Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 15 avril 2014 à 21h30
Modernisation et simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

D’ailleurs, je vous présenterai, lors de l’examen de ce texte, un amendement que l’on pourrait appeler « amendement Baudis », tant les dispositions qui y figurent sont directement inspirées par des demandes inspirées par le défenseur des droits.

Le texte que nous examinons compte seize articles et peut se découper en trois grandes catégories de dispositions. Évidemment, ces dispositions sont relativement disparates puisqu’il s’agit de clarifier des procédures, mais il y a une cohérence dans l’ensemble des dispositions du texte.

La première grande catégorie de dispositions concerne l’administration territoriale et l’administration déconcentrée de l’État. Un certain nombre de dispositions sont prises pour lever des contraintes qui pèsent sur ces administrations. Néanmoins, comme je le disais à l’instant, la levée de ces contraintes ne doit pas avoir pour effet de pénaliser le citoyen. Il ne s’agit pas de décharger ou d’alléger l’action, le travail des fonctionnaires pour lesquels nous avons le plus grand respect et dont nous avons conscience qu’ils travaillent parfois dans des conditions extrêmement difficiles, et en contrepartie d’avoir un effet pénalisant sur les citoyens. Nous avons donc veillé à ce que l’action de l’administration soit plus fluide et que toute une série d’actes inutiles ou inutilement complexes soient supprimés, tout en nous assurant que les citoyens en tirent bénéfice.

Dans cette première catégorie figurent des dispositions qui concernent les établissements publics d’éducation, que nous dispensons de l’obligation de transmettre systématiquement au préfet les actes budgétaires qu’ils accomplissent. De même, nous réformons la représentation de l’État devant les juridictions judiciaires, en particulier dans les contentieux d’accidents scolaires.

Nous réformons également les relations entre les conseils communaux d’action sociale et les conseils municipaux. Jusqu’à présent, lorsqu’un CCAS souhaitait contracter un emprunt, il lui fallait un avis conforme du conseil municipal. Nous supprimons cette obligation.

Nous réformons également le droit funéraire, parce que les opérations de surveillance des actions funéraires mobilisaient très fortement les fonctionnaires de la police nationale.

Nous modernisons les relations entre les citoyens et l’administration en introduisant des possibilités de relations numériques. Ainsi, les automobilistes pourront avoir accès, par voie électronique, à l’état de leurs points sur leur permis de conduire.

Nous supprimons des dispositions obsolètes, par exemple celles qui concernent le régime des voitures de petite remise, qui sont en voie de disparition.

Nous supprimons des commissions de consultation qui ne sont plus consultées par personne et nous fusionnons des commissions en vue de permettre un travail plus rationnel, notamment les commissions d’inscription et de discipline qui concernent les administrateurs judiciaires d’un côté, et les mandataires judiciaires de l’autre.

Telles sont les dispositions essentielles de la première grande catégorie relatives à la modernisation de l’État dans le domaine de l’administration territoriale et de l’administration décentralisée.

Par ailleurs, toute une série de dispositions concernent plus directement la justice. Là aussi, nous veillons à ce que la justice puisse tenir compte, dans ses procédures, de l’évolution de la société et nous modernisons un certain nombre de dispositions qui peuvent être très anciennes ou plus récentes. À la lumière des évaluations que nous avons effectuées, nous avons constaté qu’il était possible de simplifier les choses.

Une disposition de 1964 – elle a donc cinquante ans – prévoit qu’en cas de décès de l’un des parents, le veuf ou la veuve se rend immédiatement au tribunal auprès du juge des tutelles de façon que tous les actes qu’il va accomplir sur le patrimoine qui revient aux enfants soient contrôlés par le juge des tutelles. Nous pensons qu’il faut veiller à protéger l’héritage des enfants – y compris lorsqu’il est modeste, parce qu’il ne s’agit pas de prendre des mesures qui protégeraient de gros patrimoines mais qui laisseraient de côté des successions modestes –, mais tout en ne soumettant pas le parent survivant, homme ou femme, à une immixtion systématique du juge des tutelles dans tous ses actes concernant les biens. Nous aménageons donc cette disposition de façon à éviter que des interventions judiciaires qui ne sont pas justifiées par la nécessité viennent compliquer la vie du parent survivant, et en particulier à un moment où il est en situation de détresse.

Nous touchons également à des dispositions plus récentes, notamment à la loi relative à la protection juridique des majeurs. Cette loi, qui a été adoptée en 2007 à une très large majorité, voire à l’unanimité, protège bien les personnes placées sous tutelle. Elle a posé un certain nombre de principes et d’obligations, notamment la révision de ces mesures de tutelle tous les cinq ans. Nous ne touchons pas à l’architecture de ce texte, qui contient de très bonnes dispositions. Par contre, il convenait d’évaluer leur application, ce qui a été réellement fait. La révision de la première série de mesures devait échoir fin 2013. Or, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2012, nous avons été alertés par les tribunaux d’instance qui nous ont fait valoir qu’il était absolument impossible d’aboutir à la révision de l’intégralité de ces mesures. Leur demande unanime consistait à reporter l’échéance de décembre 2013. J’étais tout à fait disposée à satisfaire cette demande avant d’avoir étudié le problème dans le détail. Mais lorsque nous l’avons examiné, nous nous sommes rendu compte que c’était une fausse bonne idée dans la mesure où le stock se poursuivrait et que le report de l’échéance ne réglerait pas le problème puisque nous aurions à « écluser » – pardonnez-moi pour la trivialité du terme – une année de stock supplémentaire.

