Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du 2 avril 2015 à 9h30
Perte de la nationalité française et crime d'indignité nationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le terrorisme djihadiste a frappé la France et continue de la menacer. Il occupe nos travaux, alimente les angoisses de nos concitoyens, ébranle et défie notre modèle de société. Ce phénomène, inédit par sa nature et par son ampleur, mute comme un cancer et appelle des réponses fortes et innovantes.

Les conflits armés se multiplient à travers le monde. Dans une grande partie du Moyen-Orient, dans le Sahel, au Nigeria, les États se sont effondrés et les sociétés sont déchirées par des guerres civiles. Partout, c’est l’islam radical djihadiste, qu’il soit sunnite ou chiite, qui est la source de ces conflits et qui menace la paix et la stabilité internationales.

La France et l’Europe ne sont hélas plus à l’abri, comme le montrent les attentats commis à Toulouse en 2012, et plus récemment à Paris, mais aussi à Copenhague. Mais il y a plus, et c’est un comble : un nombre croissant de citoyens français s’engagent aux côtés des terroristes islamistes, parfois contre nos propres forces, et se livrent eux aussi à des exactions innommables. Ils sont l’un des nouveaux visages de la barbarie la plus abjecte, et le phénomène va en s’aggravant. Ils étaient cinquante en mars 2013, et le ministère de l’intérieur dénombre aujourd’hui plus de 1 400 Français impliqués dans des filières djihadistes. Parmi ceux-ci, une bonne moitié, soit environ 700 personnes, serait actuellement présente en Syrie et en Irak. Mais combien ne sont pas répertoriés ? Combien exactement sont rentrés sur le territoire national ? Combien d’émules ont-ils fait ? Nul ne le sait vraiment.

Le djihad est devenu l’échappatoire de toutes sortes de déséquilibrés en quête de repères et en mal de gloire. Nombre de ces djihadistes français – plus de 25 % d’entre eux, semble-t-il – sont des convertis. Et cette tendance déconcertante frappe les hommes comme les femmes, les citadins comme les ruraux, les jeunes insérés comme les désoeuvrés. On leur promet aventure, argent, armes, puissance, sexe même ! Ils sont légions, en Syrie, en Irak, dans le Sahel, en France même, chez nous, dans les prisons, dans les cités, au coeur de nos villes où, à l’instar des Nemmouche, Kouachi ou Coulibaly, ils sont déterminés à poursuivre leur lutte barbare, sans limites ni concessions, contre la France et ses symboles. Ouvrons les yeux : le djihad a été importé sur le sol national.

Quelques rappels, d’abord.

Le groupe UDI a pris depuis longtemps conscience de l’ampleur et de la gravité du phénomène, et nous avons fait des propositions pour répondre aux défis posés par ces terroristes djihadistes de l’intérieur. C’est ainsi qu’avec Jean-Christophe Lagarde, nous avons évoqué, dès septembre 2014, l’opportunité d’une loi visant à étendre la déchéance de la nationalité française à tout individu portant les armes ou assistance aux côtés de terroristes, dans le respect des principes fondamentaux du droit de la nationalité. En décembre 2014, notre groupe avait apporté son soutien – avec quelques réserves, certes – à la proposition de loi déposée par Philippe Meunier « visant à déchoir de la nationalité française tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police ». J’avais personnellement, comme beaucoup de collègues de l’opposition, proposé plusieurs amendements, dont un portant interdiction des drapeaux d’organisations terroristes, l’autre privant du droit aux prestations sociales les djihadistes et leurs familles. Tous ces amendements de l’opposition furent hélas rejetés par l’Assemblée nationale.

La présente proposition de loi reprend certains des amendements rejetés en décembre dernier. Le texte que nous examinons aujourd’hui définit ainsi, à l’article 1er, une nouvelle situation pouvant entraîner la perte – et plus seulement la déchéance – de nationalité. Il rétablit par ailleurs, à l’article 2, le crime d’indignité nationale. Le groupe UDI soutient la présente proposition de loi, même s’il estime qu’elle doit être complétée pour en renforcer l’effectivité et l’efficacité. Par-delà le symbole et la réaffirmation de l’idéal républicain face à la barbarie du terrorisme djihadiste, ce sont des réponses concrètes qu’il faut apporter, et des moyens opérationnels qu’il convient d’accorder à l’État, dans le respect des droits et libertés qui sont au coeur de notre modèle républicain.

