Intervention de Sandrine Doucet

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 15h00
Dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Doucet :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici face à une procédure institutionnelle qui prévoit la transposition dans le droit français de trois directives du Parlement et du Conseil européen concernant des aspects de la production littéraire, artistique et du patrimoine culturel. Trois directives sont concernées : celle de 2011 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, celle de 2012 sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines et celle de 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre.

Je me permettrai d’appeler votre attention sur le contexte de cet exercice législatif, sans revenir sur les circonstances du retard, déjà évoquées par le rapporteur. La transposition devrait nous inviter à un exercice normatif, mais celui-ci ne nous privera pas de l’occasion d’exprimer, dans la suite du débat, nos interrogations, lesquelles révèlent autant notre vigilance en matière d’application du droit que notre volonté de nous inscrire dans le contexte européen.

Je tiens à évoquer le contexte actuel à deux titres. Le premier pourrait paraître nous éloigner du sujet, mais il a trait à l’esprit, au ciment européen. Je revendique cette inspiration, car c’est bien de cela que nous avons tous parlé au début du mois de novembre. En effet, la célébration du vingt-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin a permis l’évocation, ô combien émouvante, des images de Rostropovitch jouant devant le mur détruit. Tout nous émeut, car tout nous parle : l’histoire, incarnée par ce mur, la musique de Bach, bien commun des arts européens, ainsi que la vie de son interprète, qui a connu gloire et disgrâce en fonction des aléas de l’histoire.

Tout nous parle car, bien avant les traités et les directives, la culture européenne a existé, faite de partage et de circulation des idées. C’est ce que met en évidence Stefan Zweig dans ce qui sera son dernier livre, écrit en 1942 : dans son exil brésilien, il exprime son effroi de voir disparaître cette richesse commune, à laquelle il a contribué. Il s’agit bien, dans ce projet de loi, de protéger et perpétuer.

La durée de protection a été une des premières questions harmonisées à l’échelon européen dans le domaine du droit d’auteur et de certains droits voisins en 1992 et 1993. La directive de 1993 justifiait la durée de cinquante ans par la nécessité d’instaurer un niveau de protection élevé, répondant à la fois aux exigences du marché intérieur et au besoin de créer un environnement juridique propice au développement harmonieux de la créativité littéraire et artistique dans l’Union européenne.

Ces droits voisins, dont nous débattons, sont attribués à différentes personnes, physiques ou morales, qui interviennent dans le voisinage de la création. La directive du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2011 a modifié cette directive afin d’allonger de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits voisins dans le secteur musical.

L’allongement de la durée des droits par la Commission européenne est motivé par l’accroissement de l’espérance de vie des artistes-interprètes et par l’extinction de plus en plus fréquente des droits patrimoniaux du vivant des artistes-interprètes à une période où ils n’ont généralement plus d’activité professionnelle. L’objectif est de permettre à cette catégorie de percevoir des revenus sur une période pouvant couvrir toute leur vie.

La Commission a aussi considéré que les artistes-interprètes se trouvent démunis, lorsque leurs droits ont expiré, face à des usages discutables de leurs prestations et portant atteinte à leur personne. De même, les artistes-interprètes sont désavantagés par rapport aux auteurs, qui bénéficient d’une durée de protection de soixante-dix ans post mortem, alors même qu’ils contribuent de manière déterminante au succès des oeuvres musicales.

Ainsi, en transposant des directives plus récentes, nous formons l’alliance habile et nécessaire entre le droit des personnes et la construction européenne. Mais aussi, par l’allongement de la durée de protection, nous inscrivons dans notre législation le fait démographique du vieillissement de la population, cette révolution qui se traduit par le développement de la silver économie, chère à ma collègue bordelaise Michèle Delaunay.

