Intervention de Colette Capdevielle

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00
Suppression du mot "race" de la législation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a quelques jours, Ibrahim Dia, âgé de 47 ans, alors en vacances avec son épouse et leur fils de huit ans dans la région Aquitaine, a été agressé par trois hommes du village où il se promenait. Ils l'ont roué de coups et insulté : « Sale nègre, sale Antillais, sale pédé, on t'avait dit de rentrer chez toi ! ». De nombreux témoins sont intervenus, permettant à la victime de quitter les lieux.

Cette agression puise son motif dans la seule origine sénégalaise d'Ibrahim Dia, qui souffre aujourd'hui, entre autre, d'un traumatisme crânien. Sa seule faute aura été d'être noir et de se trouver dans une commune d'Aquitaine. Ce constat est affligeant.

Ses trois agresseurs comparaîtront en janvier 2014 devant le tribunal correctionnel de Bergerac pour répondre des infractions racistes commises. Réjouissons-nous de vivre dans un État de droit !

Le racisme est toujours un fléau dans notre pays, un virus tenace, en perpétuelle mutation. Nous n'avons pas fini de le combattre de toutes les façons que nous permet la loi.

Parmi les nombreuses actions à mener, la suppression du mot « race » de nos codes et textes de lois est un acte honorable du législateur, qui va bien au-delà de sa seule valeur symbolique. Ce n'est pas un gadget législatif.

Ces quatre lettres n'ont rien à faire dans nos textes, sinon pour caractériser – et permettre à la justice de condamner – les actes racistes, antisémites et xénophobes, notamment par le biais des dérivés sémantiques qui s'y rattachent, comme je m'emploierai à le montrer plus loin.

Si, aujourd'hui, les termes les plus outranciers tendent heureusement à disparaître des discours politiques en France, la notion de race reste nettement perceptible, qu'il s'agisse de la promotion des théories racistes, aspect le plus visible, ou des analyses idéologiques erronées à l'instar du mémorable discours de Dakar prononcé par le précédent Président de la République, émanation regrettable de la plume d'un de nos collègues.

Pour sa part, le terme de « race » est toujours présent dans le lexique juridique et législatif français. Voici un paradoxe qu'il convient de corriger sans délai, ce que l'actuelle majorité est sur le point de faire.

Ce débat n'est pas nouveau, comme l'ont rappelé la garde des sceaux et le rapporteur, et les rendez-vous manqués sont nombreux. Depuis 2002, la gauche française tente sans succès de supprimer ce mot. Toutes les tentatives se sont heurtées au refus de l'UMP – bien absente aujourd'hui – qui, sous prétexte de raisons juridiques fallacieuses, défend la position selon laquelle le mot ne correspond à rien sur le plan conceptuel, mais constitue un outil juridique indispensable de la lutte antiraciste.

Il serait donc, selon l'UMP, impossible de le supprimer. Ce ne sont que des fadaises que la majorité s'emploie à contrecarrer. En 2008, lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la modernisation des institutions de la Ve République, la gauche avait déposé deux amendements visant à supprimer le mot « race » de l'article 1er de la Constitution et à le remplacer par le terme « origines ».

Pour mémoire, l'amendement du groupe socialiste avait été défendu dans l'hémicycle par notre collègue Jean Jacques Urvoas, aujourd'hui président de la commission des lois.

Saluons à cette occasion la ténacité de nos convictions qui ont amené le candidat François Hollande à déclarer lors d'un meeting de campagne relatif à l'outre-mer : « Il n'y a pas de place dans la République pour la race. Et c'est pourquoi je demanderai au Parlement de supprimer le mot “race” de notre Constitution ».

Cet engagement clair est tenu, et le changement de majorité permet enfin de procéder à cet acte symbolique fort et indubitablement pratique.

Comme l'indique avec raison le rapporteur : « Continuer à utiliser ce terme, ce concept, même si c'est pour prohiber les discriminations, c'est admettre très implicitement son existence, scientifiquement erronée. ».C'est tout à fait juste.

Au-delà du symbole se pose la question de l'ambiguïté du concept de race en droit français. L'origine du terme « race » est obscure et controversée. La racine du mot serait latine, germanique ou arabe. L'usage du mot est attesté en espagnol dès le XVe siècle, pour caractériser les juifs convertis au christianisme, considérés comme de sang impur, puis à propos des Indiens du Nouveau Monde.

En France, ce n'est véritablement que dans la deuxième moitié du XIXe siècle que l'on commence à parler de races, à travers le « racialisme » et le développement de l'étude à prétention scientifique des races.

Permettez-moi de citer un manuel d'histoire de 1887, utilisé dans les écoles de la République française. Il commence ainsi : « On distingue trois races humaines : la race noire, qui peupla l'Afrique, où elle végète encore ; la race jaune, qui se développa dans l'Asie orientale, et les Chinois, ses plus nombreux représentants, gens d'esprit positif, adonnés aux arts utiles mais peu soucieux d'idéal, ont atteint une civilisation relative, où ils se sont depuis longtemps immobilisés ; et la race blanche qu'il nous importe spécialement de connaître, qui a dominé et domine encore le monde. »

Cette pédagogie se passe de commentaire.

