Intervention de Nicolas Sansu

Séance en hémicycle du 17 décembre 2013 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2013 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Sansu :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, nous entamons l’examen en nouvelle lecture de ce projet de loi de finances rectificative qui, dans l’attente de la « remise à plat » de la fiscalité, ne propose pas de mesures visant réellement à relancer l’activité et l’emploi et à retrouver la croissance.

Ce texte confirme, jusque dans la réforme de l’assurance-vie, le parti pris quelque peu hasardeux d’une politique beaucoup trop tournée vers l’offre.

Le ministre du travail a ainsi confirmé hier que le SMIC serait augmenté de 1,1 % au titre de la hausse légale, mais qu’il n’y aurait aucun coup de pouce supplémentaire.

Le Gouvernement se laisse bercer par la rengaine du groupe d’experts sur le SMIC, qui a pointé du doigt « le risque qu’une hausse du salaire minimal ne se traduise in fine par une baisse de l’emploi et de la compétitivité des entreprises » et a fait valoir que le SMIC en France était « aujourd’hui très nettement au-dessus des niveaux constatés dans les autres pays de l’OCDE. »

Les économistes du groupe d’experts reprennent directement le refrain patronal. D’un côté, la conjoncture ne serait pas favorable, la croissance serait trop faible. De l’autre, les salariés payés au SMIC seraient des privilégiés face à leurs concurrents du monde entier.

Cette obsession de la baisse du coût du travail est dangereuse. La stagnation des salaires étouffe l’économie. Cette tendance se vérifie dans tous les pays qui font le choix de l’austérité et du gel des salaires. Tous, sans exception, voient leurs perspectives de croissance et de développement s’assombrir. Il est donc temps de changer de logique.

L’absence de coup de pouce au SMIC est d’autant plus grave que les salariés devront faire face, à compter de janvier, à la hausse du prix de l’électricité et à celle de la TVA, décidée pour financer le CICE, ce crédit d’impôt qui n’est ni conditionné ni sectorisé.

Cette situation tranche avec les mesures que vous proposez en matière d’assurance-vie. Avant toute chose, rappelons que, pour 90 % des 17 millions de souscripteurs de contrats d’assurance-vie, le montant épargné cumulé est inférieur à 50 000 euros, tandis que les 10 % restants ne possèdent pas moins de 64,8 % de l’encours, soit plus de 880 milliards d’euros et près de 530 000 euros par détenteur, le centile le plus riche disposant même, en moyenne, de deux millions d’euros !

Les mesures proposées à l’article 7 bénéficieront aux plus importants détenteurs de contrats, c’est-à-dire à ces fameux 10 % dont la Cour des comptes a pu estimer le nombre à quelque 1,7 million. Eux seuls sont, en réalité, directement intéressés au changement de support proposé.

Le but avoué de la réforme est de permettre aux entreprises de renforcer leurs fonds propres, et la plupart des autres mesures que vous nous proposez, qu’il s’agisse de l’amortissement exceptionnel pour favoriser les investissements des entreprises ou des mesures de soutien à l’exportation, vont d’ailleurs dans le même sens.

Il y aurait cependant au moins deux autres manières, plus vertueuses à notre sens, d’aider les entreprises à renforcer leurs fonds propres.

La première serait de les inciter à réinvestir la plus grande partie de leurs résultats en vue d’autofinancer leur développement. C’est le sens de notre proposition de modulation de l’impôt sur les sociétés.

La seconde serait de leur permettre d’obtenir des banques des conditions de financement plus favorables. Cela supposerait de responsabiliser davantage les établissements de crédit, mais aussi de donner plus de poids à la Banque publique d’investissement.

Pour ce faire, nous pourrions, d’une part, renforcer l’affectation de l’encours de l’épargne défiscalisée – livret A, livret de développement durable – à la BPI et, d’autre part, chercher à remplacer une partie de la dépense fiscale en faveur des entreprises par des bonifications de prêts bancaires. Nous sommes convaincus que l’effet de levier et l’efficacité de l’allocation de l’argent public s’en trouveraient renforcés.

S’agissant toujours des fonds propres des entreprises, pourrons-nous enfin passer encore longtemps sous silence le fait que la part des bénéfices versés directement sous forme de dividendes et d’intérêts bancaires n’a cessé d’augmenter ces dernières années ? En prélevant entre 80 % et 90 % de la trésorerie des entreprises, intérêts et dividendes privent nos entreprises de leur capacité d’autofinancement, augmentant leur dépendance à l’égard des banques et des marchés financiers au détriment de l’emploi et des salaires.

