« Je suis la ville et n’en peux plus
« je fus bâtie je suis battue
« je fus aimée à mes saisons
« je fus maison je suis prison »
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet extrait du poème d’Henri Gougaud, qui date de 1977, « Je suis la ville », inspire parfaitement la problématique qu’ont eue les villes modernes, problématique apparue à cette époque avec le début de concentrations urbaines.
En 1991, il y a un peu plus de vingt ans, cette prise de conscience a mené à la création du ministère de la ville. Ce ministère a souvent été confronté aux limites de la transversalité, de nombreuses actions étant menées par des ministères différents dans le cadre de leurs propres politiques, ainsi qu’aux limites de la verticalité, car les partenariats avec les collectivités locales concernées sont essentiels.
Le ministère de la ville doit également être au coeur de la lutte contre les différentes fractures apparues ces dernières années dans notre société, qu’elles soient sociales ou spatiales. Car, avec le temps, les quartiers concernés ont eu de nombreux qualificatifs : ils ont été « difficiles », « fragiles », ou bien encore « sensibles ». En fait, il s’agit surtout de quartiers composés de grands ensembles ou d’habitats dégradés avec des difficultés sociales fortes et parfois un manque de services publics et de services au public.
Une première véritable impulsion a été donnée en 1996, avec la création des ZUS, les fameuses zones urbaines sensibles, qui comprenaient des zones de redynamisation urbaine et les zones franches urbaines. Il y en avait quarante-quatre au démarrage, puis quarante et une de plus sept ans après. En 2003, le programme national de rénovation urbaine a permis de créer l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, et a donné une impulsion pour restructurer des quartiers classés obligatoirement en zone urbaine sensible. Ensuite, en 2007, les contrats urbains de cohésion sociale ont remplacé les vieux contrats de ville.
Avec l’ancien président, on allait rompre avec le passé, on allait voir ce qu’on allait voir. Il y a eu beaucoup d’effets de manche, beaucoup de promesses, des expressions ronflantes et parfois contradictoires – « Espoir Banlieue » et puis, derrière, « nettoyage au karcher » ! –, et à la fin un bilan calamiteux : la pauvreté en banlieue a augmenté, le chômage aussi, et rien ne s’est amélioré, au contraire.
Cette réalité politique nous conduit à penser qu’il y a dorénavant une certaine urgence à agir ou plutôt à réagir. C’est pourquoi les députés radicaux de gauche et apparentés apprécient particulièrement le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre. Car les progrès de la politique de rénovation urbaine ne peuvent produire des effets positifs qu’à la condition d’être accompagnés par la mobilisation de tous les acteurs : les collectivités, bien sûr, les habitants et les élus.
La rénovation d’un quartier ne doit pas se limiter à l’urbanisme, même si c’est important. La réussite de la politique de la ville passe avant tout par l’emploi. À cet égard, la politique actuellement menée par le Gouvernement en direction des jeunes avec les emplois d’avenir, nous paraît une réponse adaptée.
La réussite de la politique de la ville passe également par le logement, et le projet de loi actuellement en discussion pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové est également une réponse adaptée.
La réussite de la politique de la ville passe aussi par l’éducation. La loi de refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 apporte des réponses en termes de moyens et fixe des objectifs pour lutter contre l’échec scolaire, et surtout pour faire en sorte que l’école, même dans des quartiers difficiles, reste un vecteur de mobilité sociale.
La réussite de la politique de la ville passe encore par la sécurité, liberté publique essentielle pour le « vivre ensemble » ; les zones de sécurité prioritaires créées par Manuel Valls en sont une expression rassurante, qui donne déjà des résultats tangibles.
Et puis il y a l’encouragement économique, le sport et la culture, la vie associative encouragée et le développement des infrastructures de transport pour que ces quartiers ne soient pas trop enclavés.
L’assemblage de toutes ces initiatives montre que le Gouvernement agit, dans le droit fil des priorités fixées par le Président de la République.
Je n’oublie pas le rôle crucial joué par les collectivités territoriales et les élus locaux qui, dans des conditions parfois difficiles, maintiennent ce que j’appelle le lien républicain, restent à l’écoute, au contact de la population, pour qu’elle ne se sente pas trop exclue.