L’article 1er de la proposition de loi prévoit la perte de nationalité, applicable à tout individu binational, arrêté ou identifié portant les armes, ou se rendant complice par la fourniture de moyens à des opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises ou tout civil français. Et ce, aussi bien sur un théâtre d’opération extérieure où la France est engagée que sur le territoire français, si l’individu agit au profit d’un État ou d’une organisation contre lequel la France est engagée militairement.

Notre groupe considère que l’article 1er de la proposition de loi permet de pallier une carence de notre droit positif et qu’il apporte une réponse efficace à ce nouveau phénomène. En l’état actuel du droit, le code civil permet de retirer la nationalité aux individus qui se seraient livré « au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France » Or, si le droit mentionne les actes accomplis au profit d’un État étranger, il ne prévoit pas explicitement le cas de ceux qui portent les armes contre nos soldats, nos forces de police et nos concitoyens. L’acquisition de la nationalité française, quel que soit son mode, est et doit demeurer un acte fort et symbolique. La perte est, et doit demeurer, l’exception.

Pour autant, des individus qui s’affichent ouvertement comme des ennemis de la France et qui la vomissent peuvent-ils encore se revendiquer français ? Au-delà de la portée purement symbolique qu’on a bien voulu lui prêter, cette disposition serait aussi une mesure utile de prévention et de protection, puisqu’elle permettrait d’identifier et d’éloigner les djihadistes binationaux. Cette mesure, la République la doit à l’armée française, à nos forces de police, aux journalistes et libres-penseurs, et plus généralement à tous les citoyens, et plus particulièrement aux Français juifs, qui sont à chaque fois ciblés par les djihadistes, uniquement parce qu’ils sont juifs.

En ce qui concerne les personnes visées, il s’agit uniquement de binationaux. Aucun risque donc de porter atteinte aux principes fondamentaux du droit français de la nationalité : personne ne sera privé du droit d’avoir une nationalité, personne ne sera apatride. Ce texte est pleinement compatible avec les engagements internationaux de la France. De plus, il ne crée pas de rupture d’égalité devant la loi, selon que le terroriste en cause a été naturalisé ou qu’il a acquis la nationalité française en naissant sur le sol national ou par filiation. Contrairement à la proposition rejetée en décembre dernier, la mesure s’applique de manière égale à tous les binationaux.

S’agissant de l’introduction d’un crime d’indignité nationale à l’article 2, le groupe UDI soutient cette mesure répressive, même s’il estime qu’elle devrait être complétée par un volet préventif, consistant à imposer un contrôle administratif des personnes soupçonnées de s’être engagées dans des groupes terroristes à l’étranger. Cette peine a une fonction de cohésion nationale. Ce texte permet de viser et d’exclure les détenteurs de la seule nationalité française se rendant coupables des faits mentionnés dans l’article 1er. En effet, ces derniers échappent, hélas, conformément aux engagements internationaux de la France, aux risques de perte ou de déchéance de nationalité du fait qu’ils deviendraient apatrides. Logiquement, ce crime serait lourdement puni : jusqu’à trente ans de détention criminelle et 450 000 euros d’amende, et une peine complémentaire de dégradation nationale qui serait systématiquement appliquée, et qui implique toute une série de privations de droits.

Certains affirment que s’inspirer de l’héritage de la Libération serait anachronique, que le contexte de l’après-seconde guerre mondiale était trop particulier pour inspirer le législateur en 2015. Pour notre part, nous avons la conviction que le combat se situe sur le terrain des valeurs, de la civilisation. Et nous sommes d’accord avec le rapporteur de la proposition de loi : les principes qui ont inspiré les rédacteurs de l’ordonnance de 1944 sont plus que jamais valables et d’actualité : « Tout Français qui s’est rendu coupable d’une activité antinationale caractérisée » est « un citoyen indigne dont les droits doivent être restreints dans la mesure où il a méconnu ses devoirs ».

