La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Monsieur le président, madame la rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames les députées, messieurs les députés, nous allons travailler cette nuit, et très probablement demain encore, sur un projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures. Ce texte s’inscrit dans le chantier ambitieux lancé par le Président de la République qui consiste à s’assurer que le droit, les procédures, les formalités sont bien conçues, pensées et mises en oeuvre au service des citoyens. Ceux-ci doivent pouvoir comprendre ces procédures, elles doivent leur être accessibles, et ils doivent pouvoir échapper à l’arbitraire éventuel du fait d’une méconnaissance de leurs droits. En même temps, il ne s’agit pas de ralentir l’action de l’administration. Il faut donc éviter que ces procédures et ces formalités soient complexes tout en veillant à protéger les citoyens. C’est dans cet esprit que nous avons travaillé sur les dispositions qui vous sont soumises ce soir.
Permettez-moi d’avoir une pensée particulièrement admirative, émue et même attendrie pour Dominique Baudis. Il a passé tellement de temps, a mis tellement d’énergie à veiller à protéger les citoyens, et notamment les plus vulnérables, à s’assurer que le droit soit à leur portée, à s’assurer de leur protection par l’administration et par l’État, que j’ai le sentiment qu’il est présent parmi nous ce soir pour l’accomplissement de cette démarche.
D’ailleurs, je vous présenterai, lors de l’examen de ce texte, un amendement que l’on pourrait appeler « amendement Baudis », tant les dispositions qui y figurent sont directement inspirées par des demandes inspirées par le défenseur des droits.
Le texte que nous examinons compte seize articles et peut se découper en trois grandes catégories de dispositions. Évidemment, ces dispositions sont relativement disparates puisqu’il s’agit de clarifier des procédures, mais il y a une cohérence dans l’ensemble des dispositions du texte.
La première grande catégorie de dispositions concerne l’administration territoriale et l’administration déconcentrée de l’État. Un certain nombre de dispositions sont prises pour lever des contraintes qui pèsent sur ces administrations. Néanmoins, comme je le disais à l’instant, la levée de ces contraintes ne doit pas avoir pour effet de pénaliser le citoyen. Il ne s’agit pas de décharger ou d’alléger l’action, le travail des fonctionnaires pour lesquels nous avons le plus grand respect et dont nous avons conscience qu’ils travaillent parfois dans des conditions extrêmement difficiles, et en contrepartie d’avoir un effet pénalisant sur les citoyens. Nous avons donc veillé à ce que l’action de l’administration soit plus fluide et que toute une série d’actes inutiles ou inutilement complexes soient supprimés, tout en nous assurant que les citoyens en tirent bénéfice.
Dans cette première catégorie figurent des dispositions qui concernent les établissements publics d’éducation, que nous dispensons de l’obligation de transmettre systématiquement au préfet les actes budgétaires qu’ils accomplissent. De même, nous réformons la représentation de l’État devant les juridictions judiciaires, en particulier dans les contentieux d’accidents scolaires.
Nous réformons également les relations entre les conseils communaux d’action sociale et les conseils municipaux. Jusqu’à présent, lorsqu’un CCAS souhaitait contracter un emprunt, il lui fallait un avis conforme du conseil municipal. Nous supprimons cette obligation.
Nous réformons également le droit funéraire, parce que les opérations de surveillance des actions funéraires mobilisaient très fortement les fonctionnaires de la police nationale.
Nous modernisons les relations entre les citoyens et l’administration en introduisant des possibilités de relations numériques. Ainsi, les automobilistes pourront avoir accès, par voie électronique, à l’état de leurs points sur leur permis de conduire.
Nous supprimons des dispositions obsolètes, par exemple celles qui concernent le régime des voitures de petite remise, qui sont en voie de disparition.
Nous supprimons des commissions de consultation qui ne sont plus consultées par personne et nous fusionnons des commissions en vue de permettre un travail plus rationnel, notamment les commissions d’inscription et de discipline qui concernent les administrateurs judiciaires d’un côté, et les mandataires judiciaires de l’autre.
Telles sont les dispositions essentielles de la première grande catégorie relatives à la modernisation de l’État dans le domaine de l’administration territoriale et de l’administration décentralisée.
Par ailleurs, toute une série de dispositions concernent plus directement la justice. Là aussi, nous veillons à ce que la justice puisse tenir compte, dans ses procédures, de l’évolution de la société et nous modernisons un certain nombre de dispositions qui peuvent être très anciennes ou plus récentes. À la lumière des évaluations que nous avons effectuées, nous avons constaté qu’il était possible de simplifier les choses.
Une disposition de 1964 – elle a donc cinquante ans – prévoit qu’en cas de décès de l’un des parents, le veuf ou la veuve se rend immédiatement au tribunal auprès du juge des tutelles de façon que tous les actes qu’il va accomplir sur le patrimoine qui revient aux enfants soient contrôlés par le juge des tutelles. Nous pensons qu’il faut veiller à protéger l’héritage des enfants – y compris lorsqu’il est modeste, parce qu’il ne s’agit pas de prendre des mesures qui protégeraient de gros patrimoines mais qui laisseraient de côté des successions modestes –, mais tout en ne soumettant pas le parent survivant, homme ou femme, à une immixtion systématique du juge des tutelles dans tous ses actes concernant les biens. Nous aménageons donc cette disposition de façon à éviter que des interventions judiciaires qui ne sont pas justifiées par la nécessité viennent compliquer la vie du parent survivant, et en particulier à un moment où il est en situation de détresse.
Nous touchons également à des dispositions plus récentes, notamment à la loi relative à la protection juridique des majeurs. Cette loi, qui a été adoptée en 2007 à une très large majorité, voire à l’unanimité, protège bien les personnes placées sous tutelle. Elle a posé un certain nombre de principes et d’obligations, notamment la révision de ces mesures de tutelle tous les cinq ans. Nous ne touchons pas à l’architecture de ce texte, qui contient de très bonnes dispositions. Par contre, il convenait d’évaluer leur application, ce qui a été réellement fait. La révision de la première série de mesures devait échoir fin 2013. Or, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2012, nous avons été alertés par les tribunaux d’instance qui nous ont fait valoir qu’il était absolument impossible d’aboutir à la révision de l’intégralité de ces mesures. Leur demande unanime consistait à reporter l’échéance de décembre 2013. J’étais tout à fait disposée à satisfaire cette demande avant d’avoir étudié le problème dans le détail. Mais lorsque nous l’avons examiné, nous nous sommes rendu compte que c’était une fausse bonne idée dans la mesure où le stock se poursuivrait et que le report de l’échéance ne réglerait pas le problème puisque nous aurions à « écluser » – pardonnez-moi pour la trivialité du terme – une année de stock supplémentaire.
J’ai donc pris des mesures conservatoires dans l’immédiat, à savoir le renforcement des tribunaux d’instance par des magistrats, des greffiers, des fonctionnaires et des vacataires, ce qui a permis de résorber l’intégralité des stocks. En décembre 2013, le travail était donc fait grâce à la diligence des personnels permanents ainsi que des personnels arrivés en renfort, mais nous en avons tiré des enseignements. Parmi ceux-ci figure la nécessité de faire en sorte que la révision ne soit pas systématique au terme de cinq ans, parce que certaines situations ne le justifient pas. Le Sénat était relativement réticent, mais votre commission des lois a choisi, et je vous en remercie, d’introduire une disposition qui, dans des conditions tout à fait strictes et encadrées, notamment quand il y a des pathologies lourdes qui sont assez peu susceptibles d’évolution, permet que la mesure de tutelle soit prononcée pour une période supérieure à cinq ans, sans que ce délai puisse toutefois excéder dix ans.
Évidemment, nous avons tous le souci de continuer à protéger les personnes majeures sous protection juridique. Il est bon de rappeler que nous ne touchons pas à une disposition de la loi de 2007 qui permet à de nombreuses personnes de saisir le juge des tutelles à tout moment. Ces personnes sont : le majeur protégé lui-même, évidemment, mais aussi son conjoint ou son partenaire, de même qu’un autre membre de la famille, une personne qui est en relation durable et stable avec ce majeur protégé ou une personne proche, ou même le membre d’une association. Il est donc possible de saisir le juge à tout moment. Par conséquent, la protection juridique de ce majeur demeure, y compris lorsque le juge aura prononcé la révision de la mesure au-delà de cinq ans.
Par ailleurs, nous modifions une disposition assez étonnante de l’article 972 du code civil – il y a des choses étonnantes mais si on ne tombe pas dessus, elles continuent cette vie étonnante. Cette mesure ne permettait pas aux personnes sourdes et muettes de recourir à l’acte authentique pour faire connaître leurs volontés testamentaires. Cela veut dire que ces personnes étaient contraintes, comme tout citoyen, de dicter leurs dernières volontés testamentaires. Nous modifions cette disposition pour permettre à ces personnes de recourir à l’acte authentique devant notaire. Mesdames, messieurs les députés, vous avez facilité l’intervention de l’interprète et je vous en remercie. C’est un sujet dont nous avons également débattu au Sénat.
Nous facilitons la présentation de la preuve pour les héritages modestes. On entend par héritage modeste un héritage plafonné à 5 300 euros. Cela représente 30 %, soit près d’un tiers des héritages en France. Il faut savoir que, dans l’état actuel du droit, c’est le maire qui a compétence pour délivrer le certificat d’hérédité. Or on constate que plus de 60 % des demandes d’attestation d’hérédité sont refusées par les maires pour des raisons que l’on comprend parfaitement. Ils hésitent en effet à engager leur responsabilité, même si le droit l’a prévu ainsi parce que les maires détiennent les registres d’état civil. Les maires considèrent qu’ils ne disposent pas forcément de tous les éléments leur permettant de dire avec certitude qu’il y a exhaustivité dans la liste des personnes appelées à hériter. Par conséquent, les maires sont nombreux à refuser d’accorder ce certificat d’hérédité.
Dans ce texte de loi, nous simplifions la présentation de la preuve parce que jusqu’à maintenant les personnes qui sont concernées par ces héritages modestes avaient pour seule solution alternative de recourir à un acte notarié. Or c’est une dépense supplémentaire, qui coûte en moyenne 200 euros, nous ont dit les notaires, de telle sorte que de nombreuses personnes refusent de plus en plus de faire procéder à la succession. Il faut savoir que le fait de renoncer à la succession ne les pénalise pas forcément beaucoup sur le plan pécuniaire parce que la succession est modeste et qu’il peut y avoir plusieurs héritiers. Mais en renonçant à la succession on renonce aussi aux effets personnels, à des objets qui, s’ils n’ont pas de grande valeur marchande, ont une valeur sentimentale considérable.
Il fallait donc faciliter les choses. Avec les dispositions introduites dans le texte, les héritiers pourront faire valoir leur qualité et accéder à ces successions.
Nous supprimons l’action possessoire. L’action possessoire est une procédure qui suscite sinon des passions, du moins un attachement particulier dans les milieux universitaires. Il faut savoir que l’action possessoire est en train de tomber en désuétude : il y en a eu cent vingt dans l’année 2012 et on y a de moins en moins recours.
Il existe déjà dans le droit la possibilité du référé, qui est une procédure rapide, simple, efficace, alors que l’action possessoire, qui constituait une procédure de proximité, ne l’est plus depuis 2005, depuis qu’elle ne peut plus être jugée en tribunal d’instance mais en tribunal de grande instance, avec par conséquent représentation obligatoire. Elle a donc perdu son caractère de proximité qui faisait son intérêt, en particulier dans les milieux ruraux. Elle n’a pas forcément un caractère supérieur de simplicité. De toute façon, je l’ai dit, elle est assez peu utilisée, alors que le référé est rapide. En outre, le juge peut prononcer dans le cadre du référé une mise en état ou un transport sur les lieux. Il y a donc une sécurité juridique pour les personnes qui ont à faire valoir une propriété immobilière.
Nous modernisons également les relations entre les citoyens et l’administration, en particulier entre les justiciables et les juridictions. Le ministère de la justice a pris du retard en matière de modernisation informatique. Nous essayons de rattraper ce retard. Depuis notre premier budget de la justice, nous avons obtenu et mis en oeuvre les moyens de développer des applications informatiques.
Par ailleurs, le ministère a développé ces dernières années, grâce à des initiatives très dynamiques, des relations numérisées avec les professions du droit. En revanche, avec les justiciables, c’est la lettre qui demeure le mode de communication. Nous introduisons la possibilité de la communication électronique, aussi bien pour les convocations que pour les documents. C’est une introduction progressive, parce que nous sommes vigilants sur le respect des droits des parties et sur la sécurité des procédures, mais cela permettra de nous adapter aux nouvelles pratiques des justiciables, dans la mesure où la lettre recommandée, obligatoire en vertu du code de procédure pénale, n’est pas réclamée dans 80 % des cas. Autrement dit, il s’agit non seulement de travail effectué sans résultat, mais de dépenses en frais de justice : il est donc temps de nous adapter au fait que les justiciables vont plus souvent dans leur boîte électronique qu’au bureau de poste, même s’il se trouve au coin de la rue.
Enfin, nous allons introduire un amendement que je défendrai tout à l’heure. Il s’agit de tenir compte d’une décision récente du Conseil constitutionnel sur la destruction des scellés. Cette décision a été prise vendredi dernier. Le code de procédure pénale permet au procureur de la République de détruire des scellés considérés comme dangereux ou dont la détention peut être illicite. Cela représente des contraintes, budgétaires et logistiques, pour nos juridictions, ainsi que des problèmes de sécurité. Nous réintroduisons, avec des voies de recours, la possibilité pour le procureur de la République de détruire ces scellés.
J’en viens à la troisième grande série de mesures, concernant les contrats et le régime des obligations.
Il était prévu que je vienne devant la commission des lois le 19 février pour débattre de ce sujet, qui est extrêmement important. Il se trouve que c’était le jour du sommet franco-allemand, que nous étions donc retenus en Conseil des ministres et que j’avais des conventions à signer avec mon homologue le ministre fédéral de la justice allemand, ainsi qu’avec le ministre fédéral de l’intérieur, puisque certaines missions de la justice sont partagées en Allemagne. Je n’ai donc pas pu me présenter devant vous et je le regrette profondément. Il a été convenu que nous débattrions de ce sujet directement en séance publique.