La deuxième directive, portant sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines, s’inscrit dans la même logique, mais dans un espace plus large. Dans ce titre II, je tiens à appeler votre attention sur l’article 4, qui, entre autres dispositions, définit les utilisations des oeuvres orphelines. Il s’agit de permettre aux bibliothèques ouvertes au public, aux musées, aux services d’archives, aux institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore, aux établissements d’enseignement et aux organismes de radiodiffusion de service public de numériser et de mettre à la disposition du public, sur internet, des oeuvres orphelines appartenant à leurs collections ou à leurs archives. Ils ne doivent rechercher aucun avantage économique ou commercial, même s’ils peuvent réclamer aux usagers une participation financière correspondant aux frais de numérisation.

Les oeuvres orphelines vont désormais faire partie de notre culture commune en étant accessibles à tous. C’est bien ce contexte nouveau offert par la numérisation qu’il faut évoquer ici. Amplifier le domaine de la prospection littéraire tout en permettant de continuer à protéger les droits voisins, voilà un défi que, grâce aux possibilités offertes par le numérique, la construction européenne relève, pour la culture de tous les citoyens.

Cet article nous renvoie aussi à la modernité européenne, sans cesse renouvelée, marquée par la circulation des idées et la communauté de pensée. Je me permettrai, pour étayer ma démonstration, de remonter exactement cinq siècles, quand Érasme construisait avec d’autres humanistes un espace virtuel, appelé « la République des lettres », faite d’échanges, de rencontres et, surtout, de la diffusion de livres. Cela fut possible grâce à une révolution technologique, l’imprimerie, et grâce à l’apparition d’un nouveau métier, celui d’imprimeur-éditeur. Aujourd’hui, nous parlons toujours de ces métiers artistiques et culturels, depuis la création jusqu’à la production, qui sont confrontés aux nouvelles technologies et ont un espace de diffusion à conquérir et à maîtriser.

Quant à la dernière transposition, elle vise à protéger les patrimoines nationaux. Hélas, le passé nous a trop souvent montré que les guerres, les pillages et les spoliations ont fait disparaître nombre d’oeuvres. Aujourd’hui, les trafics en tous genres nous imposent d’adapter rapidement notre réglementation. Mais le droit n’a pas permis de remporter le combat le plus emblématique en la matière, celui de la ministre de la culture grecque Melina Mercouri qui, de 1983 jusqu’à sa mort, a revendiqué le retour à Athènes de la frise du Parthénon, conservée au British Museum. Ce combat nous a frappés car il a trait avant tout à notre creuset culturel européen.

La Commission européenne a adopté successivement, en mai 2013, avril 2014 et mai 2014, des directives relatives à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre et modifiant le règlement no 10242012 de l’Union européenne. C’est bien sûr la dernière que nous transposons, mais leur succession dans un délai très court montre l’importance du sujet dans l’espace européen. La précédente directive, publiée en 1993, visait à concilier le principe fondamental de la libre circulation des marchandises et la nécessité d’une protection efficace des trésors nationaux.

Cette dernière partie du projet de loi nous conduit à modifier notre définition de la notion de trésor national. En effet, l’enthousiasme d’un adolescent – je pense à Mommy de Xavier Dolan, son magnifique film primé à Cannes – ne suffit pas pour faire d’une chanteuse populaire québécoise un trésor national et pour ranger du côté des biens inamovibles tous les talents et toutes les productions artistiques et culturelles. Notre droit définit plus précisément ce que sont les trésors nationaux, de manière à prendre en compte tous les biens culturels relevant du domaine public mentionnés dans le code général de la propriété des personnes publiques, mais il vise également expressément les archives publiques. En termes opérationnels, l’application de la notion de trésor national à l’ensemble des archives publiques est un facteur d’efficacité de la procédure de protection instituée à leur bénéfice en application de la directive.

Madame la ministre, protégeons nos oeuvres, nos artistes, nos patrimoines, notre culture commune en nous inscrivant dans le droit européen. C’est à cela que nous conduisent ces adaptations. Pour ces bonnes raisons, le groupe SRC votera ce projet de loi.

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