Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 15h00
Dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de notre chère commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, chers collègues, je suis très heureuse d’être avec vous ce soir. Le droit d’auteur est un sujet complexe, que nous n’avions malheureusement pas encore eu l’occasion d’évoquer dans cet hémicycle depuis 2012. C’est pourquoi il me paraît nécessaire de revenir aux sources.

Le droit d’auteur, notre rapporteur l’a rappelé, est né après la Révolution française pour protéger les auteurs, non pas des abus du public, comme je l’entends trop souvent, mais des abus des intermédiaires, notamment les éditeurs et les distributeurs. À de nombreuses reprises, cette protection a été étendue et sa durée allongée. Il est pourtant naturel qu’elle finisse par s’éteindre. Le statut naturel d’une oeuvre, c’est d’être un bien commun de l’humanité. Homère, Molière, Racine, pour ne citer que quelques auteurs, nous sont familiers justement parce que leur diffusion, leur adaptation, leur représentation, sont totalement libres. Et, tant qu’à citer les classiques, voici quelques mots de Victor Hugo, extraits de son discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878 : « Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n’est pas trop vaste – au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous. »

Chers collègues, je ne réclame pas de sacrifier les droits d’auteur. Nous allons intégrer dans le droit français des dispositions qui prolongent les droits des artistes-interprètes, et le groupe écologiste les votera. Je tiens cependant à vous rappeler l’importance, pour l’intérêt public, de la libre transmission du savoir et de l’art, et donc des oeuvres artistiques. Ici, à l’Assemblée nationale, c’est bien l’intérêt public qui doit nous guider avant tout intérêt particulier, même lorsqu’il s’agit du droit de nos auteurs favoris.

J’en profite pour ouvrir une petite parenthèse. Le droit d’auteur est un des moyens de garantir une rémunération aux créateurs, mais c’est loin d’être le seul. Il est de nombreux secteurs où des créateurs gagnent leur vie, parfois très bien, sans qu’aucune protection similaire au droit d’auteur n’existe. Citons les couturiers, dont les créations ne peuvent pas être protégées. Citons les entraîneurs sportifs, notamment ceux de football américain, dont les tactiques alambiquées ne peuvent être protégées. Citons enfin des créateurs chers à nos coeurs, je pense aux cuisiniers. Ils peuvent, au mieux, espérer entrer dans l’histoire de la gastronomie en laissant leur nom à une recette. Ils n’y gagneront pas l’exclusivité de cette recette, et encore moins une rémunération. Il s’agit pourtant indéniablement de créateurs.

Ce soir, je me contenterai de vous proposer des mesures d’équilibre. La première consiste en un respect encore plus scrupuleux de la directive européenne sur les droits d’auteur.

La première des directives qui nous rassemblent aujourd’hui rappelle, dans son premier article, que la durée de protection commune à tous les pays européens est de soixante-dix ans après le décès du dernier des auteurs.

Le droit français comporte cependant deux exceptions qui ont été maintenues lors de la transcription de la directive de 1993. II s’agit des prorogations pour faits de guerre et de celles applicables aux auteurs morts pour la France. Les prorogations de guerre ajoutent quatorze ans et deux cent soixante-douze jours de protection aux oeuvres publiées avant la Première Guerre mondiale, et huit ans et cent vingt jours de protection à celles publiées avant la Seconde Guerre mondiale. L’objectif était de dédommager les auteurs pour la non-exploitation de leurs oeuvres durant la guerre. Cette première exception complique considérablement les calculs de durée de protection.

La seconde exception, la prorogation des droits des auteurs morts pour la France, ajoute une autre couche de complexité, notamment parce qu’elle se cumule avec les prorogations de guerre.

Ces exceptions sont exclusivement françaises ; j’expliquerai dans quelques instants en quoi cela pose un problème très sérieux.

Ma proposition est de supprimer ces exceptions, qui contreviennent à l’esprit et à la lettre de la directive européenne. À l’esprit, parce que ces exceptions purement françaises contreviennent à la volonté d’harmonisation du droit patrimonial à soixante-dix années post mortem pour tous les pays de l’Union européenne. À la lettre, parce que l’article 1er fixe impérativement cette durée à soixante-dix ans, et ne permet pas d’exception.

J’ai bien entendu que certains ne trouvent pas heureux de toucher à ces exceptions en 2014, année où nous avons célébré le centenaire du début de la Première Guerre mondiale et le soixante-dixième anniversaire du Débarquement. Mais il faut justement se saisir de cette occasion pour supprimer la prorogation de trente ans accordée aux auteurs morts pour la France, afin de ne pas tenir fermé d’un côté ce que l’on met en évidence de l’autre.

Ainsi, les oeuvres de Jean Zay, mort pour la France en 1944,…

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