Le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine vise à clarifier et à rendre plus lisible l’action de l’État dans les territoires concernés par la politique de la ville. Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé à trouver des moyens pour que la phase de transition vers la nouvelle géographie prioritaire soit lissée sur plusieurs années, en prorogeant le terme fixé pour le programme national de rénovation urbaine. Nous ne pouvons que nous satisfaire de cette démarche, car on ne peut donner un coup d’arrêt brutal aux réalisations en cours de municipalités qui tiennent à honorer leurs promesses.
Un des constats que vous faites dans ce projet de loi concerne justement la nécessité de remplacer la dotation de développement urbain par une dotation spécifique « politique de la ville » à partir de 2015 – 2015 afin de préparer au mieux le fléchage le plus adéquat de cette dotation.
La politique de la ville s’est souvent perdue par le passé dans les travers du saupoudrage, de l’éparpillement des moyens, de la dispersion des crédits, de l’empilage des dispositifs : les ZUS, les CUCS, les ZRU, les ZFU, et je dois en oublier ! C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous soutenons sans ambages votre volonté de mettre en place une géographie prioritaire unique avec un critère objectif, indiscutable, transparent et, je dirai même, impartial : le revenu des habitants. Cette géographie prioritaire unique est un point essentiel du projet de loi. Il nous permettra de concentrer les efforts sur les poches de grande pauvreté. II fixera les zones véritablement prioritaires avec un critère simple mais terriblement réaliste et efficace. Et puis nous aurons l’occasion de réviser ces zones afin d’apprécier les évolutions urbaines, dans le dialogue que vous avez proposé et dont nous nous félicitons.
À côté des dotations spécifiques, vous proposez de mettre en oeuvre des contrats de ville « nouvelle génération » d’une durée de six ans ; il vous appartiendra de créer les conditions d’une bonne articulation entre les différents dispositifs pour ne pas perdre en efficacité. De même, avec le conseil citoyen, il vous faudra démontrer que cette instance aura une utilité citoyenne pour le dialogue, sans concurrencer ce qui reste l’âme de la République, le conseil municipal. Les radicaux éprouvent une méfiance naturelle envers ces instances participatives qui, si elles ont toujours pour origine une bonne intention, sont parfois détournées de leur objectif initial. Rien ne vaut le dialogue avec l’élu local, qui peut très bien écouter, entendre, discuter et créer les conditions matérielles du dialogue citoyen. C’est ce qui se fait la plupart du temps dans les quartiers en question.
Le projet de loi s’adapte également à l’évolution intercommunale de nos territoires, en renforçant les EPCI pour mettre en oeuvre une meilleure solidarité urbaine, par un mécanisme de péréquation financière, et il met fin à de nombreux dispositifs devenus aujourd’hui inopérants, notamment dans les zones de redynamisation urbaine, qui sont supprimées.
Pas d’angélisme, ni de cynisme. Le mal-être dans ces quartiers tire son origine de causes sociales et d’un processus de stigmatisation, puis de dévalorisation, et enfin de marginalisation, qui provoque le désespoir, la révolte et parfois la haine. C’est un vieux travers auquel il faudra bien un jour tordre le cou, car la solidarité nationale en faveur de nos quartiers ne pourra pas les sortir d’une forme d’impasse si la peur, la délinquance ou le désordre prévalent sur la confiance, la paisibilité ou le respect du droit avec sa contrepartie, le respect des devoirs du citoyen.
Pour conclure, nous pensons que ce projet de loi est à la hauteur de l’ambition qui est la nôtre de lutter contre l’exclusion et la ghettoïsation, avec beaucoup de courage et de concertation.
Monsieur le ministre, vous avez su répondre, avec ce courage politique, aux critiques de l’extension et de l’enchevêtrement des zonages, de l’organisation dispersée de la gouvernance, de l’évaluation peu fiable et de l’éparpillement des moyens ainsi que, parfois, de leur affectation partiale. Nous avons apprécié votre méthode, qui a consisté dans une longue et vaste concertation nationale, dans la visite dans de nombreux quartiers pour mieux appréhender la nécessité d’une meilleure efficacité de la politique de la ville, et dans le dialogue avec la représentation nationale qui, comme l’ont rappelé mes collègues radicaux de gauche, a été fécond.
Vous l’aurez compris, les députés radicaux de gauche et apparentés voteront ce projet de loi.