus parce que nos outils sont équipés d'un piège que nous faisons obligatoirement de l'abattage rituel. Nous faisons de l'abattage rituel en fonction des commandes que nous avons.

Aujourd'hui, nous avons des sollicitations à l'exportation. Dans les tout premiers jours du mois de juin, nous avons eu un appel d'offres turc de l'ESK, la structure chargée des appels d'offres des marchés publics en Turquie, pour 10 000 tonnes de jeunes bovins abattus. La France, qui a répondu à cet appel d'offres, n'a pas été retenue pour des raisons de prix. C'est la Pologne, qui s'est depuis quelque temps équipée pour faire de l'abattage rituel, qui prend aujourd'hui ces marchés-là. Nous avons intérêt à nous équiper pour pouvoir faire de l'abattage rituel, afin d'être présents sur des marchés export spécifiques. Ce n'est pas toujours nous qui décidons, mais les clients. Si on ne leur vend pas la viande, ils l'achèteront ailleurs, ou ils achèteront des animaux vivants qu'il faudra expédier pour qu'ils soient abattus ailleurs. Il faut être réaliste : nous avons tout intérêt à avoir des outils conformes, capables d'abattre rituellement, dans de bonnes conditions. C'est un moyen de s'ouvrir à des marchés extérieurs.

Nos abattoirs français renouvellent régulièrement le matériel d'étourdissement, mais également les dispositifs de contention adaptés qui empêchent l'animal de bouger, afin que l'opérateur puisse faire le bon geste et l'étourdir dans de bonnes conditions. Dans l'un de nos outils, nous investissons régulièrement dans des matériels plus efficaces, plus performants, plus sûrs, et nous améliorons les moyens de contention des bovins, pour des questions d'hygiène et pour pouvoir étourdir correctement l'animal et respecter ainsi le bien-être animal. Dans un abattoir, les problèmes ne doivent pas être regardés par un seul bout de la lorgnette, mais de manière globale : si le bien-être animal est un élément important, il ne faut pas non plus oublier l'hygiène qui renvoie à la santé du consommateur, ni les conditions de travail des salariés.

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Les personnes qui travaillent sur les postes d'abattage rituel suivent aussi une formation particulière, pour être à même de travailler le mieux possible.

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Quels sont les critères pour recruter du personnel ? Si j'ai bien compris, il n'y a pas de formation préalable, elle se fait sur le tas. Devenir abatteur n'est pas un choix de carrière. Comment se passe la formation dans vos établissements ? Pensez-vous qu'elle est suffisante ? Comme l'a dit Hervé Pellois, elle a été améliorée, mais on se demande si elle est vraiment suffisante. Ce n'est pas anodin d'égorger des animaux toute la journée. Cela peut provoquer certaines réactions humaines, même si elles ne sont pas incontrôlables : les images qui ont été diffusées sont inacceptables, et l'on peut du reste se demander comment elles ont pu être filmées. Il a bien fallu que quelqu'un s'introduise dans un abattoir. Et comme vous l'avez dit, monsieur Poulet, on connaît le but de ces images.

Monsieur Dumas, vous suggérez que des caméras de vidéosurveillance filment en direct et en continu. Si l'on peut être d'accord sur le principe, je crains que le fait d'avoir une caméra au-dessus de la tête toute la journée n'engendre encore plus de stress chez les salariés. Imaginez ce qui se passerait si tous les salariés de n'importe quelle entreprise avaient une caméra qui les surveille à longueur de journée ! Je ne suis pas hostile par principe à la vidéosurveillance, mais peut-être pas en direct et en continu…

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Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron

Il vaut mieux que la vidéosurveillance fonctionne en direct, plutôt que d'accumuler des enregistrements qui seront visionnés par la suite. Imaginez le salarié rentrant chez lui, en demandant s'il a bien travaillé dans la journée, s'il n'a pas fait des gestes inadaptés, et s'il ne risque pas d'être sanctionné le lendemain, le surlendemain ou dans un mois au moment où on lira les vidéos… Le stress sera pire que le direct, et ce sera encore plus stressant s'il pense que son chef, avec lequel il aura pu avoir des mots, pourra chercher sur l'enregistrement vidéo un motif à le sanctionner.

