Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 8 décembre 2015 à 15h00
Information de l'administration et protection des mineurs — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames et messieurs les députés, nous débattons de cette question pour la deuxième fois puisque, après les événements tragiques de Villefontaine et de Rennes, nous avions souhaité faire diligence – nous avions donc introduit dans un texte de loi visant à transposer des directives européennes à peu près l’équivalent des dispositions dont nous allons débattre aujourd’hui.

Nous avons en effet été soucieux d’apporter une réponse législative prompte permettant d’organiser de façon plus stricte et plus méthodique la transmission des informations par l’autorité judiciaire à des administrations ou des établissements publics concernant les personnes ayant fait l’objet d’une condamnation ou de poursuites visant des actes de nature sexuelle.

Après ces événements tragiques, la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et moi-même avons réagi immédiatement puisque, dès le lendemain, nous avons diligenté une double inspection de façon à clarifier les circonstances dans lesquelles ils avaient eu lieu – la personne mise en cause avait fait l’objet d’une condamnation quelques années auparavant pour détention d’images pédopornographiques et cela n’avait pas été signalé à l’éducation nationale.

Nous avons tous été transis de stupeur en découvrant que cette personne s’était livrée à des agressions sexuelles absolument ignobles sur des enfants.

Nous avons donc réagi à travers cette double inspection mais, également, en prenant rapidement un certain nombre de décisions communes avec la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui les détaillera tout à l’heure.

Je vous rappelle simplement que nous avons convoqué très rapidement une réunion avec les recteurs et les procureurs généraux afin de les sensibiliser à ces nécessaires transmissions.

Nous avons aussi immédiatement mis en place un groupe de travail sous l’autorité de la direction des affaires criminelles et des grâces de façon à mieux définir les conditions dans lesquelles ces transmissions doivent être effectuées et, surtout, l’usage devant être fait des éléments signalés.

Nous avons également installé un autre groupe afin d’élaborer un guide méthodologique qui servira à l’autorité judiciaire mais, surtout, à l’éducation nationale et à toutes les administrations qui emploient des personnes intervenant auprès de mineurs.

Les dispositions que nous avions adoptées dans le cadre d’une loi de transposition de diverses adaptations au droit de l’Union européenne ont fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel, à la suite d’une saisine par les sénateurs. Si cette disposition a été censurée, c’est parce qu’elle est apparue comme un cavalier législatif au sein de ce texte de transposition : ce n’est pas sa pertinence qui a été remise en cause.

Depuis, nous avons veillé, non seulement à réagir très vite, en faisant adopter cette disposition législative, mais aussi à la sécuriser le mieux possible. Nous avons donc élaboré un projet de loi, que le Conseil d’État, auquel nous l’avions soumis, a précisé et consolidé. Le texte que nous vous présentons aujourd’hui n’est pas un texte de circonstance, mais un texte de principe, et les parlementaires l’ont bien compris, puisque les débats qui ont eu lieu en juin et en juillet ont été très approfondis.

Entre-temps, puisque le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, nous avons pris des mesures d’importance : la ministre de l’éducation nationale et moi-même avons diffusé, le 16 septembre, une circulaire rappelant les conditions de diffusion de l’information et transmettant la liste des référents « éducation nationale » au sein des parquets, et des référents « justice » au sein des rectorats, de façon à ce que ce double réseau de référents soit opérationnel dès la rentrée.

Nous avons constaté, sur la base du rapport qui nous a été transmis, qu’il était absolument indispensable d’aménager l’article 11 du code de procédure pénale, de façon à permettre cette dérogation faite au secret de l’enquête et de l’instruction. Même si les observations des députés nous avaient permis d’élaborer des dispositions solides, nous avons souhaité sécuriser davantage le texte, avec l’aide du Conseil d’État.

Je le disais tout à l’heure : ce sont des circonstances tragiques qui nous ont conduits à prendre ces dispositions. Nous avons en effet constaté que, si les circulaires qui énonçaient la nécessité de la transmission d’information de l’autorité judiciaire aux administrations étaient suffisantes dans le cas de condamnations, il était en revanche important, pour les poursuites, de déroger à l’article 11, relatif au secret de l’enquête et de l’instruction.

