Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, ce texte – pour être franc – me paraît honnête et habité d’une grande bonne volonté. Un seul point me préoccupe et je souhaiterais l’exposer en toute liberté : il s’agit de la création d’un principe d’irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire des professionnels qui effectuent des signalements.
Établir le principe d’une irresponsabilité pénale, quelle que soit la nécessité qu’il y a à se doter de toutes les armes pour lutter contre la maltraitance, me paraît dangereux dans une démocratie judiciaire.
On peut certes en prendre le risque, au motif que la maltraitance est tellement insupportable qu’il faut par tous les moyens lutter contre elle – même si, pour ce faire, on doit renoncer à des principes très anciens et qui ont fait leurs preuves.
Mais, comme l’a indiqué avec raison Mme Capdevielle, la maltraitance peut être aussi un instrument de guerre et de conflit au sein des familles. L’expérience nous permet de dire qu’elle est quelquefois un moyen judiciaire, dans un combat personnel, d’exercer des pressions, voire de lancer des accusations qui ne sont pas fondées.
Et si, bien souvent, nous évitons le drame, c’est que précisément le médecin, ou pour faire simple le responsable, considère que s’il agit trop vite il risque une procédure pour dénonciation calomnieuse.
Avec ce texte, on fait sauter une digue et on supprime des règles de prudence que nous avions instaurées.
En outre, créer l’irresponsabilité, c’est créer la responsabilité de dire. C’est en quelque sorte déclencher une dynamique de la dénonciation, au sens noble du terme, si j’ose dire, ce qui aura pour conséquence que le professionnel qui ne la déclenchera pas sera encore plus responsable.
C’est un but que l’on peut poursuivre. Je ne dis pas qu’il n’est pas louable, je dis simplement qu’il est dangereux – la nuance est de taille. Dans notre société, qui confine à une société de la délation, chacun dénonce chacun, souvent par le truchement de médias. Aujourd’hui on ne se tue plus en duel mais à coup de plume ou via un ordinateur.
Il y a un vrai danger à cette disposition, et c’est le point sur lequel, objectivement, je voudrais insister, même si je sais le peu d’effet que – pour l’instant – mes propos peuvent avoir. Ne créons pas une société de sycophantes, car c’est ainsi que meurent les démocraties, l’Histoire nous l’enseigne et nous le rappelle sans cesse.
Mon propos avait simplement pour but d’appeler votre attention, peut-être pour prendre date, sur les conséquences gravissimes qu’il pourrait y avoir à créer un principe d’irresponsabilité dans une société très inquiète, qui aime à regarder derrière les fenêtres pour voir ce qui se passe dehors. En organisant cette irresponsabilité, nous prenons le risque de déclencher des vagues de dénonciations qui seraient alors récupérées, instrumentalisées et organisées.
Il est vrai que les chiffres inquiètent et que nous avons envie de réagir, mais n’aurions-nous pu le faire à travers une formation plus attentive des médecins et des responsables ?
Je crains que créer cette irresponsabilité, je le dis franchement, ne provoque une vague de dénonciations non fondées, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Rappelez-vous l’affaire d’Outreau ! Tout est parti de dénonciations. Résultat ? des vies saccagées, ravagées. Voilà le risque !
Tout en reconnaissant l’utilité d’agir, je voulais vous alerter sur l’intérêt des garde-fous.