Il y a plusieurs façons d'appréhender un enregistrement en direct. Soit dans un objectif de sanction, ce qui engendre du stress – mais il faut savoir qu'un salarié ne travaille jamais seul puisqu'un responsable est présent en permanence –, soit dans un objectif de progrès. C'est ce message-là qu'il conviendra de faire passer à nos personnels.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a dû vous donner les informations en la matière. La question n'est pas si simple que cela. S'il faut de la vidéo – je n'en suis pas sûr, mais la question est posée – nous considérons qu'elle doit servir à améliorer la marge de progrès, et non à sanctionner le salarié, sachant que les vétérinaires circulent dans le hall d'abattage et dans les différents postes et que l'opérateur n'est pas seul, qu'il a toujours un collègue à côté de lui qui peut lui dire de travailler différemment.

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Il faudra bien expliquer à quoi doit servir la vidéo, qu'elle est là dans l'intérêt de tous. Elle doit permettre de remédier rapidement aux défaillances ou aux dérives que l'on peut comprendre lorsque les cadences sont trop élevées.

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

La vidéo n'est qu'un outil supplémentaire d'aide à la bonne gestion de cette partie de l'abattoir. Elle n'est pas dirigée vers les hommes, mais vers les animaux puisque c'est leur bien-être qui nous intéresse.

Pour répondre à une exigence d'un client étranger et obtenir un marché, un de nous outils a dû installer de la vidéosurveillance. Les caméras sont tournées de façon à ne jamais voir les hommes, ou de dos, ou d'assez loin pour ne pas pouvoir les identifier. Se pose également la question de la qualité des images : le but est de permettre au vétérinaire de détecter un affolement du troupeau, un mouvement de panique, un animal blessé. Cela peut se vérifier assez rapidement, sans qu'il soit nécessaire de voir en détail ce que font les hommes. La vidéosurveillance n'est pas la solution, mais seulement un outil d'aide à la décision. La solution consiste à former les hommes, à les sensibiliser car eux seuls sont capables de détecter des conditions de mal-être et d'y remédier immédiatement.

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Pour quel motif un de vos clients vous a-t-il demandé d'installer des caméras ? Était-ce lié au bien-être animal ?

Vous souhaitez que les vidéos ne montrent pas le visage des salariés, et vous avez raison car c'est le bien-être animal qui nous intéresse. Toutefois, il s'agit d'identifier les cas de maltraitance : s'il s'en produisait, il faudrait pouvoir identifier les salariés qui se livreraient à ces exactions, ces actes répréhensibles. Il y a également l'aspect pédagogique : or cela passe par l'enregistrement. Il faut pouvoir regarder quelle est la pratique des salariés pour pouvoir éventuellement l'améliorer.

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Le client nous a demandé d'installer des caméras pour des raisons de bien-être animal. Je ne me suis pas rendu sur place pour voir comment cela se passait ; c'est le RPA de l'entreprise qui m'a expliqué le fonctionnement. Effectivement, on n'identifie pas les hommes, mais les couloirs de contention et les aires sur lesquelles les animaux attendent. Si vous voyez sur une caméra un bras qui tient un bâton ou un geste non conforme aux exigences de l'entreprise en matière de bien-être animal, il est relativement facile d'identifier le salarié. Cela étant, il ne s'agit pas de sanctionner les hommes, mais de permettre au RPA, au vétérinaire, au responsable de chaîne, voire au directeur de l'entreprise qui peut être mis en cause pénalement, de progresser. Nous ne sommes pas là pour dire au salarié que ce qu'il a fait n'est pas bien et lui coller deux jours de mise à pied, mais pour lui demander s'il a pris conscience de son geste et lui expliquer pourquoi il ne faut plus le faire. Nous sommes plutôt dans un esprit constructif et de progrès que dans la sanction. La sanction doit vraiment avoir lieu en dernier recours.

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Vous savez que notre assemblée a voté récemment, dans le cadre de la première lecture du projet de loi Sapin II, une disposition qui prévoit que la maltraitance sur animal dans les abattoirs et les transports sera désormais un délit pénal. Voilà pourquoi j'ai abordé la question de la maltraitance, et donc l'identification des auteurs de délits pénaux.

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Je tiens tout d'abord à saluer Coop de France, acteur très important dans le secteur agroalimentaire en France, et l'abattoir est évidemment un élément essentiel de cette filière.

