Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, si nous sommes réunis cet après-midi pour cette troisième lecture, dite du dernier mot, c’est que sur ce texte, qui aurait pu aboutir à une sorte de consensus intéressant, il y a des désaccords depuis l’origine et qui persistent au point qu’il faut aujourd’hui trancher, ce qui est le rôle de notre assemblée, comme le prévoit la Constitution.
Quand on connaît les sujets sur lesquels ces différends sont apparus, je pense qu’il faut s’y appesantir un petit peu même si, comme l’a indiqué le président de la commission des lois ce matin en commission, presque tout a été dit et nous pouvons nous efforcer d’être assez rapides.
Il y a d’abord une disposition qui n’était pas dans le texte d’origine, auquel on a voulu la raccrocher, même si c’était un peu tiré par les cheveux. Soyons clairs : on peut en discuter, être d’accord ou ne pas être d’accord, mais cette disposition n’a a priori pas grand-chose à faire dans le texte. Philippe Gosselin nous en dira un peu plus.
Venons-en plutôt à ce qui pose réellement problème : l’article 3. Je voudrais ici mettre en lumière un certain nombre de contradictions, du Gouvernement et de notre assemblée, ou plutôt de la majorité, qui a pris la décision de le maintenir en l’état.
Nous sommes tous d’accord, le droit actuel des contrats doit être réformé. Un travail approfondi a été commencé au sein des services de l’État, de la Chancellerie, et il mérite d’aller à son terme. Mais là où nous ne pouvons pas être d’accord, c’est sur la méthode et ses résultats.
Il faut aller vite. Qui dit aller vite dit procédure hier d’urgence, accélérée aujourd’hui. Résultat de votre entêtement à ne pas vouloir écouter ceux qui, ici, vous ont dit que la méthode ne convenait pas, et ceux qui au Sénat vous l’ont dit également à deux reprises, vous qui vouliez aller vite en êtes pratiquement à deux ans entre l’annonce de cette réforme par le Président de la République et le moment où nous allons nous prononcer définitivement non pas sur la réforme elle-même, mais sur l’habilitation que nous donnerions au Gouvernement à légiférer par ordonnances. Vous qui vouliez aller vite, vous qui disposez d’un travail de qualité, qui doit aboutir, vous avez, par votre acharnement à utiliser les ordonnances, fait perdre deux ans à ce texte.
Si, lors de la présentation du texte il y a un an et demi, vous aviez mis toutes les dispositions nécessaires dans l’article 3, nous n’en serions pas là et je trouve un peu surprenant que le Gouvernement et notre commission, par la voix de son président, qui applaudissait tout à l’heure, estiment, alors que les éléments sont connus et qu’un grand travail de qualité a déjà été effectué par le Gouvernement, que nous ne pourrions pas, nous parlementaires, nous en saisir, dans un laps de temps qui n’aurait pas besoin d’être très long puisqu’il y a un accord assez vaste sur les décisions à prendre.
Une telle position ne fait que renforcer la nôtre, une position de principe qui s’appuie aussi sur le fait que, à notre avis, et le Conseil constitutionnel tranchera entre cette opinion et celle du Gouvernement, cette habilitation va au-delà de ce que, dans son esprit, autorise l’article 38.
Il s’agit en effet, nos concitoyens doivent le savoir, d’autoriser le Gouvernement à procéder par ordonnance à la réforme du livre III du code civil : « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ». Une paille ! Vous prétendez que les modifications sont exclusivement techniques, à droit constant. Si c’est le cas, prenons-les très rapidement, il n’y a pas grand-chose à faire ! Sinon, il faut prendre le temps de les étudier, et c’est au Parlement de prendre les décisions. Il s’agit en fait, purement et simplement, de dessaisir le législateur que nous sommes de sa compétence sur une matière essentielle dans le quotidien de nos concitoyens, le droit des contrats.
Ainsi, contrairement à ce que vous prétendez, madame la ministre, le champ visé par l’ordonnance est plus que vaste : on va traiter de la formation du contrat, des modalités de sa conclusion, de sa validité, de son contenu, de sa forme et des sanctions, nullité et caducité, qui peuvent le frapper. Et l’ordonnance devra aussi rassembler les règles relatives à l’interprétation du contrat comme celles relatives à ses effets. Nous sommes loin du détail technique et du droit constant !
Cette ordonnance est également censée clarifier les règles relatives aux quasi-contrats – gestion d’affaires, paiement de l’indu, enrichissement sans cause – et enfin moderniser le régime général des obligations, en prévoyant les modalités qu’elles peuvent recouvrir, leur extinction, les actions ouvertes aux créanciers, les opérations de cession ou de modification des obligations, ainsi que le régime des restitutions. Comme vous l’avez expliqué, que du détail technique, aucune modification sur le fond ! Sinon, pourquoi nous dessaisir…
Face à un tel chantier, qui, je le répète, est nécessaire, et attendu, comme l’a justement souligné notre rapporteure, le Sénat a joué son rôle, à deux reprises et sous deux majorités successives. Quand il s’est prononcé pour la première fois contre l’article 3, sa majorité était de gauche. D’ailleurs, la commission mixte paritaire aussi, qui a échoué principalement à cause de cet article, a eu lieu avant le changement de majorité de septembre dernier.
Je ne voudrais pas être cruel mais, pour éclairer l’ensemble de nos collègues avant que nous ne donnions notre dernier mot, voici ce que disait le rapporteur socialiste au Sénat de ce qu’il fallait en penser de ces dispositions : « L’étendue des choix qui pourraient s’ouvrir au législateur et qui risquent de n’être tranchés que par le pouvoir réglementaire montre toute l’imprécision de l’habilitation proposée : sous couvert de clarification, l’ordonnance validera-t-elle la jurisprudence relative à la date et au lieu de formation du contrat ou, au contraire, la modifiera-t-elle ? Quelles exceptions au principe du consensualisme le pouvoir réglementaire retiendra-t-il ? Quelles limites seront données à la consécration de la théorie de l’imprévision ? Que faut-il entendre par la modernisation des règles applicables à la gestion d’affaires et au paiement de l’indu ? »
Il concluait : « Compte tenu de l’ampleur de la réforme, de la multitude des sujets évoqués et de l’imprécision de la plupart des formulations, la question de la constitutionnalité de l’habilitation pourrait donc être posée. » Tout est dit, madame la ministre, et je suis surpris que votre gouvernement n’ait pas eu la sagesse d’écouter ce que disait le rapporteur socialiste à propos de cette initiative.
Nous regrettons d’avoir à le faire, mais il s’agit pour nous d’une question de principe, et qui est particulièrement adaptée au sujet dont il est question, le droit des contrats. C’est pourquoi, pour cette raison essentielle et pour d’autres développées par mes collègues, le groupe UMP, tout en reconnaissant que plusieurs autres passages du texte ont un intérêt et font consensus, votera délibérément contre ce projet de loi.