Il s’agit de moderniser le droit des contrats, qui remonte au code civil de 1804. Ce droit des contrats et le régime des obligations n’ont guère changé. Ils ont été enrichis par la jurisprudence, à travers d’abondants recours, mais le propre de la jurisprudence est justement sa diversité, voire sa disparité. Les interrogations que la jurisprudence peut introduire ont des conséquences sur la sécurité juridique et la prévisibilité. Par conséquent, il y a lieu aujourd’hui de tenir compte de toute cette jurisprudence pour faire en sorte que le code civil, qui aujourd’hui ne suffit pas, puisse intégrer toutes les évolutions dues à la jurisprudence.
Je rappelle que le droit des contrats ne concerne pas que les professionnels : même si, a priori, on pense que seul le milieu économique est concerné, les particuliers le sont de plus, parce que vous savez bien qu’on signe tous les jours des contrats, parfois sans les lire…
On signe des contrats avec le fournisseur d’électricité, avec les assurances, avec le plombier, avec le propriétaire du logement qu’on occupe… En fait, dans la vie quotidienne des citoyens, les contrats ont pris une place extrêmement importante.
Il faut donc introduire de la prévisibilité, il faut moderniser en intégrant la jurisprudence, il faut aussi rechercher la cohérence car, aujourd’hui, dans le code civil, il n’y a pas de dispositions concernant la partie pré-contractuelle. Nous proposons donc d’introduire dans l’ordre chronologique toutes les discussions préalables au contrat, la période de contractualisation, l’exécution du contrat et enfin les conditions de sa rupture.
Les enjeux sont considérables, aussi bien pour les milieux économiques que pour nos concitoyens. Ce qui est important, c’est de retenir que les principes qui inspirent ces dispositions ne changent pas.
Le premier principe du contrat est le consensualisme. Il est bon, d’ailleurs, de rappeler que le contrat est issu de la Révolution française. Les premières lois qui modifient le régime du contrat sont des lois de 1841 : ce sont des lois sociales qui tenaient compte du fait qu’il existait un déséquilibre flagrant entre les parties, de sorte qu’il y avait le travail des enfants, une dégradation de la situation et de la santé des ouvriers, un usage de l’arbitraire dans les relations contractuelles. La loi est donc venue corriger tout cela.
En tout cas, le contrat trouve ses origines dans la Révolution ; il est inscrit dans le code civil de 1804. Les principes sont respectés, à savoir : le consensualisme d’abord, ce qui signifie que les parties sont d’accord, la bonne foi, la protection de la partie la plus vulnérable et enfin la prévisibilité, qui n’est plus garantie actuellement, puisqu’il faut se référer à une jurisprudence abondante et dispersée.
Pour ces raisons, je vous demande d’habiliter le Gouvernement à modifier ce droit des contrats et ce régime des obligations, en vous rappelant qu’il vous reste une matière extrêmement importante : la responsabilité civile. Elle fera l’objet d’un débat, si vous le souhaitez, bien sûr, et si vous l’inscrivez à l’ordre du jour du Parlement. En sollicitant votre confiance…
Sourires.
Non, non, je n’irai pas jusque là… Je ne vous demande que d’habiliter le Gouvernement à faire ce travail, qui est préparé de longue date. À l’occasion du bicentenaire du code civil, il a été annoncé qu’un projet de loi viendrait modifier le droit des contrats et le régime des obligations. Des rapports de très grande qualité ont été publiés : ceux de M. Catala, de M. Terré, des travaux de parlementaires comme ceux de Mme Karamanli, de M. le député Blanc, des sénateurs Anziani et Béteille. Ces travaux ont été alimentés par des réflexions d’universitaires et par la participation d’acteurs économiques. Ces matériaux étaient à notre disposition et nous avons donc pu préparer des projets d’ordonnances.
Le moment est venu de moderniser le droit des contrats. Je vous demande donc d’habiliter le Gouvernement à le faire. Si vous l’acceptez, vous permettrez que nous modernisions vraiment le droit et les procédures, de façon à faciliter la vie quotidienne de nos concitoyens et à faire en sorte qu’ils ne soient pas « submergés par le droit », comme l’État l’est. Cela, c’était une parole du doyen Carbonnier. Faisons en sorte de cesser d’être submergés par notre droit.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
La parole est à Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi dont nous sommes saisis s’inscrit dans le cadre du chantier très ambitieux et nécessaire de la simplification qui a été ouvert par le Président de la République.
Ce processus de simplification repose sur une démarche nouvelle, qui consiste à privilégier des textes très ciblés sur des domaines bien identifiés, contrairement aux précédentes lois de simplification, qui présentaient un aspect fourre-tout et étaient très volumineuses. Je salue ce changement de méthode et me félicite de ces mesures de simplification et de modernisation, utiles et bienvenues, très attendues des justiciables, des fonctionnaires et de nos concitoyens.
Le recours aux ordonnances, s’il est possible et légitime, doit quand même rester exceptionnel.
Il appelle de notre part un contrôle très rigoureux. La commission des lois a donc veillé, dans la continuité du travail déjà mené en ce sens par le Sénat, à ce que les habilitations sollicitées soient les plus précises possibles. Elle a substitué, lorsque cela était envisageable, des modifications directes du droit en vigueur à des habilitations.
Ce projet comporte désormais dix-neuf articles, qui visent à simplifier, à clarifier et à moderniser le droit sur des sujets divers, que Mme la garde des Sceaux a énoncés.
Il porte d’abord sur le droit civil : la protection juridique des majeurs et des mineurs, le droit des successions, le droit des obligations et des contrats, comme cela vient de nous être expliqué, le droit des biens et celui des procédures d’exécution. Il s’agit donc de domaines essentiels. La question du divorce est également abordée.
Le projet modifie aussi l’organisation de la justice, avec la réforme importante du tribunal des conflits.
Il concerne également la procédure pénale, avec une habilitation ouvrant la possibilité de procéder à des communications par la voie électronique, ainsi que l’administration de l’État et des collectivités territoriales.
Je n’aborderai que les dispositions qui me paraissent les plus significatives.
L’article 1er a ainsi pour objet de simplifier les règles relatives à l’administration légale. Il vise à alléger le contrôle exercé par le juge dans le cadre de l’administration légale dite « sous contrôle judiciaire », applicable lorsqu’un seul parent est titulaire de l’autorité parentale et l’exerce. L’objectif poursuivi est de réserver l’intervention du juge, réellement mal vécue par les familles concernées, car il intervient généralement à la suite du décès brutal de l’un des parents, au contrôle des actes les plus importants.
Le second objet de cet article est de réformer la protection juridique des majeurs, vous l’avez exposé madame la garde des sceaux. Il autorise le Gouvernement à créer un nouveau dispositif d’habilitation intrafamilial par la justice : alternatif aux mesures de protection, il s’inspire de celui prévu au profit de l’époux par les articles 217 et 219 du code civil. Le projet de loi allonge également la durée initiale des mesures de protection, portée de cinq à dix ans pour les personnes dont l’état n’est manifestement pas susceptible de s’améliorer selon les données acquises de la science. La commission des lois a souhaité compléter cet allongement en encadrant la durée des mesures de protection d’une personne souffrant de la même altération de ses facultés intellectuelles, en fixant un plafond de vingt ans lors d’une mesure de renouvellement.
La commission des lois a déjà approuvé cette simplification qui met enfin un terme à une discrimination. Elle a même été plus loin en permettant aux personnes pouvant s’exprimer en langue française de recourir elles aussi à un interprète pour établir de la même façon leur testament authentique.
La seconde mesure vise à simplifier le mode de preuve de la qualité d’héritier pour les successions les plus modestes. En l’état du droit, cette preuve ne peut être apportée que par un acte – coûteux – de notoriété établi par le notaire ou par un certificat d’hérédité – gratuit, celui-ci – délivré par les maires mais ces derniers refusent dans plus de 60 % des cas de le faire car ils estiment ne pas disposer de toutes les informations nécessaires et, surtout – ce que l’on peut comprendre – ils ne veulent pas engager leur responsabilité.
Vous l’avez dit tout à l’heure, le nombre de renonciations augmente : il a crû de plus de 25 % entre 2004 et 2012 – où près de 75 000 renonciations à des successions ont été enregistrées. En commission des lois, nous avons précisé la finalité de l’habilitation que vous avez sollicitée.
Cet article comporte également une habilitation relative aux pouvoirs liquidatifs du juge du divorce que la commission a également clarifiés dans le sens de leur renforcement, dans un souci, que nous partageons, de simplification, d’accélération de la procédure, mais aussi, d’apaisement de ces procédures de divorce, de liquidation et de partage de communautés.
L’article 3, article majeur de ce texte – le plus discuté aussi – a été supprimé par le Sénat. Il a pour objet d’habiliter le Gouvernement à réformer le droit des obligations et des contrats par voie d’ordonnance.
Je ne pense pas que l’on puisse aujourd’hui nier l’urgence et la nécessité de cette réforme, tant elle est attendue depuis des années – personne ne pourra vraiment discuter ces deux points. Ce droit, partie immuable du code civil, n’a pas été réformé depuis 1804 et est aujourd’hui inadapté. Finalement, c’est la jurisprudence qui l’a construit et qui a fini par l’adapter aux innovations et aux mutations de la société.
Le droit des contrats et des obligations n’est plus dans le code civil, mais il doit être recherché dans la jurisprudence ou dans le Bulletin civil des arrêts de la Cour de cassation, ce qui soulève des problèmes en termes de lisibilité, de sécurité juridique et d’accessibilité de notre droit non seulement pour la vie des entreprises mais, comme vous l’avez dit, pour les particuliers et, tout simplement, pour les consommateurs.
Aujourd’hui, des pans entiers du droit des contrats se trouvent dans d’autres codes. Tout ce qui concerne la période la plus importante, la période pré-contractuelle – qui suscite le plus souvent des litiges – n’est pas traité par le code civil.
Vous l’avez dit, cette réforme est en préparation depuis plus de dix ans et plusieurs projets ont été présentés par des universitaires – les professeurs Catala et Terré ont travaillé, tout comme la Chancellerie, les parlementaires et la précédente majorité.
Aujourd’hui, si je peux comprendre la réaction du Sénat quant au principe même des ordonnances, je ne pense pas que l’on puisse mettre en cause la nécessité de la réforme. Après nombre de discussions – je vous l’avoue, madame la garde des sceaux –, nous avons compris qu’il était nécessaire et que, par voie de conséquence et peut-être par exception, ce recours s’imposait.
Le Gouvernement a donc déposé un amendement visant à rétablir cette possibilité d’habilitation. J’y serai favorable, même si je peux comprendre les réticences du Sénat. Franchement, soyons très réalistes : sommes-nous en mesure d’inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée un texte aussi volumineux dans un avenir proche ? Tout le monde connaît la réponse. Refuser l’habilitation, ce serait donc reporter sine die cette réforme dont nous sommes tous d’accord pour dire qu’elle est nécessaire.
L’article 7, qui réforme le tribunal des conflits, mérite également que l’on s’y attarde quelque peu. Cet article, qui était initialement d’habilitation, a été finalement remplacé par des modifications d’application directe de la loi du 24 mai 1872. Celles-ci reprennent les propositions du groupe de travail qui a été chargé de réfléchir à cette réforme à votre demande, sous la présidence de M. Gallet, conseiller à la Cour de cassation.
L’innovation principale, c’est la suppression de la présence du garde des sceaux et de sa présidence du tribunal des conflits – c’était assez incroyable ! Vestige de la justice retenue et héritage du passé, cette participation d’un ministre à l’activité juridictionnelle devenait difficilement compatible avec les notions d’indépendance et d’impartialité qui gouvernent nos juridictions et notre droit ainsi qu’avec les exigences constitutionnelles ou conventionnelles.
À l’avenir, le tribunal des conflits sera présidé par son vice-président actuel, qui est alternativement issu de l’un et de l’autre ordre de juridiction. Le mécanisme de résolution en cas de partage égal des voix consiste à procéder à une seconde délibération puis, en cas de blocage persistant, à compléter la formation ordinaire par deux autres conseillers d’État et deux autres conseillers de la Cour de cassation dans le cadre du maintien de ce système de parité de membres de la formation de jugement. Cela signifie que le blocage peut perdurer, mais faisons confiance à ces hauts magistrats pour qu’ils trouvent ensemble la résolution du litige soumis à leur appréciation !
La réforme prévoit également – et c’est très intéressant – que le président pourra statuer, ce qui est nouveau, par voie d’ordonnance dans les affaires simples et étend la compétence du tribunal des conflits à l’indemnisation de la durée excessive de certaines procédures ce qui, avouons-le, peut parfois arriver.
L’article 8 définit les conditions dans lesquelles l’autorité judiciaire peut adresser des convocations, avis et documents par voie électronique aux auxiliaires de justice et aux personnes impliquées dans une procédure pénale, en entourant cette possibilité d’un certain nombre de garanties.
Je dois noter qu’il s’agit d’une mesure importante destinée à alléger le travail des greffes – ce qu’ils souhaitent – afin de pouvoir vraiment se concentrer sur le coeur de leur mission. Je pense que cela modifiera complètement leur travail et améliorera au quotidien leurs relations avec les auxiliaires de justice.
L’article 9 englobe une douzaine de mesures de simplification administrative de demandes d’habilitation ou de mesures d’application directe. Certaines ont pour objet d’alléger les missions des services préfectoraux au profit des collectivités territoriales et de leurs établissements publics ; d’autres visent à abroger des régimes juridiques obsolètes tel que celui des voitures dites « de petite remise » ; d’autres encore, comme la suppression de l’autorisation du préfet pour rendre exécutoires les emprunts des centres communaux d’action sociale, les CCAS, ont pour but d’assouplir certaines procédures administratives beaucoup trop lourdes.
La commission des lois a également complété le projet de loi à l’initiative de M. Edouard Fritch et de plusieurs élus de Polynésie française. Les articles 14 bis et 14 ter tendent ainsi à répondre à des problèmes fonciers récurrents en permettant au tribunal foncier de la Polynésie française – dont la création est prévue depuis la loi du 27 février 2004 complétant le statut d’autonomie de la Polynésie française – de démarrer enfin son activité.
À titre personnel, mais rejointe par plusieurs collègues, je vous inviterai à adopter plusieurs amendements rédactionnels, mais surtout un amendement cosigné principalement par M. Jean Glavany, Mme Cécile Untermaier et les membres du groupe SRC visant tout simplement à clarifier la définition juridique de l’animal dans notre code civil. En effet, le statut qui lui est aujourd’hui reconnu ne correspond plus du tout à la place que l’on doit lui donner.