Nous avons vu, à travers nos auditions, que, pour que les animaux soient bien traités, il est indispensable que le personnel travaille dans de bonnes conditions et que l'accueil des animaux soit de qualité et tout à fait conforme à la réglementation.

Le Gouvernement a mis en place un programme d'investissements d'avenir. Envisagez-vous d'être demandeur ? Est-il suffisant aujourd'hui pour mettre à niveau vos abattoirs ?

L'accueil des animaux dans ces abattoirs est tout à fait essentiel. J'ai eu l'occasion de rencontrer du personnel qui travaille à l'amenée des animaux. Avez-vous élaboré une politique particulière dans ce domaine ? On m'a rapporté que certains animaux étaient plus stressés que d'autres, notamment le porc. Prenez-vous des précautions particulières par rapport à cet animal ?

Chacun sait que le bien-être animal dépend aussi du bien-être des salariés dans les abattoirs. Quelle est votre politique par rapport à vos salariés ?

Vous avez des abattoirs de taille différente, des petits et des gros abattoirs, des abattoirs mono-espèce et abattoirs multi-espèces. Votre politique de bien-être animal est-elle différente suivant le type d'outil ?

Combien y a-t-il, dans votre groupe, d'abattoirs autorisés à pratiquer l'abattage sans étourdissement ? Vous avez déjà répondu à cette question, me semble-t-il.

Enfin, l'abattage rituel répond, dans notre pays, à un système dérogatoire. Pensez-vous, comme certains acteurs de notre pays, que ce système doit être corrigé, revu, en tout cas que la réglementation doit évoluer ?

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Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron

Il n'y a pas de formation spécifique d'ouvrier d'abattoir. Si ces métiers ne font pas rêver les jeunes qui fréquentent les bancs de l'école, il n'empêche qu'ils offrent un emploi, et un salaire. Ce métier doit être revalorisé car la diffusion des vidéos a choqué nos salariés qui se sentent agressés dans leur profession par ces amalgames. Il faut donc tirer vers le haut l'image des métiers de la viande car nous avons du mal à recruter du personnel malgré le nombre de chômeurs que compte notre pays.

Nous n'avons pas d'exigences particulières en termes de formation. Nous voulons seulement que les gens viennent au travail, qu'ils respectent les consignes qu'on leur donne, l'hygiène, la qualité et le bien-être animal. Les nouveaux salariés sont formés en binôme, avec un responsable. Si nous voulons conserver nos personnels, il faut revaloriser leur image. Les résultats de la filière viande étant un peu difficiles, il est certain que les salaires ne font pas rêver ; il faut donc trouver des formes qui motivent les gens à venir travailler dans nos outils. J'insiste sur l'image de la filière viande, car nos personnels se sentent agressés alors qu'ils ne se reconnaissent pas dans les scènes qu'ils ont pu voir sur les vidéos.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous investissons dans les pièges, mais aussi dans les bouveries, autrement dit dans les conditions d'accueil et de stockage des animaux. Abattre un animal stressé aura des répercussions sur la qualité de la viande – cela donne ce que l'on appelle des viandes à pH élevé. On sait que certaines races et certains animaux doivent pouvoir être accueillis dans de bonnes conditions et qu'il faut les laisser douze heures dans des logettes avec de l'abreuvement. Combiner bien-être et économie est toujours efficace. Les investissements que nous réalisons permettent d'améliorer la qualité des viandes, les conditions de travail des salariés et le bien-être animal.

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Nous sommes un des rares secteurs à pouvoir embaucher du personnel sans qualification et à lui en délivrer une. Comme nous ne sommes pas très attractifs, nous avons dû faire des efforts en matière de formation afin de donner une qualification à du personnel qui avait du mal à trouver du travail. Nous sommes assez familiers de ce système de formation continue et d'accompagnement. Une formation théorique de sept heures est obligatoire pour pouvoir travailler au poste d'abattoir. Mais comme nous ne saurions nous satisfaire de cette formation théorique, la plupart des abattoirs ont mis en place un volet pratique : il s'agit d'accompagner la personne qui vient de suivre une formation théorique et de lui expliquer comment cela fonctionne dans la pratique, car chacun sait qu'il y a, d'un côté la théorie et, de l'autre la pratique. Il faut généraliser le principe de parrainage, d'accompagnement des nouveaux arrivants, des personnes qui n'ont qu'une formation théorique ou qui n'ont pas de formation du tout. C'est déjà le cas dans beaucoup de grands groupes. Il faut cultiver cet état d'esprit dans l'ensemble des entreprises. Comme partout, il y a toujours des précurseurs, qui montrent que l'on obtient ainsi des résultats positifs. Et l'effet d'entraînement incite les suiveurs, ce qui permet progressivement de faire monter le niveau de l'ensemble de nos entreprises.