J’ai donc pris des mesures conservatoires dans l’immédiat, à savoir le renforcement des tribunaux d’instance par des magistrats, des greffiers, des fonctionnaires et des vacataires, ce qui a permis de résorber l’intégralité des stocks. En décembre 2013, le travail était donc fait grâce à la diligence des personnels permanents ainsi que des personnels arrivés en renfort, mais nous en avons tiré des enseignements. Parmi ceux-ci figure la nécessité de faire en sorte que la révision ne soit pas systématique au terme de cinq ans, parce que certaines situations ne le justifient pas. Le Sénat était relativement réticent, mais votre commission des lois a choisi, et je vous en remercie, d’introduire une disposition qui, dans des conditions tout à fait strictes et encadrées, notamment quand il y a des pathologies lourdes qui sont assez peu susceptibles d’évolution, permet que la mesure de tutelle soit prononcée pour une période supérieure à cinq ans, sans que ce délai puisse toutefois excéder dix ans.

Évidemment, nous avons tous le souci de continuer à protéger les personnes majeures sous protection juridique. Il est bon de rappeler que nous ne touchons pas à une disposition de la loi de 2007 qui permet à de nombreuses personnes de saisir le juge des tutelles à tout moment. Ces personnes sont : le majeur protégé lui-même, évidemment, mais aussi son conjoint ou son partenaire, de même qu’un autre membre de la famille, une personne qui est en relation durable et stable avec ce majeur protégé ou une personne proche, ou même le membre d’une association. Il est donc possible de saisir le juge à tout moment. Par conséquent, la protection juridique de ce majeur demeure, y compris lorsque le juge aura prononcé la révision de la mesure au-delà de cinq ans.

Par ailleurs, nous modifions une disposition assez étonnante de l’article 972 du code civil – il y a des choses étonnantes mais si on ne tombe pas dessus, elles continuent cette vie étonnante. Cette mesure ne permettait pas aux personnes sourdes et muettes de recourir à l’acte authentique pour faire connaître leurs volontés testamentaires. Cela veut dire que ces personnes étaient contraintes, comme tout citoyen, de dicter leurs dernières volontés testamentaires. Nous modifions cette disposition pour permettre à ces personnes de recourir à l’acte authentique devant notaire. Mesdames, messieurs les députés, vous avez facilité l’intervention de l’interprète et je vous en remercie. C’est un sujet dont nous avons également débattu au Sénat.

Nous facilitons la présentation de la preuve pour les héritages modestes. On entend par héritage modeste un héritage plafonné à 5 300 euros. Cela représente 30 %, soit près d’un tiers des héritages en France. Il faut savoir que, dans l’état actuel du droit, c’est le maire qui a compétence pour délivrer le certificat d’hérédité. Or on constate que plus de 60 % des demandes d’attestation d’hérédité sont refusées par les maires pour des raisons que l’on comprend parfaitement. Ils hésitent en effet à engager leur responsabilité, même si le droit l’a prévu ainsi parce que les maires détiennent les registres d’état civil. Les maires considèrent qu’ils ne disposent pas forcément de tous les éléments leur permettant de dire avec certitude qu’il y a exhaustivité dans la liste des personnes appelées à hériter. Par conséquent, les maires sont nombreux à refuser d’accorder ce certificat d’hérédité.

Dans ce texte de loi, nous simplifions la présentation de la preuve parce que jusqu’à maintenant les personnes qui sont concernées par ces héritages modestes avaient pour seule solution alternative de recourir à un acte notarié. Or c’est une dépense supplémentaire, qui coûte en moyenne 200 euros, nous ont dit les notaires, de telle sorte que de nombreuses personnes refusent de plus en plus de faire procéder à la succession. Il faut savoir que le fait de renoncer à la succession ne les pénalise pas forcément beaucoup sur le plan pécuniaire parce que la succession est modeste et qu’il peut y avoir plusieurs héritiers. Mais en renonçant à la succession on renonce aussi aux effets personnels, à des objets qui, s’ils n’ont pas de grande valeur marchande, ont une valeur sentimentale considérable.

Il fallait donc faciliter les choses. Avec les dispositions introduites dans le texte, les héritiers pourront faire valoir leur qualité et accéder à ces successions.

Nous supprimons l’action possessoire. L’action possessoire est une procédure qui suscite sinon des passions, du moins un attachement particulier dans les milieux universitaires. Il faut savoir que l’action possessoire est en train de tomber en désuétude : il y en a eu cent vingt dans l’année 2012 et on y a de moins en moins recours.

