Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, je suis députée d’une circonscription marquée par la politique de la ville. C’est en effet à Vaulx-en-Velin qu’eurent lieu en octobre 1990 les premières émeutes urbaines, qui plongèrent la France dans la tétanie. C’est à Bron, le 4 décembre 1990, que François Mitterrand annonça la création d’un ministère de la ville. Enfin, Renaud Gauquelin, maire de Rillieux-la-pape, troisième ville de ma circonscription, est le président de l’association des maires de ville et banlieue. Vous comprendrez, monsieur le ministre, combien le projet de loi était attendu et même espéré et à quel point nous nous en réjouissons tous.
Plus de vingt ans après le démarrage de la politique de la ville, le bilan est contrasté. Certes, elle a permis la mise en oeuvre de chantiers bénéficiant de moyens importants, comme l’amélioration du bâti et du cadre de vie Mais elle a également empilé les dispositifs d’exception, égrenés comme une litanie : ZUP, ZUS, ZEP, ZFU, ZRU, CUCS, GPU, GPV, DDU, DSU, le tout nous donnant le sentiment de vivre dans des terres d’exception. La première grande force de votre projet, monsieur le ministre, est d’affirmer que les villes concernées ont vocation à sortir des dispositifs d’exception et à intégrer le droit commun. La République n’a pas vocation à gérer des lieux de relégation mais à faire nation commune. Il n’y a pas « eux » et « nous », mais bien des citoyens de notre grand pays, comme le rappelle avec force l’article 1er du texte.
Deuxième grande force de ce texte, il prévoit que la rénovation du bâti s’accompagnera d’une politique tournée vers l’humain et l’insertion professionnelle – c’est l’objectif des emplois d’avenir – et il affirme que c’est dans les lieux de vie communs que se construit le « vivre ensemble » et qu’il faut donc consacrer les moyens nécessaires à la réhabilitation des équipements publics.
Le projet de loi précise également que la politique de cohésion urbaine ne peut faire table rase du passé et que nos villes ont une histoire, celle de l’immigration, bien sûr, qu’elle soit italienne, espagnole, portugaise, maghrébine, d’Afrique noire ou d’Europe de l’est, mais aussi une histoire ouvrière, avec des usines, des friches industrielles et des combats syndicaux qui forgent une identité.
La troisième grande force de votre projet, monsieur le ministre, est d’inscrire dans la loi la nécessité de la participation des habitants. Le rapport que vous aviez demandé à Marie-Hélène Bacqué et Mohammed Mechmache au sujet de la participation citoyenne dans la politique de la ville a été très remarqué ; votre texte reprend un certain nombre de ses préconisations. Nous devrons, bien sûr, approfondir et rendre vivant ce qui n’existe que sous la forme d’un article, mais déjà, lors du dernier conseil d’administration de l’ACSé, dont je suis membre, sa présidente, Naïma Charaïa, a souligné l’avancée considérable que constitue ce texte.
Je le dis souvent, la politique de la ville ne peut être réussie uniquement par les techniciens, censés être les seuls experts en la matière. Ceux qui font la politique de la ville doivent vivre la ville, et les citoyens sont les experts de leur propre vie. Ils sont reconnus en tant que tels grâce aux conseils citoyens, disposant de budgets participatifs qui vont permettre de co-construire, à toutes les étapes d’un contrat de ville, le projet pour les quartiers populaires.
J’ai été, à titre personnel, profondément marquée par deux faits. Le premier est lié aux émeutes qui ont éclaté à Vaulx-en-Velin alors que le quartier du Mas-du-Taureau venait d’être réhabilité ; une semaine avant, tout Lyon s’était déplacé pour une inauguration en grande pompe.
Le second, c’est ma réélection comme conseillère générale du canton de Vaulx-en-Velin en 2011. Au premier tour, je suis arrivée en tête avec près de 30 %, mais seulement 1 570 voix pour une ville de 42 000 habitants, et je me suis retrouvée face au FN au second tour – cela montre bien que nous sommes face à un problème profond. En décembre 1990, François Mitterrand avait prononcé ces mots si justes : « L’urbanisme ne transformera pas la ville et encore moins la vie si on ne fait pas appel à ceux qui sont là. […] On ne réussira pas si l’on prétend se substituer aux habitants des quartiers parce qu’il faut que chaque habitant, autant qu’il est possible, se sente le propre auteur de l’oeuvre, son propre créateur […] Tout homme a besoin d’avoir part à la création, sinon il ne s’y reconnaît pas. »
La démocratie participative ne pourra que vivifier et redonner toute sa légitimité à la démocratie représentative. Lorsque les citoyens sont pénétrés de la conviction que leur vote ne sert à rien, la désespérance s’installe et de la désespérance naissent le repli sur soi et le fascisme. Je me félicite donc que notre rapporteur annonce que la réflexion se poursuivra au sein d’un groupe d’étude dont il demande la création.
Pour conclure, je souhaite partager avec vous ces mots du grand poète Aimé Césaire, prononcés ici même, en 1946, lors du débat sur la départementalisation ; si nous parvenons à les faire nôtres, c’est que notre projet aura réussi. Aimé Césaire disait : « Par ce projet, nous aurons contribué à établir une fraternité agissante au terme de laquelle il y aura une France plus que jamais unie et diverse, multiple et harmonieuse, dont il est permis d’attendre les plus hautes révélations. »