Intervention de Daniel Gibbes

Séance en hémicycle du 15 avril 2014 à 21h30
Modernisation et simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Gibbes :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce projet de loi a été présenté par le Gouvernement comme s’inscrivant dans le programme ambitieux de « simplification, d’allégement des contraintes, de clarification de l’action administrative et de modernisation du droit et des procédures », donc comme une déclinaison du fameux « choc de simplification » promis par le Président de la République.

Si nous ne pouvons que souscrire à l’objectif poursuivi, à savoir la simplification de notre droit, simplification que nous avons d’ailleurs initiée, notamment, sous la précédente législature, avec Jean-Luc Warsmann, il reste que le projet de loi qui nous est soumis n’est pas vraiment simple à appréhender, sur le fond comme sur la forme.

Ce texte n’échappe pas, comme la plupart des lois de simplification, je vous le concède volontiers, à l’agrégat de dispositions n’ayant parfois rien à voir les unes avec les autres. Impossible de ne pas penser à cette catégorie de textes qualifiés de « fourre-tout » que l’actuelle majorité a tant décriés par le passé. Ainsi, nous aurons à discuter aussi bien de points de détails plutôt anodins, comme la disparition purement sémantique de la « folle enchère » dans notre droit, de mesures concrètes comme la possibilité nouvelle du testament authentique pour les sourds-muets, que du fonctionnement de notre justice, avec la modernisation du fonctionnement du tribunal des conflits.

Des critiques similaires ont certes pu être faites dans cet hémicycle à l’encontre des lois de simplification Warsmann ou Blanc, mais ces précédentes lois avaient le mérite de laisser le législateur légiférer. Ici, non seulement le Gouvernement nous propose une myriade de dispositions, dont toutes ne sont pas mauvaises, d’ailleurs, mais, surtout, il nous demande de nous dessaisir et de le laisser légiférer par ordonnances.

Sur ce point, je tiens à saluer la volonté des sénateurs de transformer certaines habilitations en dispositions législatives directement codifiées, afin que nous ayons des débats plus éclairés sur les modalités de telle ou telle mesure. Car l’on connaît les limites du pouvoir parlementaire quant aux projets de loi de ratification des ordonnances.

Je l’ai dit, certaines dispositions font sens et simplifieront certainement notre quotidien à tous. Ce sera, je crois, le cas de la possibilité de communication par voie électronique en matière pénale, ou encore de la possibilité pour les automobilistes d’accéder directement et facilement à leur relevé de points de permis.

D’ailleurs, s’agissant du contenu de ce projet de loi, outre quelques dispositions qui méritent le qualificatif de mesures de simplification ou de modernisation, en réalité nombre de dispositions constituent des modifications considérables, pour ne pas dire des réformes fondamentales, et absolument pas de la simplification.

Je pense à l’article 1er, avec la réforme de la protection juridique des majeurs. Je crois que le fait que l’avis médical requis, lorsqu’on doit disposer du logement de la personne protégée pour la faire admettre dans un établissement adapté, pourra être émis par le « médecin de famille », et non plus uniquement par un médecin inscrit sur une liste établie par le procureur de la République, est assez attendu par les familles confrontées aux tutelles.

Je suis plus inquiet de l’adoption d’un amendement en commission des lois – et je voudrais que Mme la rapporteure ou Mme la garde des sceaux nous rassure sur ce point – concernant la durée initiale maximale des mesures de tutelle. Aujourd’hui, lorsque la tutelle est prononcée pour la première fois, le juge peut le faire pour cinq ans maximum. Après l’adoption de ce projet de loi, il pourra prévoir, dès la première fois, une mesure de tutelle pour une durée de dix années. Cette mesure ne figurant pas dans le projet de loi initial, l’étude d’impact n’y fait pas référence. En a-t-on bien mesuré les effets ?

En termes de modifications décisives dans le quotidien des Français, je pense aussi à l’article 2, avec un amendement du Gouvernement adopté en commission des lois et dont l’objet est de l’habiliter à renforcer les pouvoirs liquidatifs du juge du divorce. La rédaction de l’article ira au-delà de la simple possibilité pour le juge du divorce de désigner un notaire, éventuellement accompagné d’un juge commis, pour conduire les opérations de liquidation et de partage. À l’avenir, le juge du divorce pourra prendre des décisions relatives à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux. Ce n’est pas rien.

Je pense, enfin, à la suppression assez décevante d’un article qui ne manquait pas d’ambition. À l’article 14, le Gouvernement demandait en effet à être habilité à prendre par ordonnance toutes mesures nécessaires pour substituer des régimes déclaratifs à certains régimes d’autorisation administrative préalable auxquels sont soumises les entreprises. Cela s’inscrivait dans la continuité de l’inversion du principe opérée en novembre 2013 selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation.

Certes, l’habilitation sollicitée par le Gouvernement était particulièrement étendue puisqu’elle englobait potentiellement tous les régimes de déclaration ou d’autorisation applicables aux entreprises, ce qui a conduit le Sénat à refuser la demande d’habilitation et à supprimer l’article. Permettez-moi de regretter que le Gouvernement n’ait pas particulièrement tenu à réécrire cette disposition afin qu’elle fasse consensus.

Voilà pour le fond. Quant à la forme, il y a beaucoup à dire. Sur le recours abusif aux ordonnances, comme je l’ai déjà dit, dénoncé hier mais largement utilisé par la majorité actuelle. Sur un recours à l’urgence qui n’est manifestement pas justifié. Quel intérêt avons-nous à aller aussi vite, au risque de mal écrire la loi, surtout lorsqu’il s’agit de réformes qui ne sont pas symboliques ou modifiées à la marge ? Sur la présentation, en commission des lois de l’Assemblée nationale, de plusieurs amendements substantiels du Gouvernement, mais aussi sur le dépôt d’amendements du Gouvernement dans la nuit d’hier à aujourd’hui. Cela n’est pas sérieux ! Sur le débat en commission des lois de l’Assemblée nationale, qui n’a pas permis d’éclairer les parlementaires sur le contenu de l’article 3, relatif à l’habilitation donnée au Gouvernement pour simplifier par ordonnances le droit des contrats et des obligations. En effet, le Sénat avait supprimé cet article en première lecture, considérant qu’il n’était pas sérieux que le législateur se dessaisisse totalement en matière de droit des contrats et des obligations.

Mme Capdevielle, notre rapporteure, nous avait promis un amendement du Gouvernement au stade de la séance publique et elle n’avait pas vu de problème particulier à proposer aux parlementaires de la commission des lois de consulter le contenu de cet amendement via le site internet des Échos, lequel avait publié le projet du Gouvernement en la matière. Dans les faits, il nous a fallu attendre cette séance publique, en tout cas la réunion de la commission tenue en application de l’article 88 de notre règlement, pour savoir quel sort serait donné à l’article 3. C’est donc hier, lundi, que nous avons compris que le Gouvernement renonçait à l’amendement fleuve qui aurait pu codifier ces dispositions et demandait le rétablissement de l’habilitation du projet de loi initial. Les sénateurs apprécieront. D’ailleurs, quelle que soit l’issue de cet article en CMP, je ne suis pas sûr que la coproduction législative entre Gouvernement et Parlement y gagne. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP ne peut soutenir ce projet de loi et s’abstiendra.

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