Intervention de Bernard Gérard

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 15h00
Formation pratique aux premiers secours dans la préparation du permis de conduire — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Gérard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour la deuxième fois durant la présente législature et dans le cadre de l’ordre du jour à l’initiative du groupe UMP, notre Assemblée est saisie de la question de la formation des futurs conducteurs aux premiers secours durant la préparation du permis de conduire. Travaillant à faire avancer ce dossier depuis de nombreuses années, je ne puis que m’en réjouir.

En octobre 2012, je défendais ici une proposition de loi visant à former aux cinq gestes qui sauvent après un accident de la route, dans le cadre de la préparation du permis de conduire. Le dispositif proposé alors avait été rejeté, à mon grand regret, par la majorité, celle-ci avançant des motifs juridiques et pratiques alors même qu’un consensus s’était dessiné sur la nécessité de mieux former nos concitoyens à ces gestes élémentaires. Savoir prévenir les secours, baliser les lieux afin de protéger les victimes, sauvegarder la vie des blessés, voire ventiler et comprimer les hémorragies, sont non seulement des gestes indispensables pour sauver des vies mais qui répondent aussi à une demande de nombre de nos concitoyens, souvent impuissants face à une scène d’accident, ne sachant de surcroît comment hiérarchiser les urgences. En effet, selon un sondage réalisé à l’initiative de la Croix-Rouge française, seuls 46 % des Français déclarent avoir bénéficié d’une formation aux premiers secours. En l’état actuel du droit, la connaissance des gestes de premiers secours n’est ni enseignée ni sanctionnée lors de l’examen du permis de conduire. C’est pour pallier cette carence que nous remettons donc l’ouvrage sur le métier, sachant que la formation aux premiers secours dans le cadre du permis de conduire recueille l’assentiment de 98 % des Français selon un sondage Opinion Way. Il faut donc avancer.

Seuls un volontarisme politique et des moyens dégagés pour le mettre en oeuvre ont permis d’obtenir des résultats en termes d’amélioration de la sécurité routière. Entre 2002, année où le président Jacques Chirac fait de la sécurité routière une de ses priorités, et 2013, le nombre de morts sur la route, vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, a diminué de plus de moitié : 3 268 morts ont été recensés l’année dernière contre 7 242 en 2002. Afin de poursuivre cet effort et d’améliorer la survie des victimes d’accidents ayant lieu en dehors de la circulation routière, notre pays doit élargir la palette de ses outils en combinant l’approche répressive à une démarche éducative.

L’obligation de formation aux premiers secours des futurs conducteurs, pratiquée dans de très nombreux pays européens, du Danemark à l’Italie en passant par l’Allemagne et l’Autriche, apparaît aujourd’hui comme un moyen qui a fait ses preuves pour réduire la mortalité sur la route en permettant aux personnes présentes sur place d’agir pour préserver la vie humaine en pareilles circonstances, en accélérant l’arrivée des secours et en favorisant, durant l’attente, la survie des blessés grâce à quelques réflexes simples. Plus de 50 % des victimes de la route succombent en effet dans les premières minutes suivant l’accident. Selon certaines estimations, entre 250 et 350 vies seraient sauvées chaque année si les accidentés pouvaient bénéficier de gestes de premiers secours pratiqués par un témoin. Rappelons aussi que plus de 70 000 blessés sont à comptabiliser sur l’année dernière.

Il n’existe aujourd’hui qu’un seul dispositif obligatoire de formation aux gestes de premiers secours à destination d’un public assez large. Cependant, l’obligation prévue par le législateur de former les élèves à cette attestation de prévention et secours civique de niveau 1 – PSC1 –, attestation délivrée après une formation de sept heures, est mal respectée : 20 % seulement des élèves de troisième sont formés chaque année, ce qui est regrettable et justifie qu’on propose d’accorder d’autres moyens à une formation de masse aux gestes de premiers secours.

Aussi, les propositions en faveur de l’intégration à l’examen du permis de conduire d’une formation aux premiers secours ont-elles été nombreuses depuis plusieurs années, émanant de personnalités diverses. Le principe a été acquis en 2003 dans une loi sur la sécurité routière… Onze années se sont écoulées sans qu’il soit mis en oeuvre ! Sur proposition du groupe UMP du Sénat, les 19 novembre 2013 et 30 avril 2014, à l’initiative des sénateurs Jean-Pierre Leleux et Jean-René Lecerf, rejoints par plusieurs de leurs collègues, a été débattu un dispositif similaire à celui que j’avais défendu en octobre 2012. Il prévoyait l’institution d’une troisième épreuve sanctionnant la connaissance des cinq gestes qui sauvent, précisément énumérés. En pratique, la participation à la formation, de l’ordre de quatre heures, et sa validation étaient prises en charge par les associations de secourisme, qui remettaient aux intéressés une attestation.

