Intervention de Frédéric Reiss

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 15h00
Dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Reiss :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi d’adaptation au droit de l’Union européenne procède à la transposition de trois directives européennes.

L’une d’entre elles — la directive 201177UE relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins — sera transposée dans notre droit interne avec un an de retard sur le délai de transposition. Elle devait en effet être transposée au plus tard le 1er novembre 2013.

Madame la ministre, la précipitation du Gouvernement qui nous propose d’examiner, dans des délais très serrés, ce projet de loi sur lequel il a engagé la procédure accélérée, a même privé notre rapporteur de l’opportunité de mener des auditions.

Il s’agit, donc, de textes très techniques. Mais ce n’est parce que l’exercice de transposition d’une directive dans le droit positif national laisse une marge de manoeuvre restreinte aux parlementaires qu’il faut considérer que ces derniers n’ont pas besoin de s’approprier le fond du sujet.

En vertu du principe de subsidiarité, il nous faut admettre que certaines compétences partagées sont traitées de manière plus pertinente au niveau européen que national. Ce ne serait pas un problème si le Gouvernement ne nous forçait pas la main en nous imposant des délais quasiment intenables.

De notre point de vue, ces méthodes font peser sur une partie du dispositif proposé un risque d’insécurité juridique. La loi permet en effet une entrée en vigueur rétroactive au 1er novembre 2013 des dispositions de la directive de 2011 relative aux droits voisins.

Or, durant la période séparant le 1er novembre 2013 de la date de publication de la loi, rien n’empêche des tiers d’exploiter les catalogues bénéficiant de l’extension des droits, alors même que ces catalogues auraient déjà pu bénéficier d’une protection si le Gouvernement avait transposé dans les temps cette directive. Que pouvez-vous nous répondre, madame la ministre, sur ce sujet ?

Cette directive harmonise, en fonction du type d’oeuvre, la durée de protection des droits d’auteur et des droits voisins. Elle étend ainsi de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes.

Comme l’a déjà relevé Sandrine Doucet, il s’agit de trouver le bon équilibre entre, d’une part, l’allongement de l’espérance de vie des artistes – qui voient souvent de leur vivant leurs droits patrimoniaux s’éteindre – et, d’autre part, le risque de réduction du domaine public.

Bien sûr, cette extension des droits patrimoniaux place leur durée très en deçà de celle du droit d’auteur, qui est de soixante-dix ans après la mort de l’artiste.

Rappelons qu’au départ, la Commission européenne avait proposé une protection d’une durée de quatre-vingt-quinze ans. La période de soixante-dix ans permet de trouver un équilibre et d’éviter, dans un premier temps, la réappropriation par des tiers exploitants de phonogrammes tombés dans le domaine public.

Pour accompagner la mise en place de cette période de protection additionnelle, des mesures d’adaptation sont prévues. Le versement d’une rémunération annuelle supplémentaire de 20 % des recettes nettes perçues par le producteur au bénéfice des artistes ayant cédé leurs droits contre une rémunération forfaitaire peut notamment intervenir. Madame la ministre, l’exception culturelle française ne permet pas, sur ce point, une simple transposition : Mme Isabelle Attard a déjà évoqué ce sujet.

Le considérant no 12 de la directive prévoit que cette rémunération proportionnelle supplémentaire ne peut être perçue par l’artiste que lorsque celui-ci n’est en droit de revendiquer qu’un « paiement unique » en contrepartie de la cession de ses droits.

Or les musiciens français ne se trouvent pas dans ce cas puisqu’ils perçoivent, comme le prévoit la convention collective de l’édition phonographique, à la fois un cachet, une rémunération complémentaire forfaitaire et une rémunération proportionnelle sur certains usages.

Le projet de loi de transposition n’est donc pas conforme, sur ce point, au texte de la directive. Il risque de fragiliser cette convention collective. En effet, la rémunération supplémentaire de 20 %, ajoutée à la rémunération proportionnelle de 6 % déjà prévue par cette convention collective, menace directement l’équilibre économique des producteurs.