Il n'y a aucune différence entre petits et gros abattoirs en matière de bien-être animal. Le bien-être animal ne se nuance pas : soit on le fait correctement, soit on ne le fait pas. Il n'y a pas de degrés dans le bien-être animal, seulement des exigences auxquelles tout le monde doit se plier, petit ou grand. C'est à chacun de voir, en fonction de son organisation, comment il peut répondre au mieux à ces exigences.

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Seriez-vous favorable à la mise en place d'un étiquetage bien-être animal, etou à un étiquetage mentionnant si l'animal a été étourdi avant sa mise à mort ?

Hier, nous avons auditionné deux réalisateurs de documentaires intitulés Saigneurs et Entrée du personnel. Ils ont effectué un travail de fond sur ce qui se passe dans les abattoirs et ont interrogé de nombreux salariés de ces établissements. Nous avons pu distinguer trois difficultés liées à ce métier : la pénibilité, la précarité et la dangerosité.

Que pensez-vous de la prise en charge de la pénibilité du travail des opérateurs en abattoir ? Pensez-vous que certains salariés auraient besoin d'un suivi psychologique ? Il ne s'agit pas de dire que les gens qui travaillent dans un abattoir ont besoin d'être traités en psychiatrie, mais les témoignages que nous avons vus montrent que tout n'est pas simple quand on sort de sa journée de travail, surtout au poste d'abattage.

Quelle est la fréquence des accidents de travail dans un abattoir ? Quelles seraient les causes de ces accidents ? Il n'est pas toujours évident de manier des outils qui ont vocation à donner la mort et à manipuler les animaux. Lorsque l'on accroche un animal, il peut bouger, donner un coup de corne, etc. Sans parler des troubles musculosquelettiques (TMS) qui constituent un problème récurrent.

Êtes-vous favorables à la mise en place, au sein de chaque abattoir, d'un comité d'éthique qui regrouperait les représentants des abattoirs, des vétérinaires, des associations de consommateurs et certaines associations de protection animale, un peu à l'image des Commissions locales d'information et de surveillance (CLIS) qui concernent des installations classées – les sites classés Seveso par exemple ? C'est une proposition dont notre rapporteur est à l'origine.

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Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron

Nous ne sommes pas favorables à l'étiquetage bien-être animal ni à celui mentionnant si l'animal a été étourdi avant sa mise à mort.

Un étiquetage bien-être animal laisserait sous-entendre que l'on tolérerait que certains abattoirs puissent abattre des animaux sans le respecter, tout en continuant à vendre leur viande. Il faut faire progresser le bien-être animal, mais il n'est pas question d'étiqueter cette approche.

Notre position est la même en ce qui concerne un étiquetage mentionnant le mode d'abattage. Il revient aux élus de faire en sorte que tous les modes d'abattage respectent le bien-être animal tout au long de la chaîne, y compris lors de l'abattage, en trouvant les meilleures solutions. Étiqueter le mode d'abattage risquerait de mettre en porte-à-faux certains cultes alors que la religion relève du personnel et du privé. C'est à vous de déterminer quel est le bon moyen d'abattre selon des rites qui respectent le bien-être animal et qui conviennent à tout le monde. Si l'on étiquette une viande halal par exemple, cela peut sous-entendre que le bien-être animal n'a pas été bien respecté, et l'on risque de montrer du doigt une religion. En revanche, nous sommes favorables à la définition d'un vrai cadre législatif clair en ce qui concerne l'abattage rituel. Ensuite, il faudra s'assurer que tout le monde l'applique.