C’est donc une loi de principe que nous vous proposons, qui vise à répondre à des questions difficiles : celle du moment où il convient de transmettre ces informations ; celle des agents concernés par cette transmission ; celle, enfin, des infractions qui la rendent nécessaire.

Nous introduisons deux articles nouveaux dans le code de procédure pénale. Un alinéa ajouté à l’article 11, qui pose le cadre général de la transmission de l’information par l’autorité judiciaire à toutes les administrations et concerne tous les agents, oblige le procureur de la République à transmettre l’information en cas de condamnation, mais également en cas de mise en examen et de poursuites engagées. Nous modifions par ailleurs l’article 706-47, en y ajoutant un alinéa 4, visant les personnes en contact habituel avec des mineurs, sur des infractions qui sont spécifiquement énumérées. Cet alinéa oblige le procureur de la République à informer les administrations, en cas de condamnation, mais également pour certains contrôles judiciaires. Par ailleurs, cette disposition permet aussi au procureur de la République d’informer les administrations en cours de procédure, c’est-à-dire en cas de mise en examen, mais également en cas de garde à vue, ou même d’audition libre, si des indices graves et concordants permettent d’établir une suspicion avant condamnation.

Nous avons apporté d’autres modifications au code de procédure pénale. S’agissant des contrôles judiciaires, nous introduisons une interdiction supplémentaire : celle d’exercer une activité en contact habituel avec des mineurs. C’est cette interdiction qui va fonder le caractère obligatoire de la transmission de l’information pour les personnes placées sous contrôle judiciaire.

Nous avons également modifié d’autres codes. Dans le code de l’action sociale et des familles, nous introduisons une incapacité juridique, en levant la condition de quantum. Actuellement, c’est une condamnation de plus de deux mois qui permet de déclencher cette incapacité juridique pour les personnes qui exercent dans des établissements accueillant des mineurs, ou qui dirigent de tels établissements. En supprimant cette condition de quantum, nous élargissons le champ de l’interdiction. C’est une disposition que vous avez votée à l’unanimité il y a peu de temps, sur la base d’une proposition de loi du député Claude de Ganay.

Nous modifions également le code du sport, de façon à rendre applicable l’interdiction d’exercer un encadrement sportif, non seulement aux personnes qui sont rémunérées pour cela, mais également aux personnes qui exercent à titre bénévole.

Nous modifions, enfin, le code de l’éducation, pour que les mesures disciplinaires prévues pour les personnels intervenant dans des établissements d’enseignement privé concernent également les établissements du premier degré, qui n’étaient pas mentionnés jusqu’à présent.

Dans ce projet de loi, nous avons fait l’effort – et je crois que nous y avons réussi – sous l’éclairage des débats que nous avons eus ensemble en juin, de concilier deux exigences difficilement conciliables. D’un côté, nous avions l’ambition d’assurer la meilleure protection possible aux enfants et aux mineurs qui sont placés sous la responsabilité des institutions et des administrations : c’est à la fois une obligation pour la puissance publique, une nécessité morale et un impératif juridique. De l’autre, nous avons tenu à respecter l’un des grands principes de notre droit, la présomption d’innocence, pour les personnes qui n’ont pas encore fait l’objet de condamnations.

Nous avons cherché à concilier ces deux exigences, comme nous avions déjà essayé de le faire au mois de juin. Le projet de loi que nous vous présentons aujourd’hui a été précisé et consolidé par le Conseil d’État, et il me semble que les dispositions, telles que nous les avons écrites, présentent désormais une totale sécurité. Ces dispositions permettent d’informer en cas de condamnation, mais aussi en cours de procédure, c’est-à-dire en amont de la condamnation, en cas de mise en examen, de garde à vue, et même, je le répète, d’audition libre, s’il existe des indices graves et concordants.