J’ai posé la question des marges des producteurs à notre rapporteur en commission, mais sa réponse a été pour le moins évasive. Madame la ministre, comment cette mesure va-t-elle pouvoir s’articuler avec la convention collective qui encadre les rémunérations proportionnelles du secteur ?

Pour conclure sur cette première directive, le titre IV du projet de loi prévoit des mesures transitoires d’application. Le III de l’article 7, qui offre aux artistes et producteurs la possibilité de renégocier leur contrat au-delà des cinquante premières années de la nouvelle durée de protection, soulève une question de rédaction juridique.

Il ne faudrait pas qu’a contrario cette possibilité annihile toute possibilité de renégociation pendant les cinquante premières années. De plus, il ne faudrait pas que cette possibilité soit interprétée comme une obligation de renégocier et de conclure cette renégociation dans le sens du considérant no 16 de la directive. Celui-ci, je le rappelle, demande aux États de prévoir une renégociation au bénéfice de l’artiste.

Si cette rédaction était maintenue, elle entraînerait le risque, de notre point de vue non négligeable, de voir les producteurs transférer l’ensemble de leurs contrats, et par conséquent, l’ensemble de notre patrimoine musical, vers les pays qui ont choisi de ne pas transposer cette disposition relative à la renégociation.

Madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer sur ce point ? Pouvez-vous nous confirmer que le III de l’article 7 consiste en une simple redite de notre droit positif, qui ne saurait se traduire par une obligation de conclure la renégociation qui aura été demandée par l’artiste ?

Concernant la directive de 2012 portant sur les oeuvres orphelines, nous ne pouvons que nous réjouir de sa transposition. Elle traite en effet d’un sujet que nous avions déjà abordé lors de l’examen par notre assemblée de la proposition de loi relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle, dite proposition de loi « Gaymard-Legendre ».

Cette proposition de loi, devenue la loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des oeuvres indisponibles, définit déjà, dans notre droit, les oeuvres orphelines : il s’agit des oeuvres dont le ou les titulaires n’ont pu être ni identifiés, ni localisés, et ce malgré une recherche souvent diligente.

Cette loi du 1er mars 2012 a mis en place un dispositif permettant l’exploitation de ces oeuvres orphelines. Ce dispositif a le mérite d’exister mais il s’avère, il faut bien le reconnaître, relativement restrictif. Son caractère contraignant tient surtout au délai d’autorisation d’exploitation de dix ans, mais également au public ciblé en cas de diffusion numérique de l’oeuvre, c’est-à-dire les abonnés des bibliothèques – parfois exclusivement, d’ailleurs.

Toutefois, il est permis de douter d’un recours massif à la possibilité ouverte par la directive. Selon les informations communiquées par le rapporteur, les recherches pourraient s’avérer longues et coûteuses pour les organismes bénéficiaires, sans compter le risque encouru par ces derniers de voir réapparaître un ayant droit et de devoir lui verser une compensation pouvant donner lieu à contentieux.

Enfin, concernant la directive de 2014, qui constitue une refonte de la directive de 1993 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre, espérons qu’elle permettra de lutter plus efficacement contre le trafic des biens culturels dans l’espace européen.

Nous saluons donc les outils proposés, c’est-à-dire l’élargissement du champ des biens culturels concernés ainsi que l’allongement des délais qui encadrent l’action de l’État requérant.

On a cru comprendre que la France s’était opposée à la disposition la plus importante de cette directive, à savoir le transfert de la charge de la preuve de la bonne foi vers le possesseur du bien, cette bonne foi n’étant plus présumée mais devant être prouvée par ce dernier. Peut-on avoir, madame la ministre, vos lumières sur les implications de cette révolution juridique ?

Madame la ministre, pour conclure, nous défendrons quelques amendements tout en espérant que nos questions ne resteront pas sans réponse. Mais le groupe UMP aborde ce débat de manière très constructive, et se prononcera en faveur de ce projet de loi.

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