Il s’agit d’une avancée qui ne bouleverse pas pour autant l’ordre juridique. Le dispositif que nous proposons évite de créer une catégorie intermédiaire entre les personnes et les biens tout en reconnaissant toutefois – c’est important – le caractère d’être sensible de l’animal, comme le fait déjà le code rural. Il s’agit donc d’une disposition extrêmement simple qui ne bouleverse pas le droit mais qui, enfin, modernise les textes et fournit une définition juridique de l’animal, ni plus, ni moins. Voilà les explications que je souhaitais vous donner.
Pour toutes ces raisons, vous êtes donc invités à adopter ce projet de loi qui comporte, comme je vous l’ai indiqué, de nombreuses mesures de simplification et de modernisation utiles, cohérentes et toutes très attendues.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe RRDP.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous abordons ce soir l’examen d’un texte dont notre assemblée est coutumière : d’importantes entreprises de simplification ont été menées sous la précédente législature et, rappelons-le, ce projet de loi constitue le quatrième texte de simplification par voie d’ordonnance que notre assemblée est appelée à connaître au cours de la présente législature.
Sans conteste, toute initiative qui vise à simplifier notre arsenal juridique a vocation à nous rassembler, tous autant que nous sommes. Face à l’inflation législative qui s’est emparée de nos assemblées ces dernières années, face à une complexification croissante du droit, nul ne peut mettre en cause la nécessité de restaurer, au nom des principes d’accessibilité et d’intelligibilité du droit, la qualité et la lisibilité de notre norme juridique car lorsque la loi de la République devient l’affaire des seuls spécialistes, c’est bien la crédibilité de la norme juridique elle-même qui est en cause. Au-delà, c’est le sentiment de proximité du citoyen envers l’État et la confiance que celui-ci place dans les pouvoirs publics qui s’en trouvent affectés.
Il est donc de notre devoir de législateur de prendre une part active et directe à la dynamique de simplification, de modernisation et d’amélioration de la qualité de notre droit.
Ainsi, c’est avec conviction, mes chers collègues, que les députés du groupe UDI adhèrent à cette volonté de simplifier, de moderniser le droit et les procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. C’est là du reste une exigence à même de tous nous rassembler.
On peut néanmoins regretter, à nouveau, la portée très large et assez vague de ce texte.
Mais permettez-moi d’en profiter pour vous parler du volet foncier en Polynésie française car l’urgence de la situation n’autorise plus le maintien du statu quo actuel. Il nous faut avancer, et vite !
La Polynésie française, effectivement, se caractérise par des traditions en matière d’accès et de valorisation des biens fonciers qui diffèrent largement de celles qui furent à la base des dispositions consacrées, en France métropolitaine, par le code civil.
Grossièrement, à un principe traditionnel – et très océanien – de propriété et d’exploitation collective des terres ont été substituées une appropriation et une exploitation individuelle de celles-ci depuis l’application du code civil en Polynésie française.
La mise en oeuvre des principes du code civil a imposé une parfaite connaissance des différentes terres composant le territoire de chacune des îles ou de chacun des atolls de la Polynésie française.
Le premier cadastre digne de ce nom est toujours en cours actuellement, et à grands frais. Plus d’un siècle après le démarrage de cette politique, de nombreux conflits touchant à la délimitation des terres nourrissent la chronique judiciaire et encombrent les juridictions civiles de droit commun au quotidien.
L’application correcte des principes du code civil suppose donc la connaissance tout aussi parfaite de leurs propriétaires légitimes, d’origine ou successifs. La fiabilité de l’état civil, la question des généalogies sont donc toujours au coeur de la problématique foncière polynésienne.
Compte tenu de ce qui précède, la situation foncière en Polynésie française en 2014 se caractérise par une indivision non purgée, constituée à grande échelle et sur plusieurs générations, situation pénalisante pour la sérénité des familles et contraignante pour la vie économique de notre pays.
Conscients de ces handicaps qui empoisonnent la paix civile, engorgent les tribunaux civils et entravent le développement économique du pays, les pouvoirs publics ont créé – je cite la loi statutaire – un « collège d’experts en matière foncière consulté sur toute question relative à la propriété foncière en Polynésie française et qui propose à l’assemblée générale des magistrats de la cour d’appel des personnes qualifiées en matière de propriété foncière pour y être agréées comme assesseurs aux tribunaux statuant en matière foncière ou comme experts judiciaires ».
Il demeure largement sous-employé dans ses attributions de conseil, mais aussi dans ses fonctions de propositions d’assesseurs, puisque – nous y reviendrons – le tribunal foncier n’est toujours pas une réalité dix ans après son inscription dans la loi statutaire régissant les pouvoirs publics polynésiens.
Enfin, la création de la commission de conciliation obligatoire en matière foncière a pour finalité d’être essentiellement un moyen de recherche d’une conciliation et de mettre en état une affaire, par nature complexe et très conflictuelle, appelée à être jugée, faute justement de conciliation.
Enfin, force est de reconnaître qu’elle n’a pas contribué suffisamment à la résolution de fond des contentieux fonciers en raison, d’une part, d’une submersion de la commission – comme du tribunal – par le nombre d’affaires à traiter annuellement et, d’autre part, du refus des parties de se concilier, eu égard à l’évolution des mentalités et à la complexité de plus en plus aiguë des successions.
Pour tenter d’améliorer encore plus les choses, le législateur a prévu la création en Polynésie française d’un tribunal foncier, juridiction spécialisée.
Comme je le disais tantôt, l’installation de cette nouvelle juridiction n’est toujours pas effective à ce jour, lors même qu’elle apparaît comme un instrument essentiel de la solution des litiges fonciers en Polynésie française.
Le fait que l’État n’ait pas pris l’ordonnance prévue à l’article 17 de la loi statutaire du 27 février 2004 installant ce tribunal a fortement contribué à empirer le problème foncier en Polynésie, et le pays n’est plus en situation de faire face tout seul à l’évolution croissante de la demande et du nombre de conflits fonciers. Vous devez être informée, madame la garde des sceaux, que près de mille dossiers sont en souffrance au sein de la chambre des terres, et le mouvement s’amplifie ! La Polynésie française est tout à fait disposée aujourd’hui à se responsabiliser et à mobiliser toute l’intelligence de ses services pour oeuvrer, de concert avec l’État, à la modernisation des modes de gestion de la question foncière polynésienne.
En résumé, la situation foncière en Polynésie française apparaît de plus en plus préoccupante et de nature à entraver la relance économique du pays ; elle est en outre un élément de dissension intrafamiliale, donc de troubles potentiels à l’ordre public. La situation est donc réellement préoccupante à de multiples égards.
Les juridictions de l’ordre civil actuelles ne sont plus en capacité de répondre à l’ampleur de la demande et il nous faut donc compléter, sur ce point, nos instruments juridictionnels et notre outil administratif. De ce point de vue, madame la rapporteure, je sais gré aux membres de la commission des lois d’avoir retenu ma proposition d’amendement visant à inscrire, dans le projet de loi en discussion, les dispositions afférentes aux assesseurs. Encore que celui-ci, pour être complet, devra intégrer des dispositions ne pouvant émaner, en vertu de l’article 40 de la Constitution, que d’un amendement du Gouvernement sur la rémunération de ces assesseurs.
Tout cela demande évidemment à être mis en oeuvre à la suite de concertations étroites entre l’État et le pays. C’est la raison pour laquelle, en vue du dégagement en commun de solutions constructives sur tous ses sujets, nous réitérons notre demande à Mme la garde des sceaux de bien vouloir consentir à l’envoi en Polynésie française d’une mission de spécialistes de la Chancellerie chargés, de concert avec les services du pays et les professionnels locaux du droit, d’élaborer un rapport de situation et de formuler, sur tous ces sujets, des préconisations et des projets de texte de modernisation à mettre en oeuvre.
Le Gouvernement propose de légiférer par ordonnance. Ainsi que mes collègues du groupe UDI vous l’ont fait remarquer lors de l’examen des précédents textes de simplification, nous sommes réservés sur le choix du recours aux ordonnances, qui comporte toujours le risque que le Gouvernement n’utilise pas les habilitations qui lui ont été accordées par le législateur. Il a en outre un défaut : celui d’échapper à notre contrôle.
Même si je dois dire que Mme la rapporteure m’a plutôt rassurée ce soir,…
…nous nous félicitons que les débats, au Sénat, comme à la commission des lois de notre assemblée, aient permis de faire évoluer le texte en privilégiant l’adoption directe des mesures envisagées, sans faire systématiquement le choix des ordonnances.
Ainsi, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous serons particulièrement vigilants quant à la mise en oeuvre effective de ces mesures et nous veillerons à ce que le Parlement puisse exercer pleinement et sereinement sa mission. En dépit de ces réserves, parce que ce texte procède d’une intention louable et oeuvre en faveur de la simplification du droit et des procédures, le groupe UDI le soutiendra.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, mes chers collègues, en mai 2013, le Président de la République a lancé un grand projet intitulé « choc de simplification », visant à modifier au quotidien la vie de tous les Français. Dans un souci de rapidité et d’efficacité, il a été jugé préférable que cette simplification se fasse principalement par voie d’ordonnances et nous voici aujourd’hui réunis pour discuter de ce texte, relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
C’est le quatrième texte dont nous sommes amenés à discuter pour déterminer les domaines dans lesquels le Parlement habilite le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative, en vertu de l’article 38 de la Constitution. Le Gouvernement respecte donc ses engagements de simplification et de modernisation du droit en proposant, une nouvelle fois, un texte de taille modérée, ciblé précisément sur certains domaines et alternant demandes d’habilitation et mesures directement applicables.
Le présent projet de loi concerne quatre domaines. D’abord, le droit civil, puisqu’il prévoit de modifier certaines règles relatives à la protection juridique des majeurs et des mineurs, ainsi que des dispositions relatives au droit des successions, des obligations et des contrats, d’une part, et à celui des biens et des procédures d’exécution, d’autre part. Il porte, deuxièmement, sur l’organisation de la justice, avec la réforme de l’organisation du tribunal des conflits. La procédure pénale évolue elle aussi – c’est le troisième point –, puisqu’il est prévu d’étendre la mise en oeuvre des communications électroniques officielles. Enfin, différentes règles relatives à l’administration de l’État et des collectivités territoriales devraient, elles aussi, connaître une mise à jour, afin de les rendre plus simples et plus adaptées au mode de fonctionnement de notre société.
Je tiens à féliciter notre rapporteure, Colette Capdevielle, pour la qualité de son travail, et le Gouvernement pour la coopération et l’écoute dont il a su faire preuve. Pour nécessaire qu’il soit, ce mode opératoire suscite néanmoins quelques réserves légitimes, chez nous autres parlementaires ; réserves que les sénateurs ont exprimées lors de l’examen en première lecture, notamment en supprimant l’article 3 habilitant le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnance le droit des obligations et des contrats.
Le Sénat a estimé que l’argument opposé par le Gouvernement, tendant à dire que cette réforme était trop technique pour que le Parlement légifère sur ce sujet était irrecevable…
Je n’ai jamais dit cela !
…puisque des réformes d’envergure ont été menées par le passé – en témoigne celle de 2005 sur le droit des successions.
Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, bien que persuadé que le Parlement aurait été tout à fait en mesure de mener à bien une telle réforme…
…reconnaît, en l’état, l’urgence d’un tel dépoussiérage du livre III du code civil, qui n’a pas connu de remaniement depuis 1804, et l’opportunité que représente la voie d’action par ordonnances. Tous les experts s’accordent à dire, depuis bien trop longtemps, qu’il faut réformer cette branche du droit civil, où la jurisprudence a pris une place considérable.
Puisque Mme la garde des sceaux n’a pu prendre part au débat sur cet article 3 lors de l’examen du texte en commission, qui a eu lieu en même temps qu’un Conseil des ministres européen, j’espère que nous aurons aujourd’hui un débat constructif et que Mme la ministre saura convaincre l’ensemble de l’hémicycle du bien-fondé de cette disposition.
Si nous accordons notre confiance au Gouvernement et à vous, madame la garde des sceaux, pour mener à bien cette simplification et cette modernisation du droit, nécessaire et bénéfique pour tous, nous serons attentifs au respect de l’équilibre des pouvoirs.
Nous saluons l’initiative du Gouvernement de réorganiser le tribunal des conflits. Il était en effet devenu anormal et désuet, dans un système qui se veut respectueux de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice, que le garde des sceaux préside cette instance.
Étendre la communication par voie électronique est un signe positif de modernité. Mais, bien que plus rapide et plus économique, cette pratique pose tout de même le problème de la preuve de la convocation, que nous devons résoudre lors de nos débats.
Toujours dans cet esprit de simplification, de modernisation et de cohérence, le groupe RRDP, à l’initiative de M. Thierry Braillard, qui est désormais un membre de votre gouvernement, a déposé un amendement reprenant l’une de ses propositions de loi, relative au principe d’égalité en matière successorale. Cet amendement trouve toute sa place dans le présent projet de loi, puisqu’il a pour objet de combler le vide juridique laissé par la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2011 sur une question prioritaire de constitutionnalité, qui désavantage les héritiers français pouvant se retrouver déshérités par leurs parents vivant à l’étranger, alors même que le droit français l’interdit. En créant un droit de prélèvement sur les biens situés en France, cet amendement entend supprimer l’injustice subie par ces héritiers lésés.
J’entends déjà l’argument selon lequel cet amendement se heurterait au droit communautaire. J’y répondrai lorsque je présenterai ledit amendement dans quelques instants, et j’ajoute que cet argument aurait été recevable si nous n’avions examiné, juste avant ce texte, une proposition de loi relative à l’interdiction des OGM qui, si elle est promulguée, sera parfaitement contraire au droit communautaire et sera immanquablement annulée par la justice européenne lors d’un recours en manquement, qui est incontournable.
