Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la race, terme taxinomique, est la négation de l'espèce humaine, et il n'est nul besoin de s'étendre sur le sujet. L'homme n'est pas domestique, et n'est pas domesticable. Je fais mienne la belle citation d'Albert Camus, citée dans votre rapport, cher Alfred Marie-Jeanne : « Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. »
Ainsi, logiquement, naturellement, conviendrait-il de gommer de notre législation le mot « race », dès lors qu'il concerne les uniques sujets du droit : les hommes.
Cette proposition n'est pas la première qui émane de parlementaires. Notre ministre des outremers, Victorin Lurel, lorsqu'il était membre de notre assemblée, avait à plusieurs reprises été à l'origine d'une initiative semblable à celle que nous examinons aujourd'hui. Il proposait ainsi en novembre 2004 de supprimer le mot « race » à l'article 1er de la Constitution. C'était une proposition de loi constitutionnelle, qui supposait donc une adoption par le corps électoral.
Nous pourrions en effet considérer qu'il faut commencer par supprimer le mot « race » de notre Constitution, avant d'en expurger l'ensemble de notre législation, placée sous la Constitution en vertu de la hiérarchie des normes qui fonde notre État de droit.
Notre rapporteur liste une série d'arguments invoqués par les opposants à la suppression du mot « race » de notre législation, arguments qui lui semblent « autant de mauvais prétextes en faveur de l'immobilisme » ne résistant pas à l'analyse. Parmi ceux-ci, celui qui fait de la suppression du mot « race » de notre Constitution un préalable à sa suppression dans notre législation fait l'objet du dernier – et du plus court – paragraphe de son rapport. Il revient, selon notre rapporteur, à faire preuve d'un « juridisme excessif », fait pour séduire « les esprits kelséniens ».
Je ne me sens pas particulièrement kelsénienne, mon cher collègue : je serais même partisane de l'autonomie de la décision politique, ce qui ne m'empêche pas d'être rigoureuse en matière juridique, car c'est une des missions essentielles du législateur : assurer la cohérence de notre édifice institutionnel et éviter les bricolages qui sont synonymes d'insécurité pour nos concitoyens. Nous devons être conséquents et éviter de légiférer n'importe comment.
Cependant, j'ai été par le passé, avec mes collègues du groupe radical, signataire d'une proposition de loi visant à supprimer le mot « race » de notre Constitution. Logiquement, je suis donc également favorable à sa suppression dans l'ensemble de notre législation, qu'il s'agisse du code pénal, du code de procédure pénale, du code du travail, du code du sport, du code des pensions militaires, de la loi sur la liberté de la presse ou encore de la loi relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France.
J'y suis d'autant plus favorable qu'il s'agit de remplacer le mot « race » par un autre vocable et que cette suppression n'a pas pour conséquence de saper la base juridique des poursuites prévues à l'encontre des provocations de nature raciste. Dès lors – et c'est le principal – que nous conservons un support adéquat permettant les poursuites antiracistes, nous ne pouvons qu'être favorables à la proposition de loi telle qu'elle nous est présentée, après avoir été amendée en commission des lois.
Ce qui importe, et j'en reviens à la pyramide figurant la hiérarchie des normes, chère au célèbre juriste autrichien que nous évoquions tout à l'heure, c'est que notre législation, ainsi débarrassée du vocable honni, n'entre pas en contradiction avec notre loi fondamentale. Concordance n'est pas homothétie, et nous ne sommes donc pas tenus de garder le mot « race » dans notre législation, tant que la condamnation des discriminations de nature raciste, principe constitutionnel proclamé à l'article 1er de la Constitution, ne disparaît pas avec le mot censé la fonder.
Le reste importe finalement, assez peu. Qui peut douter que la France rejette toutes les théories tendant à déterminer l'existence de races humaines distinctes ? L'ensemble des textes internationaux auxquels la France est partie suffit à répondre à la question.
La période noire du gouvernement de Vichy, État de fait ayant malgré tout instauré une législation raciste qui a été, dans l'ensemble, appliquée avec zèle, est derrière nous, mais nous ne devons pas oublier, comme le souligne à bon escient notre rapporteur, l'ambiguïté du concept de « race » en droit français.
En finir avec cette ambiguïté est de bonne législation. C'est pour cela, mes chers collègues, que les membres du groupe RRDP voteront positivement sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, écologiste et GDR.)