Parce que nous avons voulu assurer la meilleure protection possible des enfants, nous sommes remontés très en amont, jusqu’à l’audition libre. Mais nous avons aussi voulu mettre en place des garanties afin d’assurer le respect de la présomption d’innocence. C’est ainsi que la personne mise en cause, et qui fera l’objet d’un signalement à son administration, sera informée de cette transmission d’information. Si celle-ci se fait très en amont, c’est-à-dire au stade de la garde à vue ou de l’audition libre, la personne pourra faire une déclaration, qui sera consignée dans un procès-verbal. Toute transmission s’effectuera par écrit.

Si la décision de justice conclut à l’absence de culpabilité, il faudra, non seulement que l’autorité judiciaire transmette à l’employeur cette décision de justice, mais aussi que la mention antérieure soit effacée du dossier de la personne concernée. Nous rappelons par ailleurs dans ce texte que le secret professionnel s’applique à tout destinataire de ces informations. Nous avons donc réussi, me semble-t-il, à trouver ce chemin extrêmement étroit entre la meilleure protection des mineurs et le respect de la présomption d’innocence.

Votre commission des lois a encore amélioré le texte, notamment au sujet de la non-inscription sur le bulletin no 2 du casier judiciaire. En effet, si la juridiction a décidé de ne pas inscrire sa décision dans ce bulletin, il faudra que le parquet s’assure qu’elle n’est pas transmise à l’employeur ; et, si le signalement a été fait plus en amont, il importe que l’administration soit informée de cette décision de la juridiction.

Je veux remercier les parlementaires qui se sont fortement impliqués : vous tous, qui êtes là cet après-midi, qui vous êtes impliqués en juin, mais aussi sur ce projet de loi, puisque vous avez réussi à déposer des amendements, malgré le travail très sérieux effectué par le Gouvernement, et le travail très méticuleux assuré par le Conseil d’État. Malgré tout le travail que nous avons fourni, vous avez trouvé des motifs de déposer des amendements, dont nous débattrons tout à l’heure. Je veux remercier le rapporteur, M. Erwann Binet, mais aussi Mme la députée Joëlle Huillier, ainsi que M. le député Dominique Raimbourg qui, au mois de juin, avait été très actif. Je sais qu’il est resté très fortement impliqué sur ce texte.

Il nous restera à régler la question des personnes qui ont déjà fait l’objet de condamnations. Nos lois n’étant pas rétroactives, les dispositions contenues dans ce texte ne s’appliquent qu’aux situations nouvelles : les condamnations nouvellement prononcées et les procédures nouvellement engagées. Mais il est possible, et même probable, qu’il se trouve, dans ces administrations, des personnes qui ont déjà fait l’objet de condamnations. Jusqu’alors, selon notre droit, l’administration avait accès au bulletin no 2 du casier judiciaire au moment du recrutement. Nous avons donc rédigé un projet de décret permettant à l’administration de consulter le bulletin no 2 en cours de carrière. Ce décret a été soumis au Conseil d’État, qui nous a rendu cet après-midi, à quinze heures cinquante, un avis favorable. Nous avions prévu de publier ce décret au tout début de l’année 2016, mais il pourra finalement l’être dans les tout prochains jours, puisque nous avons prévu de le contresigner très prochainement.

Voilà où nous en sommes : nous avons réussi à trouver un chemin de crête très difficile et très étroit, pour aboutir à ce texte satisfaisant. Nous sommes tous soulagés : nous étions extrêmement choqués, extrêmement malheureux, profondément scandalisés par cette faille incroyable existant dans notre droit, et que nous avions essayé de combler par des circulaires. Il y a longtemps que nous aurions dû nous rendre compte que les circulaires n’étaient pas suffisantes, en tout cas en deçà des condamnations. Il est réconfortant de savoir que nous disposons désormais d’un dispositif qui permettra d’éviter que toute personne qui se sera rendue coupable d’actes délictueux sur des enfants puisse encore avoir un contact avec des enfants, et éventuellement continuer à les mettre en danger ; ou que toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation, même s’il n’a pas commis d’actes délictueux sur des enfants, soit signalée, de façon à ce que les mesures conservatoires soient prises. C’est le moins que nous devions aux enfants qui nous sont confiés.

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