Nonobstant, le groupe RRDP votera ce texte, car il apporte plus d’efficacité et de clarté à notre droit français, mais il restera vigilant quant au contenu des ordonnances et de la loi de ratification, telle que prévue par notre Constitution.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, chers collègues, nous voici en présence d’un nouveau projet de loi, qui vise notamment à habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances. Après le texte visant à simplifier et sécuriser la vie des entreprises et celui relatif à la simplification des relations entre l’administration et les citoyens, nous examinons donc aujourd’hui un projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. À l’ensemble de ces projets de loi, nous pouvons ajouter le texte sur la réforme de la commission consultative d’évaluation des normes, afin de retrouver l’ensemble des mesures constituant le choc de simplification annoncé par le Président de la République. Ce dernier a en effet souhaité engager, au bénéfice des entreprises et de l’ensemble des usagers de l’administration, des mesures de nature à leur permettre de se libérer de certaines tâches administratives pouvant être modernisées.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui vise à modifier diverses dispositions techniques, notamment dans le code civil, afin de les simplifier, de les rendre plus lisibles ou de les moderniser, tant pour la justice, que pour l’administration et ses usagers. Toutefois, même s’il est parfois nécessaire, ce choc de simplification se heurtera forcément à la réalité d’un monde et d’une société de plus en plus complexes.
Le Gouvernement a choisi de recourir aux ordonnances prévues par l’article 38 de notre Constitution, au motif qu’il évitera l’examen par le Parlement de ces nombreuses dispositions techniques, qui entraînerait un encombrement excessif du travail parlementaire. Nous le répétons une nouvelle fois à l’occasion de l’examen de ce projet de loi : quelles que soient la pertinence et l’urgence à intervenir pour mettre en oeuvre le « choc de simplification », on ne peut que regretter, en tant que parlementaires, que le débat ne puisse avoir lieu au Parlement, avec un projet de loi simple sur les questions complexes du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
En effet, le champ de ce projet de loi est vaste, il englobe des sujets très divers et assez éloignés les uns des autres, et il a dû être étudié dans le cadre de la procédure accélérée, ce qui est problématique, le recours aux ordonnances étant déjà une contrainte pour le Parlement.
Nous réitérons d’ailleurs notre soutien à l’instauration d’un dispositif d’association des parlementaires à l’élaboration par le Gouvernement des projets de loi d’habilitation de prises d’ordonnances et au suivi de leur bonne application.
Par ailleurs, le choix de modifier par ordonnances le code civil, code pilier de notre droit, est critiquable. Toutefois, les diverses modifications apportées au Sénat, puis en commission des lois à l’Assemblée nationale, à l’initiative des rapporteurs, ont grandement amélioré ce projet et évité un recours abusif aux ordonnances. Malgré le vaste champ d’application du projet de loi qui nous est soumis, nous saluons le travail de synthèse effectué par notre rapporteure, qui s’est efforcée d’être la plus précise possible dans les demandes d’habilitation.
C’est ainsi que, lorsque cela a été possible, de nombreuses habilitations ont été remplacées par des modifications directes des codes concernés. D’autres habilitations ont été abrogées. Le Sénat a notamment supprimé l’article 3, qui habilitait le Gouvernement à prendre des ordonnances pour modifier tout le droit des contrats et des obligations, soit 300 articles. Le Gouvernement souhaite rétablir cet article, nous considérons que son champ est trop vaste pour pouvoir l’accepter et que son incidence sur la compétitivité de notre économie mérite un véritable débat au Parlement.
Sur le fond, nous sommes favorables à ce projet de loi, qui vise à simplifier, à clarifier et à moderniser le droit sur des sujets divers, mais dans trois domaines bien identifiables.
Le premier concerne le droit civil, avec la protection juridique des majeurs et des mineurs, le droit des obligations et des contrats, le droit des biens, celui des procédures d’exécution et celui du droit des successions. Nous sommes particulièrement favorables à la mesure visant à permettre aux personnes sourdes et muettes de faire établir un testament authentique en les autorisant à se faire assister d’un interprète en langue des signes pour satisfaire aux formalités substantielles que sont la dictée et la lecture du testament.
Le deuxième grand domaine de ce projet de loi concerne l’organisation de la justice, avec la réforme du tribunal des conflits ou encore de la procédure pénale, avec la possibilité plus que bienvenue de communiquer par voie électronique, ce qui permettra d’accélérer un tant soit peu les procédures.
Le troisième domaine de ce projet de loi concerne quant à lui l’administration de l’État et des collectivités territoriales, avec, notamment, la suppression de la transmission au préfet des actes budgétaires des établissements publics locaux d’enseignement ou encore la simplification des modalités selon lesquelles les CCAS peuvent contracter un emprunt, autant de mesures qui seront favorablement accueillies par les organismes concernés et qui allégeront indubitablement leur gestion quotidienne.
Enfin, il est un autre domaine qui viendra s’introduire dans ce projet de loi par voie d’amendement, le statut juridique des animaux.
Les écologistes ont pris connaissance hier soir de deux amendements portés par le groupe socialiste visant à changer le statut juridique de l’animal dans le code civil. Évidemment, nous défendons ardemment cette avancée, mais la méthode laisse plus que perplexe. Les écologistes et l’ensemble des parlementaires intéressés par la question n’ont pas été associés, alors qu’un groupe d’études sur la protection animale présidé par notre collègue Geneviève Gaillard, que je salue, s’attelle depuis plusieurs mois à la rédaction d’une proposition de loi ambitieuse sur le sujet.
Modifier le code civil et s’attaquer à une question comme le statut juridique de l’animal ne doit pas se faire dans la précipitation, surtout dans un projet de loi dont ce n’était pas directement l’objet et qui est étudié en procédure d’urgence. Une concertation avec les parties prenantes, avec la commission permanente concernée, et un travail de fond sont nécessaires pour aboutir à une réforme ambitieuse.
Aucun des premiers signataires de ces amendements ne fait partie du groupe d’études, qui comprend des parlementaires de tous les partis. Surtout, il doit se réunir demain pour finaliser cette proposition de loi sur le statut de l’animal. Je m’interroge donc sur la motivation profonde des signataires des amendements.
Ces deux amendements ne sont pas aussi ambitieux que la proposition de loi sur laquelle travaille le groupe d’études, qui se veut bien plus complète et aboutie. Ma préférence et celle du groupe écologiste allaient à l’amendement no 24 , qui créait une partie spécifique sur l’animal au sein du code civil, mais il a été retiré en début d’après-midi. Qu’il s’agisse de cet amendement ou de l’amendement no 59 qui reste en discussion, ils manquent encore d’ambition, c’est pourquoi j’ai déposé avec mon groupe deux sous-amendements pour rappeler le caractère sensible de l’animal. J’aurai l’occasion de vous les présenter plus en détail tout à l’heure. Une réforme du statut juridique de l’animal doit en effet être ambitieuse. On ne peut pas se satisfaire d’une réforme cosmétique qui ne modifierait pas notre rapport à l’animal, que ce soit l’animal domestique, l’animal sauvage ou l’animal de ferme.
Cette réforme doit réellement aboutir au respect des impératifs biologiques des animaux, reconnus comme êtres sensibles par le code rural depuis 1976. Il s’agit non pas de modifier quelques dispositions du code civil, mais de changer les pratiques qui ne tiennent pas compte du caractère d’être sensible, c’est-à-dire capable de ressentir la souffrance, de l’animal. Je pense notamment à certaines pratiques de chasse particulièrement cruelles comme la chasse à courre, à certains spectacles comme la corrida, à la vivisection lors d’expérimentations sur les animaux, au dépeçage d’animaux vivants dans l’industrie de la fourrure ou encore à certaines pratiques de l’élevage industriel. Les impératifs de rentabilité, de compétitivité ne doivent plus pouvoir s’opposer à la prise en compte du caractère sensible de l’animal.
Le changement du statut juridique de l’animal implique de changer le rapport de la société et de l’homme à l’animal, qui doit être traité non plus comme un objet mais comme un être sensible. J’espère que c’est l’esprit de ces amendements, c’est en tout cas clairement celui des sous-amendements du groupe écologiste que je vais défendre.
Au final, mes chers collègues, madame la ministre, c’est avec quelques réserves de procédure concernant le recours aux ordonnances, mais avec de réelles considérations positives pour les mesures de simplification proposées, que nous voterons résolument pour ce projet de loi, en espérant avancer davantage sur le statut juridique des animaux.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour commencer, et cela n’étonnera personne, notre groupe ne peut que déplorer une nouvelle fois le recours à la procédure des ordonnances, qui permet au Gouvernement de légiférer à la place du Parlement.
L’utilisation fréquente de cette procédure ne s’est pas démentie ces dernières années : trente-trois ordonnances ont été publiées en 2012 et vingt-deux en 2013. Ce recours abusif au mécanisme de l’article 38 de la Constitution n’est pas acceptable dans la mesure où une telle procédure prive le Parlement de ses prérogatives et participe ainsi à sa dévalorisation. Contrairement à ce qui est souvent avancé, la banalisation de cette pratique, dans des domaines de plus en plus larges, est loin d’être purement technique. En effet, si un grand nombre des ordonnances concernent l’outre-mer, environ 30 % des textes entre 2009 et 2012, la majorité d’entre elles portent sur des modifications de la législation générale qui touchent tous les domaines, de la transposition de directives européennes à des recodifications à droit constant, du droit pénal maritime à la lutte contre la falsification de médicaments, en passant par le logement ou l’urbanisme.
Cela étant précisé, le projet de loi propose une simplification de règles ou de procédures de droit privé, de droit pénal ou administratif, plusieurs mesures étant de nature à alléger les contraintes qui pèsent souvent sur les administrations et à faciliter l’accomplissement des formalités par nos concitoyens. Je n’évoquerai que quelques-unes d’entre elles.
C’est ainsi que nous sommes favorables à la simplification des règles relatives à l’administration légale, qui vise à alléger le contrôle exercé par le juge dans le cadre de l’administration légale dite sous contrôle judiciaire, en réservant ce contrôle aux actes de disposition les plus importants.
De même, la réforme de la protection juridique des majeurs nous paraît opportune, avec la mise en place d’un nouveau dispositif d’habilitation intrafamilial par la justice, alternatif aux mesures de protection et inspiré de celui prévu au profit de l’époux par les articles 217 et 219 du code civil. Nous soutenons l’amendement adopté par la commission des lois relevant de cinq à dix ans la durée initiale maximale des tutelles en cas de pathologie lourde non susceptible de connaître une amélioration.
Nous soutenons la possibilité offerte aux personnes sourdes et muettes de faire établir un testament authentique en les autorisant à se faire assister d’un interprète en langue des signes. C’est une véritable mesure de simplification qui permettra à ces personnes de bénéficier de la même sécurité juridique que les autres citoyens. Nous sommes satisfaits que cette mesure d’égalité ait été étendue par la commission des lois aux personnes ne s’exprimant pas en français.
Nous approuvons aussi la volonté de clarifier les pouvoirs liquidatifs du juge du divorce, la mise en place d’un mode simplifié de preuve de la qualité d’héritier pour les successions les plus modestes ou la proposition d’accélérer le règlement des salaires et des indemnités dus par le défunt en tant que particulier employeur.
Par contre, l’élargissement prévu du recours à la communication électronique en matière pénale ne nous paraît envisageable qu’à la condition que les garanties offertes au destinataire soient identiques à celles offertes par les modes de communication traditionnels, et ce dans l’intérêt aussi bien de l’institution judiciaire que des différentes parties à la procédure.
Concernant les dispositions relatives au tribunal des conflits, pour en modifier l’organisation, la procédure et les compétences, l’innovation principale est la suppression de la présence et de la présidence par le garde des sceaux. C’est évidemment une avancée pour en garantir l’indépendance et l’impartialité.
En revanche, et je veux, pour conclure mon propos, insister tout particulièrement sur ce point parce que c’est véritablement celui qui fâche, madame la garde des sceaux, la demande d’habilitation relative à la réforme du droit des obligations et des contrats prévue à l’article 3 n’est selon nous pas acceptable compte tenu de l’ampleur des modifications qu’elle est susceptible d’engager. La commission des lois du Sénat s’était d’ailleurs opposée de manière unanime à cette possibilité en supprimant cet article. Personne ne nie bien sûr la nécessité de la réforme. Comme l’a parfaitement dit notre rapporteure, le code civil a vieilli en plus de deux siècles et ne reflète plus le droit positif en la matière, la jurisprudence est fluctuante et source d’insécurité. Pour reprendre la formule du professeur Denis Mazeaud, le droit des contrats n’est plus dans le code civil.
Si nous ne remettons en cause ni la nécessité de la réforme ni son urgence, le recours aux ordonnances est pour nous inacceptable. Une telle réforme, loin d’être purement technique, chacun en conviendra, soulève des questions politiques importantes, qui doivent être soumises au débat parlementaire. Comme l’a observé le professeur Laurent Aynès, il importe de déterminer « l’équilibre à retenir entre l’impératif de justice dans le contrat, qui peut justifier une plus grande intervention du juge, ou une modification des termes du contrat, et celui qui s’attache à l’autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu’une partie reste tenue par ces engagements, même s’ils lui deviennent défavorables ».
J’ajoute qu’une loi de modernisation et de simplification du droit pour réformer l’un des piliers du droit français, dont l’essentiel des dispositions n’ont pas été retouchées depuis 1804, apparaît pour le moins inappropriée. C’est pourquoi nous étions satisfaits que la commission des lois ait maintenu la suppression de l’article 3. Nous ne sommes pas convaincus, madame la garde des sceaux, du bien-fondé de rétablir cet article, et nous ne sommes pas non plus rassurés, madame la rapporteure, par votre propos à ce sujet.
C’est pour toutes ces raisons que les députés du Front de gauche s’abstiendront sur ce projet de loi.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure à laquelle je m’adresse à vous, nos concitoyens ont largement fait l’expérience de la complexité des procédures et du droit français. De même, nombre de commentateurs autorisés étudient régulièrement cet enchevêtrement de règles dans des revues spécialisées.
Évidemment, un texte doit nécessairement être complexe. Seul ce caractère lui permettra d’englober tous les aspects des situations qu’il vise et de s’adapter de la manière la plus juste aux différences de situations entre citoyens. Portalis ne disait-il pas qu’il est impossible de tout simplifier en prévoyant tout ?
Pour autant, il existe dans notre législation des pans entiers de textes inutilement complexes. Ce sont ces textes que le Gouvernement, à la suite d’un engagement du Président de la République, a entrepris de clarifier pour faciliter le quotidien de nos concitoyens. Ce mouvement s’est concrétisé d’abord par le vote de la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, puis par le vote de la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises.