On a parlé de portée purement symbolique, mais les symboles comptent, mesdames et messieurs les députés ! Les djihadistes, eux, l’ont, hélas, bien compris. C’est le rôle de la représentation nationale de définir le cadre du vivre ensemble, le domaine de la République.

D’aucuns soutiendront que, les djihadistes ayant une psychologie très éloignée des vichystes, la portée symbolique serait nulle. Pire : cette mesure aurait l’effet pervers d’alimenter la martyrologie djihadiste en faisant de ces terroristes des héros. Je rappellerai une chose simple : en légiférant, nous ne cherchons pas à nous mettre dans l’état d’esprit de ces djihadistes, ce serait vain. Nous voulons envoyer un message clair et sans ambiguïté aux apprentis ou aspirants djihadistes : on ne trahit pas impunément sa patrie ! Faire le choix du djihad contre la République, c’est quitter la famille nationale et c’est un aller simple, sans retour possible.

Mais il faut aller plus loin. Le pape François le rappelait récemment : le monde actuel vit une sorte troisième guerre mondiale. Il faut donc être dans l’anticipation plutôt que dans la réparation. À cet effet, il faut aussi développer des instruments de prévention efficaces. C’est pourquoi, comme nous l’avons fait par l’intermédiaire de Jean-Christophe Lagarde en novembre dernier, le groupe UDI propose de mettre en place un dispositif de contrôle administratif des personnes sans double nationalité, soupçonnées de s’être engagées dans des groupes terroristes à l’étranger.

Concrètement, il s’agit de renforcer la prévention des actes terroristes et du développement des filières djihadistes. L’État pourrait ainsi refuser l’accès au territoire, contrôler les conditions d’un retour et surtout imposer un dispositif strict de surveillance administrative, voire un suivi socio-éducatif sous la forme d’un processus de déradicalisation pour les éventuels repentis. La présente loi devrait être complétée dans ce sens dans les mois à venir.

La France se doit de réagir. C’est pourquoi, mes chers collègues, nous soutenons cette proposition de loi. Je vous invite tous à oublier nos clivages politiques. La lutte contre le terrorisme n’est ni de droite, ni de gauche, c’est bien une cause nationale, Manuel Valls le rappelait ici dans un grand discours. Face à cette menace, nous devons présenter un front uni. L’ennemi menace nos soldats, nos policiers, nos concitoyens, notre modèle républicain.

Avant de rendre la parole, je tenais néanmoins à ajouter deux remarques d’importance.

Tout d’abord, notre diplomatie doit aussi être pleinement mobilisée dans ce combat. On ne peut avoir de politique à géométrie variable lorsqu’il s’agit de lutter contre le terrorisme. Je le rappelais de façon prémonitoire le 13 mai dernier : on ne peut adopter des lois contre le terrorisme et, dans le même temps, entretenir des relations, quelles qu’elles soient, avec des États qui soutiennent, abritent et financent le terrorisme.

Il faut être lucide : le terrorisme ne se développe que parce que des États lui apportent leur concours logistique, financier, idéologique, et militaire. Ces États, nous les connaissons et, hélas, les fréquentons quand on ne flirte pas avec eux : l’Iran, théocratie djihadiste ; la Syrie, son vassal ; l’Arabie Saoudite et le Qatar, champions du salafisme wahhabite ; et d’autres encore.

Je vous demande de bien avoir cela à l’esprit alors que nous négocions, aux côtés de nos alliés, sur le dossier nucléaire iranien. Sur ce front, nous sommes le dernier rempart, nous ne pouvons donc pas céder.

Enfin, un travail considérable reste à accomplir dans le champ de l’éducation et c’est là-dessus que je voudrais clore mon propos : un enfant, quel qu’il soit, ne naît pas terroriste, raciste ou antisémite.

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