Vous avez parlé de la pénibilité du travail, de la précarité des salariés et des risques d'accidents du travail. Les investissements ont pour but de réduire la pénibilité et les risques d'accidents du travail. Nos entreprises n'ont aucun intérêt à ce que des salariés formés et performants dans leur métier soient en arrêt maladie à la suite d'un accident du travail ou de TMS. Nous devons sans cesse réfléchir à diminuer la pénibilité et trouver des solutions pour donner les moyens à cette filière qui n'en a malheureusement pas assez. Je sais ce que signifie investir dans un abattoir : notre groupe vient de rénover un outil sur Saint-Étienne pour 20 millions d'euros et un autre sur Roanne pour 12 millions d'euros. Bien que ces sommes soient colossales, il faudrait parfois quelques millions d'euros supplémentaires pour franchir de nouveaux caps, dans le domaine de la robotisation par exemple. Lorsque l'on réfléchit à un nouvel atelier de découpe, on se demande toujours comment réduire la pénibilité, car ce sont de vrais enjeux pour nos salariés.

Au cours des échanges que nous avons eus avec des préfets ou l'inspection du travail, on a reproché à notre groupe d'avoir recours à trop de salariés temporaires et trop de prestataires. Nous leur avons répondu que, pour notre part, nous étions prêts à les embaucher mais qu'eux ne le voulaient pas. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons énormément de mal à recruter. Et quand on a formé des salariés, on a tout intérêt à ce qu'ils restent dans l'entreprise.

Je ne me vois pas proposer à nos salariés un suivi psychologique. Je suis certain qu'un salarié qui travaille au poste d'abattage ou d'éviscération, voire à n'importe quel poste, ne se sent pas concerné par la nécessité d'un suivi psychologique lié à son métier. Dans toutes les professions, on rencontre des gens qui peuvent avoir besoin d'un suivi psychologique, et pour d'autres raisons que celles liées à leur métier. Moi qui côtoie les salariés du groupe, je n'ai jamais senti un besoin de suivi psychologique. Je les sens surtout attaqués dans leur amour-propre, et très perturbés quand ils voient des images laissant sous-entendre que tous les abattoirs travaillent comme cela, car ils ont toujours l'intention de travailler du mieux possible.

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Avez-vous des données chiffrées sur les accidents du travail ?

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Je n'ai pas de données chiffrées avec moi, mais je pourrai me renseigner et je vous les communiquerai. Je serais surpris que l'on ne dispose pas au moins d'une estimation sur les accidents du travail.

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Et nous aimerions connaître quelles en sont les raisons.

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Je ne sais pas si nous connaissons les raisons. En tout cas, c'est une de nos préoccupations : l'absentéisme représente un coût supplémentaire et pénalise notre compétitivité. De même, la pénibilité devient rapidement une charge pour l'entreprise. Ce sont des choses dont on doit se préoccuper au plus haut point.

Des expérimentations sont en cours, notamment avec de la robotique : ce sont des exosquelettes que les hommes peuvent porter de façon à garder la précision du geste de l'artisan qui travaille dans nos entreprises tout en démultipliant l'effort. Cela permet de conserver l'expertise sans rendre la tâche pénible.

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Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron

Nous avons eu beaucoup d'accidents liés au fait de pousser des charges lourdes. Nous avons donc automatisé ces opérations. Il arrive aussi que les salariés glissent car ils travaillent dans un milieu humide. L'utilisation d'un couteau peut aussi occasionner des accidents : c'est par essence l'outil dangereux. Le salarié est équipé de gants métalliques, d'un tablier et d'un porte-couteau. Ainsi, quand il va de son poste à la salle de pause, il ne se promène pas avec son couteau dans la poche. Effectivement, il est important de savoir s'il existe des statistiques en matière d'accidents du travail.

Vous suggérez la création d'un comité d'éthique. Il faut savoir qu'à l'abattoir de Roanne qui appartient au groupe Sicarev, nous avons en permanence quatorze vétérinaires ou préposées vétérinaires. Il y a donc des relations quotidiennes entre les opérateurs, les responsables de sites, le responsable de chaîne et ces personnels. En cas de dysfonctionnement, qui ne concerne pas uniquement le bien-être animal mais aussi les conditions d'hygiène tout au long de la chaîne puisqu'il s'agit d'un produit alimentaire, des réunions ont lieu pour y remédier.

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Il existe, au niveau national, un Conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV), et au niveau régional, des conseils régionaux d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CROPSAV), dans lesquels on retrouve toutes les parties prenantes concernées par les différents sujets qui touchent à l'agriculture, en santé animale ou végétale. Coop de France participe très régulièrement au CNOPSAV spécialisé sur le bien-être animal. Nous avons, chez nous, une personne chargée du bien-être animal et un référent responsable du bien-être animal chargé d'étudier ces dossiers, d'apporter des réponses et d'alimenter le débat au CNOPSAV. Tout le monde est représenté dans cet organisme, au point qu'on surnomme le Parlement du sanitaire. Peut-être faut-il utiliser ce lieu avant d'en créer d'autres.