Le projet de loi qui est aujourd’hui discuté par l’Assemblée nationale constitue le troisième maillon de ce dispositif. Si ce texte concerne un grand nombre de domaines, je souhaite évoquer ici quelques mesures qui devraient faciliter la vie de tous les jours des Français.
Tout d’abord, ce projet de loi poursuit le toilettage du code civil. Il habilite par exemple le Gouvernement à réformer une procédure byzantine qui atteint un sommet de raffinement juridique : l’articulation, dans le cadre d’un divorce, entre l’intervention du juge aux affaires familiales et la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des anciens époux. Cette procédure met actuellement en scène deux acteurs : le juge aux affaires familiales prononce le divorce, ordonne la liquidation du partage judiciaire et peut, ou ne peut pas, selon l’interprétation que l’on a du droit positif, désigner un notaire chargé de procéder à ce partage.
Il est possible de simplifier cette procédure. Par sa complexité, et sa lenteur, celle-ci cause du tort aux personnes en instance de divorce, qui sont davantage pressées d’en finir avec cette procédure pénible pour eux que de se perdre dans le dédale procédural actuellement offert par le droit. Attribuer des pouvoirs plus importants au juge des affaires familiales, notamment pour qu’il effectue lui-même la liquidation, devrait permettre de clarifier, fluidifier et donc accélérer cette procédure, simplifiant ainsi la vie des personnes séparées.
D’autre part, ce projet de loi ambitionne, à la suite de nombreux rapports, notamment ceux rédigés par les professeurs Catala et Terré, de refondre la partie du code civil concernant les contrats. En effet, à l’époque de l’adoption originelle du code civil, Portalis rappelait déjà qu’« un code, quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé que mille questions inattendues viennent s’offrir au magistrat ». Depuis plus de deux siècles, la jurisprudence n’a eu de cesse de répondre à ces questions et d’adapter en conséquence les articles du code civil à l’évolution sociétale. Mais aujourd’hui, nous en sommes arrivés au point que certaines dispositions de ce code ne reflètent plus, à leur simple lecture, l’état du droit positif. N’oublions pas que le rôle du législateur est aussi, de temps à autre, d’évaluer la jurisprudence, pour ensuite éventuellement la codifier, ou la rectifier.
Le regroupement par le législateur de ces règles éparses créées par la jurisprudence dans un même corpus permet, d’une part, de clarifier l’état du droit et, d’autre part, de faciliter l’accès à ces normes par les citoyens. À cet égard, rappelons que le code civil constitue le socle des normes traçant les rapports quotidiens entre citoyens. En simplifiant ce code, nous simplifions la vie courante de nos concitoyens.
Mes chers collègues, ce temps de codification des règles du droit commun des contrats est aujourd’hui largement venu. Après le vote des sénateurs, qui ont supprimé l’habilitation donnée au Gouvernement pour procéder à cette refonte, la seule véritable question qui se pose est celle de savoir comment nous devons procéder à cette réforme. Je comprends la position sénatoriale : une telle réforme aurait avantage à laisser toute sa place au Parlement et, pourquoi pas, être élaborée, dans la cohérence, avec la rénovation du droit de la responsabilité civile, au sein d’une vaste réforme du droit des obligations.
Dans nos permanences, nous constatons régulièrement les difficultés rencontrées par les citoyens avec les contrats passés au quotidien, et, juristes ou non juristes, nous avons tous, nous parlementaires, des choses à dire sur cette question. Comme Gaston Bachelard a pu l’écrire, « on ne pourra bien dessiner le simple qu’après une étude approfondie du complexe ».
Pour autant, il est apparu au fil des auditions que cette réforme très travaillée par le ministère avec des universitaires et des praticiens ne pourrait trouver sa place dans l’agenda chargé du Parlement que par la voie de l’habilitation gouvernementale. Et il importe que ce texte de simplification et de mise en cohérence, à droit constant, soit adopté rapidement pour une entrée en vigueur qui n’a déjà été que trop retardée.
C’est parce que le contenu de l’article 3 nous a été transmis et a été examiné en concertation avec la rapporteure Colette Capdevielle et, entre autres, ma collègue Élisabeth Pochon, que je me suis finalement décidée, ou plutôt résignée, à cette loi d’habilitation. Gardons-nous toutefois de tout enthousiasme quant à cette manière de légiférer et soyons vigilants : nous ne devons pas devenir les chefs de bureau du Gouvernement. Personne n’y gagnerait.
Ce projet de loi comporte également un volet réformant le tribunal des conflits. Le statut de ce juge de la compétence juridictionnelle est amélioré sur deux points principalement. Le premier tranche enfin une question de principe vieille de plus d’un siècle. La grande loi républicaine du 24 mai 1872 a mis fin à la justice retenue par le pouvoir exécutif pour les décisions rendues par le Conseil d’État. Mais, paradoxalement, ce même texte, qui donne aussi une « deuxième naissance » au tribunal des conflits, ne coupait pas le cordon existant entre cette juridiction et l’exécutif : le garde des sceaux en était officiellement le président. Cette fonction prenait toute son importance lors des délibérés durant lesquels un partage de voix devait être opéré : le ministre de la justice avait voix prépondérante. Comme en son temps pour le Conseil d’État, le vice-président du tribunal des conflits était néanmoins le président de facto de cette institution.
Ainsi, tant pour entériner la pratique que pour supprimer une survivance de l’ancien temps, un véritable poste de président du tribunal des conflits serait désormais créé. Admettons toutefois qu’il ne s’agit pas là d’une réforme d’une urgence et d’une ampleur exceptionnelles. Le garde des sceaux n’est intervenu en moyenne qu’une fois tous les dix ou quinze ans au sein du tribunal des conflits, sans que son intervention ait jamais pu être dénoncée comme une mise au pas du pouvoir judiciaire.
Dans le sillage de cette autonomisation définitive du tribunal des conflits, le projet de loi opère une clarification du statut de certains magistrats en son sein. En effet, jusqu’ici, le juge chargé de prononcer ses conclusions sur l’affaire durant l’audience s’appelait commissaire du Gouvernement. Cette dénomination était bien ambiguë. Ainsi, ce texte propose d’appeler ce magistrat « rapporteur public », expression qui a le mérite de lever l’ambiguïté sur les fonctions de ce juge, ainsi que d’aligner son appellation – ce qui constitue bien une simplification – sur celle portée par les juges administratifs exerçant les mêmes fonctions.
Ce projet de loi opère aussi un rapprochement de cette juridiction avec les citoyens. En effet, les procédures traditionnelles ouvertes au tribunal des conflits pour trancher une question de compétence ont le tort de rallonger les délais de jugement. Pour prévenir ce défaut, auquel sont sensibles les usagers du service public de la justice, les difficiles questions de compétence pourront dorénavant être renvoyées directement au tribunal des conflits par n’importe quelle juridiction. Le procès gagnera ainsi un temps précieux. De manière concomitante, c’est dorénavant le tribunal des conflits qui jugera des actions tendant à la condamnation de l’État pour délai excessif de jugement. Ce transfert de compétence déchargera le Conseil d’État et la Cour de cassation de ce type de contentieux.
Enfin, ce projet de loi comporte une série de mesures de simplification touchant divers domaines. Certains qualifieraient ces propositions de petites mesures, mais pour simplifier la vie des citoyens il n’y a pas de petites mesures ! Ainsi, le simple fait d’habiliter le Gouvernement à faciliter la procédure de communication au conducteur de son solde de points permettra de soulager un nombre important de nos concitoyens d’un problème qui ne devrait même pas exister. De même, à la suite de nombreux textes déjà intervenus pour constituer « l’e-administration », la série de mesures visant à compléter la dématérialisation au sein des juridictions pénales ne pourra que simplifier, et accessoirement rendre moins onéreux, les échanges avec les justiciables.
Nous aurons l’occasion, à la suite de la discussion générale, d’élargir par des amendements le champ de la modernisation et de la simplification. Je pense en particulier au statut juridique de l’animal. Nous vous expliquerons les raisons de notre proposition.
Mes chers collègues, ce texte, j’en suis sincèrement convaincue, simplifie le droit existant. Ce faisant, il rend plus lisibles pour nos concitoyens les règles juridiques. Il contribue ainsi à rendre confiance aux citoyens en l’action publique, démontrant que celle-ci n’est pas vouée à compliquer leur situation. Par conséquent, je voterai ce texte et j’invite la représentation nationale à adhérer à cette exigence de modernisation et de simplification en approuvant ces dispositifs.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce projet de loi a été présenté par le Gouvernement comme s’inscrivant dans le programme ambitieux de « simplification, d’allégement des contraintes, de clarification de l’action administrative et de modernisation du droit et des procédures », donc comme une déclinaison du fameux « choc de simplification » promis par le Président de la République.
Si nous ne pouvons que souscrire à l’objectif poursuivi, à savoir la simplification de notre droit, simplification que nous avons d’ailleurs initiée, notamment, sous la précédente législature, avec Jean-Luc Warsmann, il reste que le projet de loi qui nous est soumis n’est pas vraiment simple à appréhender, sur le fond comme sur la forme.
Ce texte n’échappe pas, comme la plupart des lois de simplification, je vous le concède volontiers, à l’agrégat de dispositions n’ayant parfois rien à voir les unes avec les autres. Impossible de ne pas penser à cette catégorie de textes qualifiés de « fourre-tout » que l’actuelle majorité a tant décriés par le passé. Ainsi, nous aurons à discuter aussi bien de points de détails plutôt anodins, comme la disparition purement sémantique de la « folle enchère » dans notre droit, de mesures concrètes comme la possibilité nouvelle du testament authentique pour les sourds-muets, que du fonctionnement de notre justice, avec la modernisation du fonctionnement du tribunal des conflits.
Des critiques similaires ont certes pu être faites dans cet hémicycle à l’encontre des lois de simplification Warsmann ou Blanc, mais ces précédentes lois avaient le mérite de laisser le législateur légiférer. Ici, non seulement le Gouvernement nous propose une myriade de dispositions, dont toutes ne sont pas mauvaises, d’ailleurs, mais, surtout, il nous demande de nous dessaisir et de le laisser légiférer par ordonnances.
Sur ce point, je tiens à saluer la volonté des sénateurs de transformer certaines habilitations en dispositions législatives directement codifiées, afin que nous ayons des débats plus éclairés sur les modalités de telle ou telle mesure. Car l’on connaît les limites du pouvoir parlementaire quant aux projets de loi de ratification des ordonnances.
Je l’ai dit, certaines dispositions font sens et simplifieront certainement notre quotidien à tous. Ce sera, je crois, le cas de la possibilité de communication par voie électronique en matière pénale, ou encore de la possibilité pour les automobilistes d’accéder directement et facilement à leur relevé de points de permis.
D’ailleurs, s’agissant du contenu de ce projet de loi, outre quelques dispositions qui méritent le qualificatif de mesures de simplification ou de modernisation, en réalité nombre de dispositions constituent des modifications considérables, pour ne pas dire des réformes fondamentales, et absolument pas de la simplification.
Je pense à l’article 1er, avec la réforme de la protection juridique des majeurs. Je crois que le fait que l’avis médical requis, lorsqu’on doit disposer du logement de la personne protégée pour la faire admettre dans un établissement adapté, pourra être émis par le « médecin de famille », et non plus uniquement par un médecin inscrit sur une liste établie par le procureur de la République, est assez attendu par les familles confrontées aux tutelles.
Je suis plus inquiet de l’adoption d’un amendement en commission des lois – et je voudrais que Mme la rapporteure ou Mme la garde des sceaux nous rassure sur ce point – concernant la durée initiale maximale des mesures de tutelle. Aujourd’hui, lorsque la tutelle est prononcée pour la première fois, le juge peut le faire pour cinq ans maximum. Après l’adoption de ce projet de loi, il pourra prévoir, dès la première fois, une mesure de tutelle pour une durée de dix années. Cette mesure ne figurant pas dans le projet de loi initial, l’étude d’impact n’y fait pas référence. En a-t-on bien mesuré les effets ?
En termes de modifications décisives dans le quotidien des Français, je pense aussi à l’article 2, avec un amendement du Gouvernement adopté en commission des lois et dont l’objet est de l’habiliter à renforcer les pouvoirs liquidatifs du juge du divorce. La rédaction de l’article ira au-delà de la simple possibilité pour le juge du divorce de désigner un notaire, éventuellement accompagné d’un juge commis, pour conduire les opérations de liquidation et de partage. À l’avenir, le juge du divorce pourra prendre des décisions relatives à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux. Ce n’est pas rien.
Je pense, enfin, à la suppression assez décevante d’un article qui ne manquait pas d’ambition. À l’article 14, le Gouvernement demandait en effet à être habilité à prendre par ordonnance toutes mesures nécessaires pour substituer des régimes déclaratifs à certains régimes d’autorisation administrative préalable auxquels sont soumises les entreprises. Cela s’inscrivait dans la continuité de l’inversion du principe opérée en novembre 2013 selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation.
Certes, l’habilitation sollicitée par le Gouvernement était particulièrement étendue puisqu’elle englobait potentiellement tous les régimes de déclaration ou d’autorisation applicables aux entreprises, ce qui a conduit le Sénat à refuser la demande d’habilitation et à supprimer l’article. Permettez-moi de regretter que le Gouvernement n’ait pas particulièrement tenu à réécrire cette disposition afin qu’elle fasse consensus.
Voilà pour le fond. Quant à la forme, il y a beaucoup à dire. Sur le recours abusif aux ordonnances, comme je l’ai déjà dit, dénoncé hier mais largement utilisé par la majorité actuelle. Sur un recours à l’urgence qui n’est manifestement pas justifié. Quel intérêt avons-nous à aller aussi vite, au risque de mal écrire la loi, surtout lorsqu’il s’agit de réformes qui ne sont pas symboliques ou modifiées à la marge ? Sur la présentation, en commission des lois de l’Assemblée nationale, de plusieurs amendements substantiels du Gouvernement, mais aussi sur le dépôt d’amendements du Gouvernement dans la nuit d’hier à aujourd’hui. Cela n’est pas sérieux ! Sur le débat en commission des lois de l’Assemblée nationale, qui n’a pas permis d’éclairer les parlementaires sur le contenu de l’article 3, relatif à l’habilitation donnée au Gouvernement pour simplifier par ordonnances le droit des contrats et des obligations. En effet, le Sénat avait supprimé cet article en première lecture, considérant qu’il n’était pas sérieux que le législateur se dessaisisse totalement en matière de droit des contrats et des obligations.