C'est le régime de Vichy, et sa législation antisémite visant clairement la « race juive », qui a fait entrer le terme dans le vocabulaire juridique. La « race » est alors devenue une catégorie juridique en droit français.

Monsieur le rapporteur, vous avez fait un choix judicieux. Le mot « race » est supprimé et remplacé par d'autres termes substitutifs juridiquement neutres. Ces termes ne sont certes pas poétiques, Mme la garde des sceaux a raison, mais ils permettent de poursuivre les auteurs d'actes ou de propos racistes. Les termes ne sont pas heureux, mais le code pénal n'est malheureusement pas un recueil de poèmes.

Le mot « raciste » peut être substitué aux termes « race » ou « racial » dans cinquante-cinq des cinquante-neufarticles concernés. Il n'est en effet pas question de prendre le risque d'un vide juridique, ou de la relaxe de prévenus fondée sur le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce. Ainsi, et c'est là l'essentiel, la prévention et les poursuites sont sécurisées.

Certes, cette proposition de loi ne supprimera pas le mot « race » de la Constitution et des textes de droit européen et international. Pour autant il n'est pas incompatible avec ces textes qui posent le principe de la répression des actes et propos racistes.

La France, une fois n'est pas coutume, sera pionnière en Europe. Volontariste, elle prouve qu'il est désormais possible juridiquement de ne plus faire référence à ce mot sans affaiblir – bien au contraire – la lutte contre le racisme, qui progresse malheureusement dans notre territoire. La France sera donc légitime pour plaider devant les instances européennes et internationales et se faire l'ambassadrice de la suppression du mot « race ». Nous nous honorerions d'être les premiers à le faire.

Cette proposition de loi participe aussi de la lutte sans merci contre ce fléau compris dans son acception la plus large et la plus diversifiée.

De la violence avérée dont je faisais état au début de mon propos à la haine ordinaire et quotidienne, le racisme est un phénomène particulièrement complexe dont les manifestations sont aussi nombreuses que variées, et surtout insidieuses : islamophobie, négrophobie, antisémitisme, homophobie, et toute forme de xénophobie et de rejet de l'altérité.

Le racisme, comme le diable, se niche dans les détails : à l'école ; sur les terrains de sport où l'on entend des cris de singe dès que l'on voit un homme de couleur noire ; lors de l'embauche ; de la recherche d'un logement ; au détour d'un commentaire sur internet où se développe ce nouveau phénomène de cyberhaine ; ou bien – soit dit en passant – dans l'écart langagier d'un ministre de l'intérieur et de l'outre-mer un peu trop décomplexé.

Cette proposition de loi donne l'exemple. Car après le regard porté, impalpable, incernable, le premier acte raciste se cristallise souvent dans quelques mots et quelques paroles blessantes, prononcées apparemment sans conséquence. En supprimant le mot « race » de nos codes et, souhaitons-le, prochainement de notre Constitution et des textes européens, cet acte du législateur participe de la conscientisation, de la sensibilisation et de l'éducation des enfants. Il comporte une valeur d'exemple qui ne manquera pas de se distiller progressivement dans l'esprit citoyen.

En supprimant le mot « race » nous tordons le cou aux idées reçues, tel que ce cliché sur « l'homme africain qui ne serait pas entré dans l'histoire », alors même que l'Afrique a été l'un des berceaux de grandes inventions humaines et politiques, de civilisations riches et puissantes où l'écriture, les sciences et les arts tenaient une place de premier ordre.

Supprimer le mot « race », c'est enfin contribuer à la reconnaissance de la diversité culturelle, facteur d'enrichissement mutuel où tous se nourrissent d'échanges réciproques, dans le respect de l'autre pour ce qu'il est.

Ce texte permet enfin de tourner définitivement une page. Il ne réécrit pas l'histoire, ce n'est pas son objet.

Ce texte est destiné à nos enfants. Pour eux je voudrais conclure en citant Tahar Ben Jelloun. Dans Le racisme expliqué à ma fille, ouvrage que je viens de retrouver en rangeant la chambre de mes enfants, il écrivait : « Le mot race ne doit pas être utilisé pour dire qu'il y a une diversité humaine. Le mot race n'a pas de base scientifique. Il a été utilisé pour exagérer les effets de différences apparentes, c'est-à-dire physiques. On n'a pas le droit de se baser sur les différences physiques – la couleur de la peau, la taille, les traits du visage – pour diviser l'humanité de manière hiérarchique c'est-à-dire en considérant qu'il existe des hommes supérieurs par rapport à d'autres hommes qu'on mettrait dans une classe inférieure. Ma fille, je te propose de ne plus utiliser le mot “race”. »

À son tour, la majorité parlementaire propose de ne plus utiliser le mot « race ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

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