Si nous avons soutenu la création de la Banque publique d’investissement et souligné la nécessité d’une vraie séparation des activités bancaires, restée malheureusement lettre morte, force est de constater que vous avez pris fait et cause pour une politique de l’offre doublée d’une politique d’austérité : plus d’argent pour les entreprises et les détenteurs de patrimoine, moins d’argent pour la justice sociale et les services publics, le tout sous prétexte de réduction des déficits publics et sous les injonctions de la Commission européenne.

Le présent texte témoigne d’ailleurs que l’austérité est bien là. Alors que l’économie française a connu une croissance nulle entre 2009 et 2013, le déficit budgétaire est passé, au cours de la même période, de 7,6 % à quelque 4 % du PIB. Cette austérité n’est pas sans conséquences sur la croissance et l’emploi, et nous aurions pu arriver au même chiffre, monsieur le ministre, en supprimant certains privilèges et niches fiscales.

Les économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques ont cherché à mesurer l’impact de cette politique dans une étude très récente. Il résulte de cette étude très récente que l’effet cumulé des mesures d’austérité prises concomitamment en France et chez nos voisins européens a coûté très cher à notre économie : de 0,8 point de PIB en 2010 à 2,2 points en 2013.

En d’autres termes, si vous ne vous étiez engagés, depuis la signature du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dans une course folle à l’ajustement budgétaire, la croissance française aurait pu être, en 2013, de l’ordre de 2,2 % à 2,5 % au lieu d’être nulle ou à peine positive, comme elle l’aura été cette année. La situation de l’emploi ne serait pas la même aujourd’hui !

Une politique de restriction budgétaire ne peut que contribuer à entretenir la crise, et pourtant vous restez convaincus de la nécessité de poursuivre dans cette voie. Après le prélèvement supplémentaire de 12,5 milliards d’euros sur les ménages pour compenser l’allégement de 11 milliards d’euros de l’imposition des entreprises, le mot d’ordre est désormais de s’attaquer aux dépenses publiques. Avec les 60 milliards d’euros d’économies supplémentaires annoncées d’ici à 2017, le risque est d’aggraver encore la situation économique de notre pays et d’affecter la vie quotidienne de millions de nos concitoyens, en réduisant le périmètre et l’efficacité des services publics, en rognant peu à peu les droits sociaux, et en pénalisant l’investissement local, comme s’en inquiètent les maires de France.

Les experts du Fonds monétaire international expliquent sans relâche – même eux ! – qu’une rigueur budgétaire consistant à baisser les dépenses emporte des effets plus désastreux encore sur l’activité que la hausse des prélèvements obligatoires. Il faut aujourd’hui tourner le dos à une austérité synonyme de régression économique et sociale, pour promouvoir une dépense intelligente et un impôt à la fois plus juste et plus efficace. Il ne faut pas forcément plus d’impôt, il faut faire « mieux d’impôt » ; il ne faut pas forcément dépenser plus, il faut mieux dépenser.

Je veux à ce titre évoquer un secteur que vous connaissez bien, monsieur le ministre, puisque nous en avons parlé ensemble. C’est celui du logement, auquel la puissance publique consacre 40 milliards d’euros, soit 2 % du PIB, un montant très important, pour une efficacité, disons, plus que moyenne. On voit d’ailleurs que le nombre de mises en chantier n’a jamais été aussi faible. Une trop large part de ces 40 milliards est affectée au financement de défiscalisations qui accroissent le patrimoine de ceux qui en ont déjà un. Vous le voyez, il y a sans doute des marges pour mieux maîtriser la dépense publique et faire de la dépense sociale pour les plus fragiles.

II est indispensable de réunir les élus, les syndicats, les associations, les acteurs de la vie économique et les citoyens afin de bâtir une grande réforme fiscale de gauche qui fasse vivre notre pacte républicain et les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Le texte que vous nous présentez ce soir en deuxième lecture ne porte malheureusement pas trace de la volonté d’engager ce changement de cap en faveur de l’emploi, de l’investissement productif et de la redistribution des richesses. Vous comprendrez que nous ne puissions l’approuver, dès lors qu’il est aussi manifestement en décalage avec les attentes légitimes de nos concitoyens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion