Je ne m’exprimerai que sur le sujet de l’indignité nationale.
La présente proposition de loi a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale aux fins, notamment, de rétablir le crime d’indignité nationale pour les Français sans double nationalité. Issue de l’ancien droit et de la législation révolutionnaire avant d’être reprise à la Libération dans les ordonnances de 1944 réprimant les faits de collaboration, cette peine vise à déshonorer publiquement un citoyen, non à l’exclure de la communauté politique. C’est la citoyenneté qui est affectée, non la nationalité.
Ainsi, aux termes des ordonnances de 1944, était inculpé d’indignité nationale le Français ou la Française qui avait, principalement, adhéré à un parti politique pro-collaborateur, participé au gouvernement de Vichy, qui s’était livré à une activité de propagande raciste ou fasciste, ou qui avait occupé une fonction de direction au Commissariat aux questions juives. L’antisémitisme était explicitement visé par le législateur résistant.
À ce crime nouveau correspondait une peine elle aussi nouvelle, infamante, la dégradation nationale. Or, vous le savez, les peines infamantes ont disparu du code pénal depuis 1994. Il s’agissait d’une peine symbolique et provisoire adaptée à une période particulière et qui, rappelons-le, a permis d’éviter la peine de mort à de nombreux vichystes. Cette indignité nationale était fondée sur un tout autre objectif et a permis d’éviter l’application de peines beaucoup plus cruelles.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui ajoute à une peine de trente ans de prison et à une amende de 450 000 euros une peine de dégradation nationale, c’est-à-dire, entre autres, la privation des droits civiques et l’interdiction d’exercer un emploi dans la fonction publique.
Or, après réflexion, cette indignité nationale ne me semble pas appropriée pour répondre aux dangers de la société du XXIe siècle. L’horreur des actes terroristes appelle une tout autre démarche que celle de construire l’avenir en regardant un passé, qui plus est un passé récent qui n’a rien à voir avec la période que nous vivons.
D’une part, l’intervention du législateur doit être efficace. Or cette proposition de loi aurait-elle permis d’éviter les attentats de janvier dernier ou les tentatives d’attentats déjouées dernièrement par nos services de police ? La réponse est évidemment non. On sait qu’aucune peine du code pénal, aussi sévère soit-elle, n’arrête le fanatisme. Les peines les plus dures ne sont pas dissuasives. Celle-ci l’est évidemment moins encore : par son caractère inadapté, elle résonne à mon sens comme un aveu d’impuissance. Par ailleurs, le droit pénal offre suffisamment d’outils pour réprimer les actes terroristes. L’arsenal répressif à disposition des juges n’appelle pas une mesure supplémentaire de cette nature, inopérante.
D’autre part, cette peine d’indignité nationale risquerait d’être beaucoup plus un motif de gloire pour des terroristes en mal de martyre qu’une souffrance que leur infligerait le regard réprobateur de leurs concitoyens. En d’autres termes, en arrachant aux terroristes la dignité nationale, on ne ferait que leur donner ce qu’ils recherchent eux-mêmes. Les punir très lourdement, oui ; les exclure pour en faire des martyrs, non.
Par conséquent, je rejette cette proposition de loi, que je considère inefficace pour combattre ce contre quoi elle est censée lutter – le terrorisme –, et qui pourrait même produire des effets inverses à ceux qu’elle recherche. Nos concitoyens doivent le savoir : on ne doit pas les laisser penser que cette mesure est nécessaire pour lutter contre le terrorisme. Au contraire, comme on vient de le dire, cette proposition de loi présente des risques, sans parler des malentendus ou des incompréhensions négatives qui ne pourraient être évités. C’est dans une action globale recherchant résolument l’efficacité, telle que celle que mène actuellement le Gouvernement et à laquelle participe activement le législateur, au sein même de l’Assemblée nationale, dans une approche d’ailleurs constructive et partagée, que nous devons continuer à travailler.
Pour ces motifs, mes chers collègues, je ne voterai pas cette proposition de loi et j’appelle la représentation nationale à la rejeter.