C’est alors que sur proposition de sa rapporteure, Mme Catherine Troendlé, la commission des lois du Sénat a retenu un dispositif simplifié par rapport à celui que j’avais proposé, prévoyant la formation et le contrôle des futurs conducteurs aux notions élémentaires de premiers secours dans le cadre des épreuves existantes. Cette solution évite tout surcoût, même modeste, pour les candidats, et permet au législateur de ne pas avoir à entrer dans le détail de mesures d’application relevant du pouvoir réglementaire. Elle prévoit que les futurs conducteurs devront être « formés aux notions élémentaires de premiers secours en cas d’accident de la circulation » : dans l’esprit de la rapporteure du Sénat, cela signifie que « pourrait être imposé aux auto-écoles d’apprendre aux candidats des comportements simples, à observer en cas d’accident de la circulation ». La solution proposée présente l’avantage de favoriser la généralisation, chaque année, d’une formation au profit de l’ensemble des candidats au permis de conduire. Cependant, je souhaite bien sûr que le contenu de cette formation, défini par arrêté du ministre en charge de la sécurité routière, soit le plus ambitieux possible et développe une approche pratique allant au-delà de la seule alerte et de la protection des blessés : elle pourrait comprendre les gestes de secourisme recommandés par les autorités compétentes en matière de science médicale et d’accidentologie, telles que l’Académie de médecine.

Enfin, la présente proposition de loi prévoit que le contrôle de la formation à ces gestes de premiers secours est effectué dans le cadre de l’examen du permis de conduire. En effet, comme l’ont montré les auditions, le fait d’avoir suivi une telle formation peut avoir un effet indirect très positif en matière de sécurité routière, en induisant, notamment chez les jeunes conducteurs – les plus concernés –, un changement de comportement au regard de la prise de risque. C’est un élément dont on ne saurait sous-estimer l’importance : la présente proposition de loi est en mesure de favoriser un comportement de « conduite apaisée ».

Plus de 1,5 million de candidats se présentent chaque année à l’examen du permis de conduire. Il est évident que les connaissances acquises pourraient être réutilisées dans de nombreuses circonstances de la vie quotidienne, en cas d’urgence. Pourtant, elles restent spécifiques à la conduite.

C’est pourquoi j’ai déposé un amendement destiné à garantir que cette compétence ne soit pas uniquement théorique. Sans entrer dans le domaine réglementaire, nos débats peuvent clarifier le cadre général et préciser ce que doit recouvrir une formation aux gestes de survie. De ce point de vue, et comme cela a été envisagé au Sénat, je souhaite que des parlementaires soient associés à l’élaboration des décrets d’application. Tel était d’ailleurs le sens des propos tenus par M. Vallini au Palais du Luxembourg.

De nombreuses initiatives ayant été prises, sur tous les bancs des deux assemblées, pour mettre en oeuvre une formation de nos concitoyens aux gestes qui sauvent, chacun pourra admettre le bien-fondé de la démarche proposée. Il importe aujourd’hui, dans un esprit de consensus, de la faire aboutir dans les faits.

Mes chers collègues, je tiens ici à saluer le travail conduit au Sénat, qui a permis de lever les réserves émises à l’Assemblée en 2012. La rédaction qui en résulte constitue une avancée notable ; elle a d’ailleurs été votée à l’unanimité et a reçu un accueil très favorable du ministre. Je souhaite que ce dispositif soit accompagné de l’engagement formel du Gouvernement de mettre en place une formation pratique aux gestes de premiers secours.

Le 30 avril dernier, par la voix de M. André Vallini, le Gouvernement a pris, outre l’engagement de donner un avis très favorable au texte, celui de prendre les mesures réglementaires d’application au plus tard cet été, c’est-à-dire avant le 23 septembre. Or, lors de l’examen en commission, il a curieusement déposé trois amendements porteurs d’améliorations rédactionnelles, présentées comme marginales et donc loin d’être essentielles, mais dont certaines sont sources de confusion. Elles conduisent surtout à prévoir une seconde lecture au Sénat, si bien que l’entrée en application du texte ne pourra pas avoir lieu avant le mois d’octobre, soit bien après la date promise. Un tel report paraît incompréhensible alors qu’un consensus semblait s’être dégagé sur la rédaction du Sénat.

Pour l’éviter, je vous proposerai, par trois amendements acceptés ce matin par la commission réunie au titre de l’article 88 du règlement, de rétablir le texte adopté par le Sénat. La France est en effet déjà trop en retard par rapport à ses voisins européens, et les dispositions votées à l’initiative du Gouvernement paraissent superfétatoires au regard de l’objectif à atteindre : rendre nos concitoyens capables de sauver des vies en cas d’accident de la route.

Le sujet que nous abordons aujourd’hui est source d’unité et non de division. J’attends donc de la part du Gouvernement des précisions et des garanties sur sa réelle volonté de mettre en oeuvre la formation, et à quelle échéance. Vous comprendrez en effet que mon enthousiasme en la matière ait été quelque peu déstabilisé par sa position ambiguë. Je souhaite donc que nos débats, ainsi que la navette parlementaire, puissent lever ces ambiguïtés et permettre la mise en place, au bénéfice de tous, d’une formation pratique aux gestes de premiers secours.

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