Il existe déjà dans le droit la possibilité du référé, qui est une procédure rapide, simple, efficace, alors que l’action possessoire, qui constituait une procédure de proximité, ne l’est plus depuis 2005, depuis qu’elle ne peut plus être jugée en tribunal d’instance mais en tribunal de grande instance, avec par conséquent représentation obligatoire. Elle a donc perdu son caractère de proximité qui faisait son intérêt, en particulier dans les milieux ruraux. Elle n’a pas forcément un caractère supérieur de simplicité. De toute façon, je l’ai dit, elle est assez peu utilisée, alors que le référé est rapide. En outre, le juge peut prononcer dans le cadre du référé une mise en état ou un transport sur les lieux. Il y a donc une sécurité juridique pour les personnes qui ont à faire valoir une propriété immobilière.

Nous modernisons également les relations entre les citoyens et l’administration, en particulier entre les justiciables et les juridictions. Le ministère de la justice a pris du retard en matière de modernisation informatique. Nous essayons de rattraper ce retard. Depuis notre premier budget de la justice, nous avons obtenu et mis en oeuvre les moyens de développer des applications informatiques.

Par ailleurs, le ministère a développé ces dernières années, grâce à des initiatives très dynamiques, des relations numérisées avec les professions du droit. En revanche, avec les justiciables, c’est la lettre qui demeure le mode de communication. Nous introduisons la possibilité de la communication électronique, aussi bien pour les convocations que pour les documents. C’est une introduction progressive, parce que nous sommes vigilants sur le respect des droits des parties et sur la sécurité des procédures, mais cela permettra de nous adapter aux nouvelles pratiques des justiciables, dans la mesure où la lettre recommandée, obligatoire en vertu du code de procédure pénale, n’est pas réclamée dans 80 % des cas. Autrement dit, il s’agit non seulement de travail effectué sans résultat, mais de dépenses en frais de justice : il est donc temps de nous adapter au fait que les justiciables vont plus souvent dans leur boîte électronique qu’au bureau de poste, même s’il se trouve au coin de la rue.

Enfin, nous allons introduire un amendement que je défendrai tout à l’heure. Il s’agit de tenir compte d’une décision récente du Conseil constitutionnel sur la destruction des scellés. Cette décision a été prise vendredi dernier. Le code de procédure pénale permet au procureur de la République de détruire des scellés considérés comme dangereux ou dont la détention peut être illicite. Cela représente des contraintes, budgétaires et logistiques, pour nos juridictions, ainsi que des problèmes de sécurité. Nous réintroduisons, avec des voies de recours, la possibilité pour le procureur de la République de détruire ces scellés.

J’en viens à la troisième grande série de mesures, concernant les contrats et le régime des obligations.

Il était prévu que je vienne devant la commission des lois le 19 février pour débattre de ce sujet, qui est extrêmement important. Il se trouve que c’était le jour du sommet franco-allemand, que nous étions donc retenus en Conseil des ministres et que j’avais des conventions à signer avec mon homologue le ministre fédéral de la justice allemand, ainsi qu’avec le ministre fédéral de l’intérieur, puisque certaines missions de la justice sont partagées en Allemagne. Je n’ai donc pas pu me présenter devant vous et je le regrette profondément. Il a été convenu que nous débattrions de ce sujet directement en séance publique.

Il s’agit de moderniser le droit des contrats, qui remonte au code civil de 1804. Ce droit des contrats et le régime des obligations n’ont guère changé. Ils ont été enrichis par la jurisprudence, à travers d’abondants recours, mais le propre de la jurisprudence est justement sa diversité, voire sa disparité. Les interrogations que la jurisprudence peut introduire ont des conséquences sur la sécurité juridique et la prévisibilité. Par conséquent, il y a lieu aujourd’hui de tenir compte de toute cette jurisprudence pour faire en sorte que le code civil, qui aujourd’hui ne suffit pas, puisse intégrer toutes les évolutions dues à la jurisprudence.

Je rappelle que le droit des contrats ne concerne pas que les professionnels : même si, a priori, on pense que seul le milieu économique est concerné, les particuliers le sont de plus, parce que vous savez bien qu’on signe tous les jours des contrats, parfois sans les lire…

1 commentaire :

Le 29/04/2014 à 09:00, laïc a dit :

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Nous faisons ceci, nous faisons cela, et le peuple, il en pense quoi ? Les gens sont plus ou moins obligés de voter pour des partis politiques en lesquels ils ne se reconnaissent pas, et après ces partis élus se croient permis de faire tout ce qu'ils veulent, sans demander aux citoyens s'ils sont ou non d'accord. C'est inadmissible autant qu'intolérable. C'est de la dictature et non pas de la démocratie. La RDA, République démocratique allemande, se targuait aussi d'être une démocratie, était-elle pour autant une démocratie ? Pareil pour la France d'aujourd'hui, il ne suffit pas de s'autoproclamer une démocratie pour en être une vraiment.

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