Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aurions pu nous féliciter de la mise en oeuvre d’un dispositif qui aurait dû rendre sa place au système de démocratie directe sous la Ve République. Le moins que l’on puisse dire, en effet, est que tout est fait dans la pratique constitutionnelle pour éviter le recours au peuple par référendum. L’article 89-3, dans l’esprit original de la Constitution, prévoyait le recours au référendum pour les révisions constitutionnelles et, exceptionnellement, le vote par Congrès pour ce que le général De Gaulle appelait des « réformettes », soit les révisions constitutionnelles mineures ou trop techniques qui ne nécessitent pas de déplacer le peuple. Force est de constater que la pratique constitutionnelle des élus a totalement inversé le principe. En effet, sur vingt-quatre révisions constitutionnelles, seules deux ont été adoptées par référendum. Quant à l’article 11, il n’a été mis en oeuvre qu’une dizaine de fois depuis 1958, les élus frileux refusant de risquer un désaveu populaire. Pire encore : lorsque l’on daigne soumettre au peuple un vote par référendum sur l’adoption d’une Constitution européenne et que ce vote ne correspond pas aux attentes des soi-disant représentants du peuple, ces derniers trahissent la volonté populaire en votant quelques mois plus tard au Congrès un texte qui ne change que de nom.
Notre enthousiasme a été rapidement déçu par un texte qui organise une véritable usine à gaz dont on peut raisonnablement penser qu’il n’aboutira jamais à une seule consultation référendaire. Cinq années se sont écoulées pour voir se dessiner les contours d’une réforme datant de 2008, beau témoignage de l’empressement du pouvoir dès qu’il s’agit de redonner la parole au peuple ! Dès le départ, nous avons été trompés sur la nature d’une réforme qui se faisait appeler « référendum d’initiative populaire », quand il s’agissait en réalité d’un référendum d’initiative partagée entre les citoyens et les parlementaires. S’agissant du mécanisme retenu, tout semble fait pour décourager les plus téméraires : il faut en premier lieu l’assentiment explicite d’un cinquième des parlementaires et d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit près de 4,3 millions de citoyens sur 43 millions de votants, quand l’Italie en réclame 500 000 pour 45 millions de votants et la Suisse 50 000 pour 5 millions de votants, soit 1 % des votants contre 10 % pour nous. Comment ne pas voir dans cette exigence délirante la volonté explicite de rendre la réforme ineffective ?
Imaginons même que ces conditions soient remplies, le citoyen croyant son texte enfin soumis au vote par référendum sera ravi de constater que l’organisation de ce référendum ne s’imposera que si la proposition de loi n’est pas examinée par l’une ou par l’autre des assemblées du Parlement. Or cette situation est peu envisageable. Un texte réunissant 4,5 millions de citoyens sera nécessairement mis à l’ordre du jour par l’un des six groupes politiques composant chaque assemblée. Chers concitoyens, oubliez donc dès à présent l’initiative populaire et oubliez, par la même occasion, le référendum !
Ensuite, le Conseil constitutionnel intervient à deux reprises pour vérifier le respect des conditions préalables, puis la constitutionnalité du texte éventuellement adopté. La Constitution requérant que la proposition de loi soit simplement examinée et non qu’elle soit votée ni même soumise au vote, le Président de la République ne se trouvera qu’exceptionnellement en situation de procéder au référendum. À chaque fois, il y a donc possibilité de blocage et de contestation.
Notre débat est bien entendu borné par les dispositions mêmes de la réforme constitutionnelle de 2008 : il ne peut toujours pas y avoir de consultation référendaire en matière de politique pénale ni, par exemple, dans le domaine du droit de la famille. Je rappelle que le Conseil économique social et environnemental a rendu cette année un avis au sujet du texte sur le mariage homosexuel, excluant les questions sociétales du champ des sujets qui peuvent être soumis au référendum au titre de l’article 11 ; autrement dit, des sujets essentiels sur lesquels nos compatriotes souhaiteraient précisément s’exprimer, comme le prouve l’historique mobilisation de la Manif pour tous.
Par ailleurs, le nouvel article 11 prohibe tout référendum visant à abroger une loi promulguée depuis moins d’un an. Or notre représentation nationale a abrogé, sans traîner, plusieurs lois sarkozystes récentes au cours de l’année passée. Pourquoi priver le suffrage universel d’une consultation abrogatoire dont le Parlement a allègrement fait usage en début de législature ? Vous vous permettez donc, mes chers collègues, ce que vous refusez à ceux que vous êtes censés représenter.
Et puis pour faire bonne mesure, le projet gouvernemental rajoute encore quelques herses à ce saut d’obstacles pour compliquer encore la procédure. Je ne prendrai qu’un seul exemple significatif de l’engluage : celui des délais résultant des dispositions cumulées des articles 3 et 9 du projet de loi organique. Les différentes étapes de la procédure conduisent en effet nécessairement à un délai minimal de seize mois avant que le chef de l’État ne puisse déclencher la procédure référendaire ; et ce délai peut être considérablement rallongé par des relectures successives devant chacune des deux assemblées parlementaires ou par une dissolution de l’Assemblée, ou encore une élection présidentielle anticipée.
Bref, vous tentez de museler l’initiative populaire.
De même que le référendum consultatif municipal, né en 1992, est resté en pratique lettre morte, cette réforme constitutionnelle est une supercherie dans son principe et dans sa mise en oeuvre. La parole du peuple reste pour vous assimilée à un réflexe incontrôlable, à du populisme ou à de la démagogie.
Pour finir, je citerai ce bon mot de Rousseau : « En démocratie représentative, le peuple pense être souverain, mais il se trompe, il ne l’est que le jour de l’élection, le reste du temps, il est esclave, il n’est rien ! ». C’est pourquoi je voterai contre ces deux textes, qui sont une supercherie.
Le 21/11/2013 à 19:17, YVAN BACHAUD (retraité) a dit :
En France le citoyen n'est même PAS souverain le jour du vote puisque nous ne disposons pas du vote préférentiel QUI EXISTE pourtant dans 18 pays sur les 28 de l'UE et qui permet aux ÉLECTEURS de choisir leur représentants par exemple en modifiant l'ordre sur les listes du parti de son choix.
On en peut même pas choisir entre le député et son suppléant ce qui serait pourtant simplissime.. et permettrait le renouvellement, d'éviter le cumul le plus souvent..
Ni elle ni M. Collard n'ont déposé de proposition de loi en faveur du RIC et je rappelle qui n'a JAMAIS été inscrit dans une profession de foi présidentielle d'un LEPEN ..!
et que les soirs d'élection en direct jamais le FN n'a fait la promotion du RIC qui fait du peuple le VÉRITABLE SOUVERAIN...
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