Mme Capdevielle, notre rapporteure, nous avait promis un amendement du Gouvernement au stade de la séance publique et elle n’avait pas vu de problème particulier à proposer aux parlementaires de la commission des lois de consulter le contenu de cet amendement via le site internet des Échos, lequel avait publié le projet du Gouvernement en la matière. Dans les faits, il nous a fallu attendre cette séance publique, en tout cas la réunion de la commission tenue en application de l’article 88 de notre règlement, pour savoir quel sort serait donné à l’article 3. C’est donc hier, lundi, que nous avons compris que le Gouvernement renonçait à l’amendement fleuve qui aurait pu codifier ces dispositions et demandait le rétablissement de l’habilitation du projet de loi initial. Les sénateurs apprécieront. D’ailleurs, quelle que soit l’issue de cet article en CMP, je ne suis pas sûr que la coproduction législative entre Gouvernement et Parlement y gagne. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP ne peut soutenir ce projet de loi et s’abstiendra.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, mes chers collègues, la complexité des lois et des règlements est un mal connu depuis longtemps, fustigé depuis cette tribune par tous les Premiers ministres, depuis Pierre Messmer en 1972. Ce drame a été décrit et analysé dans une foule de rapports du Conseil d’État et de la Cour de cassation, en passant par des avis d’experts, M. Mandelkern, M. Colcombet ou Mme de Guillenchmidt. Aucune des méthodes mises en place à ce jour pour lutter contre ce phénomène, que ce soit la codification ou les conseils de simplification successifs, n’a abouti à un résultat tangible. La France fonctionne toujours sous l’emprise de 8 000 lois, de 400 000 textes d’ordre réglementaire, de 6 000 traités internationaux et de 15 000 textes communautaires.
Cette situation fait qu’aucun juriste, aussi brillant et puissant soit-il, ne peut désormais appréhender le droit français dans sa globalité.
Pour apporter votre pierre à l’oeuvre de simplification, vous avez d’abord trouvé un slogan : un « choc de simplification ». Vous auriez pu choisir le « pacte », mais la marque avait déjà été déposée. Le texte que vous nous soumettez aujourd’hui se veut un des éléments de ce choc de simplification. Comme vous le faites d’habitude, vous avez médiatisé ce concept de « choc ». Hier matin, par exemple, le porte-parole des députés socialistes annonçait sur une chaîne de télévision : « En matière de simplification, nous ferons preuve d’une rigueur protestante, je dirais même janséniste, d’une rigueur absolue, pour obtenir des résultats ». C’est ce qu’on appelle la Réforme !
Mais il ne faut pas trop se moquer de cet enthousiasme, même s’il présente un caractère un peu emporté et juvénile. L’ambition de vouloir simplifier est là, et c’est bien l’essentiel. Pour avoir rapporté sept lois de simplification du droit, dont la dernière, la loi Warsmann, aura permis aux entreprises françaises d’économiser 1,2 milliard d’euros, je sais que la matière est particulièrement complexe, hétéroclite et un peu aride parfois. À titre personnel, je tiens comme un titre de gloire d’avoir supprimé d’un seul trait la réglementation relative à la vente de l’amadou sur les marchés forains ainsi que d’avoir supprimé l’inutile législation qui encadrait les châtiments corporels sur les navires de la marine marchande. Ce travail de clarification et de simplification, même s’il apparaît anecdotique, doit être fait. Vous le faites partiellement dans ce texte, même si les sujets que vous avez abordés sont marginaux et si la tâche apparaît comme particulièrement austère et ingrate.
Je voudrais cependant revenir sur le choc de simplification. Le Président de la République, comme tous ses prédécesseurs, a fait de cette question un sujet central : pour rétablir la compétitivité de l’économie française, engoncée dans un carcan de normes absolument insupportable, mais aussi pour tenter de redonner quelques libertés au peuple français. Mais si, réellement, madame la garde des sceaux, cette question était une préoccupation du Gouvernement, si le Gouvernement était réellement sincère dans la poursuite d’un objectif louable de simplification du droit, la première de vos politiques, la politique la plus efficace serait de ne pas ajouter régulièrement de la complexité aux normes existantes. Aujourd’hui, madame la garde des sceaux, vous donnez le sentiment de vider l’océan avec un dé à coudre, mais de continuer à le remplir avec des fleuves. Je voudrais vous citer un exemple, celui de la loi ALUR.
Votre majorité a décidé que désormais, pour la vente d’un lot de copropriété, obligation est faite d’adresser à l’acquéreur, par lettre recommandée avec accusé de réception, plusieurs documents – c’est l’article 54 modifiant l’article L. 721-2 du code de la construction et de l’habitation. Tout d’abord, le carnet d’entretien de la copropriété, qui comporte parfois deux cent cinquante pages, puisqu’il contient les travaux en cours, les contrats d’entretien, de maintenance et d’assurance. Pour une copropriété de l’ordre de deux cents appartements, cela représente entre deux cent cinquante et trois cents pages. Vous avez demandé également que soit transmis à l’acquéreur le règlement de copropriété avec toutes les modifications de règlement qu’il comporte. Pour un immeuble de deux cents à deux cent cinquante appartements, cela représente trois cents à quatre cents pages. À ces quelque six cents pages vous avez décidé d’ajouter les procès-verbaux des trois dernières assemblées générales – soit entre cinquante et cent pages pour deux cent cinquante lots.
Avec ce simple article 54, vous avez ajouté une complexité qui pèse sur le notariat, sur les agents immobiliers, sur les constructeurs et sur les promoteurs pour une activité de construction qui représente 20 % du produit intérieur brut de la France. Avec cet article 54, vous ajoutez une complexité qui est sans comparaison avec vos prétentions de simplification d’aujourd’hui.
D’ailleurs, j’imagine qu’au sein du parti socialiste, on trouvera sûrement un économiste keynésien qui justifiera cela au motif que cette complexité est utile pour soutenir l’activité de La Poste, voire celle de la papeterie.
La réalité est bien là, madame la garde des sceaux. Votre majorité promeut régulièrement une politique de contrôle et de contrainte, qui nécessite par essence des lois, des décrets, des normes, des circulaires diverses, complexes et souvent tatillonnes. Madame la garde des sceaux, si votre majorité voulait réellement simplifier le droit, il vous faudrait changer de logiciel et abandonner le dirigisme pour une politique de liberté, une politique libérale avec moins de règles, moins de normes, moins de contraintes et plus de confiance. C’est la raison pour laquelle je m’abstiendrai sur ce texte. Pour conclure, je vous fais une suggestion : commencez, vous et vos services, à préparer la prochaine loi de simplification et n’oubliez pas d’y inclure la simplification de l’article 54 modifiant le code de la construction, qui pourrait permettre de simplifier réellement la vie des Français, alors même que c’est un texte que vous nous avez fait adopter… la semaine dernière.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
La parole est à Mme Colette Capdevielle, rapporteure, pour soutenir l’amendement no 50 .
L’amendement no 50 est adopté.
L’article 1er, amendé, est adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 59 .
Cet amendement concerne le statut juridique de l’animal. Alors que le code rural et le code pénal reconnaissent, explicitement ou implicitement, les animaux comme des « êtres vivants et sensibles », ces derniers sont encore considérés par le code civil comme des « biens meubles » ou des « immeubles par destination » quand ils ont été placés par le propriétaire d’un fonds pour le service et l’exploitation de celui-ci. Cet amendement a pour objet de consacrer l’animal, en tant que tel, dans le code civil afin de mieux concilier sa qualification juridique et sa valeur affective. Pour parvenir à un régime juridique de l’animal cohérent, dans un souci d’harmonisation de nos différents codes et de modernisation du droit, cet amendement donne une définition juridique de l’animal, être vivant et doué de sensibilité, et soumet expressément les animaux au régime juridique des biens corporels en mettant l’accent sur les lois spéciales qui les protègent.
Rappelons que le code rural et de la pêche maritime reconnaît le caractère sensible de l’animal, même si cette reconnaissance n’a pas encore permis la remise en cause de pratiques qui en nient la sensibilité ; j’ai évoqué tout à l’heure certains usages qui ont cours dans l’élevage intensif ou lors d’expérimentations.
Le sous-amendement no 75 propose quant à lui de préciser que l’appropriation, la mise à disposition, la transmission ou le louage des animaux doivent s’effectuer en conformité avec les dispositions prévues dans le code rural et de la pêche maritime, et dans le respect des impératifs biologiques de chaque espèce. Cette fois encore, il s’agit de tirer toutes les conséquences de l’amendement no 59 . Le but est de modifier notre conception des relations entre l’homme et l’animal. Différencier dans le code civil l’animal de l’objet, c’est très bien, mais cela doit conduire à une remise en cause des comportements humains qui en nient le caractère sensible.
Enfin, le sous-amendement no 79 a lui aussi été déposé dans l’urgence, compte tenu de la façon dont s’est déroulé l’examen des articles en commission. Il vise à faire passer dans la réalité la modification proposée du statut juridique de l’animal : dès lors que son caractère sensible est reconnu, certaines pratiques telles que la corrida devraient être interdites. La corrida nie en effet le caractère sensible des animaux, amenés à souffrir pour notre seule distraction. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle, et sur tous les bancs, à dénoncer les usages de ce genre. J’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi sur le sujet en octobre 2012, comme notre collègue Geneviève Gaillard qui a fait de même en décembre 2013 ; elle en avait déjà déposé une sous la précédente législature avec les membres du groupe d’études « Protection des animaux ». C’est dire à quel point ce combat est cher à nombre d’entre nous. Le débat doit désormais avoir lieu, tant la corrida est clairement rejetée par une majorité de Français : il ressort d’un sondage CSA du 19 septembre 2012 que 57 % de nos compatriotes penchent en faveur de son interdiction. Je tiens à préciser que la prohibition de la corrida ne signifierait pas celle de pratiques telles que les courses camarguaises ou les courses landaises, qui n’impliquent ni sévices ni mise à mort. Ces courses font partie du patrimoine de certaines régions françaises, bien plus que la corrida. Rappelons également que la corrida a déjà été interdite dans plusieurs régions, notamment en Catalogne. On peut difficilement imaginer qu’un tel spectacle puisse perdurer en France, au nom d’une prétendue tradition. Je vous invite donc à adopter le sous-amendement no 79 .
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 59 et sur les trois sous-amendements ?
L’amendement no 59 a été déposé, dans les délais, à l’initiative de notre collègue Jean Glavany. J’en suis cosignataire avec Mme Untermaier et les autres membres du groupe socialiste. Mais ne lui donnons pas plus de portée juridique qu’il n’en a.
Le statut juridique de l’animal dans le code civil n’est pour l’heure pas vraiment précisé. L’idée est d’établir une cohérence avec le code pénal et le code rural. Le code civil ne définit pas complètement la notion d’animal, ce qui crée un vide juridique. La qualification de bien meuble ou d’immeuble par destination ne correspond plus à la place de l’animal en 2014. Certes, le code civil distingue tout de même les animaux des choses depuis la loi du 6 janvier 1999,…
…mais il reste aujourd’hui encore très marqué par une vision utilitariste de l’animal, par le fait qu’on ne lui reconnaît toujours pas la qualité d’être vivant et doué de sensibilité. J’émets donc bien sûr un avis favorable à la définition ici proposée qui en modifie la qualification juridique, mettant ainsi en cohérence le code civil avec les deux autres codes. Je rappelle que l’article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime reconnaît les animaux comme des êtres vivants et sensibles, et que le code pénal mentionne et punit les sévices et les actes de cruauté envers les animaux. L’amendement no 59 permettra également, et c’est important, de mettre en conformité notre droit avec le droit européen qui leur reconnaît d’ores et déjà la qualité d’êtres sensibles.
Cela étant, votre commission est très sensible à la notion de sécurité juridique. Il convient à ce titre de ne pas remettre en cause les catégories juridiques existantes, notamment la distinction entre les biens et les personnes dans le code civil. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes efforcés de retenir une rédaction qui, tout en reconnaissant aux animaux la qualité d’êtres sensibles et vivants, n’entraînera aucun bouleversement dans l’ordre juridique interne. Cela garantira que les animaux restent dans la sphère patrimoniale et exclura tout effet juridique non maîtrisé.
Pour ce qui est de vos sous-amendements, madame Abeille, je rappelle que la commission, lorsqu’elle s’est réunie ce matin à neuf heures au titre de l’article 88, n’a pas pu se prononcer faute d’en avoir eu connaissance : le dernier d’entre eux n’a été déposé qu’à dix-sept heures. J’émettrai donc un avis personnel.
Je partage pleinement l’objectif que vous poursuivez avec le sous-amendement n o 73 , mais je suis très réservée sur ses conséquences juridiques, qui paraissent en l’état difficiles à évaluer. Ainsi, vous faites référence « aux impératifs biologiques de leur espèce », en proposant de l’inscrire dans le code civil comme c’est mentionné dans l’article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime. Mais l’obligation de placer les animaux « dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de leur espèce », telle qu’elle est inscrite dans cet article, ne pèse que sur le seul propriétaire, ce qui n’est pas du tout le cas dans votre rédaction, dans la mesure où vous n’identifiez pas la personne sur laquelle reposerait cette obligation dans le code civil. Cela soulève réellement une difficulté d’ordre juridique.
Autre problème : le terme « compatible », mentionné à l’article L. 214-1, est remplacé dans votre sous-amendement par le terme « conforme », plus exigeant sur le plan juridique. Quelles en seraient les conséquences exactes ? Votre exposé sommaire ne le précise pas. Là encore, on manque totalement d’expertise. Enfin, vous faites référence à la notion de bientraitance. Nous sommes évidemment tous d’accord pour estimer que les animaux ne doivent en aucun cas faire l’objet de mauvais traitements, mais la bientraitance est une notion trop floue pour être inscrite telle quelle dans notre code civil. Je vous invite donc à retirer ce sous-amendement. À défaut, je donnerai un avis défavorable.
Votre sous-amendement no 75 appellera de ma part des observations assez voisines : nous n’avons pas pu évaluer et expertiser les conséquences juridiques dans le code civil des expressions que vous reprenez partiellement du code rural et de la pêche maritime. À l’inverse, la réforme du statut juridique que nous proposons garantira une sécurité juridique propre à éviter tout effet non maîtrisé en la matière. Le sujet, vous le savez, est éminemment sensible et nécessite une expertise qu’il était difficile, vous en conviendrez, de réaliser dans des délais aussi brefs.
