Intervention de Georges Fenech

Séance en hémicycle du 11 juin 2014 à 21h30
Procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech :

Je souhaite également vous rendre hommage, madame la garde des sceaux, pour avoir soutenu sans réserve cette proposition de loi, fruit d’une mission conduite par Alain Tourret et moi-même en décembre 2013 et dont le rapport avait été adopté à l’unanimité de notre commission. C’est dire l’esprit de consensus qui nous anime dès lors qu’il s’agit de défendre ces principes essentiels qui transcendent les clivages politiques traditionnels, je m’en réjouis.

Quel homme épris de justice pourrait tolérer qu’une erreur judiciaire ne puisse être réparée, dans les meilleures conditions possible, au seul prétexte de garantir le principe, certes essentiel, de l’autorité de la chose jugée ? Sans remettre en cause cette autorité, nécessaire à la paix sociale, l’institution judiciaire, et c’est tout son honneur, doit être capable plus qu’elle ne l’est actuellement de reconnaître ses éventuelles erreurs. Dire cela n’est pas, comme l’a indiqué Jean-Yves Le Bouillonnec, mettre en cause la qualité des magistrats.

Depuis 1989, date de l’importante réforme intervenue en la matière, seules huit condamnations criminelles ont été révisées. Nous pouvions légitimement nous demander, eu égard aux progrès scientifiques notamment, pourquoi un si faible nombre de requêtes avaient été admises. Les quarante-neuf auditions de personnalités que nous avons effectuées avec Alain Tourret nous ont conduits à la conclusion qu’il fallait moderniser la procédure, réaffirmer sans ambiguïté la notion de doute dans le sens que le législateur de 1989 avait exprimé, et enfin prévoir une meilleure conservation des preuves et l’enregistrement des débats d’assises afin de lever de sérieux handicaps à l’ouverture d’un procès en révision.

La loi était muette sur la composition de la cour de révision. Celle-ci pouvait donc siéger en formation plénière mais n’y était nullement contrainte : de fait, la pratique a varié. Cette liberté donnée à la cour de fixer elle-même sa composition portait une indéniable atteinte à son impartialité. Enfin, la présence des seuls magistrats issus de la chambre criminelle créait des suspicions, fondées ou non, de corporatisme et donc de partialité. Il fallait y remédier.

C’est pourquoi nous créons, auprès de la Cour de cassation, une nouvelle cour de révision et de réexamen des condamnations pénales, composée de dix-huit magistrats désignés par l’assemblée générale de la Cour de cassation, et provenant, il est important de le préciser, de toutes les chambres de la Cour de cassation. En outre, cinq magistrats seront désignés en son sein, qui formeront la commission d’instruction des demandes en révision et en réexamen.

Ainsi, nous modifions une organisation éclatée, complexe et de surcroît source de décisions en apparence contradictoires. Je citerai les deux dossiers emblématiques de ces dernières années, l’affaire Leprince et l’affaire Seznec, qui ont donné lieu à des décisions contradictoires entre la commission d’instruction et la cour de révision, donnant le sentiment d’un incompréhensible doublon judiciaire, sentiment renforcé par le fait que tous les magistrats étaient issus de la Cour de cassation.

Autre inconvénient du système actuel : la loi ne décrit que sommairement la procédure applicable devant la commission de révision ainsi que ses pouvoirs d’investigation.

Je tiens à me féliciter des améliorations apportées par le Sénat à ce texte, notamment à l’initiative de son rapporteur Nicolas Alfonsi : précision des pouvoirs d’investigation de la nouvelle cour ; clarification des modalités de représentation et d’assistance des parties ; attribution à la seule chambre criminelle de la Cour de cassation du pouvoir de statuer sur les demandes de suspension de l’exécution de la condamnation ; élargissement de la liste des requérants aux arrière-petits-enfants.

J’en viens au second et dernier point de la réforme, qui s’est traduit par une divergence avec le Sénat, au moins pour ce qui est de la rédaction. Notre assemblée avait proposé de qualifier, dans la loi, la nature du doute ouvrant droit à la révision, parce qu’en examinant la petite dizaine de cas concernés, nous nous étions rendu compte qu’à chaque fois il avait fallu apporter la preuve de l’innocence, et non pas simplement un doute. Nous avions pensé qu’il fallait introduire le qualificatif de « moindre » doute.

Tel n’a pas été l’avis du Sénat, à son habitude très hostile aux qualificatifs. Avec une pointe de regret, certes, mais tout comme notre rapporteur et tout comme vous, madame le garde des sceaux, je proposerai de nous en tenir à cette dernière version dans la mesure où il est désormais acquis, par nos travaux préparatoires et par nos discussions, que la volonté du législateur est de faire bénéficier le requérant du moindre doute pour lui permettre d’être rejugé.

Voilà donc un texte satisfaisant que nous devons adopter sans plus tarder, avec le sentiment profond d’avoir oeuvré pour le droit, pour la vérité et pour la justice.

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