Deuxième idée fausse : les arrêts maladie auraient massivement reculé en 2012 grâce à l’instauration du jour de carence dans les trois fonctions publiques. Là encore, je veux m’inscrire en faux. S’agissant des notes publiées par les filiales « collectivités territoriales » et « établissements hospitaliers » de l’assureur Sofaxis dont je ne conteste pas la validité même s’il est ici juge et partie, elles constatent toutes deux qu’entre 2007 et 2011 toutes natures d’arrêts confondus, la durée, la proportion d’agents arrêtés et le nombre d’arrêts augmentent tous significativement, et toujours au-delà de 10 %.
Dans les collectivités territoriales, la part du premier jour d’arrêt a représenté entre 7,5 % et 8,5 % en moyenne de l’ensemble des jours d’absence en maladie ordinaire entre 2007 et 2011. On constate, c’est vrai, une baisse inférieure en 2012 à 6,2 %, mais dans le même temps la proportion des arrêts supérieurs à quatre jours a continué à augmenter avec une plus forte hausse sur les arrêts les plus longs.
L’interprétation des auteurs de la note sur cette baisse observée en 2012 est particulièrement mesurée et à des années-lumière des manchettes qu’elle a suscitées dans la presse et qui ont été largement relayées par l’opposition. Ses auteurs pointent certes la possible évolution des comportements mais aussi davantage de présence au travail malgré la maladie – c’est ce que l’on appelle désormais le présentéisme – ou encore la pose d’un jour de congé pour couvrir leur jour d’absence. Ce constat est partagé par une communication récente de l’association des DRH des grandes collectivités. Dans ces collectivités, le nombre d’arrêts a pu diminuer en 2012 mais pas le nombre de jours d’absence. Et ce constat n’a pas entraîné de conséquences tangibles sur les finances locales, le premier jour d’arrêt représentant 1 % seulement du coût direct total de ces absences en maladie ordinaire en 2011, et 0,3 % en 2012 – je parle bien du coût direct.
Il est à noter que les taux d’absentéisme pour raison de santé observés en 2012 restent très variables selon les catégories professionnelles : de 8 % pour les agents du bâtiment dans ces collectivités jusqu’à 24 % pour les agents de nettoyage. On peut peut-être en chercher les raisons.
J’en viens maintenant à la situation à l’hôpital. Je veux m’inscrire en faux contre le courrier adressé par la Fédération hospitalière de France à Marylise Lebranchu le 19 février 2013 pour défendre sa vision d’employeur. La FHF vante un « présentéisme » renforcé qui aurait amélioré la prise en charge des patients – avec des agents malades, bien sûr… – et les conditions de travail de ces agents. Cette assertion va à l’encontre des travaux sur le présentéisme exposés récemment devant le groupe d’étude sur les conditions de travail que je préside – je n’ai, hélas ! pas le temps de développer ce sujet passionnant. Dans le même courrier, la FHF affiche un taux d’absentéisme sur les maladies ordinaires en baisse de 3 % entre 2011 et 2012 en s’appuyant sur les huit premiers mois de l’année 2012, mais elle ne dit rien, pas un mot, sur le poids réel des arrêts maladie de courte durée, et notamment ceux d’une journée. C’est un amalgame. Les données fournies par la ministre de la fonction publique ne montrent pas de recul majeur du poids des arrêts de courte durée entre 2011 et 2012.
Troisième idée fausse : cette mesure aurait permis des économies très importantes. C’est, là aussi, une affirmation facilement battue en brèche dès lors que l’on veut bien regarder les chiffres disponibles. Le premier qu’il faut garder à l’esprit, et pour ne parler que du montant des indemnités journalières, c’est le chiffre de 6,3 milliards d’euros en 2011, contre 4,3 milliards d’euros en 2000, servis par le régime général de la Sécurité sociale. S’agissant de l’économie attendue avec l’instauration du jour de carence pour les fonctionnaires, le gouvernement Fillon avait tablé sur une économie de 200 millions par an environ pour la Sécurité sociale. M. Jacob, lui, n’a pas hésité à parler de 300 millions, et, pourquoi pas, de 1 milliard si d’aventure la carence était portée à trois jours. C’est de la pure communication. Nous sommes dans la fantaisie des chiffres et surtout dans une désinformation orchestrée, très préjudiciable à l’ensemble des fonctionnaires et des salariés.
Marylise Lebranchu a eu l’honnêteté d’annoncer une économie de 60 millions d’euros environ pour la fonction publique d’État, mais je n’ai pas retrouvé de chiffre fiable pour la fonction publique hospitalière s’agissant du premier jour d’arrêt, ni sur les collectivités, et je répète que l’association des DRH des grandes collectivités considère qu’il n’y a pas eu de conséquences tangibles sur les finances locales.
Au-delà de cette querelle de chiffres, on ne peut pas omettre une réalité totalement occultée par les défenseurs du jour de carence, à savoir le coût de l’instauration éventuelle d’une couverture complémentaire pour les trois fonctions publiques, qu’il faudrait évidemment envisager dès lors que vous prétendez – et vous le faites – être équitables entre tous, entre privé et public. Mme Lebranchu a parlé d’1 milliard d’euros pendant nos débats.
En conclusion, madame la rapporteure, j’aurais préféré placer nos échanges sur un autre terrain, celui de la réalité du quotidien de travail vécu par nos concitoyens, car je sais que, comme moi, vous y êtes sensible, comme probablement l’ensemble des députés ici présents. Nous pouvons sûrement partager une réalité incontestable, celle de la progression réelle, régulière, en volume et en coût, des journées indemnisées. J’ajoute que, comme vous l’indiquez dans votre rapporteur, l’activité de liquidation des indemnités journalières, tous risques confondus, mobilise 5 330 équivalents temps plein, soit près de 10 % des effectifs du réseau de l’assurance maladie, alors qu’elle ne représente que 6 % du total des charges.
En conclusion, je veux rappeler que l’absentéisme reste un phénomène multifactoriel, mobilisant de très nombreuses explications, qui elles-mêmes peuvent se cumuler : le vieillissement de la population, puisque les plus de cinquante-cinq ans représentent 13 % des bénéficiaires d’indemnités journalières en 2010, mais 20 % du total des journées indemnisées ; les conditions de travail, avec la pénibilité des métiers, l’augmentation des accidents de travail et l’explosion des maladies professionnelles ; le contexte économique et social difficile ; les maladies saisonnières ; l’augmentation des pathologies invisibles telles les affections psychiatriques ; le management ; le contenu du travail peu motivant et la perte du sens du travail ; la mauvaise adéquation entre un agent et son poste de travail ; les risques psychosociaux ; la conciliation difficile du temps personnel et professionnel. Et la liste n’est pas exhaustive.
Il nous faut collectivement mieux analyser toutes ces données pour leur donner une vraie réponse. Je nous invite tous à rendre leur juste place, mais seulement leur place, aux contrôles, sans les rendre forcément toujours plus complexes et plus nombreux. Et je vous invite, sans succès, j’en ai peur madame la rapporteure, à renoncer au jour de carence pour les fonctionnaires, dont j’ai tenté de démontrer qu’il n’était ni équitable, ni une source réelle d’économies.
C’est pourquoi mes chers collègues, je vous demande de voter la motion de rejet préalable que je viens de vous présenter.