Quant à votre dernier sous-amendement, no 79 , je vous demande également de le retirer. À défaut, l’avis serait défavorable, comme pour les deux précédents. J’ai bien compris le sens du débat que vous voulez provoquer ici, mais nous sommes très loin de l’amendement no 59 , pour ne pas dire quasiment hors sujet. Je rappelle que le champ de cet amendement se limite à donner une définition juridique de l’animal dans le code civil, en cohérence avec le code rural et de la pêche maritime et avec le code pénal, ni plus, ni moins. Il ne s’agit pas d’une nouvelle définition juridique.
…ou tout autre pratique de ce genre. On peut même s’interroger sur la recevabilité d’un tel sous-amendement et y voir un amendement déguisé. On ne peut pas se servir du texte que nous proposons, qui constitue un progrès, pour ouvrir inutilement des débats hors sujet. Permettez-moi toutefois une précision : élue d’une circonscription où se trouve la première ville taurine de France, je suis bien placée pour vous indiquer que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a rappelé le 21 septembre 2012, dans une décision très attendue, que dès lors que les courses de taureaux s’inscrivent dans une tradition locale ininterrompue, elles sont parfaitement légales et constitutionnelles. La décision du Conseil constitutionnel me paraît difficilement contestable en l’état. Chez vous, c’est interdit ; chez moi, c’est autorisé. Je vous rappelle par ailleurs que la tauromachie a été inscrite au patrimoine culturel immatériel de la France.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement no 59 et sur les trois sous-amendements ?
Je tiens tout d’abord à saluer et à remercier tous les orateurs et toutes les oratrices qui se sont exprimés dans la discussion générale pour la qualité de leurs interventions.
S’agissant de l’amendement no 59 , les explications de Mme la rapporteure ayant été très complètes, je rappellerai seulement que son objet est d’introduire dans le code civil une définition des animaux considérés comme des êtres vivants doués de sensibilité. Cela étant, je comprends le débat qui a lieu en ce moment : lorsque M. Glavany m’a contacté et a consenti à des séances de travail à la chancellerie, le but était également de s’interroger sur un sujet très sensible pour des milliers de Français et sur lequel ils se sont exprimés. Mais nous sommes ici dans le cadre de l’examen d’un projet de loi de modernisation, de simplification et de clarification du droit. Il y a donc lieu, en l’espèce, d’introduire dans le code civil une définition des animaux qui ne s’y trouve pas, dans un parallélisme avec une disposition contenue dans le code rural et de la pêche maritime, ce qui n’exclut pas de considérer qu’il y a lieu d’aller au fond du débat, et le groupe d’études animé par Mme Gaillard y travaille.
Mais pour l’heure, restons-en au support législatif sur lequel nous travaillons aujourd’hui : nous ne pouvons raisonnablement qu’introduire dans le code civil une définition des animaux et la reconnaissance de leur sensibilité. C’est déjà une réelle innovation en ce qu’elle permet de les distinguer des biens. Pour le reste, qu’il s’agisse des sous-amendements ou des réactions que j’ai cru entendre hors micro et que je mets sur le compte de l’animation habituelle de la vie parlementaire, je ne crois pas que nous soyons ce soir en situation d’aborder un débat de fond sur les restrictions ou l’interdiction de certaines pratiques, ni sur les limites que l’on peut atteindre concernant le statut des animaux. Tenons-nous en pour l’heure à cet amendement. Si toutefois, mesdames, messieurs les députés, vous considérez qu’il y a lieu de créer les conditions d’un débat approfondi sur le statut des animaux, le Gouvernement prendra évidemment acte de cette initiative, dans le respect du principe la séparation des pouvoirs. Mais, je le répète, c’est déjà une audace d’introduire la formulation proposée dans le code civil : c’est un acte qui a son poids, sa signification et surtout ses conséquences. Introduire les animaux en tant qu’êtres sensibles dans le code civil est loin d’être banal ; ce n’est pas un geste anodin.
Voilà les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis favorable à l’amendement no 59 présenté par M. Glavany et plusieurs députés du groupe SRC, et un avis défavorable aux sous-amendements défendus par Mme Abeille.
L’amendement no 59 vise à reconnaître la qualité d’être sensible à l’animal dans tous les codes. Malheureusement, quoi qu’en disent Mme la rapporteure et Mme la ministre, il n’entraîne aucune conséquence sur les effets patrimoniaux : le régime des biens corporels attaché aux choses continuera de s’appliquer à l’animal. Cette transformation reste purement symbolique et ne changera strictement rien à la condition animale. L’amendement se borne à transposer la loi dite Nungesser de 1976 dans tous nos codes, sans prendre en compte la notion, fondamentale, de bien-être animal ni l’obligation de bientraitance qui est en lien étroit avec la notion de respect des impératifs biologiques des espèces ou des races, principe fondé scientifiquement depuis la convention européenne de 1987, autrement dit depuis longtemps.
Il existe en effet beaucoup de régimes de protection issus du code de l’environnement et du code rural. Nous le savons et nous les connaissons. Malheureusement, le régime qui emporte le plus d’effets relève du droit civil, de la théorie générale du droit des biens et donc de l’application du droit de propriété.
Or une première restriction à cette application aveugle a été adoptée il y a fort longtemps : je veux parler de toute la législation pénale relative aux sévices graves et aux actes de cruauté. Vous connaissez ces mesures, qui viennent d’être rappelées, et qui sont également présentes dans le code rural.
Car le droit de propriété se divise en trois parties : l’usus, le droit d’utiliser le bien ; le fructus, le droit de l’exploiter et d’en percevoir les fruits ; l’abusus, le droit d’en disposer par la cession mais aussi par la destruction. C’est ce dernier droit qui a été restreint : le propriétaire d’un animal ne peut plus le détruire par des actes violents ou de cruauté.
Si nous voulons avancer, nous devons aussi modifier les deux autres droits. Or l’amendement no 59 laisse les animaux totalement soumis, comme avant, au régime des biens corporels ; autrement dit, il ne changera rien au droit civil et au droit de propriété qui restera plein et entier dans tous ses effets patrimoniaux et annexes. Pour résumer, cette reconnaissance du caractère d’être sensible n’aura aucun impact sur la préhension au quotidien de nos animaux. C’est une bonne intention…
Le groupe d’étude sur la protection animale travaille déjà depuis plus d’un an et demi sur le statut juridique de l’animal et cet amendement risque d’obérer toute possibilité de continuer. Cela étant, je retiens que Mme la garde des sceaux reconnaît la nécessité d’engager un débat si nous voulons aller plus loin.
Pour toutes ces raisons, je m’abstiendrai sur l’amendement no 59 , tout en appelant à approuver les trois sous-amendements de Mme Abeille.
Enfin, je conseille à notre rapporteure de reprendre les propos de Gilbert Mitterrand sur l’inscription de la corrida au patrimoine immatériel de l’humanité : ce n’est pas avéré, les choses ont été mal expliquées. Je soutiens enfin que la tauromachie procède surtout d’une tradition de cruauté et j’aimerais que nous puissions avoir un débat de fond sur ce sujet dans l’hémicycle.
Mes chers collègues, je vous rappelle que les interventions sont limitées à deux minutes. Je veux bien laisser une certaine marge, mais je remarque que la dernière oratrice a parlé pendant quatre minutes vingt. J’invite tout un chacun à essayer de tenir son temps de parole.
La parole est à M. Daniel Gibbes.
Je fais faire plus court pour compenser, monsieur le président !
Je précise d’emblée que nous n’avons rien contre les animaux. Mais soyons raisonnables : cet amendement est tout sauf de simplification. Il ne fait rien de moins que de modifier le statut de l’animal dans le code civil, au détour de l’article 88.
Par ailleurs, cette évolution juridique cristallise depuis plusieurs mois les inquiétudes des professionnels de l’élevage qui y voient une remise en cause de leur savoir-faire en matière de bien-être animal. Pourtant, le Président de la République avait tenu à les rassurer en février dernier, à la veille de l’ouverture du salon de l’agriculture, en déclarant à la presse agricole exclure tout changement de statut des animaux : « Dans le code rural notamment, l’animal est déjà considéré comme un être sensible. Pourquoi ajouter d’autres considérations ? Beaucoup d’efforts ont été réalisés pour le bien-être animal sans qu’il soit nécessaire de les traduire dans une loi. » Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le Président…
C’est donc avec stupéfaction, chers collègues, que nous avons appris ce retournement, sans qu’aucune concertation avec les professionnels de l’élevage n’ait été engagée. Adopter cet amendement en l’état serait un acte de mépris à l’égard tant du travail parlementaire que du monde agricole.
Monsieur le président, je suis absolument navré de ne pas avoir été là pour défendre l’amendement mais je vais y revenir rapidement en répondant aux sous-amendements.
Cette affaire du statut de l’animal est une vieille histoire. Oserai-je citer Ghandi : « On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux »…
…ou encore Lamartine : « On n’a pas deux coeurs, un pour les animaux et un pour les humains. On a un coeur ou on n’en a pas. »
Le statut de l’animal a connu des progrès considérables dans notre droit : le code rural a été modifié en 1976 ; le code pénal en 1999, sous le gouvernement Jospin – et je n’y étais pas pour rien. Ce combat, qui réunit de nombreuses fondations – 30 millions d’amis de Mme Hutin, Droit animal, éthique et sciences de Louis Schweitzer, l’association Un Coeur, que nous avons créée autour d’Anouk Aimée – est aussi soutenu par un appel de vingt-quatre grands intellectuels dont Edgar Morin, Boris Cyrulnik et bien d’autres, par une pétition qui a recueilli des centaines de milliers de signatures et par des sondages d’opinion absolument massifs.
Le groupe d’étude de notre assemblée, que préside Geneviève Gaillard, fournit aussi un gros travail, très utile, sur le statut de l’animal.
Du fond du coeur, je voudrais remercier Mme la garde des sceaux d’avoir permis que nous ayons ce débat avec son équipe, notre rapporteure Colette Capdevielle qui a bien défendu ce travail, et notre collègue Cécile Untermaier qui a présenté l’amendement no 59 .
De quoi s’agit-il ? Que les choses soient claires : il s’agit d’harmoniser le code civil avec le code rural et le code pénal. Le statut de l’animal existe dans notre droit grâce aux mesures adoptées en 1976 et en 1999 ; malheureusement, il y a une lacune. Nous pourrions opter pour de nouvelles avancées comme Geneviève Gaillard nous y invite, mais nous tenons à rester dans le cadre du texte qui nous est présenté aujourd’hui et nous inscrire dans une démarche de simplification, en faisant en sorte que le code civil s’harmonise avec le code rural et le code pénal, rien de plus, mais rien de moins. Faute de quoi, nous ne serons plus dans l’oeuvre de simplification, d’harmonisation et de modernisation que propose le présent texte. Aller plus loin, comme le proposent nos amis députés écologistes avec leurs sous-amendements, ce serait risquer de créer un cavalier législatif.
En effet, et je ne le préconise pas. Ce que je propose avec l’amendement no 59 , c’est de mettre le pied dans la porte de sorte qu’elle reste ouverte, pour reprendre l’expression de mon excellente collègue Cécile Untermaier. Ensuite, à l’initiative du groupe d’étude que préside Geneviève Gaillard, nous pourrons engager le débat le moment venu, et j’y participerai avec beaucoup d’enthousiasme. Mais pour l’heure, nous voulons faire une oeuvre simple, compréhensible, juridiquement solide, inattaquable sur le plan constitutionnel, en adoptant cet amendement qui permettra d’harmoniser notre code civil avec le code rural et le code pénal, ni plus ni moins. C’est déjà un pied dans la porte, symbolique certes, mais la force du symbole est parfois très importante. J’insiste donc pour que nous adoptions cet amendement, et rien de plus, pour ne pas prendre de risques juridiques.
Beaucoup a déjà été dit à propos de cet amendement qui se résume au fait que les animaux resteront, comme avant et entièrement, soumis au régime des biens corporels. Quoi qu’on en dise, il refuse toute avancée nouvelle dans la prise en compte de la condition animale. Peut-être ai-je raté un épisode, mais je pense qu’il est utile de rappeler que le statut de l’animal ne concerne pas que les animaux domestiques, mais également le bétail, les animaux sauvages et les animaux de laboratoire.
Je ne vous ai pas interrompu, cher collègue ; laissez-moi parler.
Comme Mme Gaillard, je voudrais rappeler qu’un groupe d’étude travaille déjà depuis des semaines sur le sujet. Je trouve que cette méthode qui oublie le travail parlementaire est un peu légère. Personnellement, je m’abstiendrai sur cet amendement qui joue sur les mots sans offrir de véritable avancée.
De quoi parlons-nous ce soir ? De modernisation et de simplification du droit. De quels domaines ? De justice et d’affaires intérieures. Ces deux questions et ces deux réponses résument l’objet de notre débat. Et l’on nous sort, au détour d’un article 88, un statut de l’animal dans le code civil ! Pour moi, c’est un cavalier. Au-delà, la forme est inacceptable, comme l’a souligné notre collègue Laurence Abeille dans la discussion générale.
Sur le fond, aucune concertation n’a été vraiment engagée au cours des dernières semaines avec les professionnels : ce n’est qu’un reniement de plus de la parole présidentielle. Il y a encore quelques semaines, le Président de la République cherchait à apaiser les professionnels en leur assurant qu’il n’était pas question de toucher au statut des animaux. Mais nous n’en sommes pas à un reniement près : si je voulais faire un peu d’humour, je dirais que cette semaine le coq va chanter trois fois…
Le passage du statut de bien meuble à celui d’être vivant doté de sensibilité est loin d’être neutre, vous le savez parfaitement – en témoigne l’échange auquel nous venons d’assister entre deux membres de la majorité. Certes, le code rural et le code pénal reconnaissent déjà implicitement et explicitement un statut à l’animal, mais après cette modification du code civil, la porte serait plus qu’entrouverte, comme l’a laissé entendre Jean Glavany. Le risque est très grand de stigmatiser les professionnels et de les mettre en difficulté, de voir se multiplier les procédures judiciaires à leur encontre. Quid de l’expérimentation médicale ? Quid de l’évolution du bien-être animal et des possibilités de recours à l’abattoir ? La question est de savoir si l’on ne va pas bloquer nos agriculteurs et l’agriculture française.
