Intervention de Philippe Gomes

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00
Suppression du mot "race" de la législation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomes :

Madame la présidente, madame la garde des Sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de part et d'autre de cet hémicycle, l'absolue conviction que l'espèce humaine est une et que le concept de « race » n'a aucun fondement scientifique ou biologique nous réunit aujourd'hui.

La seconde conviction qui nous rassemble, c'est que la lutte contre le racisme, et plus largement la lutte contre toute forme de discrimination est intrinsèquement partie du projet républicain, c'est-à-dire de l'exigence humaniste héritée des Lumières, de cette aspiration à l'universel qui postule que chacun contribue à l'aventure et à l'émancipation humaines ; cette lutte profite à tous, passe par chacun, quel qu'il soit et d'où qu'il vienne.

Alors, mes chers collègues, le bon chemin de réflexion est-il de supprimer un mot ou de penser un projet ? Croyez-vous que la disparition légale du mot emportera avec elle la peste brune du racisme ?

Et cette peste, pour rappeler à nos souvenirs l'oeuvre magnifique d'Albert Camus, n'a pas été éradiquée. Elle gagne du terrain, à la faveur des difficultés, des inquiétudes, des obstacles à l'espoir et aux aspirations, qui font craindre la différence et l'altérité, qui font naître la peur de l'inconnu et qui accueillent les appels aux communautarismes et à la haine ordinaire. Reporter sur les autres la peur et l'incertitude que l'on porte en soi est sans doute le pire des fléaux. Encore à bas bruit, mais déjà bien visible, il gagne dans notre pays mais aussi à nos frontières, dans ces pays amis qui sont le berceau de notre civilisation.

La Commission consultative nationale des droits de l'homme a d'ailleurs récemment pointé une « inquiétante montée de l'intolérance », dans « une société française plus perméable aux phénomènes de racisme, une société segmentée, [...] en proie à une importante crise identitaire ».

Alors, bien sûr, la lutte contre le racisme doit concentrer tous nos efforts. C'est une lutte difficile, qui renvoie à bien des facteurs personnels et collectifs. « S'aimer », écrivait Jean Anouilh, « c'est lutter constamment contre des milliers de forces cachées qui viennent de vous ou du monde ».

Voilà pourquoi la discussion que vous nous proposez aujourd'hui est révélatrice, nécessaire, mais aussi discutable.

S'il fallait traiter de ce mal républicain, alors un débat était nécessaire, qui aurait mobilisé l'ensemble des forces républicaines, toutes les aspirations qui parcourent, avec leurs nuances, les travées de cet hémicycle. Et, bien au-delà de notre cénacle, parfois tellement confiné qu'il se perd dans ses propres mots et fait des mots des mondes, il aurait fallu ouvrir le champ à une réflexion plus vaste, plus profonde, plus partagée, faisant ainsi la belle démonstration de l'unité de la République et de la puissance de ses valeurs.

Cette discussion aurait pu être simplement celle de la lutte contre toutes les formes de discrimination, car le racisme a muté et su prendre d'autres apparences. On aurait pu évoquer les discriminations en raison du sexe, des convictions politiques ou religieuses, d'une appartenance syndicale, du handicap, de l'état de santé, de l'âge, de l'orientation sexuelle ou bien encore du lieu de résidence.

Autant d'injustices, autant d'intolérances et de rejets des différences, autant de tensions inacceptables pour les Républicains que nous sommes et qui ne sont pas uniquement liées à l'appartenance à une prétendue « race ».

Ces discriminations créent à coup sûr l'exclusion, elles entretiennent le ressentiment de beaucoup de nos concitoyens. Elles minent la cohésion sociale, le pacte républicain et vont à l'encontre des valeurs fondamentales et fondatrices de notre communauté de destin.

Le débat qui nous réunit aujourd'hui me donne l'impression de viser un arbre, quand il s'agit d'identifier une forêt tout entière, assombrie de tant de préjugés. C'est une discussion sémantique, lexicale, qui ne dit que peu de chose d'une démarche générale qui ferait sens.

Vous l'aurez compris, sur le plan philosophique, le groupe UDI soutient pleinement les objectifs et les intentions de ce texte. En revanche, techniquement, il lui semble beaucoup plus contestable. Le terme de « race » comme catégorie juridique est bien sûr à bannir, mais certains s'inquiètent – de manière excessive, espérons-le – des conséquences juridiques que la suppression de ce terme pourrait soulever.

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