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Je tiens à remercier M. Dumas et M. Poulet pour les précisions qu'ils nous ont apportées.

Je veux revenir sur ce que l'on appelle les risques psychosociaux (RPS) en entreprise. Le président Dumas a relevé que le problème était bien souvent davantage celui de l'image négative qui est présentée et qui retentit sur les salariés. Cette image est souvent renforcée et surmultipliée dans les réseaux sociaux, comme on l'a vu avec les vidéos qui ont circulé. Le droit du travail prévoit une obligation de prévention des risques psychosociaux, avec une obligation de résultat. Vous travaillez dans un univers très concurrentiel et vous faites l'objet d'attaques d'une partie de la société, attaques que je ne partage pas forcément puisque je connais bien les conditions d'abattage dans ma circonscription de l'Aveyron. Avez-vous constaté, comme cela existe dans certains secteurs et certains métiers, des difficultés psychosociales et psychologiques qui seraient supérieures à d'autres ? Avez-vous mis en place des chartes de prévention des RPS ou envisagez-vous de le faire ?

On m'a rapporté que les grèves des services vétérinaires de l'État entraînaient une certaine désorganisation de toute la filière, en particulier des postes qui travaillent en flux tendu – je pense à la fabrication des steaks hachés surgelés. Avez-vous déjà été confrontés à ce phénomène ? Mérite-t-il à vos yeux une attention particulière, ou considérez-vous qu'il s'agit d'un épiphénomène ?

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Philippe Dumas, président de Sicarev-Aveyron

Il serait intéressant que M. Poulet puisse récupérer des éléments sur les risques psychosociaux. Cela dit, en tant qu'agriculteur, je suis parfois plus inquiet de la détresse des agriculteurs que de celle des salariés de nos entreprises. Mais ce n'est pas le sujet qui nous occupe aujourd'hui.

Lorsque les préposés vétérinaires sont en grève, cela désorganise forcément le travail en abattoir : si les services vétérinaires ne sont pas là, nos salariés ne peuvent pas travailler. Ces préposés vétérinaires ne sont pas nos salariés, mais s'ils sont bien intégrés dans nos outils et conscients de leur rôle, ils savent que s'ils font grève ils désorganisent tout un métier, toute une équipe. Quelquefois, cela ne se passe pas trop mal, mais dans certains cas cela peut être le bazar, si je puis dire…

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Jacques Poulet, directeur du pôle animal de Coop de France

Coop de France gère sa propre convention collective, la convention collective nationale concernant les coopératives et sociétés d'intérêt collectif agricole bétail et viande du 30 septembre 2014, dans laquelle sont inclus les coopératives de mise en marché ainsi que les outils d'abattage et de transformation. Nous avons une commission sociale spécialisée dans les filières viande, et nous avons des échanges avec les partenaires sociaux. Il est évident que nous ne négligeons aucun sujet. Cela dit, la question de la pénibilité dans nos métiers est de loin celle qui arrive en tête dans les remontées de nos partenaires sociaux et du terrain : les conditions de travail, de température, d'humidité, d'horaire et de gestes sont relativement difficiles pour nos salariés. C'est un dossier sur lequel nous travaillons beaucoup et sur lequel j'espère que nous progressons. Cela ne veut pas dire que nous avons oublié le volet psychosocial. Mais on ne nous a jamais demandé de mettre en place un suivi psychologique. Les rares fois où l'on a pu aborder ce sujet par rapport à des postes difficiles, comme la mise à mort, on nous a répondu qu'il ne fallait pas stigmatiser un poste en particulier et considérer qu'il pouvait rendre un peu dingue au bout de quelque temps… L'idée est plus de s'organiser au sein de l'outil d'abattage pour effectuer un turn over. D'ailleurs c'est ce qui se fait assez régulièrement maintenant, ce qui permet également de développer la multicompétence. Nous essayons de remédier à ces problèmes en trouvant des solutions en interne dans les entreprises.

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Messieurs, je vous remercie pour vos réponses extrêmement précises.

La séance est levée à douze heures quarante.