Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00
Suppression du mot "race" de la législation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je voudrais, en quelques mots, tenter de rassurer ceux de nos collègues qui ont exprimé des inquiétudes juridiques sur les éventuelles conséquences de ce texte ou sur la méthode, choisie par le rapporteur et approuvée par la commission des lois, consistant à commencer par supprimer le terme de « race » de la législation avant de s'attaquer à la Constitution.

Je ne voudrais pas rallonger nos débats en répondant à notre collègue Tardy sur la politisation du droit. C'est un vrai sujet, mais il me semble que le processus d'édiction du droit est par essence politique, que la légitimation du droit est elle-même politique, que le droit est nécessairement le résultat d'une politique, en tout cas dans une certaine mesure.

Bien évidemment, tout en se plaçant dans le cadre du respect de la Constitution, l'on peut considérer que, si le droit n'est pas seulement politique, il l'est tout de même plus ou moins, selon la matière visée.

La commission des lois a estimé que l'initiative du groupe GDR visant à supprimant le terme « race » de notre ordre juridique était souhaitable. Nous pouvons une nouvelle fois saluer son travail car elle a su, en prenant les précautions d'usage, manoeuvrer à bon escient pour que certaines conditions soient remplies. Il fallait tout d'abord veiller à ce que la suppression de ce terme ne porte pas atteinte à l'efficacité de la lutte contre le racisme et de l'arsenal répressif. La proposition initiale ne le permettait pas mais les amendements déposés en commission répondent à cette première difficulté. Le choix du substitut « raciste » ou d'un membre de phrase comportant ce mot, par exemple « fondé sur des raisons racistes » ou sur « un critère raciste », est parfaitement satisfaisant. Il est juridiquement neutre et sa signification politique est claire. Vous l'avez rappelé : les races n'existent pas, seul le racisme existe.

Il fallait également tenir compte de notre environnement international et européen, puisque de très nombreuses conventions internationales comportent aussi ce mot, qu'il s'agisse de la charte des Nations unies, du pacte international de 1966 sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, de la convention de Genève, ou d'autres textes de droit européen comme la Convention européenne des droits de l'homme ou la directive n° 200043CE. Dès lors, nous aurons à lever deux difficultés dans l'avenir, à commencer par la conformité de notre droit, une fois le mot « race » supprimé, avec ces instruments. Là encore, la solution retenue par la commission des lois permet de surmonter cette difficulté. Dès lors que les comportements racistes sont réprimés de la même manière qu'auparavant, l'objectif fixé par ces conventions est atteint. La législation française reste donc conforme au droit international et européen en intégrant les modalités qui nous ont été proposées par amendement.

La seconde difficulté tient à ce que ces instruments ayant une autorité supérieure à celle des lois, et étant pour certains d'entre eux d'application directe dans la législation française, le mot « race » subsistera dans notre droit interne. Il ne s'agit pas d'un obstacle juridique en tant que tel mais simplement d'une question de méthode. Nous avons choisi de commencer par supprimer ce terme de la législation, mais il faudra à présent travailler à sa suppression dans la Constitution et dans le domaine règlementaire. J'imagine que le Gouvernement prendra sa part. La commission des lois a fait un premier toilettage, dont je félicite le rapporteur, en modifiant cinquante-neuf articles de loi. Le pouvoir règlementaire, dans les domaines qui sont les siens, devra agir de même, sans quoi nous ne pourrons pas avancer ni concrétiser cette proposition de loi.

Reste la Constitution. J'attire l'attention de tous sur le fait que si l'article 1er de la Constitution pourra être révisé par cette législature au cas où le Congrès serait convoqué, le Préambule de 1946 demeurera tout de même. J'ai entendu dire au cours de nos débats qu'il faudrait peut-être y toucher. Rappelons aux inquiets que ce Préambule reflète des principes affirmés à une période donnée et qu'il ne sera donc pas utile de le modifier. Je ne vois d'ailleurs pas comment nous le ferions… (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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