Et quid des sous-amendements ? C’est sans doute un gage que l’on cherche à donner au groupe écologiste. On veut interdire les corridas – c’est sorti du chapeau tout à l’heure – et les combats de coqs.
Après cette modification du code civil, on s’attaquera ensuite aux activités des lieutenants de louveterie, au piégeage, au déterrage. Et sans doute aussi à la chasse à courre et à la chasse tout court : cela me semble gros comme une maison !
Cet amendement ouvre la boîte de Pandore et vous le savez. Son auteur, Jean Glavany, avoue lui-même que le but est de mettre le pied dans la porte. Ensuite, il n’y aura plus qu’à la pousser pour qu’elle cède, et que nous ayons une vraie révolution et pas seulement la reconnaissance d’une évolution qui, à certains égards, pouvait s’envisager. Mais elle ne saurait s’envisager ainsi, pas sous cette forme et pas ce soir.
Oui, je les maintiens.
Personne ici ne souhaite la cruauté envers les animaux…
Si, vous la défendez quand vous invoquez les professionnels, les agriculteurs, les éleveurs. Certains élevages font encore appel à des pratiques interdites, ce que l’on peut regretter : les reportages que nous avons pu voir à la télévision ont d’ailleurs choqué beaucoup de Français.
Aujourd’hui, un amendement de M. Glavany ouvre une porte. Ma crainte, je l’ai dit, et c’est ce qui a motivé mes sous-amendements, c’est que cette porte reste simplement entrouverte et que l’on n’aille pas jusqu’au bout. La mesure est symbolique, mais en termes de portée réelle, comme l’a dit Geneviève Gaillard, le compte n’y est malheureusement pas. Il est permis de le regretter, parce que notre ambition, en ce qui concerne le statut de l’animal, va bien au-delà de ce qui a été indiqué ici. Sur la forme, évidemment, il est un peu compliqué de débattre ce soir dans le cadre d’un projet de loi dont l’objet est différent.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je suis d’accord, je l’ai dit, et nous n’y sommes pour rien. Reste que la question est d’importance, qu’elle est suivie par des millions de Français soucieux de la condition animale. Nous voulons en finir avec la cruauté envers les animaux, nous voulons le bien-être des animaux, de tous les animaux, et nous voulons que ce soit inscrit dans la loi. La proposition de loi de Geneviève Gaillard est prête ; avec le groupe d’étude sur la protection des animaux, elle a réalisé un travail remarquable. On ne peut pas dire que ces questions n’aient pas fait l’objet d’expertises, qu’elles n’aient pas été étudiées. Nous travaillons, nous échangeons sur le sujet depuis des semaines, depuis des mois. Nous disposons d’une expertise complète, juridiquement solide, nous savons exactement où nous allons. Je crois donc que nous pourrions aujourd’hui adopter les sous-amendements. Au-delà de la mesure, très symbolique, objet de l’amendement no 59 , ce sont autant de premiers pas tout à fait sérieux. Je maintiens qu’il faut en terminer au plus vite avec la maltraitance animale, qu’il faut trouver un statut de l’animal conforme aux nécessités d’aujourd’hui. J’ai entendu Mme la garde des sceaux, et je souhaite vivement que nous puissions revenir sur le sujet très prochainement. Nous voterons quant à vous l’amendement no 59 , qui ouvre une petite porte, mais nous aurions vraiment aimé aller plus loin.
Nous ne sommes pas très nombreux ce soir dans l’hémicycle, et pourtant ce sujet n’est pas loin de déchaîner les passions… C’est dire à quel point il est nécessaire, madame la garde des sceaux, chers collègues, que nous puissions aller au fond de ces problématiques. Il est possible de faire évoluer le statut juridique de l’animal sans porter atteinte ni à la commercialisation, ni à la production animale, ni à la chasse, ni aux pratiques sportives. Et, au regard de celle de notre société, cette évolution du statut juridique de l’animal nous paraît pouvoir être admise.
Je demande donc avec insistance de pouvoir en débattre plus largement, notamment à l’occasion de l’examen de la proposition de loi que je déposerai dans quelques jours, puisque sa rédaction est pratiquement chose faite.
« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.
Nous pourrons ainsi aller au fond et nous verrons qui est véritablement en faveur d’un statut de l’animal digne de ce nom, un statut qui ne mette pas en difficulté les uns et les autres et qui permette d’avancer, en phase avec la société civile qui le réclame depuis très longtemps.
Madame Gaillard, si c’était une invitation faite à notre collègue Glavany, pour l’amender à retirer son amendement en attendant l’examen de votre proposition de loi, cela pourrait être une bonne transition…
Reconnaissons au moins que l’on procède quelque peu à la va-vite ce soir, et que cela pose de réelles difficultés. Ainsi, le sous-amendement no 75 a pour objet d’insérer un nouvel alinéa après l’alinéa 3, pour préciser qu’il faut, dans le domaine du louage des animaux entre autres, agir « conformément aux dispositions législatives » ! Voilà donc un amendement, autrement dit un texte de droit donc, dont l’objet est de préciser que l’on doit agir conformément à la loi. C’est dire le ridicule de la situation ! On ajoute dans le droit une explication de texte dont l’objet est de préciser qu’il faut appliquer le droit ! Cela montre bien la précipitation dans laquelle ces sous-amendements ont été rédigés.
Il serait sage en effet de rouvrir le débat, sans passion. Il est permis d’échanger sur le sujet. Peut-être était-ce un amendement d’appel, je l’espère, mais le sujet méritait mieux que des propos un peu escamotés, un peu rapides ; peut-être aussi, lorsque nous nous sommes réunis dans le cadre de l’article 88, n’avons-nous pas mesuré, ni les uns ni les autres, l’ensemble des conséquences. J’appelle donc à la raison, au calme, sur un sujet qui mérite davantage de temps.
Je veux répéter ici, très calmement et très sereinement, le cadre juridique dans lequel nous nous situons. Nous sommes dans un projet de loi de modernisation et de simplification. C’est dans cette perspective, et dans cette perspective seule, que mon amendement se situe, puisqu’il consiste à harmoniser le code civil avec le code pénal et le code rural, c’est-à-dire à reconnaître un statut qui existe déjà, en traduisant dans le code civil ce qui existe déjà dans le code pénal et le code rural.
Vous prétendez, monsieur Gosselin, que les éleveurs en particulier s’inquiéteraient, mais ils n’ont aucune raison de le faire : il n’y a rien de plus que ce qui se trouve déjà dans le code rural, je vous l’assure.
Racontez ce que vous voulez, mais c’est ainsi ! Je le sais pour avoir été ministre de l’agriculture. Je sais ce que nous avons fait dans le domaine du bien-être animal. Il s’agit de moderniser, de simplifier le droit, de sorte que le code civil soit harmonisé avec le code pénal et le code rural, en reconnaissant ce qui figure déjà dans ces deux derniers codes en termes de statut de l’animal. Ce n’est pas un cavalier législatif, c’est de la simplification.
En revanche, je le reconnais, adopter les sous-amendements aboutirait en effet à créer un cavalier législatif, dans la mesure où nous entrerions dans une démarche de définition en commençant à aborder le fond de la proposition de loi que Mme Gaillard a suscitée et qu’elle va défendre – proposition de loi que je respecte et que j’approuve à bien des égards. On aborderait le fond, et la question d’un nouveau statut de l’animal ; ce serait, cette fois, un cavalier législatif.
Voilà pourquoi je suis opposé aux trois sous-amendements. Ils dénaturent l’amendement no 59 et leur adoption nous ferait courir un risque juridique dans la mesure où, ainsi sous-amendé, il deviendrait un cavalier législatif. Mais si on s’en tient à mon amendement, on ne fait que simplifier et harmoniser et les choses sont très claires, sans prendre aucun risque juridique. C’est une mesure symbolique, j’en conviens, même si je ne dirai pas que cela ne sert à rien ; on peut y voir un appel à prendre d’autres mesures, mais pas plus.
L’amendement no 59 est adopté.
La parole est à M. Olivier Falorni, pour soutenir l’amendement no 51 , deuxième rectification.
C’est un amendement beaucoup moins animalier que je vais vous présenter maintenant : il reprend le texte de la proposition de loi relative au principe d’égalité en matière successorale, déposée par l’auteur de cet amendement, nommé secrétaire d’État, Thierry Braillard, et l’ensemble des membres du groupe RRDP. Il s’insère assez idéalement dans le dispositif du projet de loi puisqu’il s’agit de combler le vide juridique laissé par la décision, que j’ai évoquée lors de la discussion générale, rendue par le Conseil constitutionnel le 5 août 2011 à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, et déclarant inconstitutionnel l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, qui instaurait un droit de prélèvement en faveur des seuls héritiers français en cas de partage d’une même succession entre cohéritiers étrangers et français. Cette disposition a été censurée au motif qu’elle établissait une différence de traitement entre héritiers appelés à une même succession, en ce que le droit de prélèvement, censé garantir une égalité entre héritiers, ne profitait qu’à l’héritier français lésé. Le reproche du Conseil tient donc à ce qu’un héritier étranger lésé par une loi étrangère dans une succession ouverte en France n’était pas protégé.
Toutefois, le Conseil constitutionnel suggère, dans le sixième considérant de sa décision, de maintenir une égalité au profit d’un héritier lésé par la loi étrangère. Le problème est que les États, notamment les pays membres de l’Union européenne, appliquent soit le principe de nationalité de la loi, soit le principe de territorialité de la loi. Ainsi, le règlement du 4 juillet 2012 relatif aux successions internationales entend appliquer aux successions transfrontalières le principe dit de la « scission ». C’est le principe de territorialité qui désormais prévaut en la matière. Or le principe de nationalité de la loi appliqué aux héritiers, règle ancienne et régulièrement appliquée par le juge, touchait à l’ordre public commandé par le respect de l’égalité des partages en cas de succession, égalité qui peut toujours être rompue, nonobstant le principe de la scission. L’article 27 du règlement a d’ailleurs prévu une possibilité de dérogation à la loi normalement applicable à la succession en vertu du règlement si celle-ci est contraire à l’ordre public du for.
Loin d’être incompatible avec le droit de l’Union européenne, le droit de prélèvement peut et doit pouvoir continuer à s’appliquer, ne serait-ce que de manière subsidiaire. Le droit de prélèvement n’a pas en effet pour objet de protéger les mécanismes de réserve héréditaire, que ne connaissent pas de nombreux droits étrangers : il permet à l’héritier de compenser l’absence éventuelle de réserve.
C’est pour ces raisons que nous vous proposons d’insérer, après la section I du chapitre II du titre premier du livre III du code civil, une section I bis ainsi rédigée : « Dans le cas de partage d’une même succession entre les cohéritiers étrangers et français, tout héritier, étranger ou français, peut prélever sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont il serait exclu, à quelque titre que ce soit. »
Effectivement, monsieur Falorni, vous aviez évoqué cet amendement lors dans la discussion générale, et il devrait soulever moins de passion que le précédent. Le but est de répondre au problème posé par la décision rendue par le Conseil constitutionnel à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, et qui avait abrogé le droit de prélèvement dans la succession. Je vais toutefois vous inviter à la retirer, en vous expliquant pourquoi.
Tel qu’il est rédigé, votre amendement présente un fort risque d’incompatibilité avec le droit de l’Union européenne. Vous voulez réintroduire dans le code civil le droit de prélèvement dans la succession, qui figurait initialement à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de rétractation. Cette réintroduction présente réellement un risque de condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne, sur le fondement des dispositions du règlement européen du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions, à l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de succession et la création d’un certificat successoral européen qui entrera en vigueur dans à peine un peu plus d’un an, le 17 août 2015. L’entrée en vigueur de ce règlement européen fera disparaître les règles de droit international privé actuellement applicables, notamment, à toutes les successions dites transfrontalières, gouvernées par ce qu’on appelle le principe de scission : jusqu’à présent, tout ce qui est immobilier était régi par la loi de la situation des immeubles, alors que la succession mobilière était régie par la loi du domicile. Or il n’y aura désormais plus qu’une seule et unique loi applicable à l’ensemble des biens de la succession, quels qu’ils soient, meubles ou immeubles.
Il est vrai que le règlement a prévu une possibilité de dérogation à la loi, mais celle-ci n’est pas du tout applicable en l’espèce. Dans la mesure où la Cour de justice de l’Union européenne pourrait être amenée à censurer l’application du droit de prélèvement si nous devions le rétablir dans notre droit interne alors que celui-ci a déjà fait l’objet d’une interprétation restrictive de l’ordre public et que, par ailleurs, l’application du droit de prélèvement reviendrait finalement à priver de tout effet utile le règlement, en rendant les effets de la loi étrangère normalement identiques à ceux de la loi française, nous serions donc confrontés à une vraie difficulté.
J’espère donc vous avoir convaincu. Je sais que cet amendement était défendu par M. Braillard, qui m’en avait parlé, mais, dans la mesure où il contrevient aux dispositions d’un règlement appeler à s’appliquer dans très peu de temps, je vous invite à retirer cet amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Monsieur le député Olivier Falorni, l’avis du Gouvernement est également défavorable. Cet amendement est très travaillé, comme le montre la présentation que vous en avez faite, et j’entends bien la préoccupation du groupe auquel appartient son auteur.
Cela étant, pour les raisons que Mme la rapporteure vient d’exposer, compte tenu de l’avis du Conseil constitutionnel, rendu antérieurement à la directive européenne qui doit entrer en vigueur à la mi-août 2015, le risque de censure nous paraît réel. Il me paraît donc plus prudent de ne pas retenir les dispositions contenues dans cet amendement. Par conséquent, je vous suggère de le retirer. À défaut, je serai malheureusement dans l’obligation d’y émettre en avis défavorable, ce qui ne me plaît guère.
Je m’en voudrais de vous imposer un tel désagrément, madame la garde des sceaux, en particulier à vous… Je vais donc retirer cet amendement.
Je remarque seulement, comme je l’avais souligné dans mon intervention initiale, que le texte que nous venons d’examiner aurait pu susciter des réserves du même ordre ; mais je ne veux pas rouvrir ce débat. Permettez-moi néanmoins de saluer le travail de notre collègue Thierry Braillard, qui s’était beaucoup impliqué dans la rédaction de cet amendement.
L’amendement no 51 , deuxième rectification est retiré.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Suite du projet de loi simplifiant le droit et les procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
La séance est levée.
La séance est levée à minuit.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron